Julie Van Dusen, de « Politics », une émission quotidienne d’actualité politique de la télévision anglaise de Radio-Canada, s’entretient avec Bob Rae, président du Forum des fédérations (avril 2003).  L’émission « Politics »  est diffusée à l’antenne du réseau Newsworld de la CBC.

 

 

 

Q                     Nous sommes de retour. Aujourd’hui, sur la colline du Parlement, on discutait beaucoup du rôle que le Canada devrait jouer dans la reconstruction de l’Irak. Plus d’une fois, on a dit que le Canada serait bien placé pour fournir de l’expertise et des conseils pour aider l’Irak à se doter d’un nouveau mode de gouvernement Le Forum des fédérations collabore avec des pays désireux d’adopter un régime gouvernemental  fédéral. Il s’agit d’un groupe international établi à Ottawa. Pour discuter de ce que le Canada pourrait bien faire pour venir en aide à l’Irak, j’accueille aujourd’hui le président du conseil d’administration du Forum et ancien premier ministre de l’Ontario, Bob Rae.  Monsieur Rae est à Toronto.  Comment allez-vous?

 

B. Rae              Très bien, et vous?

 

Q                     Très bien merci. Alors, nous avons entendu dire de la part de Bill Graham et du premier ministre que le Canada a de l’expérience dans le domaine des fédérations et que le Canada pourrait bien avoir un rôle à jouer en  Irak.  C’est là votre champ d’expertise. Quel rôle le Canada peut-il jouer dans la reconstruction de l’Irak, surtout au plan gouvernemental?

 

B. Rae              Je pense que le Canada, comme bien d’autres pays vous savez, possède une grande expérience en matière de fédéralisme et de démocratie.  Et l’une des choses sur lesquelles beaucoup de gens s’entendent à travers le monde de nos jours, c’est le fait que la façon de gouverner un pays a une grande importance et beaucoup d’impact sur son économie,  sa capacité de grandir et, somme toute, son aptitude à bien tirer son épingle du jeu.

                   

                        Je pense donc que le Canada est en mesure de contribuer. Au Forum des fédérations, nous avons commencé à réfléchir.  Nous réfléchissons à ce qui se passe en Afghanistan.  Nous avons été appelés à travailler avec les gens du  Sri Lanka, où on est en guerre depuis 20 ans, une guerre civile dévastatrice. Les parties nous ont demandé conseil pour les aider à engager un processus de paix et pour les sensibiliser au concept du fédéralisme, qu’ils ont d’ailleurs adopté comme cadre de discussion. Je crois que nous en sommes encore aux premiers jours de l’Irak. Il faut reconnaître que la guerre n’est pas terminée, qu’on n’a pas encore clairement établi comment on arrivera à rebâtir le pays, quel rôle les Nations Unies seront appelées à jouer en ce sens, ce que feront les pays qui n’ont pas participé directement à la guerre.

 

                       Mais je crois certainement, par exemple, qu’ici au Forum,  nous réfléchissons vraiment à la question. Nous avons tout un réseau de groupes à travers le monde, nous parlons avec les gens pour connaître leur point de vue. Les représentants de diverses collectivités engagées en Irak communiquent avec nous pour savoir ce que nous pensons de telle ou telle chose. Donc, nous avons commencé à faire un peu de travail préliminaire et nous allons poursuivre en ce sens.  Évidemment nous comptons discuter avec les gens de l’ONU, à New York et ailleurs, du rôle qu’ils entendent jouer dans le cadre de ce processus.  Il y aura un processus  mais, et c’est là le point, vous avez quelque chose à contribuer.  Vous n’imposez pas vos opinions à quiconque, vous formulez simplement des avis quand et si on vous le demande. Quant à moi, c’est une sage façon d’agir en tant que pays.

 

Q                     Alors, pendant combien de temps agissez-vous ainsi? Car après tout, on parle ici d’une dictature qui a duré pendant 30 ans.

 

B. Rae              Oui, c’est vrai, mais il faut réfléchir à ce qui est arrivé. Premièrement, dans le Nord kurde, il existe une collectivité relativement autonome qui se gouverne elle-même depuis la guerre de 1991.  Dans le sud, il y a un très important groupe de Chiites qui ont été, eux aussi, profondément marqués par la guerre de 1991 et qui ont été victimes d’une horrible répression aux mains du régime.  Puis vous avez, il faut le dire, une très grande communauté qui habite à l’extérieur de l’Irak, des Irakiens qui ont quitté.  Il s’agit d’un groupe très sophistiqué qui a beaucoup d’expérience au niveau de la société civile, qui comprend très bien combien les choses ont changé dans l’ouest depuis 10 ou 15 ans  et qui se disent, dans bien des cas, qu’il est temps de rentrer en Irak pour donner leur avis, pour participer, dans une certaine mesure. 

                      

                       Encore une fois, je pense qu’il ne s’agit pas de dire que nous arrivons avec nos mallettes, que nous descendons de l’avion en disant aux gens : « Voici votre constitution. »  On reconnaît qu’il doit y avoir un processus.  Il devra y avoir une discussion très active en Irak concernant la constitution du pays, la démocratie et la forme que tout cela prendra.  Dans l’un de ses très récents discours sur l’Irak, le président Bush a fait allusion au fait qu’à son avis, l’Irak allait devenir une fédération démocratique. Je crois donc que déjà, aux États-Unis, on pense beaucoup à cette question.  Cependant, et je crois que tous en conviendront, même s’ils ont du mal à s’entendre sur autre chose,  que tout le monde est d’avis qu’en bout de ligne, ce sont les Irakiens qui décideront de leur avenir, du genre de gouvernement dont ils veulent se doter. Il est très difficile de voir comment, dans une société aussi diversifiée aux plans linguistique, ethnique et religieux que l’Irak, la démocratie ne se réincarnerait pas sous une forme décentralisée quelconque. Il me semble qu’il s’agirait d’une mesure logique pour les Irakiens.

 

Q                     Donc, compte tenu de tout ceci, qui devrait tirer les ficelles selon vous, les Nations Unies ou les États-Unis? De quelle façon les gens devraient-ils aborder la question?

 

B. Rae              Et bien, en toute franchise, ce n’est pas au Forum des fédérations de trancher la question. 

                       

                       De fait, ce sont les Américains, les Britanniques et les partenaires de la coalition qui viennent de vivre cette guerre et qui croient, évidemment, que le contrôle de la situation leur revient de plein droit. Mais si l’on se fie à la tradition, il y a fort à parier que les Nations Unies participeront davantage aux efforts humanitaires et voudront s’engager dans le débat visant à établir comment se fera la transition vers une société plus démocratique. C’est une situation qui se répète dans un grand nombre de pays à travers le monde où les Nations Unies sont très présentes et actives. L’ONU, la grande communauté des Nations Unies, possède une vaste expérience à ce chapitre. 

 

                        Je pense donc qu’inévitablement, ce sera une combinaison de facteurs.  Mais il y a un aspect dont vous n’avez pas parlé, un aspect que j’ai moi-même abordé et que je veux souligner à nouveau, à savoir qu’il revient aux Irakiens eux-mêmes de décider de leur avenir.  Il ne s’agira pas d’une solution néo-coloniale. Cela ne marche pas, ne marchera pas. Il faut que la solution vienne de l’Irak, de la société irakienne, de la collectivité irakienne.  Et je crois fermement que c’est ainsi que les choses vont se passer.

 

Q                     Une question rapidement. Faut-il attendre que l’ordre soit rétabli avant de commencer à réfléchir à tout ceci ou est-ce déjà le temps de plonger dans le tas, d’aller sur le terrain et de commencer à brasser des idées?

 

B. Rae              Et bien, je crois qu’il est temps de commencer à écouter avec grande attention.   Il est clair que nous avons commencé à réfléchir, à établir des comparaisons. Nous regardons ce qui se fait dans d’autres pays, nous examinons avec grande minutie en quoi le débat sur la diversité et le fédéralisme a évolué en Irak, parmi les expatriés irakiens et ailleurs. C’est le genre de chose que nous faisons, vous savez.  Nous sommes un point de contrôle, un réseau. Nous regardons et nous écoutons, nous faisons de la recherche. C’est là notre tâche.  Puis nous donnons des avis et des conseils quand on nous demande de le faire.

 

                       Mais pour être en mesure de donner des conseils utiles, il faut faire ses devoirs. C’est ce à quoi nous nous affairons. C’est aussi le processus que nous avons l’intention de perpétuer.

 

Q                     Bob Rae, merci beaucoup d’avoir été des nôtres.  Monsieur Rae fait partie du Forum des fédérations et est, évidemment, l’ancien premier ministre de l’Ontario. Nous avons hâte que vous partagiez avec nous d’autres idées sur la question.

 

 

FIN DE L’ENTREVUE