Canada

DAVID R. CAMERON

1 histoire et évolution du fédéralisme

Le Canada est une démocratie de type parlementaire. Son chef d’État est Sa Majesté la reine Élisabeth II, représentée au niveau fédéral par le gouverneur général, et au niveau provincial par les lieutenantsgouverneurs. Le pays occupe une masse terrestre de 9 millions de kilomètres carrés, et enjambe cinq fuseaux horaires. Presque 31 millions de personnes le peuplent, la plupart habitant une bande étroite de villes, grandes et petites, tout juste au nord de la frontière des États-Unis.

Le Canada est le résultat de l’union de trois colonies britanniques en «Amérique du Nord britannique»: la Nouvelle-Écosse, le Nouveau-Brunswick et la Province unie du Canada (celle-ci composée du Canada-Est et du Canada-Ouest, devenus respectivement le Québec et l’Ontario après 1867). Depuis, six autres provinces ont rejoint le Canada: le Manitoba (1870), la Colombie-Britannique (1871), l’Îledu-Prince-Édouard (1873), la Saskatchewan et l’Alberta (1905), et Terre-Neuve (1949). De plus, il y a trois territoires septentrionaux: le Yukon, les Territoires du Nord-Ouest et le Nunavut, taillé à même les Territoires du Nord-Ouest en 1999.

Le fédéralisme canadien a été affecté par la diversité linguistique du pays, centrée sur les rapports entre francophones et anglophones, ainsi que par sa diversité régionale et sa diversité ethno-culturelle. Le Canada a deux langues officielles, le français et l’anglais, qui reflètent la présence de deux communautés linguistiques principales. L’anglais est la langue maternelle de 60 pour cent des Canadiens, et le français celle de 24 pour cent d’entre eux, concentrés au Québec surtout. Étant donné que la colonisation et la croissance du Canada sont largement tributaires de l’immigration, presque 14 pour cent des Canadiens ont une langue maternelle autre. En 1991, près d’un million de Canadiens se disaient de descendance autochtone, en partie du moins.

Se classant au septième rang des pays industrialisés occidentaux par la taille de son économie, le Canada est membre du Groupe des Huit (G8). Depuis la Deuxième Guerre mondiale, les barrières au commerce international entre lui et les autres pays ont sans cesse baissé. Les exportations représentent environ 40 pour cent de son produit intérieur brut (PIB) (un des niveaux les plus élevés au monde), et à peu près 80 pour cent de ses exportations sont destinées aux États-Unis. L’économie canadienne est étroitement intégrée à celle de son voisin et, en réalité, chacun de ces deux pays est le partenaire commercial le plus important de l’autre. L’Accord de libre-échange canadoaméricain (ALE) (entériné en 1989), et l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) entre le Canada, les États-Unis et le Mexique (signé en décembre 1992), ont favorisé encore plus l’intégration de l’économie nord-américaine.

Vue d’une perspective historique, la richesse du Canada provient largement de l’exploitation des ressources naturelles abondantes du pays. Aujourd’hui, le secteur industriel et celui de la haute technologie jouent aussi un rôle important dans son économie fortement régionalisée. Plus de la moitié de la production économique du Canada provient des provinces centrales de l’Ontario et du Québec qui, ensemble, hébergent plus de 80 pour cent de sa capacité manufacturière.

Mis à part le développement économique, depuis la Deuxième Guerre mondiale quatre grandes forces ont façonné l’expérience fédérale canadienne. La première est la construction, puis la consolidation, suivie du resserrement de l’État providence canadien. La deuxième est l’émergence, dans les années 60, d’une forme de nationalisme libéral au Québec, province où la majorité est de langue française. La troisième force, l’entreprise de «construction provinciale» de plusieurs provinces, est parallèle à la seconde. La quatrième est l’aspiration à l’autodétermination des peuples autochtones du Canada. Évidemment, ce ne sont pas là toutes les forces que l’on pourrait répertorier, mais ce sont les plus pertinentes pour ce compte rendu du fédéralisme canadien.

2 dispositions constitutionnelles relatives au fédéralisme

Le Canada fut le premier pays à s’établir comme fédération parlementaire – c’est-à-dire à se doter d’un régime fédéral où la souveraineté est

divisée entre le gouvernement central et les gouvernements régionaux, les deux ordres de gouvernement étant constitués conformément aux principes de la démocratie parlementaire britannique. Le modèle de fédéralisme canadien en est un de division plutôt que de partage, caractérisé par une répartition étanche des compétences, deux ordres de gouvernement jouissant chacun de l’autorité indépendante d’imposer des taxes, et une représentation provinciale faible au centre. La fédération parlementaire du Canada a engendré un gouvernement fort, dominé par l’exécutif à la fois à Ottawa et dans les capitales provinciales et qui – conjugué à un Sénat faible – a entraîné la domination par l’exécutif des relations entre les partenaires fédéraux et entre les provinces.

Le Canada fut fondé en 1867 en tant que fédération centralisée, Ottawa ayant été investi des compétences essentielles de l’époque et s’étant vu attribuer un rôle puissant et paternaliste de surveillance à l’endroit des provinces. Toutefois, et malgré ce point de départ, le Canada s’est fortement décentralisé. Cela est imputable à plusieurs causes. Tout d’abord, les tribunaux ont généralement interprété la répartition des compétences au profit des gouvernements provinciaux plutôt que du gouvernement fédéral. Ensuite, les institutions centrales du pays n’ont pas su représenter adéquatement les régions dans leur diversité et il en a résulté l’appui populaire pour l’affirmation du pouvoir provincial, surtout dans les provinces plus fortes. En troisième lieu, les domaines de compétence provinciale, comme la santé, le bienêtre et l’éducation, de peu de conséquence pour les gouvernements au XIXe siècle, ont proliféré au XXe, rehaussant ainsi considérablement le rôle des provinces. Enfin, le nationalisme d’après-guerre au Québec a aidé à imposer un processus de décentralisation dont les autres provinces ont profité.

Il en résulte que le Canada a des gouvernements puissants et expérimentés à la fois à Ottawa et dans les provinces, chacun engagé à son niveau, et en concurrence, dans des processus de construction communautaire, de même que dans le développement social et économique. Exigeant des formes compliquées de coordination intergouvernementale, la gestion de ce régime se perd parfois en conflits intergouvernementaux amers.

Les deux principaux documents constitutionnels du Canada sont la Loi constitutionnelle de 1867 et la Loi constitutionnelle de 1982. La Loi constitutionnelle de 1867, auparavant appelée Acte de l’Amérique du Nord britannique, est une loi du Parlement britannique qui créa le Canada à partir des trois colonies d’origine, et le dota d’une structure fédérale et parlementaire. On y trouve les dispositions générales qui répartissent les compétences et établissent le Parlement, les assemblées législatives provinciales et les tribunaux. La Loi constitutionnelle de 1982 rapatria la Constitution en y supprimant les derniers vestiges d’autorité britannique grâce à un dispositif canadien de modification, affirma les droits ancestraux et issus de traités des peuples autochtones du Canada, et introduisit, en l’intercalant, une Charte des droits et libertés qui s’applique à tous les citoyens et à laquelle sont assujettis tous les gouvernements et toutes les assemblées législatives.

Les articles 91 à 95 de la Loi constitutionnelle de 1867 répartissent les compétences entre les gouvernements fédéral et provinciaux. L’autorité y est attribuée de façon plus étendue et compréhensive au Parlement du Canada, et toute compétence non expressément assignée par la Constitution est réputée relever du Parlement fédéral (compétence résiduelle). Les compétences assignées en exclusivité aux provinces étaient censées être précises et limitées. Une interprétation large par les tribunaux a cependant transformé la compétence des provinces sur «la propriété et les droits civils» (article 92 (13)) en un genre de compétence résiduelle particulière.

Les compétences législatives fédérales sont principalement énumérées à l’article 91 de la Loi constitutionnelle de 1867, dont les premiers mots octroient une vaste autorité, déclarant qu’il sera loisible au Parlement «de faire des lois pour la paix, l’ordre et le bon gouvernement du Canada» relativement à tout champ non explicitement assigné aux assemblées législatives provinciales. Les rédacteurs de la Constitution énumèrent ensuite 29 catégories de compétences qui font partie de l’octroi général d’autorité au Parlement. Depuis 1867, cependant, les tribunaux ont refusé de confirmer cette interprétation large de la compétence sur la paix, l’ordre et le bon gouvernement, ou POBG. Ils se sont plutôt basés sur les 29 catégories de compétences énumérées et ont restreint l’application de la POBG à trois situations principales : là où existe un vide dans le partage des compétences (par exemple, ressources minérales au large des côtes ou politiques linguistiques fédérales); là où la question est «d’intérêt national», mais n’est saisie par aucune des compétences énumérées (par exemple, pollution marine ou aéronautique); et là où il y a urgence nationale (par exemple, désordres civils apparents ou inflation aiguë dans l’économie).

Parmi les compétences énumérées importantes, on trouve:

La Constitution précise quatre compétences concurrentes. La pre

mière porte sur l’agriculture et l’immigration (article 95). L’article 95 autorise le Parlement fédéral et les assemblées législatives provinciales

à légiférer en rapport avec ces matières, la législation fédérale jouissant de la primauté en cas de conflit. La deuxième compétence concurrente porte sur les ressources naturelles (article 92 (a)). Cet article fut ajouté à la suite des discussions constitutionnelles de 1980–1982. Il habilite les provinces à contrôler l’exportation de leurs ressources non renouvelables, forestières et électriques vers d’autres provinces (mais non vers un autre pays), mettant ainsi fin aux restrictions imposées auparavant. En cas de conflit, la législation fédérale l’emporte. Le troisième domaine de compétence partagée est celui de l’éducation (article 93), évoqué ici bien que le gouvernement fédéral ne soit pas habilité à y intervenir de façon générale, mais seulement dans des cas bien particuliers. L’éducation est la responsabilité des provinces, assujettie à certaines restrictions conçues pour protéger les groupes minoritaires et les écoles confessionnelles, et assujettie aussi à la compétence fédérale d’adopter des lois réparatrices, compétence qui, dans les faits, n’a jamais été invoquée. Comme ce fut le cas au XXe siècle pour la santé et le bien-être, l’éducation est devenue une responsabilité centrale de l’État démocratique moderne. Le Canada est exceptionnel, même parmi les fédérations, en investissant l’État fédéral de si peu d’autorité à ce chapitre. La quatrième zone de juridiction partagée est liée aux pensions (article 94 (a)). Ajouté à la Constitution en 1951 et modifié en 1964, cet article prévoit la compétence concurrente de légiférer en matière de pensions de vieillesse et de prestations supplémentaires. De façon atypique, en cas de conflit, il donne primauté à la législation provinciale sur la législation fédérale.

En plus de ces compétences concurrentes relativement peu nombreuses, l’autorité fédérale et l’autorité provinciale se chevauchent dans trois domaines. Le premier est le droit pénal. L’article 91 (27) donne au Parlement la compétence de légiférer en matière de droit pénal, y compris pour la procédure, mais l’article 92 (14) confie aux provinces l’administration de la justice. Ainsi, le code criminel est une loi fédérale, mais le maintien de l’ordre et les poursuites judiciaires prévues par ses dispositions sont du ressort des provinces.

Le deuxième domaine de chevauchement est celui des tribunaux. Le Canada a un système judiciaire intégré où le gouvernement fédéral est responsable de la nomination des juges des tribunaux supérieurs, de leur salaire, de leurs allocations et de leur pension, et où les provinces sont responsables de l’établissement des tribunaux et de leur administration, en plus d’avoir la responsabilité complète pour les tribunaux provinciaux subalternes.

Le troisième domaine de chevauchement est celui du pouvoir fédéral en matière de dépenses, et des programmes à frais partagés. Un des domaines les plus importants et les plus controversés du fédéralisme canadien est celui des programmes à frais partagés où le gouvernement fédéral remet aux gouvernements provinciaux des fonds pour les aider à s’acquitter de certaines de leurs responsabilités constitutionnelles. Les programmes de loin les plus importants se rapportent à la santé, à l’assistance sociale et à l’enseignement postsecondaire, main-tenant groupés dans le Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux (TCSPS). Ce programme suppose des transferts annuels de montants d’argent et d’impôts de l’ordre de 25 milliards de dollars. L’autorité du gouvernement fédéral d’engager de telles sommes – son «pouvoir de dépenser» – ne provient pas d’une compétence énumérée à l’article 91 mais est déduite de plusieurs dispositions de la Loi constitutionnelle de 1867, eu égard à l’autorité d’imposer et de dépenser.

Le Sénat est la deuxième Chambre, ou Chambre haute, du Parlement canadien. Il est composé de 105 membres nommés par le gouverneur général sur recommandation du premier ministre, selon un système de représentation régionale approximative, et à la lumière de considérations politiques (souvent en récompense de services loyaux au parti au pouvoir). Les lois doivent être adoptées à la fois par la Chambre des communes et par le Sénat, ce qui a pour effet de donner un veto à ce dernier. En pratique, cependant, il a rarement exercé ce pouvoir et il est improbable qu’il le fasse. En tant que Chambre dont les membres sont nommés plutôt qu’élus, le Sénat est surtout devenu un lieu de favoritisme pour le premier ministre et, pour cette raison, il est dépourvu de légitimité démocratique. De nombreuses propositions ont été formulées pour le réformer – en particulier d’en faire une Chambre élue et, ainsi, une voix plus efficace des provinces auprès du gouvernement fédéral – mais, jusqu’à présent, aucune réforme n’a été réalisée.

Jusqu’en 1949, le Comité judiciaire du Conseil privé (CJCP) de la Chambre des Lords du Parlement britannique est demeuré l’autorité suprême pour l’interprétation de la loi et de la pratique constitutionnelles canadiennes, et pour le règlement de conflits entre les deux ordres de gouvernement. Le droit d’appel au CJCP fut supprimé en 1949. Depuis, le tribunal de dernière instance est la Cour suprême du Canada. Assez curieusement, son existence n’est fondée que sur une simple loi fédérale et non sur quelque disposition de la Constitution, et les juges y sont nommés par le gouvernement du Canada, aucun rôle formel n’étant prévu pour les provinces même si des critères régionaux jouent généralement dans la sélection.

En plus de rapatrier la Constitution, la Loi constitutionnelle de 1982 y a inscrit les moyens de la modifier. De la sorte, il est devenu possible de modifier la Constitution sans recourir au Parlement britannique. Il y a cinq méthodes de modification, selon la matière, mais la formule générale exige l’autorisation du Parlement du Canada et de sept des dix assemblées législatives provinciales regroupant au moins 50 pour cent de la population.

3 dynamique politique récente

Pour la fédération canadienne, l’événement charnière de la dernière décennie fut le référendum d’octobre 1995 sur la souveraineté du Québec. Les partisans de la sécession perdirent par des poussières, ses adversaires l’emportant par 50,6 pour cent des voix exprimées. Ce fut l’amorce d’une série d’explosions, grandes et petites, dans le régime politique canadien. La conséquence immédiate fut la démission du premier ministre du Québec, Jacques Parizeau, et son remplacement par Lucien Bouchard, jusqu’alors chef du Bloc Québécois, le pendant fédéral du Parti Québécois. Autre conséquence: le premier ministre Chrétien fit en sorte que deux résolutions soient adoptées par le Parlement, l’une reconnaissant le caractère distinct de la société québécoise, l’autre promettant de consentir au Québec un veto de fait aux modifications constitutionnelles générales à venir. De plus, le gouvernement fédéral transféra aux provinces la responsabilité de plusieurs secteurs politiques, surtout en reconnaissance du fait que c’étaient des domaines dont se souciaient, et cela depuis longtemps, les gouvernements successifs du Québec.

Pour dissiper toute confusion auprès du public québécois au chapitre des conséquences d’un vote affirmatif lors d’un référendum futur, le gouvernement fédéral demanda à la Cour suprême du Canada de tirer au clair si le droit national ou international reconnaissait au Québec le droit de procéder unilatéralement à la sécession. Dans sa réponse d’août 1998, et cela ne surprit personne, le tribunal formula l’avis que le Québec ne jouissait d’aucun droit de ce genre et qu’il faudrait négocier la sécession d’une province par recours aux dispositions en vigueur pour la modification de la Constitution canadienne. Plus étonnamment, cependant, le tribunal déclara qu’un vote affirmatif fort sur une question «claire» dans un référendum éventuel du Québec obligerait le gouvernement fédéral et les autres provinces à négocier l’affaire avec cette province. Prenant acte de l’insistance de la Cour sur la nécessité d’un vote clair et d’une question claire (que les juges refusèrent de préciser), le gouvernement fédéral fit adopter, par le Parlement du Canada, le «projet de loi sur la clarté». Ce projet de loi énonce les étapes à suivre par Ottawa pour juger de la clarté d’une future question référendaire et d’un éventuel vote majoritaire. De son côté, le Québec répondit par un acte législatif contestant la position fédérale.

Curieusement, alors que se produisaient ces événements postréférendaires, l’attention du peuple québécois se déplaçait de la sécession vers d’autres questions. Les gestes fédéraux positifs influencèrent très peu l’opinion au Québec, et les initiatives, potentiellement provocantes (renvoi à la Cour suprême et projet de loi sur la clarté), n’ont guère paru susciter de réactions ou même d’intérêt. Bien sûr, le Parti Québécois, dirigé par Lucien Bouchard, fut réélu au niveau provincial mais, en 1997, les libéraux fédéraux dirigés par Jean Chrétien furent réélus eux aussi.

C’était presque comme si les Québécois, tout comme les autres Canadiens, avaient décidé que la dernière moitié des années 90 serait consacrée au redressement des finances fédérales et provinciales. Le gouvernement fédéral et ceux des provinces ont lancé de rigoureux programmes de discipline fiscale pour éliminer leurs déficits, réduire leurs dettes accumulées et rendre le pays et ses régions plus concurrentiels sur le marché international. Pendant cette période de réforme financière, les relations intergouvernementales ont été moins pénibles que prévu, compte tenu des réductions dans les transferts fédéraux aux provinces et de l’abandon aux provinces de programmes onéreux. Le retour à la santé fiscale est maintenant largement réalisé, le gouvernement fédéral et plusieurs gouvernements provinciaux accusant des surplus, mais le nationalisme québécois ne semble pas ressurgir.

Pour preuve que la ferveur nationaliste est nettement en perte de vitesse, examinons trois événements politiques significatifs.

Le premier fut les élections fédérales de l’automne 2000 qui, pour la troisième fois, reportaient au pouvoir Jean Chrétien et le Parti libéral. Fait à noter, bien que dirigés par Chrétien, un politicien relativement peu estimé de maints Québécois francophones, les libéraux accrurent leur nombre d’élus au Québec où leur vote populaire dépassa celui du Bloc Québécois, sécessionniste. Au début de l’année 2001, prenant acte du déclin des fortunes souverainistes entre autres, Lucien Bouchard démissionna comme premier ministre du Québec. Plus militant, son successeur Bernard Landry espérait ranimer l’ardeur des aspirations souverainistes ou, à tout le moins, assurer le maintien au pouvoir du Parti Québécois.

En fixant au 14 avril 2003 les élections provinciales au Québec, le premier ministre Landry déclencha un deuxième événement politique important. Ces élections menèrent en effet à la défaite, après deux mandats, du Parti Québécois, portant au pouvoir le Parti libéral dirigé par Jean Charest, un franc fédéraliste. Les libéraux remportèrent 76 des 125 sièges à l’Assemblée nationale, le Parti Québécois, 45, et l’Action démocratique du Québec (parti nationaliste modéré), les 4 autres. Les électeurs québécois semblèrent disposés à mettre de côté la question nationale et à confier leur avenir à une formation et une direction politiques qui emploieraient leur énergie à des questions politiques «nor-males» et à la politique publique, comme la gestion des finances, les soins de santé, l’éducation, ou encore la gouvernance municipale.

Le troisième événement se produisit le 12 décembre 2003. Ce jourlà, Jean Chrétien démissionna comme premier ministre du Canada, et c’est Paul Martin qui le remplaça. Le départ de Chrétien de la scène politique marque l’émergence d’une nouvelle génération de leadership politique pour lequel le nationalisme québécois n’est plus l’élément qui, plus que tout autre, voire à lui seul, définit l’image que les Québécois se font du monde. Tout politicien fédéral soit-il, Paul Martin est bien plus à l’aise avec le nationalisme québécois que ne l’était son prédécesseur. De même, le premier ministre du Québec, Jean Charest, est bien plus à l’aise avec le Canada et le fédéralisme canadien que ne l’était, avant lui, Bernard Landry.

Le renversement concomitant du leadership politique dans maintes autres provinces donne lieu de croire que les relations intergouvernementales au Canada prendront une nouvelle direction. Même si l’entrée en fonction d’un nouveau premier ministre favorisera probablement un niveau de fédéralisme coopératif tel qu’on n’en a pas vu depuis un certain temps, il ne faudrait pas s’attendre à rester au beau fixe. Néanmoins, les questions dont on discutera et la façon dont on les abordera pourraient fort bien changer.

Il semble probable toutefois, qu’au cours des prochaines années, la désaffection régionale de l’Ouest canadien exigera l’attention du gouvernement national et du Canada central. Pratiquement exclus du pouvoir national depuis l’effondrement du Parti progressisteconservateur lors des élections fédérales de 1993, les Canadiens des provinces de l’Ouest affichent des signes de frustration et de mécontentement à l’endroit du fonctionnement de la fédération, qui semble négliger leurs intérêts et leurs aspirations. Le fait que, historiquement, le Québec ait été le foyer des préoccupations du pays n’a pas arrangé les choses. Ni que toute idée de réforme constitutionnelle (celle du Sénat, par exemple) ait été tenue en otage par les contraintes du Québec. Si les démarches en cours devaient réussir à bâtir un nouveau parti conservateur national à partir d’éléments du Parti de l’Alliance et du Parti progressiste-conservateur en voie de disparition, les électeurs pourraient se voir présenter les pièces constitutives d’une alternative politique nationale aux libéraux qui, pendant la dernière décennie, ont puissamment profité de leur statut de seul parti réellement national.

Enfin, la place qu’occupent les peuples autochtones au sein de la communauté canadienne demeure un problème douloureux et insoluble susceptible, à l’avenir, de contribuer de façon importante à l’évolution du fédéralisme canadien. Les négociations portant sur les revendications territoriales et les droits issus de traités, de même que d’importantes décisions rendues par les tribunaux sur ces questions, ont déjà commencé à affecter la façon dont les Canadiens conçoivent leur régime constitutionnel et politique, et l’aspiration à l’autonomie des peuples autochtones a soulevé la possibilité de l’émergence, dans le fédéralisme canadien, d’un troisième niveau de gouvernement.

Bien que, pour la fédération canadienne, la nature des choses à venir ne soit pas tout à fait claire, il appert que, dans ce nouveau siècle, la politique et le fédéralisme seront nettement différents de ce qu’ont connu les Canadiens dans le passé récent.

4 sources de renseignements supplémentaires

Funston, Bernard et Eugene Meehan, Canada’s Constitutional Law in a Nutshell, Toronto, Carswell, 1998. Hogg, Peter, Constitutional Law of Canada, édition destinée aux étudiants, Toronto, Carswell, 2003.

Russell, Peter, Constitutional Odyssey : Can Canadians Become a Sovereign People?, Toronto et Buffalo, University of Toronto Press, 3e éd. à paraître.

http://www.forumfed.org, Forum des fédérations http://www.gc.ca, gouvernement du Canada http ://www.cnfs-rcef.net, Réseau canadien d’études sur le fédéralisme http ://www.statcan.gc.ca, Annuaire du Canada, Statistique Canada,

Ottawa http ://www.iigr.ca, Institut des relations intergouvernementales (Institute of Intergovernmental Relations), Université Queen’s http://www.cric.ca/fr_html/guide/index.html, «Guide éclair», Centre de recherche et d’information sur le Canada http ://www.acs-aec.ca/Francais/index.htm, Association d’études canadiennes http://www.collectionscanada.ca/index-f.html, Bibliothèque et Archives Canada

Tableau I Indicateurs politiques et géographiques

Capitale Ottawa

Nombre et type d’unités constituantes 10 provinces : Alberta, Colombie-Britannique, Île-du-Prince-Édouard, Manitoba, Nouveau-Brunswick, Nouvelle-Écosse, Ontario, Québec, Saskatchewan, Terre-Neuve-et-Labrador
3 territoires : Nunavut, Territoires du Nord-Ouest, Yukon
Langue(s) officielle(s) Anglais, français
Superficie 9 984 670 km2
Superficie – plus grande unité constituante Québec – 1 542 056 km2
Superficie – plus petite unité constituante Île-du-Prince-Édouard – 5 660 km2
Population totale 31 559 186 (est. avril 2003)

Population de chaque unité constituante (% de la population totale) Ontario 38,4%, Québec 23,7%, Colombie-Britannique 13,2%, Alberta 9,9%, Manitoba 3,7%, Saskatchewan 3,2%, Nouvelle-Écosse 3%, Nouveau-Brunswick 2,4%, Terre-Neuve et Labrador 1,7%, Île-du-Prince-Édouard 0,4%, Territoires du Nord-Ouest 0,13%, Yukon 0,10%, Nunavut 0,09%

Régime politique – fédéral Fédération, régime parlementaire

Chef d’État – fédéral Reine: Élisabeth II, représentée par la gouverneure générale: Adrienne Clarkson (1999). Le gouverneur général est nommé par la reine sur recommandation du premier ministre.

Chef de gouvernement Premier ministre: Paul Martin (12 décembre 2003),

fédéral Parti libéral du Canada. Chef du parti ayant le plus grand nombre de sièges à la Chambre des communes. Élu au suffrage populaire pour un mandat renouvelable de 5 ans au plus.

Structure de gouvernement – fédéral

Bicaméral – Parlement :

Chambre haute – Sénat, 105 sièges. Les membres sont nommés sur une base régionale par le gouverneur général sur avis du premier ministre. Les sénateurs exercent leurs fonctions jusqu’à l’âge de 75 ans.

Chambre basse – Chambre des communes, 301 sièges. Les membres sont élus au scrutin uninominal à un tour pour un mandat renouvelable d’une durée maximale de 5 ans.

Nombre de représentants à la Ontario – 103 Chambre basse du gouvernement fédéral pour l’unité constituante la plus peuplée

Tableau I (suite)

Nombre de représentants à la Île-du-Prince-Édouard – 4 Chambre basse du gouvernement fédéral pour l’unité constituante la moins peuplée

Répartition des représentants à la Chambre haute du gouvernement fédéral La représentation au Sénat est régionale (plutôt que provinciale): 24 sénateurs viennent des Maritimes (Nouveau-Brunswick, Nouvelle-Écosse, Île-du-Prince-Édouard); 24 du Québec; 24 de l’Ontario; 24 des provinces de l’Ouest (Alberta, Colombie-Britannique, Manitoba, Saskatchewan); 6 de Terre-Neuve-et-Labrador; et 1 de chacun des territoires.

Partage des compétences La Constitution énumère 29 compétences exclusives au gouvernement fédéral, dont la taxation, la défense nationale, le commerce, le droit criminel, le mariage et le divorce, les devises, la frappe de la monnaie, les droits d’auteur, les brevets, et les services d’envergure nationale. Les provinces ont la compétence exclusive dans 16 domaines dont les impôts directs sur leur territoire, l’éducation, la propriété et le droit civil sur leur territoire, et l’administration de la justice sur leur territoire. Le gouvernement fédéral et les provinces peuvent légiférer eu égard à l’agriculture et à l’immigration, de même qu’aux pensions et aux avantages supplémentaires.
Compétences résiduelles Les compétences résiduelles relèvent du gouvernement fédéral.
Tribunal constitutionnel (tribunal de dernière instance en matière constitutionnelle) Cour suprême du Canada, formée de 9 juges, qui sont dirigés par un juge en chef. Ils sont nommés par le gouverneur général sur recommandation du premier ministre.
Régime politique – unités constituantes Chef de gouvernement – unités constituantes Monocaméral – Assemblée législative. Les membres sont élus au suffrage direct pour un mandat renouvelable d’une durée maximale de 5 ans. Chef d’état : Représentant de la reine, appelé lieutenantgouverneur. Nommé par le gouverneur général sur recommandation du premier ministre. Chef de gouvernement : Premier ministre. Chef du parti ayant le plus grand nombre de sièges au sein de l’assemblée législative. Il exerce un mandat renouvelable d’une durée maximale de 5 ans.

Tableau II Indicateurs économiques et sociaux

PIB 940,1 milliards de $ US à PPA (2002)
PIB par habitant 29 900 $ US à PPA (2002)
Dette nationale extérieure 1,9 milliard de $ US
Dette infranationale 158,9 milliards de $ US (2002)
Taux de chômage national 7,4% (décembre 2003)
Unité constituante ayant le taux de chômage le plus élevé Terre-Neuve-et-Labrador – 16,7 %
Unité constituante ayant le taux de chômage le plus faible Manitoba – 5 %
Taux d’alphabétisation chez les adultes 99 %1
Dépenses nationales en matière d’éducation (% du PIB) 5,5 %
Espérance de vie (années) 79,2
Recettes du gouvernement fédéral – impôts et sources connexes 138,2 milliards de $ US (2003)
Recettes des unités constituantes – impôts et sources connexes 176,7 milliards de $ US (2003)
Transferts fédéraux aux unités constituantes 37 milliards de $ US (2003)
Mécanismes de péréquation Il existe 3 grands mécanismes de péréquation horizon-tale entre les provinces: le Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux; les paiements de péréquation fiscale fondés sur la « Norme des cinq provinces »; et la « Formule de financement des territoires ».

Sources

Canada (Gouvernement du), sur Internet: http://canada.gc.ca/

Canada (Gouvernement du), ministère des Finances, «Transferts fédéraux aux provinces», décembre 2003, sur Internet: http://www.fin.gc.ca/FEDPROV/ FTPTf.html

Canada, Parlement, sur Internet: http://www.parl.gc.ca/

Canada, Statistique Canada, «Canada en statistiques: l’État, Canada – Indicateurs économiques, Statistiques démographiques, Actifs et passifs des administrations provinciales et territoriales générales», 2003, sur Internet: http://www.statcan.ca/ francais/Pgdb/govern_f.htm#rec

Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), «Managing Across Levels of Government: Canada», sur Internet: http://www.oecd.org/ dataoecd/10/44/1902443.pdf

Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), «OECD in Figures: Statistics on the Member Countries», septembre 2003, sur Internet: http:// www1.oecd.org/publications/e-book/0103061E.PDF

Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), Rapport mondial sur le développement humain 2003: Indicateur du développement humain, sur Internet: http:// hdr.undp.org/reports/global/2003/francais/pdf/hdr03_fr_HDI.pdf

Review of Commonwealth-State Funding, Background paper, décembre 2001, sur Internet: http://www.reviewcommstatefunding.com.au/library/BackgroundPaper_FINAL.pdf World Directory of Parliamentary Libraries: Canada, Bundestag de l’Allemagne, sur Internet: http://www.bundestag.de/bic/bibliothek/library/canad.html

Note

1 15 ans et plus