Conférence sur le fédéralisme coopératif , la mondialisation, et la démocratie Brasilia, Brésil. 9 au 11 mai 2000

Discours d’ouverture 9 mai 2000 Ralph Lysyshyn Président du Forum des fédérations

Quel plaisir que de se trouver ici, dans la capitale du Brésil, pour parler d’un élément que nous, les Canadiens, partageons avec les Brésiliens : le fédéralisme. Au fil des siècles, les différents peuples et les différents pays ont cultivé plusieurs domaines d’intérêt commun ou partagé – de la politique idéologique à la langue et la culture, en passant par le commerce, l’échange, la défense et la sécurité. Mais il y a un domaine d’intérêt commun que nous commençons à peine à explorer. Et c’est ce dont nous parlerons au cours des prochains jours : le système de gouvernance fédéral. Notre organisation s’appelle le Forum des fédérations. Et notre raison d’être, c’est l’étude du fédéralisme en tant que domaine d’intérêt commun fondamental. Notre mission, c’est de réunir les gens de par le monde qui partagent cet intérêt pour le fédéralisme ... un intérêt académique ou théorique, ou complètement pratique. En fait, nous mettons avant tout l’accent sur l’aspect pratique et sur ceux que nous appelons praticiens de la gouvernance fédérale. Il y a, bien sûr, beaucoup de praticiens parmi nous aujourd’hui. Notre objectif, c’est de faire en sorte que les praticiens puissent partager et apprendre de l’expérience des autres. Nous voulons aussi donner l’occasion à ceux qui font quotidiennement face à tous les défis et problèmes de la gouvernance dans un contexte fédéral d’apprendre et d’échanger des idées avec les autres. Nous nous considérons comme un réseau international sur le fédéralisme – et réseau est le mot-clé. Nous travaillons à ce que les idées, le savoir-faire, les expériences et les pratiques exemplaires voyagent d’une personne à l’autre, d’un endroit à l’autre. Parmi vous, quelques-uns font déjà partie du réseau, et nous invitons tous les autres à se joindre à notre réseau de praticiens et d’experts. En octobre dernier, nous avons organisé une conférence internationale sur le fédéralisme à Mont-Tremblant, un magnifique centre de villégiature situé près d’un lac dans les Laurentides, une chaîne de montagnes dans l’Est canadien. Le paysage était splendide, les feuilles d’automne avaient revêtu leurs plus belles couleurs. Mais ce qui était encore plus sensationnel, c’était le fait de rassembler tous ces gens venus de partout – de l’Inde, de la Russie, de l’Afrique du Sud et du Nigéria, du Mexique et du Brésil, de l’Allemagne, de la Suisse et de la Belgique, des États-Unis et du Canada, et de plusieurs autres pays. Quelques-uns étaient des représentants élus du gouvernement ... d’autres des fonctionnaires ... d’autres encore, des universitaires ou des théoriciens ... Il y avait, entre plusieurs autres, un Nigérian lauréat du prix Nobel de littérature, le président américain, un Canadien spécialiste des conséquences des nouvelles technologies, et un groupe de jeunes gens venus littéralement de partout dans le monde. Ils venaient tous relever un défi : trouver un moyen de gouverner permettant d’allier unité et diversité, buts communs et hétérogénéité. Je peux assurer à ceux qui n’étaient pas là que, pour ceux qui y étaient, c’était une expérience révélatrice ... on a pu voir le fédéralisme à travers le prisme d’une grande variété d’expériences et de points de vue. Plusieurs participants nous ont confié qu’ils voulaient poursuivre le travail – créer sous l’impulsion du moment et laisser couler information et idées. Et c’est pourquoi nous sommes ici aujourd’hui. Je crois que nous pouvons tous admettre que le fédéralisme n’est pas toujours le moyen le plus simple et le plus élégant de gouverner. Je suis certain que nous avons tous pensé, un jour ou l’autre, que tout serait beaucoup plus facile si toutes les décisions et tous les pouvoirs se trouvaient concentrés en un seul endroit. Nous ne nous inquiéterions jamais du fait que les rôles se mélangent ou se chevauchent ... nous ne serions jamais frustrés par l’inefficacité apparente pour les différents niveaux de gouvernement d’en arriver à un consensus quant à leurs objectifs et aux moyens d’y parvenir. Cela peut paraître tellement plus simple et facile. Mais la réalité inéluctable, c’est que nous qui vivons et travaillons dans les pays fédérés, nous ne sommes tout simplement pas destinés à avoir une vie simple et facile ! Et, quelle que soit la situation, ce qui est le plus facile, le plus élégant ou le plus simple n’est pas nécessairement ce qui est le plus juste, le plus équitable ou le plus impartial. Quand on vit avec le défi de gouverner démocratiquement dans des pays aussi vastes et diversifiés que le Canada, les États-Unis, l’Inde ou le Brésil, un régime fédéral, quel qu’il soit, semble, par nature, tout indiqué. En effet, nous aimerions peut-être dire du fédéralisme ce que disait Winston Churchill de la démocratie ... qu’il s’agit du « pire système – exception faite de tous les autres ... ! » Comme la démocratie, le régime fédéral n’est pas quelque chose de nouveau. Et, en passant, il est difficile d’imaginer un fédéralisme authentique sans la démocratie. Un des aspects fondamentaux du fédéralisme, c’est l’espèce de tension créatrice qui existe entre le centre et les unités constituantes. Un régime fédéral viable accorde à tous ses États ou provinces l’occasion de défendre leurs propres intérêts et de s’allier à d’autres avec qui ils ont des intérêts partagés ou complémentaires. En même temps, il donne un rôle significatif au gouvernement central, qui a la tâche de déterminer les buts communs pour tout le pays. L’interaction entre les deux niveaux de gouvernement devrait permettre de créer des politiques solides. Mais pour qu’existe cette tension créatrice – cette interaction productrice – les États ou provinces ne peuvent pas être de simples instruments du gouvernement central. Ils doivent jouir d’une légitimité autonome. Et la meilleure façon d’accorder la légitimité à un gouvernement, c’est par le consentement volontaire des gouvernés. Comme je le disais, le fédéralisme n’est pas nouveau. Si on remonte plusieurs siècles en arrière, on trouve quand même des modèles de pays fédérés. En Amérique du Nord, le peuple Iroquois prétend avoir inventé le fédéralisme. C’est sous l’appellation de « Confédération iroquoise » qu’il a réuni ses diverses tribus dans le nord-est de l’Amérique du Nord. Et les Iroquois disent que les pères fondateurs des États-Unis leur ont emprunté l’essentiel du concept du fédéralisme lorsqu’ils cherchaient un moyen de réunir les treize anciennes colonies pour créer un nouveau pays. Mais si le fédéralisme est un vieux concept qui perdure, il n’est pas pour autant immuable. À mesure que le monde change et évolue, différents styles et modèles de fédéralisme apparaissent. Et aujourd’hui, nous avons de nouveaux modèles comme le fédéralisme supra-national, le fédéralisme asymétrique et le fédéralisme naissant. Au Brésil, vous êtes en train de raffiner, et peut-être même de réinventer votre pratique du fédéralisme. Et nous sommes ici pour nous assurer que vous ne travaillerez pas dans l’isolement et la réclusion. Nous aurons l’occasion, au cours des prochains jours, de prendre connaissance de l’expérience de l’Inde, de l’Allemagne, des États-Unis et du Canada en matière de fédéralisme en plus des différents points de vue sur l’expérience brésilienne. Comme je le mentionnais précédemment, nous qui vivons et travaillons dans des pays fédérés, nous ne sommes pas destinés à avoir une vie simple et facile. Au cours des prochains jours, nous devrions, à tout le moins, pouvoir nous consoler du fait que des personnes partout sur la terre ont une vie aussi difficile et complexe que la nôtre ! Nous, au Forum des fédérations, voulons que vous sachiez que même si plusieurs des défis que pose le fédéralisme au Brésil sont propres à votre pays, plusieurs sont des défis auxquels doit faire face l’ensemble de la planète. Nous espérons que, dans les jours qui viennent, vous vous engagerez dans un processus d’apprentissage et d’échanges qui produira des résultats indéniables lorsque vous retournerez au bureau et rentrerez dans votre communauté. Il n’y a pas très longtemps que nous travaillons à créer un réseau international sur le fédéralisme, mais nous voyons bien que les gens qui participent à la grande aventure de la gouvernance fédérale dans le monde ont beaucoup de choses à s’enseigner. Les Brésiliens dansent la samba et mangent du Feijoada alors que les Allemands dansent la polka et mangent de la choucroute et du saucisson – mais ils se désaltèrent tous les deux à la source du fédéralisme. Ce que nous avons à faire, et une partie de ce que nous faisons, c’est de mettre en place un vocabulaire commun sur le fédéralisme. Nous devons trouver des moyens de communiquer ensemble, de partager des perceptions et des expériences de la gouvernance fédérale. Voilà un autre but que nous nous sommes fixé au Forum, et nous nous attendons à ce que le travail accompli ici contribuera au lexique. Pour certaines personnes, le terme fédéralisme évoque des images d’instabilité et de fragmentation. Nous croyons que c’est exactement l’inverse qui découle du fédéralisme. Le monde a besoin d’une diversité culturelle tout comme la planète a besoin de biodiversité. Ce que le fédéralisme offre, c’est le moyen de maintenir et d’encourager cette diversité humaine vitale tout en évitant les longs débats politiques. Et peu importe le nom que vous souhaitez lui donner, le monde est plus que jamais à la recherche des compétences et des connaissances que nous avons décidé d’appeler le fédéralisme. À mesure que la démocratie s’étend, et que, partout, les divers groupes culturels cherchent à s’affirmer, les réponses fédérales deviennent inévitables. Et une dernière chose avant de conclure. Au cours des prochains jours, notre travail nous amènera à faire face à beaucoup de problèmes d’ordre pratique. Nous étudierons les mécanismes du fédéralisme de manière assez intense. Ce qui est parfait, et exactement ce qu’il faut. Le fédéralisme est beaucoup plus que de la haute rhétorique, et c’est sa capacité de traiter correctement ce genre de détail qui fait son succès. Mais en même temps, n’oubliez pas que nous participons à une noble entreprise, et les gens autour du monde ont, en quelque sorte, intérêt à ce que nous fassions notre travail comme il faut. Le fédéralisme n’est pas une religion. Ce n’est pas une idéologie. Ce n’est peut-être rien d’autre qu’une méthode, une façon de faire les choses. Mais dans un monde aussi complexe et diversifié que le nôtre, le fédéralisme représente aussi l’espoir – ... l’espoir que les gens pourront harmoniser leurs différences selon des règles constitutionnelles définies, ... l’espoir que les groupes et les régions pourront coopérer sans perdre leur caractère individuel, ... et l’espoir que, à mesure que les nouvelles démocraties apparaîtront, le monde ne se divisera pas en centaines de nouveaux États soi-disant indépendants (mais néanmoins essentiellement impuissants). Il importe de garder à l’esprit le caractère mondial de ce que nous entreprenons ici. Si nous travaillons bien, nous constaterons une différence au Canada, aux États-Unis, en Allemagne, en Russie et en Inde ... et dans beaucoup, beaucoup d’autres pays. Merci ...