Argentine* (République argentine )

VIVIANA PATRONI

1 histoire et évolution du fédéralisme

Situé dans le cône sud de l’Amérique du Sud et d’une superficie de près de 2,8 millions de kilomètres carrés, le territoire de l’Argentine se compose de régions géographiques très différentes. Le pays compte un peu moins de 38 millions d’habitants.

C’est en 1526 que des Espagnols s’installèrent pour la première fois sur des terres faisant partie de l’actuel territoire de l’Argentine. L’établissement appelé à devenir la principale ville et le plus important port du pays, Buenos Aires, a été fondé en 1536, abandonné quelques années plus tard en raison d’attaques incessantes des populations autochtones, et repris de manière définitive en 1580. La colonisation du territoire s’est faite surtout à partir des pays limitrophes au nord.

Des tentatives en vue de constituer un État national ont été amorcées immédiatement après la première proclamation contre la domination espagnole et le renversement du régime vice-royal en mai 1810. Comme partout ailleurs sur le continent, la proclamation de l’indépendance (qui eut lieu le 9 juillet 1816 lors d’un congrès de représentants des provinces) a été suivie d’une longue période marquée par des guerres civiles, le déclin économique, l’affaiblissement du pouvoir

* Le Forum des fédérations tient à remercier Jorge Horacio Lavopa, qui a consenti à faire part de ses observations au sujet de cet article.

central et l’émergence de régimes dictatoriaux. Dans le cas de l’Argentine, cette période a aussi entraîné la perte de vastes territoires qui, jusque-là, avaient été placés sous le contrôle de la vice-royauté. Bien que les ambitions commerciales des élites aient suscité le mouvement vers l’indépendance, les moyens institutionnels destinés à assurer la stabilité politique du projet et nécessaires à la réalisation de ces ambitions se sont révélés fort problématiques.

Les aspirations économiques des chefs régionaux allaient parfois à l’encontre des intérêts des élites de Buenos Aires. Dans la foulée de la proclamation de l’indépendance, des conflits ont surgi au sujet de la nature des relations entre les provinces et Buenos Aires: on ne parvenait pas à s’entendre sur la façon dont les différents intérêts pouvaient servir de fondements à un pays. D’un côté, il y avait les «unitaristes», c’est-à-dire ceux qui représentaient avant tout, mais non pas exclusivement, les élites de Buenos Aires et qui croyaient que la meilleure manière d’organiser le pays et d’assurer sa stabilité politique consistait à mettre en place un gouvernement central puissant et à supprimer l’autonomie provinciale. De l’autre côté se retrouvaient tous ceux qui souscrivaient au principe du fédéralisme; ils étaient convaincus que seul un régime axé sur l’autonomie des provinces pouvait assurer un contrôle politique dans un pays aussi vaste et diversifié.

Le conflit entre ces deux camps a marqué le premier demi-siècle qui a suivi l’indépendance. Alors que les forces unitaristes de Buenos Aires cherchaient à faire adopter des réformes juridiques favorisant une centralisation des pouvoirs, les chefs militaires (caudillos) de l’intérieur du pays luttaient pour préserver leur autonomie. À mesure que s’est intensifiée la lutte entre unitaristes et fédéralistes, les derniers vestiges du pouvoir national ont disparu. Non seulement les tentatives visant à unifier le pays sous l’égide de Buenos Aires ont-elles échoué, mais elles aggravèrent même à bien des égards les divisions qui existaient déjà. Toutefois, divers traités interprovinciaux conclus au cours de cette période ont permis de poser les fondements d’une reconstruction du pays. Le Pacte fédéral de 1831, que l’on considère généralement comme l’ancêtre juridique immédiat de la Constitution, a joué un rôle important à cet égard, puisqu’il a donné à l’État argentin son caractère institutionnel. Ce n’est pourtant qu’en 1853 qu’on est parvenu à s’entendre sur l’organisation politique du pays. Et même là, il fallut payer un prix élevé puisque la province de Buenos Aires fit sécession. Celle-ci a adopté sa propre Constitution en 1854 et a conservé son indépendance jusqu’à ce que son armée soit mise en déroute par les forces militaires de la Confédération argentine en 1860. Malgré cette défaite militaire, les intérêts de Buenos Aires furent préservés grâce aux réformes apportées à la nouvelle Constitution en 1860.

Il convient de mentionner, en particulier, que l’unification du pays a coïncidé avec l’aggravation des déséquilibres économiques entre Buenos Aires et le reste du pays. Ces déséquilibres ont été suscités par le développement de l’élevage et de la culture céréalière dans les plaines fertiles entourant la ville – la pampa. C’est ce même développement qui, pendant la seconde moitié du XIXe siècle, a permis l’intégration de l’Argentine à l’économie mondiale, alors en pleine croissance. Les possibilités d’exportations accrues vers les marchés internationaux ont donc contribué à la consolidation définitive du territoire et à la création d’un État national stable. Toutefois, les assises du fédéralisme, déjà faibles au point de départ, le sont devenues encore davantage à mesure que se sont aggravées les inégalités économiques entre régions. Il y a eu centralisation croissante des pouvoirs à Buenos Aires et les régimes dictatoriaux – trait caractéristique de l’évolution politique du pays – ont continué de centraliser les pouvoirs aux mains du gouvernement national.

À compter des années 1890, l’Argentine possédait les caractéristiques d’une démocratie représentative. Toutefois, soit en raison des pratiques frauduleuses qui limitaient les possibilités de participation effective, soit en raison de la forte proportion de l’électorat qui était d’origine étrangère, la politique y était une activité réservée surtout aux élites. Au cours des premières années du XXe siècle, la mobilisation croissante de la classe ouvrière et les réformes exigées par la classe moyenne ont pourtant provoqué des changements à la loi électorale qui eurent pour effet de rendre le processus politique plus ouvert. Bien que ces changements n’aient pas compromis de façon immédiate les intérêts des élites, la crise économique de 1929 a profondément modifié le consensus à l’origine de l’ouverture de l’arène politique. En 1930, les forces conservatrices ont mis fin aux procédures démocratiques qui avaient fait de l’Argentine un pays unique dans l’univers latino-américain. C’est ainsi que commença une période qui, jusqu’en 1983, fut caractérisée par des gouvernements autoritaires, une démocratie limitée et une profonde instabilité politique.

La période de gouvernement «oligarchique» amorcée en 1930 a été interrompue par le coup militaire de 1943. C’est dans ce contexte qu’est apparu le programme politique auquel est associé le nom de Juan Domingo Perón, le personnage le plus puissant de l’époque. Entre son accession au pouvoir et, une dizaine d’années plus tard, le coup militaire qui l’a déposé en 1955, Perón a radicalement transformé le paysage politique du pays, notamment en donnant à la classe ouvrière et à ses organisations un rôle politique clé. Loin de rétablir l’ordre que les militaires avaient souhaité, la destitution de Perón a eu pour effet d’affaiblir davantage la légitimité de l’État et d’accentuer la polarisation. Non seulement les crises institutionnelles se sont-elles mises à se succéder, mais les conflits politiques sont devenus plus violents. En outre, les régimes militaires ont acquis de nouveaux traits et se sont progressivement affranchis de toute forme de contrainte constitutionnelle dans l’exercice du pouvoir. Ainsi, alors que les régimes militaires avaient provisoirement suspendu des aspects importants de l’ordre constitutionnel pendant les années 60, notamment en ordonnant la dissolution du Congrès, les deux dernières dictatures (de 1966 à 1973 et de 1976 à 1983), non satisfaites de simplement suspendre la Constitution, y substituèrent leur propre cadre juridique. La crise a pris une ampleur catastrophique au cours de la dernière dictature: pour sup-primer l’opposition, on a fait de l’État un instrument de terreur, et on a limité tous les droits politiques et civils.

En 1983, les autorités militaires argentines ont remis le pouvoir aux autorités civiles. Toutefois, les années qui se sont écoulées depuis ont témoigné d’un recul économique qui a suscité une méfiance croissante à l’égard des politiciens et des institutions démocratiques, de sorte que la plupart des gens estiment aujourd’hui que les pouvoirs publics sont livrés à l’arbitraire et à la corruption. En décembre 2001, un soulèvement massif a entraîné la démission du gouvernement élu mais, contrairement aux premières prévisions concernant la portée et la nature de la crise, il n’y a pas eu d’effondrement des institutions politiques existantes. En outre, l’élection en 2003 d’un nouveau président issu du parti péroniste et l’appui que l’on a accordé à plusieurs de ses initiatives indiquent que les forces politiques traditionnelles continuent de jouir d’un appui solide en Argentine.

2 dispositions constitutionnelles relatives au fédéralisme

La Constitution actuelle du pays comprend la Constitution de 1853 et les modifications qui y ont été apportées en 1860, 1866, 1880, 1898, 1957 et 1994. D’autres réformes constitutionnelles n’ont eu qu’une durée limitée. Ce fut le cas de la réforme de 1949, sous la présidence de Juan Domingo Perón (réforme déclarée inconstitutionnelle en 1956), et de la réforme de 1972.

La Constitution de l’Argentine prescrit un gouvernement républicain, représentatif et de type fédéral. Républicaine, la Constitution prévoit une séparation nette des pouvoirs entre les organes exécutifs, législatifs et judiciaires. Fédérale, la Constitution crée un cadre juridique prévoyant la coexistence d’un pouvoir national-fédéral et de 23 pouvoirs provinciaux et de la ville de Buenos Aires. Selon la Constitution, les provinces sont des organes autonomes et, à ce titre, il leur appartient d’adopter leur propre constitution et de créer les institutions politiques locales qui leur conviennent. Pour être valides, toutefois, les constitutions provinciales doivent respecter les principes de représentation démocratique et les principes républicains inclus dans la Constitution nationale (article 5). À proprement parler, les provinces ne sont pas souveraines puisqu’elles sont assujetties aux lois fédérales (article 31) et au contrôle du pouvoir fédéral (article 6). En outre, le gouvernement fédéral peut, dans certains cas – par exemple, en cas d’abrogation des formes républicaines de gouvernement dans une province, d’intervention étrangère, d’acte de sédition ou d’agression contre une autre province – intervenir dans la province et même démettre les autorités provinciales et les remplacer. Les provinces détiennent tous les pouvoirs que la Constitution nationale n’attribue pas aux autorités fédérales et elles choisissent leurs propres agents exécutifs et législatifs, ainsi que les autres fonctionnaires de leurs administrations.

Les articles 121 à 128 de la Constitution énumèrent les compétences des gouvernements fédéral et provinciaux. Le gouvernement fédéral a la compétence de déclarer un état de siège, de s’occuper des affaires étrangères et de la défense, de fixer les droits de douane, de réglementer la navigation sur les rivières du pays et l’exploitation des installations portuaires, de frapper la monnaie, de réglementer les relations commerciales entre les provinces et avec les autres pays, d’instituer des codes civil, commercial et criminel, d’adopter des règlements concernant l’activité minière, et de légiférer sur toute question concernant l’immigration et la naturalisation (article 126). Il possède en outre le pouvoir implicite d’exercer une autorité exclusive dans les domaines où les dispositions juridiques provinciales peuvent porter atteinte aux prérogatives du gouvernement fédéral (article 75 (32)).

L’article 123 de la Constitution nationale précise que les provinces ont le pouvoir de ratifier leur propre constitution, de sélectionner les agents de l’administration provinciale, de surveiller la mise en œuvre des lois environnementales et d’exercer le droit primaire sur les richesses naturelles qui se trouvent sur leur territoire. Il y a aussi des domaines où les gouvernements fédéral et provinciaux sont appelés à prendre des décisions conjointement; ces domaines de compétence conjointe comprennent notamment l’expansion du système de chemins de fer et des canaux de navigation, et l’élaboration des politiques économiques (articles 124 (1) et 125).

Le pouvoir législatif fédéral relève du Congrès national, qui est situé dans le district fédéral de Buenos Aires. Le Congrès national est un organe bicaméral comprenant une Chambre des députés (Diputados de la Nación) et un Sénat composé de représentants élus des provinces et de la ville de Buenos Aires (article 44). Outre les pouvoirs énumérés cidessus, le Congrès a également la responsabilité d’approuver le budget national. Dans certains cas, les deux chambres se réunissent pour n’en former qu’une seule qui porte le nom d’assemblée législative. La réforme constitutionnelle de 1994 accorde une marge d’autonomie à la ville de Buenos Aires (article 129), de sorte que celle-ci conserverait le pouvoir d’élire des représentants aux organes législatifs même si elle cessait d’être la capitale de la fédération.

Les électeurs des provinces et de la ville de Buenos Aires élisent les députés nationaux selon un système uninominal majoritaire à un tour. Le mandat d’un député est de quatre ans. Il y a élection de la moitié des députés tous les deux ans. La Constitution ne précise pas les modalités d’organisation de la Chambre des députés, mais ceux-ci ont adopté un règlement en vertu duquel ont été créés un poste de président, des postes de premier et deuxième vice-présidents, deux postes de secrétaire et deux postes de sous-secrétaire. Les titulaires de ces postes sont élus par les députés.

Chaque province (tout comme la ville de Buenos Aires) est représentée par trois sénateurs, deux appartenant au parti ayant obtenu le plus grand nombre de voix, et le troisième, au parti se situant au deuxième rang des voix exprimées. Les sénateurs sont élus au suffrage direct par les électeurs de ces districts et leur mandat est de six ans. Il y a élection d’un tiers des sénateurs tous les deux ans. La Constitution décrète que le vice-président du pays est président du Sénat. Députés et sénateurs doivent être nés dans la province qu’ils représentent ou y avoir résidé au moins deux ans et ils peuvent être réélus.

Une des principales caractéristiques de la composition du Congrès de l’Argentine est la surreprésentation au sein des deux chambres des provinces dont la population est relativement faible. De fait, la représentation de plus en plus proportionnelle des provinces périphériques a été accentuée par l’adoption de nouvelles dispositions constitutionnelles prévoyant qu’aux députés élus dans chaque province en fonction de la taille de la population viendraient s’ajouter trois députés. En outre, aucune province ne peut compter moins de cinq députés à la Chambre basse. La surreprésentation des provinces dont la population est relativement faible est encore plus accentuée au Sénat.

C’est à l’article 14 qu’on trouve les dispositions financières de la fédération argentine. Cet article stipule qu’il appartient à l’État fédéral de prélever les ressources nécessaires pour financer les dépenses nationales, les fonds pouvant provenir des droits perçus sur les importations et les exportations, de la vente ou de la location de terres publiques fédérales, des recettes du service postal, des taxes autorisées par le Congrès et des emprunts contractés pour le pays et approuvés par le Congrès dans les situations d’urgence nationale ou pour des entreprises publiques. En ce qui concerne les pouvoirs fiscaux, l’article 75 (2) de la Constitution prévoit que le Congrès partage avec les provinces le pouvoir d’imposer des taxes indirectes. Le Congrès possède en outre le pouvoir de prélever des impôts directs pendant une période déterminée.

La réforme de 1994 mentionne clairement que les impôts ainsi prélevés doivent être répartis entre l’État fédéral, les provinces et la ville de Buenos Aires – sauf s’il s’agit d’un impôt affecté à une fin particulière – selon des règles qui respectent les principes d’équité et de solidarité et qui favorisent des degrés comparables de développement. De plus, la réforme de 1994 prévoit que le transfert de ces fonds doit être effectué conformément aux dispositions des accords juridiques conclus entre le gouvernement national et les provinces. Malgré ces divers accords intergouvernementaux officiels, auxquels s’ajoutent les modifications constitutionnelles adoptées en 1994, le fédéralisme fiscal est loin d’avoir été régularisé. Bien que la Constitution de 1994 prévoie l’adoption au plus tard en 1996 d’une nouvelle loi de coparticipation fixant les modalités du partage des ressources entre les autorités fédérales et provinciales, la loi en question n’a toujours pas été adoptée. En pratique, les autorités ont été fortement incitées à recourir à des transferts intergouvernementaux pour obtenir l’appui des provinces en faveur de politiques nationales. C’est ce qui explique la nature complexe et très discrétionnaire des transferts fiscaux.

L’article 116 de la Constitution stipule que la Cour suprême et les tribunaux fédéraux de juridiction inférieure ont le pouvoir de régler tout différend concernant l’interprétation de la Constitution, des lois promulguées par le Congrès et des traités internationaux. La Cour suprême est aussi habilitée à régler les différends entre provinces (article 127).

À l’article 30, figurent les dispositions concernant la «réforme» (il ne s’agit pas d’une modification) de la Constitution. Selon cet article, il appartient au Congrès de proclamer la nécessité d’une réforme en proposant une initiative qui, pour être adoptée, doit recevoir l’appui d’au moins deux tiers des députés. La Constitution ne précise pas si l’initiative doit prendre la forme d’un projet de loi, mais la plupart des réformes constitutionnelles ont été mises en œuvre à la suite de la promulgation d’une loi par le Congrès. Bien que celui-ci proclame alors la nécessité d’une réforme constitutionnelle, la procédure elle-même ne peut être amorcée que par une assemblée constituante dont les membres sont toujours élus au suffrage universel. C’est au Congrès qu’il incombe alors de déterminer le nombre de membres de l’assemblée et le système selon lequel ils seront élus.

Dans l’espoir de renverser le mouvement de «défédéralisation» du pays, diverses mesures ont été adoptées dans le cadre de la réforme de 1994 afin de renforcer le régime fédéral de l’Argentine. Ce sont surtout les inquiétudes qu’inspirait cette «défédéralisation» qui ont suscité le débat du Congrès ayant donné lieu à la promulgation de la loi déclenchant une convention constitutionnelle (Loi 24.309). Grâce à ces dispositions, les provinces ont acquis de nouveaux pouvoirs concernant la surveillance de l’environnement, la participation à l’organisme responsable du contrôle des services publics, l’aptitude à créer des régions spéciales en vue de promouvoir le développement économique et social, et la possibilité de participer à des ententes internationales pourvu que le Congrès en ait connaissance. Cependant, la nouvelle Constitution auto-rise aussi la réélection du président, de sorte qu’il est difficile d’établir une distinction entre le processus qui y a conduit et les ambitions politiques de Carlos Menem (1989–1999), qui occupait alors la présidence.

Il importe de souligner que, depuis 1983, les relations entre les autorités fédérales et les provinces sont très tendues. Le président Fernando de la Rúa (1999–2001) s’est sans cesse heurté aux problèmes soulevés par les gouverneurs au sujet des transferts fiscaux et de l’ampleur de l’endettement des provinces. Comme sous l’administration de Raúl Alfonsín (1983–1989), il a été obligé de s’entendre avec des gouverneurs qui étaient majoritairement du parti d’opposition péroniste. La politique partisane a donc été une composante clé de l’évolution du conflit entre les deux ordres de gouvernement. Le fait que le gouvernement fédéral soit contrôlé par les péronistes (comme c’était le cas sous le gouvernement provisoire d’Eduardo Duhalde, en 2002– 2003, et comme ce l’est maintenant sous la présidence de Kirchner) réduit certes l’influence des jeux de parti dans les relations entre autorités fédérales et provinciales, mais ne la supprime pas. Tout d’abord, le parti péroniste est lui-même profondément divisé, et le régionalisme contribue sensiblement à renforcer les tensions entre les diverses factions qui s’y opposent. Mais il y a une autre dimension tout aussi importante: les principaux aspects économiques du conflit, en particulier l’ampleur des déficits et de l’endettement des provinces, ne peuvent être facilement résolus dans la conjoncture économique difficile à laquelle le pays se heurte actuellement.

3 dynamique politique récente

À la suite du rétablissement de la démocratie en 1983, l’Argentine est entrée dans une période de stabilité constitutionnelle presque sans précédent dans son histoire. Toutefois, le pays a également été en proie à de grandes perturbations économiques au cours de cette période, ce qui a eu pour conséquence que la pauvreté et le chômage sont devenus des problèmes graves.

Bien que la crise de décembre 2001 n’ait pas entraîné un renversement de ce processus, elle a tout de même mis en évidence les nombreux déficits auxquels il faut s’attaquer. À cet égard, les défis que le nouveau président Néstor Kirchner est appelé à relever ne se limitent pas à trouver des solutions aux graves problèmes économiques et sociaux avec lesquels le pays est aux prises. Il lui faudra aussi trouver des moyens de résoudre la crise de la représentation dont souffrent les principales institutions politiques de l’Argentine. Il s’agit là d’une tâche urgente et ardue.

Le fédéralisme est devenu un aspect fondamental du débat politique, non seulement en raison de l’importance qu’il revêt pour la consolidation des institutions démocratiques, mais aussi à cause des changements apportés à la structure de l’État et à la prestation des services publics. Pour comprendre les carences du fédéralisme argentin, il faut se pencher sur trois questions. Il y a tout d’abord les conséquences politiques de la surreprésentation des provinces de taille relativement petite au sein du Congrès national. Comme les gouverneurs et les chefs de partis au niveau local exercent une très grande influence sur l’établissement des listes de candidats aux élections provinciales, ils jouissent d’un pouvoir disproportionné sur l’avenir politique des candidats. Par conséquent, les députés et les sénateurs provinciaux sont portés à voter en bloc selon les intérêts du gouverneur de la province qu’ils représentent, de sorte que les gouverneurs provinciaux jouent un rôle important en matière de politique fédérale. En vertu de cette dynamique, les provinces de taille relativement petite peuvent jouer un rôle stratégique au Congrès puisqu’elles sont surreprésentées. Ce pouvoir de facto dont jouissent les gouverneurs, généralement renforcé par des alliances interprovinciales, prime sur le pouvoir officiellement dévolu au Congrès national, de sorte que la plupart des politiques nationales doivent être négociées avec les gouverneurs des provinces. Par ailleurs, les ressources obtenues grâce à ces négociations avec les autorités fédérales permettent de consolider et de renforcer davantage le pouvoir des chefs de partis provinciaux.

C’est ainsi que le pouvoir des gouverneurs est étroitement lié à l’utilisation discrétionnaire de transferts fiscaux. Le pouvoir exécutif national recourt à ces transferts pour consolider des alliances avec des unités infranationales et ainsi contribuer à la poursuite de ses objectifs. Il s’agit d’un autre problème important auquel les autorités fédérales devront s’attaquer, car elles devront accroître leur capacité de régler les graves problèmes fiscaux auxquels font face les provinces. Toutefois, si rien n’est fait pour corriger les profondes inégalités régionales dont souffre le pays, l’adoption de nouveaux arrangements institutionnels ne permettra de remédier que partiellement aux problèmes du fédéralisme en Argentine. Partant, le troisième problème est celui de la capacité des institutions fédérales de répondre aux différents besoins des régions en matière de développement. À cet égard, il faudrait élaborer un plan de développement national permettant de transcender les divisions nationales et d’assurer la viabilité des économies régionales.

Les relations entre les autorités nationales et les provinces ont soulevé des difficultés pour tous les régimes démocratiques qui se sont succédé depuis 1983. Selon l’esprit des réformes de 1994, il convenait de renforcer le régime fédéral: on tenait pour acquis que ce renforcement contribuerait à son tour à la promotion de la démocratie. Toutefois, la tâche n’a pas été facile et les relations entre les autorités fédérales et provinciales demeurent très tendues, notamment en ce qui concerne les questions financières et budgétaires.

Malgré les espoirs qu’ont initialement suscités les réformes mises en œuvre au début des années 90, l’Argentine a entamé le nouveau siècle dans un état lamentable. Des niveaux de pauvreté et de chômage sans précédent, une dégradation des services publics, une récession et une crise de l’endettement extérieur constituent autant d’éléments qui obligent à s’interroger en profondeur sur la signification et les limites de la démocratie en Argentine. Cela dit, les difficultés économiques croissantes n’ont pas étouffé le désir manifeste de ses citoyens de protéger et d’élargir les droits démocratiques obtenus au terme d’un processus pénible de transformation.

4 sources de renseignements supplémentaires

Besfamille, Martin et Pablo Sanguinetti, «Formal and real fiscal federalism in Argentina», Centre d’études sur la mondialisation et la régionalisation (Centre for the Study of Globalisation and Regionalisation), document de travail, no 115/03, Coventry (Royaume-Uni), Université de Warwick, mai 2003.

de Ruiz, Marta V., Manual de la Constitución Nacional, Buenos Aires, Editorial Heliasta, 1997. López Rosas, José Rafael, Historia constitucional argentina, Buenos Aires, Editorial Astrea, 1996. Mignone, Emilio Fermín, Constitución de la Nación Argentina,1994: manual de la reforma, Buenos Aires, Editorial Ruy Díaz, 1994. Rock, David, Argentina,1516–1987. From Spanish Colonization to Alfonsín, Berkeley et Los Angeles, University of California Press, 1987.

Saiegh, Sebastian M. et al., «Amateur Legislators-Professional Politicians: The Consequences of Party-Centered Electoral Rules in a Federal System», American Journal of Political Science, vol. 46, no 3 (2002),

p. 656–669.

Serrafero, Mario Daniel, Momentos institucionales y modelos constitucionales: estudios sobre la constitución nacional, Buenos Aires, Centro Editor de América Latina, 1993.

Tommassi, Mariano, «Federalism in Argentina and the Reforms of the 1990s», mai 2002, sur Internet: www.udesa.edu.ar/departamentos/ economia/ publicaciones/doctrabajo/doc48.pdf.

http ://www.desarrollohumano.org.ar/Federalismo/Default.asp, conférence internationale sur le fédéralisme argentin

http ://www.dfait-maeci.gc.ca/argentina/ff-menu-fr.asp, table ronde sur le fédéralisme fiscal

http ://www.bartleby.com/65/ar/Argentin.html, article encyclopédique

http://www.aceproject.org/main/english/es/esy_ar.htm, renseignements sur le système électoral

http ://www.tau.ac.il/eial/IX_2/rock.html, article sur la révolte rurale de 1863–1876

http ://www.ameriques.uqam.ca/pdf/Chro_0318_coiteux.pdf, article sur les politiques économiques dans le cadre des rapports avec le FMI et les États-Unis

http ://multitudes.samizdat.net/article.php3?id_article=1180, article sur la mobilisation sociale

Tableau I Indicateurs politiques et géographiques

Capitale Buenos Aires
Nombre et type d’unités constituantes 23 provinces : Buenos Aires, Catamarca, Chaco, Chubut, Córdoba, Corrientes, Entre Ríos, Formosa, Jujuy, La Pampa, La Rioja, Mendoza, Misiones, Neuquén, Río Negro, Salta, San Juan, San Luis, Santa Cruz, Santa Fe, Santiago del Estero, Terre de Feu, Tucumán 1 district fédéral : ville autonome de Buenos Aires
5 régions : Andes, Centre, Littoral, Nord, Patagonie
N.B. L’Argentine revendique aussi la souveraineté sur les îles Malouines/Falkland, la Géorgie du Sud, les îles Sandwich du Sud et une partie de l’Antarctique.
Langue(s) officielle(s) Espagnol
Superficie 2 780 092 km2

Superficie – plus grande unité Buenos Aires (province) – 307 571 km2 constituante

Superficie – plus petite unité constituante Terre de Feu – 21 263 km2 (District fédéral – 200 km2)
Population totale 37 928 000 (2002)
Population de chaque unité constituante (% de la population totale) Buenos Aires 38,1 %, Córdoba 8,5%, Santa Fe 8,3 %, Buenos Aires (district fédéral) 7,7%, Mendoza 4,3 %, Tucumán 3,7%, Entre Ríos 3,2%, Salta 3 %, Chaco 2,7%, Misiones 2,7 %, Corrientes 2,6 %,
Santiago del Estero 2,2 %, Jujuy 1,7 %, San Juan 1,7 %, Río Negro 1,5 %, Neuquén 1,3 %, Formosa 1,3 %, Chubut 1,1%, San Luis 1 %, Catamarca 0,9%,
La Pampa 0,8%, La Rioja 0,8 %, Santa Cruz 0,5 %, Terre de Feu 0,3 %
Régime politique – fédéral République fédérale

Chef d’État – fédéral Président: Néstor Kirchner (1999), Parti justicialiste (Partido Justicialista, péroniste). Élu avec son colistier à la vice-présidence.

Chef de gouvernement – Président: Néstor Kirchner fédéral

Structure de gouvernement – fédéral

Bicaméral – Congrès national (Congreso Nacional):

Chambre haute – Sénat, 72 sièges. Les sénateurs sont élus pour un mandat d’une durée de 6 ans, et peuvent chercher à se faire réélire indéfiniment.

Chambre basse – Chambre des députés (Cámara de Diputados), 257 sièges. La moitié des députés est élue au suffrage direct tous les 2 ans pour un mandat d’une durée de 4 ans.

Tableau I (suite)

Nombre de représentants à la Chambre basse du gouvernement fédéral pour l’unité constituante la plus peuplée Buenos Aires – 70
Nombre de représentants à la Chambre basse du gouvernement fédéral pour l’unité constituante la moins peuplée Terre de Feu – 5

Répartition des représentants à la Chambre haute du gouvernement fédéral Chaque province (ainsi que la ville de Buenos Aires) est représentée par 3 sénateurs (2 du parti se situant au premier rang pour ce qui est du nombre de voix, et 1 du parti se situant au deuxième rang). Depuis 2001, le tiers des 72 membres est élu au suffrage direct pour un mandat d’une durée de 6 ans tous les 2 ans.

Partage des compétences La Constitution attribue 28 compétences exclusives au
gouvernement fédéral, dont les affaires étrangères, la
défense, la citoyenneté, le commerce international et
les douanes, le commerce intérieur, les finances, les
activités bancaires, les devises, la frappe de la monnaie
et les services publics d’envergure nationale. Elle attri
bue également au gouvernement national des compé
tences sur des domaines comme l’enseignement
secondaire et supérieur, la planification économique,
ainsi que la promulgation des codes criminel, civil,
commercial, minier, du travail et de la sécurité sociale.
Aux provinces incombe la responsabilité de l’éduca
tion, de la santé publique, de la justice provinciale, de
la police, de l’infrastructure, de l’aide sociale et des
richesses naturelles au sein de leur territoire.
Compétences résiduelles Les compétences résiduelles relèvent des provinces.
Tribunal constitutionnel Cour suprême (Corte suprema), formée de 9 juges. Les
(tribunal de dernière instance juges sont nommés par le président avec l’assentiment
en matière constitutionnelle) du Sénat.
Régime politique – Environ deux tiers des assemblées législatives provincia
unités constituantes les sont monocamérales, les autres étant bicamérales.
Les membres sont élus au suffrage direct pour un man
dat d’une durée de 4 ans. Le Congrès national est la
seule autorité compétente au sein du district fédéral.
Chef de gouvernement – Gouverneur. Élu au suffrage direct pour un mandat
unités constituantes d’une durée de 4 ans.

Tableau II Indicateurs économiques et sociaux

PIB 401,9 milliards de $ US à PPA (2002)
PIB par habitant 10 594 $ US à PPA (2002)
Dette nationale extérieure 136,7 milliards de $ US (2001)
Dette infranationale 14 356 millions de $ US (au 30 juin 2002)
Taux de chômage national 15,6 % (mai 2003)
Unité constituante ayant le taux de chômage le plus élevé Jujuy – 20,5% (mai 2003)
Unité constituante ayant le taux de chômage le plus faible Santa Cruz – 2,7 % (mai 2003)
Taux d’alphabétisation chez les adultes 96,9 % (2001)1
Dépenses nationales en matière d’éducation (% du PIB) 4 % (1998–2000)
Espérance de vie (années) 74
Recettes du gouvernement fédéral – impôts et sources connexes 13,4 milliards de $ US (est. 2002)
Recettes des unités constituantes – impôts et sources connexes 3,2 milliards de $ US (est. 2002)
Transferts fédéraux aux unités constituantes 5,6 milliards de $ US (est. 2002)
Mécanismes de péréquation Les transferts fédéraux reposent sur un régime de partage des impôts dénommé «Coparticipation fédérale des impôts» (Coparticipación Federal de Impuestos).

Sources

Argentine, Bureau de statistiques, «Mercado de trabajo: principales indicadores de los aglomerados urbanos», communiqué de presse, Buenos Aires, 31 juillet 2003, sur Internet: http://www.indec.mecon.ar/nuevaweb/cuadros/4/ephtot_may03.pdf

Argentine, Chambre des députés, «Constitución de la Nación Argentina», sur Internet: http://www.hcdn.gov.ar/

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Note

1 15 ans et plus