Comores* (Union des Comores )

FAISSOILI BEN MOHADJI

1 histoire et évolution du fédéralisme

L’archipel des Comores comporte quatre îles dans le sud-ouest de l’océan Indien, entre Madagascar et la côte orientale de l’Afrique. Grande Comore (Ngazidja), Anjouan (Nzwani) et Mohéli (Mwali) constituent l’Union des Comores, anciennement la République fédérale islamique des Comores. Une quatrième île, Mayotte (Maore), a choisi le rattachement à la France.

Les Comores comptent un peu moins de 600 000 habitants répartis sur un territoire d’environ 2 000 kilomètres carrés, d’où une densité moyenne de presque 300 habitants par kilomètre carré. Quatre-vingt pour cent de la population habite les régions rurales. Les migrations et les mariages pluriethniques ont eu pour conséquence que Malais, Perses, Arabes et Cafres se sont mélangés à la civilisation initiale swahilie de la partie occidentale de l’océan Indien. La croissance démographique est élevée – presque 3 pour cent par année – et la population est très jeune, la moitié ayant moins de 15 ans. Les habitants sont généralement pauvres et bon nombre d’entre eux souffrent de malnutrition.

* Le Forum des fédérations tient à remercier Abdourahim Said Bakar de ses observations utiles sur l’article paru dans l’édition de 2002. Ann L. Griffiths a effectué la mise à jour pour cette deuxième édition du Guide des pays fédéraux.

L’économie des Comores est étroitement liée à l’agriculture. En plus d’être le gagne-pain de 80 pour cent de la population, l’agriculture est la principale source d’exportations: 97 pour cent des devises étrangères proviennent de cette activité. Il n’y a à peu près aucune activité industrielle, et le pays ne possède aucunes ressources minérales exploitables. La dette étrangère est très élevée, et l’État n’a pas les moyens de la rembourser.

Les Européens ont découvert les îles Comores au XVIe siècle, mais ce n’est qu’au XIXe siècle qu’elles furent réunies sous une seule autorité dans le cadre de la colonisation française. Jusqu’à l’arrivée des Français, plusieurs sultanats souverains coexistaient sur le territoire. Les Français ont réussi à unifier les îles Comores en établissant une structure très centralisée. Les nombreuses années d’administration et de centralisation politique françaises n’ont cependant pas suffi à effacer de la mémoire collective et des comportements le souvenir des sultanats. Les Comoriens s’identifient surtout à leur famille, à leur village ou à leur région. Ils ne s’identifient presque jamais au gouvernement central.

Le mouvement indépendantiste africain a suscité une ferveur nationaliste dans les Comores. C’est en 1970, au moment où cette ferveur atteignait un sommet, que le prince Saïd Ibrahim, de Grande Comore, a pris le pouvoir. Espérant apaiser les tensions qui avaient marqué les rapports entre le gouvernement de Moroni (Grande Comore) et les îles de Mayotte et de Mohéli, il fit à ces dernières une offre de paix. Or le destin a voulu que soit confié à un autre le soin de proclamer l’indépendance des Comores. À la suite d’un vote de censure, Saïd Ibrahim fut démocratiquement écarté du pouvoir le 12 juillet 1972 et remplacé par Ahmed Abdallah, un ancien sénateur de l’Assemblée nationale française.

Le 23 décembre 1972, le Parlement des Comores a adopté une résolution pour exprimer l’aspiration à l’indépendance du peuple comorien. À la suite de l’adoption de cette résolution, Ahmed Abdallah s’est rendu à Paris le 15 juin 1973 pour signer avec les représentants du gouvernement français une déclaration conjointe sur l’indépendance des Comores. Conformément à la Constitution française, un référendum sur l’accession à la souveraineté a été tenu dans les Comores le 22 décembre 1974. Les résultats ont permis de constater que, mis à part les habitants de Mayotte, la très grande majorité des habitants des îles était favorable à l’indépendance. Une fois les résultats du référendum rendus publics, le Parlement des Comores a adopté un processus complexe d’accession à l’indépendance respectueux de la volonté de Mayotte de préserver son rattachement à la République française. Avec l’appui de tous les députés du Parlement, hormis ceux de Mayotte, le président Abdallah a opté le 6 juillet 1975 pour une déclaration unilatérale d’indépendance.

Le 3 août 1975, Ali Soilihi (de Grande Comore) s’est emparé du pouvoir à la suite d’un coup d’État, ce qui a entraîné la destitution d’Ahmed Abdallah (originaire d’Anjouan). Le nouveau régime s’est alors retrouvé dans une situation particulièrement difficile: non seulement les relations avec la France s’étaient-elles dégradées, mais il lui fallait trouver une solution pour régler les rivalités entre les îles tout en tenant compte du fait que le gouvernement précédent n’avait supprimé ni le pouvoir des sultans, ni celui de l’administration coloniale centralisée. Ali Soilihi est venu à bout de la résistance d’Anjouan, mais une tentative visant à mobiliser des partisans sur l’île rebelle de Mayotte s’est soldée par un échec.

Les représentants de Mayotte et de Mohéli ont interprété les divergences entre les îles comme une conséquence de la centralisation du pouvoir, lequel était sous le contrôle soit de Grande Comore ou d’Anjouan. À la veille de la proclamation de l’indépendance, une solution de type fédéral paraissait donc de plus en plus attrayante aux dissidents de Mayotte. Un régime fédéral offrait en effet à chaque île la possibilité de préserver son identité en gérant ses propres affaires, mais les autorités comoriennes étaient fermement opposées à toute solution de ce genre. À leurs yeux, le fédéralisme n’était qu’une astuce des dissidents de Mayotte visant à semer les germes d’une séparation future.

Lorsque le président Ahmed Abdallah revint au pouvoir en 1978, le fédéralisme fut à nouveau évoqué comme une solution de dernier res-sort qui permettrait de ramener l’île de Mayotte au bercail. Bien qu’il se fût tout d’abord opposé au fédéralisme, qu’il associait à un complot ourdi par les colonisateurs, Abdallah fit adopter une constitution fédérale en 1978. L’accord lui attribuait d’importants pouvoirs exécutifs qui lui permettaient de maintenir un certain contrôle sur les îles nouvellement fédérées.

Les problèmes économiques ne cessèrent jamais de s’aggraver sous le gouvernement d’Ahmed Abdallah, qui commença le 13 mars 1978 et prit fin le 27 novembre 1989 (le jour de son assassinat). Les investissements régionaux ne firent qu’accentuer les disparités de développement et les inégalités entre les îles. Au cours de cette période, des fortunes personnelles se sont constituées dans des circonstances troubles tandis que la pauvreté était le lot du plus grand nombre. Cette situation a donné naissance à des mouvements séparatistes qui tendaient à saper l’unité nationale. Chaque île était portée à défendre ses intérêts en s’opposant à ceux du reste du pays.

C’est cette société récalcitrante que Said Mohamed Djohar était appelé à gouverner lorsqu’il accéda à la présidence. Dans sa recherche constante d’un équilibre politique, Djohar adopta un certain nombre de décrets qui se contredisaient les uns les autres, de sorte que la Cour suprême tenta sans succès en août 1991 de l’écarter du pouvoir pour motif d’incompétence. Incapable de communiquer avec un pouvoir de plus en plus centralisé et dont les privilèges ne cessaient de se multiplier, l’île de Mohéli réclamait un traitement égal pour toutes les îles. Cette exigence, à laquelle sont venues s’ajouter les revendications des mouvements d’opposition, a abouti à la tenue de la première conférence nationale de janvier à avril 1992. Celle-ci servait à élaborer une constitution pour la République fédérale islamique des Comores.

2 dispositions constitutionnelles relatives au fédéralisme

Depuis leur accession à l’indépendance, les Comores ont eu cinq constitutions, dont trois à caractère fédéral. La première constitution fédérale fut la Constitution de la République fédérale islamique des Comores, en vigueur de 1978 à 1989. Sa rédaction se fit sans participation parlementaire ou populaire. Elle était centrée sur le besoin de cohésion nationale et prévoyait une organisation centrale axée sur la promotion de la croissance économique – deux tendances qui indiquent qu’il s’agissait d’une fédération centralisée.

La Constitution de 1978 conférait à chaque île une marge d’autonomie qui lui permettait de s’administrer. Chaque île était constituée en gouvernorat. Chaque gouvernorat comprenait un conseil d’île, dont les membres étaient élus au suffrage universel pour un mandat d’une durée de quatre ans, ainsi qu’un gouverneur élu, lui aussi, au suffrage universel pour un mandat d’une durée de quatre ans. Chaque île avait son propre budget et gérait la plupart des matières d’ordre social, notamment la santé, l’éducation, la formation professionnelle, les établissements communautaires, etc. Le gouverneur administrait les lois fédérales et celles adoptées par le conseil d’île. Il était entouré de commissaires qu’il nommait lui-même. Ceux-ci devaient rendre compte de leur administration au gouverneur et au conseil d’île, aussi bien à titre individuel que collectif.

Au niveau national, les principaux postes de l’État fédéral (la présidence de la République, la présidence de l’Assemblée fédérale et la présidence de la Cour suprême) étaient répartis entre les trois îles. Cette même formule s’appliquait à l’organisation du gouvernement central, où chaque île comptait un ou plusieurs ministres. La structure gouvernementale était monocamérale, de sorte que les îles n’étaient pas représentées au sein d’une chambre du gouvernement central. La Constitution prévoyait un partage des compétences entre les gouvernorats et le gouvernement fédéral et attribuait à ce dernier et à ses dirigeants des pouvoirs considérables.

Bien qu’une telle structure ait paru opportune, la répartition très inégale des maigres ressources financières entre les gouvernorats et l’État fédéral a eu pour conséquence de limiter l’autonomie des îles. Le gouvernement fédéral percevait toutes les ressources fiscales et non fiscales, de même que les fonds au titre de l’aide internationale au développement. Les pouvoirs attribués aux gouvernorats ne leur permettaient pas de prélever les fonds nécessaires à la gestion indépendante de chaque île. La Constitution leur interdisait de tirer profit de l’aide internationale sans l’autorisation du pouvoir exécutif fédéral, lequel n’hésitait pas à se prévaloir de cette disposition pour contrôler la situation. Quelque 80 pour cent des ressources budgétaires des gouvernorats provenaient de l’État fédéral et les subventions fédérales étaient assorties de lignes directrices quant à la manière dont les fonds devaient être utilisés. Le gouvernement central de Moroni pouvait ainsi exercer des pouvoirs de nature juridique qui influaient profondément sur les affaires internes de chaque île.

L’ingérence accrue du président Ahmed Abdallah a réduit l’autonomie des îles, à tel point que le fédéralisme comorien se réduisait à une façade juridique. Dans l’espoir de remédier à cette situation et de réviser la Constitution, le président rencontra les représentants des îles en octobre 1983. La Constitution a également été modifiée en 1984 et en 1989. C’est alors que le poste de premier ministre a été supprimé et que le chef de l’État s’est vu interdire le droit d’exercer plus de deux mandats successifs.

Pendant 11 ans, l’autorité d’Abdallah est demeurée incontestée. Le président écrasait non seulement des personnes, mais aussi des institutions qui étaient prévues par la Constitution et qui auraient pu faire contrepoids aux ambitions d’un président autoritaire disposant d’immenses pouvoirs. Les députés de l’Assemblée et les juges de la Cour suprême n’étaient que les dépositaires de son pouvoir personnel. Leur rôle était purement consultatif: ils donnaient des avis, mais ceux-ci n’obligeaient en rien le gouvernement. Les décisions gouvernementales n’étaient avalisées par personne.

La deuxième constitution fédérale – la Constitution de la République fédérale islamique des Comores de 1992 – fut élaborée après l’assassinat d’Abdallah. Contrairement aux constitutions antérieures, celle-ci a été rédigée par une conférence nationale, laquelle fut tenue en 1992 et rassembla des partis politiques et des représentants de la société civile.

En vertu de cette Constitution, chaque île a été constituée en entité territoriale autonome, dirigée par un gouverneur et un conseil d’île, comme cela avait été le cas en vertu de la Constitution de 1978. Les conseils et les gouverneurs des îles étaient élus au suffrage universel direct pour un mandat d’une durée de cinq ans. Le gouverneur devait veiller à ce que les lois de l’île soient respectées, représenter l’administration de l’île, et exercer le pouvoir de réglementation dans les domaines qui, selon la Constitution, ne relevaient pas de la juridiction fédérale. Il appartenait au conseil d’île de déterminer les ressources financières et les dépenses de l’île. Les recettes provenaient des impôts directs prélevés sur l’île, d’une part des impôts indirects perçus sur l’ensemble du territoire de la République, des ressources extérieures attribuées à l’île, et d’autre part des ressources extérieures attribuées à la République et non réservées à une île particulière. Une loi fédérale stipulait que la part des impôts indirects destinée au gouvernement fédéral devait se situer entre 30 pour cent et 40 pour cent du total. Le reste était partagé entre les îles au prorata de leur population. Les îles avaient le droit de recevoir des subventions ou d’autres formes d’aide extérieure à condition que le gouvernement central y consente. Il fallait consulter le conseil sur toute question concernant la préparation et la mise en œuvre de programmes pluriannuels de développement économique, culturel et social.

La Constitution de 1992 stipulait que le président était élu au suffrage universel pour un mandat d’une durée de cinq ans, et que son rôle consistait à veiller au respect de l’ordre constitutionnel, à superviser le fonctionnement des pouvoirs publics, à assurer la continuité de l’État et à gérer la politique étrangère. Il était le garant de l’indépendance nationale, de l’unité de la République, de l’autonomie des îles et du respect des engagements internationaux. Les nominations présidentielles à des postes gouvernementaux devaient se faire dans le respect de l’équité et de l’équilibre entre les îles.

Le gouvernement central devait fixer et mettre en œuvre les politiques nationales et assurer le contrôle de l’administration fédérale et des forces armées. Les affaires gouvernementales étaient dirigées par un premier ministre nommé par le président et choisi parmi les députés du parti majoritaire à l’Assemblée fédérale. Le gouvernement était démis de ses fonctions si les députés de l’Assemblée fédérale mettaient en question sa gestion en votant en faveur d’une motion de censure.

La Constitution précisait que les députés de l’Assemblée fédérale étaient élus pour un mandat d’une durée de quatre ans, au suffrage universel direct, dans des circonscriptions uninominales. Les circonscriptions étaient déterminées en vertu d’une loi fédérale, et chaque île devait en compter au moins cinq. Le droit de modifier la Constitution était une prérogative conjointe du gouvernement et de l’Assemblée fédérale.

Contrairement à la constitution précédente, celle de 1992 prévoyait la création d’un Sénat où chaque île avait droit à une représentation égale. Chaque île devait compter cinq sénateurs, élus pour un mandat d’une durée de six ans par un collège électoral; celui-ci était composé de conseillers municipaux et de représentants du conseil d’île. La Constitution de 1992 conférait au Sénat le pouvoir de modifier des projets de loi. Par exemple, les lois et les autres textes adoptés par l’Assemblée fédérale, mais contestés par tous les sénateurs d’une même île, devaient être retirés si, lors de la seconde lecture à l’Assemblée fédérale, ils étaient également contestés par une majorité de députés de la même île.

Le Conseil constitutionnel avait été conçu pour surveiller la constitutionnalité des lois, des jugements, des dispositions réglementaires, des délibérations dans les îles et des engagements internationaux. On lui avait aussi confié la responsabilité de surveiller les élections présidentielles, les élections législatives, les élections des gouverneurs et des conseillers des îles, de même que celles des sénateurs et des conseillers municipaux. Les membres du Conseil constitutionnel devaient être nommés pour un mandat d’une durée de sept ans comme suit : trois membres nommés par le président de la République, trois membres nommés par le président de l’Assemblée fédérale et un membre nommé par chaque conseil d’île. Cette Constitution créait aussi le Conseil des Ulémas, une institution islamique visant à promouvoir et à protéger la religion islamique. Le pouvoir judiciaire était indépendant des pouvoirs exécutif et législatif, et la justice était rendue sur tout le territoire au nom d’Allah.

Suite au coup d’État d’avril 1999, l’Assemblée fédérale a été dissoute, et la Constitution suspendue. Au milieu d’un certain désordre social (voir la section 3), un nouvel accord constitutionnel a été négocié pour remplacer la Constitution de 1992. La nouvelle Constitution

depuis l’accession à l’indépendance, il s’agit de la troisième constitution à caractère fédéral – a été approuvée par voie de référendum en décembre 2001.

En vertu de cette nouvelle Constitution, le pays a été rebaptisé «Union des Comores», de sorte qu’il n’est plus question de «République fédérale islamique des Comores» et certains éléments du fédéralisme ont été préservés. Malgré le recours au mot «Union», la nouvelle Constitution donne aux îles une plus grande autonomie que celle octroyée dans la précédente.

Selon la nouvelle Constitution, le président de l’Union est élu au suffrage direct pour un mandat de cinq ans. Celui-ci choisit parmi les députés de l’Assemblée un premier ministre qui exerce les fonctions de chef de gouvernement. Toutefois, suite à son élection, le président Azali n’a pas nommé de premier ministre et il exerce donc les fonctions de chef de gouvernement et de chef d’État. Le pouvoir exécutif est exercé par le Conseil des ministres, dont les membres sont nommés par le président. Non sans créer une certaine confusion, la nouvelle Constitution prévoit aussi que chaque île dispose de son propre président (non plus d’un gouverneur, comme dans les constitutions précédentes). Les membres des assemblées insulaires sont élus au suffrage direct.

La Constitution de 2001 ne prévoit pas de Sénat, de sorte que les Comores disposent à nouveau d’un gouvernement central monocaméral, la Chambre portant le nom d’Assemblée de l’Union. Celle-ci compte 30 sièges. La moitié des députés est élue par les assemblées insulaires et l’autre moitié par suffrage direct. Le mandat des députés est de cinq ans.

Il a fallu accorder des pouvoirs importants aux îles pour assurer la mise en œuvre de la nouvelle Constitution. Celle-ci n’attribue que des pouvoirs très limités au gouvernement de l’Union. Ses compétences portent sur les affaires extérieures, la défense, la monnaie, la nationalité et la religion. Les îles disposent d’une importante marge d’autonomie.

La Constitution de 2001 crée une Cour suprême dont deux juges sont nommés par le président, deux élus par l’Assemblée de l’Union, et trois autres élus individuellement par chacune des assemblées insulaires. Des dispositions prévoient également que les anciens présidents de la République peuvent faire partie de cette Cour.

3 dynamique politique récente

Depuis l’accession à l’indépendance, la situation des Comores a été instable. Les gouvernements des Comores ont été victimes de coups d’État et les autorités ont été en proie à des luttes sans fin entre les îles et au sein de celles-ci. Malgré les efforts de la communauté internationale, des partis politiques et des mouvements insulaires, l’intégrité du pays risque à tout moment d’être compromise.

Le régime du président Djohar a été renversé à la suite d’un coup d’État le 28 septembre 1995. Le président Djohar n’avait pas réussi à mettre sur pied les institutions démocratiques envisagées dans la Constitution de 1992, et il avait changé la composition de son gouvernement 17 fois.

Mohamed Taki Abdulkarim a été élu président le 16 mars 1996 par une majorité de 64 pour cent des suffrages. Son élection avait suscité de grands espoirs. Toutefois, quelques mois seulement après son élection, il a modifié la Constitution pour accroître ses pouvoirs. Un référendum a été tenu en octobre 1996 pour ratifier les modifications. L’opposition refusa d’y participer et ignora les élections législatives tenues à la fin de 1996. Comme ses prédécesseurs, Taki a dû faire face à des protestations sociales nombreuses engendrées par le chômage croissant chez les jeunes, l’écart grandissant entre la classe dirigeante et les classes pauvres et la colère des fonctionnaires obligés d’attendre pendant plusieurs mois le versement de leur salaire.

À l’été 1997, Anjouan et Mohéli se rebellèrent. Le 3 août 1997, Anjouan annonça qu’elle se séparait du pays en invoquant le fait que ses citoyens souffraient de discrimination et que le gouvernement central ne lui attribuait pas de ressources financières. Le 11 août 1997, des séparatistes de Mohéli proclamèrent l’indépendance de l’île. Au début de septembre, des forces militaires fédérales ont été envoyées à Anjouan pour rétablir l’ordre, mais ont été aussitôt repoussées par les forces locales.

Taki fit appel à l’Organisation de l’unité africaine (OUA), à la Ligue des États arabes, à l’Union européenne et aux Nations Unies pour trouver une solution à la crise. Grâce à la médiation de l’OUA, une conférence inter-Comores fut organisée à Addis-Abeba, en Éthiopie, en décembre 1997. Le bilan de cette conférence se réduisit à peu de chose : il y eut accord de principe sur la nécessité d’organiser dans les plus brefs délais, sous les auspices de l’OUA, une conférence rassemblant les diverses îles afin d’élaborer un nouveau cadre institutionnel.

En février 1998, Anjouan adopta sa propre Constitution et proclama son indépendance. Les tensions sur l’île continuèrent de croître, à tel point que, en décembre, il y eut des affrontements violents entre divers groupes séparatistes. (Les affrontements violents entre factions politiques n’ont pas cessé depuis – des militaires ont réussi un coup d’État à Anjouan en août 2001, et il y a eu plusieurs tentatives de coup d’État depuis.)

Le président Mohamed Taki est mort subitement en novembre 1998 et ce n’est pas sans peine qu’on s’employa à lui trouver un successeur. Selon la Constitution, le président intérimaire, Tadjidine Saïd Ben Massounde, un citoyen d’Anjouan âgé de 70 ans, ne pouvait se porter candidat aux élections présidentielles, lesquelles devaient avoir lieu dans un délai de 30 à 90 jours. Mais compte tenu des craintes qu’inspiraient les mouvements séparatistes à Anjouan et à Mohéli, la perspective de trouver, dans ce délai, un autre candidat jouissant d’un fort soutien ne paraissait pas réaliste.

En mars 1999, la situation devenait de plus en plus confuse : Anjouan était aux prises avec deux factions et Grande Comore avait elle-même succombé au virus séparatiste. Avant que l’esprit de division ne se répande davantage, l’OUA annonça qu’une conférence sur la réconciliation comorienne aurait lieu à Antananarivo, à Madagascar, du 19 au 23 avril 1999. On est alors parvenu à s’entendre sur le principe du maintien de l’intégrité territoriale des Comores. Même les délégations d’Anjouan et de Mohéli ont souscrit à ce principe, sous réserve de certaines conditions, en particulier une présidence fédérale par roulement et une assemblée fédérale dont les membres seraient désignés par les assemblées insulaires. Tout en se disant d’accord en principe avec la déclaration finale, les membres de la délégation d’Anjouan refusèrent de la signer en faisant valoir qu’il leur fallait consulter la population. (L’accord fut rejeté lors d’un référendum tenu sur l’île en janvier 2000).

Pendant la nuit du 29 au 30 avril 1999, le colonel Assoumani Assali, chef d’état-major de l’armée comorienne, s’empara du pouvoir à la faveur d’un nouveau coup d’État. Cette fois, le président intérimaire, le premier ministre et les membres du Conseil des ministres (nommés par le président) ont été démis de leurs fonctions et l’Assemblée fédérale, dissoute. Le 6 mai, le colonel Assali s’est proclamé chef d’un comité d’État composé de 12 commissaires.

En août 2000, une conférence nationale a été tenue pour débattre d’une nouvelle constitution. Y participèrent des représentants des par-tis politiques, des chefs militaires et religieux et des organisations de la société civile. Bien qu’aucun représentant de l’île d’Anjouan n’ait assisté aux délibérations, une délégation fut envoyée auprès de l’île sécessionniste pour persuader ses dirigeants de maintenir les liens avec les Comores dans le cadre de la nouvelle constitution, laquelle devait accorder une importante marge d’autonomie aux îles. En février 2001, des représentants des trois îles des Comores (de même que les chefs militaires et des représentants des partis d’opposition et de la société civile) ont signé un accord. Celui-ci prévoyait la réintégration d’Anjouan au pays, la mise en œuvre d’une nouvelle structure étatique accordant aux îles une plus grande autonomie et un plan visant à rétablir des institutions politiques démocratiques avant la fin de 2001. L’accord avait pour objet d’accorder une plus grande autonomie aux îles tout en maintenant l’unité nationale.

Le plan de 2001 prévoyait la formation d’une commission de réconciliation nationale composée de représentants des trois îles et l’établissement d’un nouvel État des Comores. La commission tripartite devait rédiger une nouvelle constitution et la faire valider au moyen d’un référendum. En décembre 2001, les votants ont approuvé la nouvelle Constitution. Quelques jours avant le référendum sur la Constitution, un groupe d’envahisseurs armés et masqués, que l’on croyait être des mercenaires, ont tenté de s’emparer de l’île de Mohéli, soit pour renverser le gouvernement en place, soit pour empêcher la tenue du référendum. Les envahisseurs ont été mis en déroute par l’armée.

Les élections présidentielles ont eu lieu en avril 2002. Le président Assali a quitté la présidence en janvier 2002 afin de participer aux élections à titre de candidat, laissant ainsi le pays aux mains d’un gouvernement provisoire d’unité nationale. Le premier tour des élections présidentielles a eu lieu en mars 2002 et a été suivi en avril d’un deuxième tour opposant les principaux candidats. Ce deuxième tour a cependant été boycotté par les deux autres candidats. Assali a été élu président au second tour (il était le seul candidat en lice) avec plus de 75 pour cent des voix. Toutefois, le boycott des autres candidats au second tour a eu pour conséquence un faible taux de participation au scrutin. Certains estiment que le taux n’était que de 30 pour cent, mais ce chiffre est contesté.

Des élections ont également eu lieu au printemps 2002 au niveau de chaque île. Comme mentionné à la section 2 ci-dessus, les chefs politiques des îles portent maintenant le nom de président, de sorte qu’il n’est plus question, comme sous les constitutions précédentes, de gouverneurs. À la Grande Comore, les élections ont donné lieu à des affrontements. Les candidats de l’opposition ont prétendu que le candidat du président Assali avait eu recours à des tactiques frauduleuses pour être admis au deuxième tour. Malgré tout, le candidat du président n’a pas remporté les élections : c’est le candidat de l’opposition, Mze Abdou Soule Elbak, qui a gagné et qui est devenu président de Grande Comore.

Depuis les élections au niveau des îles, il y a eu de graves problèmes politiques en Grande Comore. La Constitution n’établit pas clairement le partage des compétences entre le président de l’île et le président de l’Union et ne prévoit aucun accord de partage des compétences. L’île ne possède pas son propre gouvernement (contrairement à Anjouan et Mohéli): elle ne possède que des institutions du gouvernement central. L’île ne compte donc qu’un ensemble d’institutions gouvernementales, mais deux présidents se disputent leur contrôle. Les deux présidents en question – le président de l’Union et le président de la Grande Comore – ont conclu un accord au sujet des ministères devant relever de leur contrôle respectif. Ils n’ont cependant pu s’entendre sur l’attribution des ministères responsables de la perception des recettes, en particulier le ministère des Finances et celui des Douanes.

Les relations entre les deux présidents établis en Grande Comore se sont rapidement dégradées, ce qui a engendré des affrontements violents. Le 14 juin 2002, le président Assali a envoyé l’armée (qui lui est loyale) occuper les principaux établissements publics responsables des activités commerciales et financières au sein de la capitale, Moroni. Cette occupation était liée à la lutte pour le contrôle des ministères responsables de la perception des recettes. L’armée s’est heurtée aux partisans du président de Grande Comore et le président de l’île a accusé le président national de préparer son assassinat.

Des pourparlers tenus en Afrique du Sud en août 2003 ont abouti à un accord visant à mettre fin à l’impasse. L’élément le plus important de l’accord est un document établissant la répartition des recettes douanières, les dispositifs de sécurité et les budgets de 2003 et 2004. Toutefois, l’accord n’a pas suffi à mettre fin aux différends entre les deux présidents. En 2003, plusieurs ministres du gouvernement de l’île ont été arrêtés, des personnes s’opposant au président de l’Union ont été mises aux arrêts pour «incitation à la violence» et des protestataires ont été blessés en novembre lorsque l’armée a ouvert le feu au cours d’une manifestation à Moroni. Enfin, au début de décembre, les partis d’opposition ont exigé la démission du président Assali.

Un sommet auquel ont participé des représentants des gouvernements de l’Union et des trois îles a été tenu en décembre 2003 à Moroni, dans l’espoir de résoudre certaines questions fondamentales pour l’avenir du pays. La tâche n’est pas facile.

4 sources de renseignements supplémentaires

Constitution de la République fédérale islamique des Comores, 1978. Constitution de la République fédérale islamique des Comores, 1992. Delval, Raymond, «L’islam aux Comores,» Mondes et Cultures, vol. 40,

no 1 (1980), p. 127-140. Djabir, Abdou, Les Comores: un État en construction, L’Harmattan, 1993. Mahamoud, Ahmed Wadaane, Mayotte. Le contentieux entre la France et les

Comores, Paris, L’Harmattan, 1992, 304 p. Maurice, Pierre, La position de la France et de la Communauté interna

tionale à l’égard des îles Comores, Communication lors d’un séminaire

international annuel, Saint-Denis, La Réunion, 26 novembre 1999. http ://www.comores-online.com/, renseignements généraux http ://www.afrique-express.com/archive/AUSTRALE/comores/

comorespol/comoreshomepol.htm, bulletin de nouvelles politiques http ://www.afrik.com/comores, bulletin de nouvelles générales http ://www.presidence-uniondescomores.com/v3/fr/, «Archives de

la République», présidence de l’Union des Comores

Tableau I Indicateurs politiques et géographiques

Capitale Moroni

Nombre et type d’unités constituantes 3 îles : Anjouan (Nzwani), Grande Comore (Ngazidja), Mohéli (Mwali)
Langue(s) officielle(s) Arabe, comorien, français
Superficie 1 862 km2 N.B. Cette superficie ne comprend pas l’île de Mayotte (Maore), qui fait partie de l’archipel des îles Comores mais tombe sous la juridiction de la France.
Superficie – plus grande unité constituante Grande Comore – 1 146 km2
Superficie – plus petite unité constituante Mohéli – 290 km2
Population totale 586 000 (2002)
Population de chaque unité constituante (% de la population totale) Grande Comore 51,3 %, Anjouan 43,1%, Mohéli 5,6%
Régime politique – fédéral République
Chef d’État – fédéral Président de l’Union : Azali Assoumani (1999–2002). Le président est élu au suffrage populaire pour un mandat renouvelable d’une durée de 5 ans.
N.B. Lors des élections présidentielles de 2002, les deux autres candidats ont boycotté le deuxième tour.
Chef de gouvernement – fédéral Le premier ministre et les membres du Conseil des ministres (Cabinet) sont nommés par le président et choisis au sein de l’assemblée fédérale.
N.B. Après les élections de 2002, le président Azali Assoumani a décidé de ne pas nommer de premier ministre et d’exercer lui-même les fonctions propres à ce poste.
Structure de gouvernement – fédéral Monocaméral – Assemblée de l’Union, 30 sièges. 15 membres sont nommés par les assemblées locales des îles (5 par île). Les 15 autres membres sont élus au suffrage universel. Les membres exercent un mandat d’une durée de 5 ans.
Répartition des représentants au sein du gouvernement fédéral – Assemblée de l’Union Chacune des 3 îles compte 5 représentants au sein de l’Assemblée de l’Union.
Partage des compétences Le gouvernement fédéral dispose de compétences exclusives en matière de religion, de citoyenneté, de devises, d’affaires étrangères, de défense et de symboles nationaux. La Constitution reconnaît l’autonomie des

Tableau I (suite)

îles pour ce qui est des matières qui ne relèvent pas de la compétence des autorités fédérales. Le gouvernement fédéral accorde une importante autonomie financière aux îles.

Compétences résiduelles Les compétences résiduelles relèvent des îles.

Tribunal constitutionnel (tribunal de dernière instance en matière constitutionnelle) Cour constitutionnelle, formée de deux membres nommés à vie par le président, de deux membres nommés par l’assemblée fédérale, et d’un membre nommé par l’assemblée de chaque île. Les anciens présidents de la république sont aussi membres de la Cour.

Régime politique – Monocaméral – Assemblée. Les membres sont élus au
unités constituantes suffrage populaire.
Chef de gouvernement – Président. Élu au suffrage populaire.
unités constituantes

Tableau II Indicateurs économiques et sociaux

PIB 961 millions de $ US à PPA (2002)
PIB par habitant 1 640 $ US à PPA (2002)
Dette nationale extérieure 246 millions de $ US (2001)
Dette infranationale s.o.
Taux de chômage national 20 %
Unité constituante ayant le taux de chômage le plus élevé s.o.
Unité constituante ayant le taux de chômage le plus faible s.o.
Taux d’alphabétisation chez les adultes 56 % (2001)1
Dépenses nationales en matière d’éducation (% du PIB) 3,8 %
Espérance de vie (années) 60,2
Recettes du gouvernement fédéral – impôts et sources connexes s.o.
Recettes des unités constituantes – impôts et sources connexes s.o.
Transferts fédéraux aux unités constituantes 1,8 million de $ US (2001) (excluant Anjouan)
Mécanismes de péréquation Une loi organique fixe la part des recettes fiscales fédérales transférée aux îles. La répartition est effectuée dans le cadre de la loi annuelle des finances de l’Union.

Sources Agenda des Comores 2003, sur Internet: http://www.agendadescomores.com/geo.html Banque mondiale, Global Development Finance 2003 – Striving for Stability in Development

Finance: Total External Debt of Developing Countries 1995–2001, sur Internet: http:// www.worldbank.org/prospects/gdf2003/vol2tables.htm

Banque mondiale, «Quick Reference Tables: Data and Statistics», 2003, sur Internet: http://www.worldbank.org/data/quickreference/quickref.html

Comores: Constitution de l’Union des Comores, 23 décembre 2001, Droit francophone, sur Internet : http ://portail.droit.francophonie.org/doc/html/km/con/ 2001dfkmco1.html

Encyclopædia Britannica, «Comoros», sur Internet: http://www.britannica.com/eb/ article?eu=124016&tocid=0&query=comoros&ct=eb

Fonds monétaire international (FMI), «IMF Country Report: Comoros (Table 2)», août 2001, sur Internet: http://www.imf.org/external/pubs/ft/scr/2001/cr01135.pdf

Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), Rapport mondial sur le développement humain 2003: Indicateur du développement humain, sur Internet: http:// hdr.undp.org/reports/global/2003/francais/pdf/hdr03_fr_HDI.pdf

Université de l’état du Kansas, «Comoros», sur Internet: http://www.ksu.edu/sasw/ comoros/comoros.html

Note

1 15 ans et plus