Éthiopie (République fédérale démocratique d’Éthiopie)

TOM PÄTZ

1 histoire et évolution du fédéralisme

La République fédérale démocratique d’Éthiopie (environ 1 127 000 kilomètres carrés) est située sur la corne de l’Afrique. Elle est bordée par le Soudan à l’ouest, le Kenya au sud, la Somalie et Djibouti à l’est, et l’Érythrée au nord. Sa population se chiffre à quelque 67 millions d’habitants, dont environ 90 pour cent pratiquent l’agriculture de subsistance. L’agriculture est l’échine de l’économie nationale. Selon la Banque mondiale, le produit national brut (PNB) de l’Éthiopie est d’à peine 90 dollars américains par habitant, ce qui en a fait le pays le plus pauvre au monde en 2003. L’espérance de vie y est de moins de 45 ans.

Vieille de 3000 ans, l’histoire de l’Éthiopie lui a mérité le titre de plus ancien «État» d’Afrique, voire d’un des plus anciens du monde. Depuis l’État Daamat (500 avant J.-C. à 100 après J.-C.), en passant par la civilisation avancée du royaume d’Aksoum, et jusqu’à l’ère des princes, l’Éthiopie a existé au sein de différents empires patrimoniaux. L’Éthiopie moderne fut créée par les chefs chrétiens des hautes terres, grâce surtout à un processus d’asservissement politique et d’exploitation économique à la fin du XIXe siècle et au début du XXe. Hailé Sélassié, prince héritier impérial et régent, s’imposa aux seigneurs féodaux régionaux de 1916 à 1930, quand il devint empereur. Il fut exilé pendant l’occupation italienne de l’Éthiopie de 1936 à 1941. Après la libération de son pays par les forces alliées en 1941, il y rentra de Grande-Bretagne pour régner jusqu’à son renversement en 1974.

Après dix ans sous mandat britannique, l’Érythrée, créature du colonialisme italien à la fin du XIXe siècle, fut fédérée avec l’Éthiopie en 1953. L’Assemblée générale des Nations Unies adopta une résolution, la «Loi fédérale», qui assujettissait l’Érythrée à la souveraineté de la Couronne éthiopienne. La résolution 390 (v) (a) du 2 décembre 1950 de l’ONU comptait 15 articles : les sept premiers réglementaient les relations entre l’Érythrée et l’Éthiopie, le premier prévoyant que l’Érythrée constituerait «une unité autonome fédérée avec l’Éthiopie».

L’émergence de contradictions croissantes entre le féodalisme et le système capitaliste, conjuguée à la remise en question de la valeur de la monarchie, y alimenta l’agitation. En 1961, la garde du corps royale tenta un coup d’État qui révéla le mécontentement populaire devant le rythme de modernisation et de développement. Prenant acte de ceci, en 1962 le gouvernement adopta des mesures pour intensifier la centralisation.

En 1974, le Conseil militaire provisoire (Derg en amharique) renversa le régime de Hailé Sélassié et proclama l’Éthiopie État socialiste. Au cours des premières années du nouveau régime, époque dite de la «terreur rouge», les luttes de pouvoir et la création d’un État socialiste entraînèrent la mort de 100 000 personnes, selon des estimations modérées, et la fuite de plusieurs centaines de milliers d’autres.

En 1984 fut créé un parti des travailleurs d’Éthiopie sur le modèle soviétique et, en 1987, la République démocratique populaire d’Éthiopie fut promulguée et dotée d’une nouvelle Constitution. Ce document conféra l’autorité ultime de l’État au Chengo national et à son organe permanent, le Conseil d’État. Toutefois, comme dans les autres pays socialistes-communistes, le parti politique régnant pérennisait sa maîtrise du pouvoir en empruntant les voies de communication et de prise de décision informelles et «parallèles» du comité central et du bureau politique du Parti des travailleurs. Ainsi, dans les faits, il contrôlait le pouvoir ultime de décision au pays.

À la fin de la guerre froide, l’appui des Soviétiques vacilla, et l’intégrité de l’État central fut contestée. Deux années de défaites militaires en Érythrée et au Tigré affaiblirent fatalement le régime dirigé par le colonel Mengistu, de surcroît abandonné peu à peu par ses alliés soviétiques.

En 1991, une nouvelle coalition, celle du Front démocratique et révolutionnaire du peuple éthiopien (FDRPE), lança un assaut militaire décisif sur les provinces du centre et de l’ouest tandis qu’à l’est, les forces érythréennes cernèrent les villes d’Assab et d’Asmara. Le colonel Mengistu s’enfuit au Zimbabwe. En juillet 1991, les forces du FDRPE saisirent le contrôle d’Addis-Abeba, après quoi une conférence fut organisée pour avaliser une charte de transition qui servirait de fondement juridique à quatre années de gouvernement intérimaire sous un corps législatif dominé par le FPDRE et un exécutif dirigé par Meles Zenawi, chef du Front populaire de libération du Tigré (FPLT). Le gouvernement de transition mit en œuvre de vastes réformes économiques, et pratiqua une forme radicale de transfert des compétences fédérales vers neuf nouveaux états régionaux conçus principalement en fonction de l’ethnie. Dans les années suivantes, et après consultation du public par voie de rencontres au niveau local surtout, une commission rédigea un projet de constitution: le 8 décembre 1994, une assemblée constituante de 538 membres l’approuva. Les électeurs acceptèrent la Constitution par référendum et la République fédérale démocratique d’Éthiopie fut proclamée en août 1995.

Après la chute du Conseil militaire provisoire, les diverses forces de libération se transformèrent en partis politiques. Leurs membres ne réussirent pas à se muter de combattants en acteurs démocratiques dans ce court laps de temps. Ils continuèrent de chercher à triompher les uns des autres plutôt que de collaborer démocratiquement. En mai et juin 1995, l’Éthiopie tint des élections parlementaires nationales et des élections législatives régionales que boycottèrent la plupart des partis d’opposition – notamment le Front de libération Oromo qui, se voyant traîner loin derrière le FPLT, prit le maquis, assurant ainsi à ce dernier un raz-de-marée électoral. Des observateurs internationaux et des organismes non gouvernementaux conclurent cependant que, s’ils l’avaient voulu, les partis d’opposition auraient pu participer.

En mai 1991 le Front populaire de libération de l’Érythrée (FPLE), dirigé par Isaias Afwerki, avait pris en charge le contrôle de l’Érythrée. Il y installa un gouvernement provisoire qui administra l’Érythrée de façon indépendante jusqu’au moment où, du 23 au 25 avril 1993 dans un référendum libre et juste sous la surveillance de l’ONU, les Érythréens votèrent l’indépendance par une majorité écrasante. L’Érythrée fut proclamée pays indépendant le 27 avril 1993.

En mai 1998, les tensions croissantes entre l’Érythrée et l’Éthiopie aboutirent à une offensive militaire érythréenne. L’Éthiopie trans-forma la guerre de tranchées en opération militaire intense dont la conclusion fut l’entente de cessation des hostilités du 18 juin 2000. En-fin, le 12 décembre 2000, à Alger, l’Éthiopie et l’Érythrée signèrent un accord de paix, bien que la frontière restât contestée. Pour régler paisiblement le différend, on établit une commission. Le 13 avril 2002, elle trancha en délimitant la frontière entre l’Érythrée et l’Éthiopie, mais jusqu’à maintenant, les deux pays n’ont pas réussi à s’entendre. Aujourd’hui, un peu plus de 4 000 troupes de l’ONU sont déployées le long de la frontière entre l’Érythrée et l’Éthiopie.

2 dispositions constitutionnelles relatives au fédéralisme

La République fédérale démocratique d’Éthiopie est une démocratie parlementaire. La Chambre des représentants du peuple en propose le chef d’État – le président – pour un mandat de six ans, élu à la majorité des deux tiers lors d’une séance conjointe du Parlement (article 70).

Le Parlement fédéral est bicaméral. Les organismes législatifs fédéraux sont la Chambre des représentants du peuple et la Chambre de la fédération. Les membres de la Chambre des représentants sont élus pour un mandat de cinq ans au suffrage uninominal à un tour. La Constitution prévoit que 550 membres au plus pourront y siéger, et qu’au moins 20 sièges seront réservés aux nationalités minoritaires. Ses fonctions sont de légiférer, de voir aux affaires financières, de délibérer, de renseigner et de représenter (article 54). Il dispose aussi du pouvoir d’interroger (article 55 (17)).

La composition de la Chambre de la fédération est étonnamment ouverte. Les membres y sont élus au suffrage direct ou indirect : c’est au conseil régional de chaque état d’en décider. Ainsi, le conseil d’un état peut élire les membres lui-même ou encore les faire élire lors d’élections populaires. Il y a, à présent, 112 membres. Chaque nation ou nationalité a droit à un membre supplémentaire pour chaque million d’habitants (article 61). De ce nombre, 71 sont désignés par les états, et les 41 autres sont répartis proportionnellement en fonction de la population (article 61).

C’est le principe de l’appartenance ethnique qui sous-tend l’organisation du fédéralisme éthiopien. Les citoyens éthiopiens sont classés selon le groupement ethnolinguistique auquel ils appartiennent. Les unités membres de la fédération sont façonnées «par la configuration des peuplements, la langue, l’identité et le consentement du peuple intéressé» (article 46 (2)). Les premiers mots du préambule de la Constitution, «Nous les nations, nationalités et peuples de l’Éthiopie», annoncent clairement un fédéralisme ethnique. Que les minorités soient reconnues nommément au Parlement fédéral ou dans les unités administratives locales autonomes, le droit de nationalité est un des éléments principaux de la Constitution et joue un rôle dans la répartition du pouvoir.

La Chambre de la fédération est seule gardienne de la Constitution. Elle jouit du droit exclusif (article 62 (1)) et de l’autorité ultime (article 83) en matière d’interprétation: c’est sa principale fonction. L’article 62 (20) établit le Conseil d’enquête sur la Constitution pour examiner les litiges constitutionnels et présenter ses conclusions à la Chambre de la fédération. Le juge en chef de la Cour suprême fédérale dirige le Conseil d’enquête. La Chambre de la fédération n’est pas liée par les opinions consultatives du Conseil d’enquête.

La République fédérale démocratique d’Éthiopie comprend le gouvernement fédéral et neuf états membres (appelés aussi «états régionaux») (article 50). Les états membres/régionaux sont le Tigré; l’Afar; l’Amhara; l’Oromia; le Somali; le Benishangul/Gumuz; les Nations, nationalités et peuples du Sud (NNPS); le Gambella; le Harar (article 47). Le dirigeant de chaque état membre/régional porte le titre de président. Il mène l’administration, est administrateur en chef et président du conseil exécutif de l’état. Il doit rendre des comptes au Conseil de la région (c’est ainsi qu’on nomme l’assemblée législative régionale). Le conseil exécutif est composé de l’administrateur en chef, de l’administrateur en chef délégué et des chefs de bureau.

Le cinquième chapitre de la Constitution (articles 50 à 52) traite de la structure et du partage des compétences. L’article 51 (1–21) décrit en détail les compétences et les fonctions du gouvernement fédéral. Toutes les compétences fédérales visent des questions d’intérêt national. Ce sont, entre autres, le développement économique et social global; les normes nationales et les critères politiques de base pour la santé et l’éducation; la défense; la police fédérale; la politique étrangère; le commerce extérieur; la déclaration de l’état d’urgence; l’immigration et l’émission de passeports; le droit d’auteur; les normes pour les mesures et le calendrier; la possession et le port des armes. La description exhaustive des compétences fédérales est suivie d’une disposition générale portant sur les compétences et les fonctions des états. Selon le libellé de l’article 52 (1), «toutes les compétences non attribuées au gouvernement fédéral seul, ou au gouvernement fédéral et aux états concurremment, sont réservées aux états». Selon l’article 52 (2), les états peuvent établir leur propre administration; adopter et mettre en vigueur leur constitution; formuler des politiques, des stratégies et des plans; administrer le territoire; lever et percevoir des impôts et des redevances; adopter et appliquer des lois eu égard à leur fonction publique; et, enfin, établir et administrer une force policière d’état.

L’article 49 de la Constitution donne un statut spécial à la capitale, Addis-Abeba. Selon l’article 49 (2), elle est pleinement autonome. On la considère généralement comme la dixième entité du pays. Son gouverneur – le chef de l’administration – est élu par le conseil local. Cependant, comme il doit répondre à la fois à ce conseil et au premier ministre (proclamation n0 87/1997, article 12) et que l’administration de la ville est responsable face au gouvernement fédéral (article 49 (3)), Addis-Abeba connaît en réalité moins d’indépendance que les états.

La Constitution traite longuement des aménagements fiscaux et financiers des gouvernements des états et du gouvernement fédéral (article 62 et articles 94 à 100). En général, de part et d’autre les gouvernements doivent percevoir les revenus nécessaires pour s’acquitter de leurs responsabilités. La Constitution énumère les pouvoirs d’imposition aux deux niveaux (articles 96 et 97). L’assiette fiscale fédérale (article 96) comprend les douanes; les taxes et autres charges sur les importations et les exportations, ainsi que sur les services de transport aérien, maritime et ferroviaire; et l’impôt sur le revenu de ses propres employés. Le gouvernement fédéral lève et perçoit l’impôt sur le revenu et les profits, ainsi que les taxes de vente et d’accise, sur les entreprises lui appartenant. L’assiette fiscale des états comprend l’impôt sur le revenu de leurs propres employés, des employés du secteur privé et de leurs propres entreprises; les honoraires pour l’usage usufruitier du sol; les honoraires sur les revenus des services de transport sur les eaux de leur territoire; les honoraires sur les revenus de maisons et autres propriétés privées; les redevances pour l’exploitation de leurs richesses forestières (article 97). L’article 98 esquisse les pouvoirs partagés d’imposition qui comprennent les taxes de vente et droits d’accise ainsi que l’impôt sur les profits et sur les revenus personnels dans les entreprises établies conjointement par le gouvernement fédéral et ceux des états; l’impôt sur les profits des sociétés et les dividendes versés aux actionnaires; l’impôt sur les recettes des grandes exploitations minières, pétrolières et gazières ainsi que les redevances sur de telles exploitations.

Pour exercer les pouvoirs d’imposition non expressément attribués exclusivement à un niveau de gouvernement ou concurremment aux deux, les deux chambres du Parlement doivent voter à la majorité des deux tiers en séance conjointe (article 99). La Chambre de la fédération établit une formule pour les subventions du gouvernement fédéral auxquelles pourraient avoir droit les états. Les recettes de sources communes et les subventions du gouvernement fédéral sont, elles aussi, fixées par la Chambre de la fédération sur la base de recommandations du Comité sur le partage des recettes (article 62 (7)).

La modification de la Constitution implique tant les organismes législatifs fédéraux que ceux des états (article 105) et peut être amorcée aux deux niveaux (article 105). Une majorité des deux tiers des conseils régionaux des états ou des chambres fédérales est nécessaire pour faire avancer une proposition. Il y a deux procédures possibles, selon l’importance de la modification proposée. Si elle porte sur les libertés et droits fondamentaux, les deux chambres du Parlement doivent l’accepter à la majorité des deux tiers et les conseils régionaux de tous les états doivent y consentir à la majorité. Dans tout autre cas, une séance conjointe du Parlement doit l’avaliser à la majorité des deux tiers, et deux tiers des états doivent l’approuver à la majorité.

Exceptionnellement, la Constitution prévoit le droit de sécession (article 39). Ce droit est compris dans celui plus vaste de l’autodétermination, esquissé dans le préambule. L’autodétermination est l’instrument constitutionnel, législatif et politique le plus important auquel fait appel l’Éthiopie pour assurer le développement positif du fédéralisme. La Constitution comprend le droit de développer sa langue, de faire la promotion de sa culture et de préserver son histoire, et donne aux états la possibilité de quitter la République fédérale démocratique d’Éthiopie. L’article 39 (4) établit en détail les procédures d’exercice du droit de sécession. Parmi les étapes prévues, il y a un suffrage à la majorité des deux tiers du conseil de l’état en question, un référendum organisé par le gouvernement fédéral et un vote majoritaire au référendum. C’est par ce processus que l’Érythrée a accédé à l’indépendance de droit en mai 1993. Aucun autre état n’a tenté de réaliser la sécession.

Donnant suite à l’idée du droit à l’autodétermination, l’article 47 (2) de la Constitution énonce celui des «nations, nationalités et peuples» au sein des états d’établir leur propre État à tout moment. «Une nation, une nationalité ou un peuple» doit mettre sur pied un «Conseil», c’està-dire son propre organe représentatif, pour enclencher le processus de création de son État. Tout au long du processus, le Conseil sera le principal négociateur, bien qu’il ne soit pas précisé comment, au juste, il faudrait l’établir et qui devrait y siéger. Comme elle le fait pour la sécession, la Constitution établit précisément comment il faut s’y prendre pour créer de nouveaux états au sein de la République fédérale démocratique d’Éthiopie (article 47 (3)), y compris une majorité des deux tiers du Conseil de la nation, nationalité ou peuple intéressé, ainsi qu’un référendum.

L’Éthiopie est un État multiethnique composé d’un peu plus de 80 groupes ethniques distincts. On y parle des langues très variées

environ 80 – et quelque 200 dialectes. Bien que l’amharique soit la langue de travail du gouvernement fédéral (article 5 (2)), conformément à l’article 5 (1), l’État reconnaît sur un pied d’égalité toutes les langues éthiopiennes. Chaque état établit sa propre langue de travail par une loi (article 5 (3)). La langue n’est pas la seule différence entre Éthiopiens: la religion en est une autre, et ils en pratiquent plusieurs (environ 40 pour cent des Éthiopiens sont musulmans, 40 pour cent chrétiens, et 20 pour cent animistes ou autres). Pourtant, jusqu’à tout récemment, les conflits religieux étaient rares. Ces dernières années, toutefois, les choses ont changé et les conflits liés à l’affiliation religieuse ont augmenté. Des campagnes agressives, de la part surtout de protestants et de wahhabites, ont déjà entraîné de violents conflits.

Pour éviter de nouveaux conflits ethniques et religieux, le gouvernement des Nations, nationalités et peuples du Sud adopta l’idée d’une Chambre de la fédération au niveau de l’état régional. Le 12 novembre 2001, l’article 58 introduisit le Conseil des nationalités dans la Constitution régionale des Nations, nationalités et peuples du Sud. Le Conseil comprend au moins un membre des représentants des nations, nationalités et peuples de la région (article 58 (1)). Entre autres fonctions, le Conseil interprète la Constitution de l’état, organise le Conseil d’enquête sur la Constitution, et tranche les questions relatives au droit de la nation, de la nationalité et des peuples de disposer d’une administration de «zone», de «woreda spéciale» (district) et de «woreda» (article 59). Il est chargé aussi de «promouvoir et consolider l’unité et l’égalité des peuples de la région sur la base de leur consentement réciproque» et de «s’évertuer à trouver une solution aux querelles et aux malentendus» (article 59). Au Benishangul/ Gumuz, on a mis en marche un processus pour reproduire cet aménagement institutionnel unique et novateur.

La solution constitutionnelle formelle que l’Éthiopie a mise au point pour le problème de la gouvernance en général, et de l’appartenance ethnique en particulier, est profondément affectée par le degré de maturité politique et l’aptitude à administrer des états, qui varient considérablement; ceci pourrait correspondre aux vastes écarts quant à la taille de la population des états. Certains sont relativement peu peuplés – environ 200 000 habitants au Gambella, par exemple, et 500 000 au Benishangul/Gumuz – alors que d’autres le sont beaucoup – plus de 14 millions en Amhara et plus de 19 millions en Oromia.

Certains états sont aptes à saisir les occasions alors que d’autres, surtout au niveau du district (woreda) et au niveau local (kebele), ne le sont pas, même pour la routine quotidienne des affaires gouvernementales et administratives. Même si on suppose que les gouvernements aux différents niveaux sont plein de bonnes intentions, en raison de l’extraordinaire faiblesse de leur capacité d’administrer, bien des choses ne se font pas, ou se font mal. Certaines années, les régions dites en émergence (Afar, Somali, Benishangul/Gumuz, Gambella), dont le rendement est extrêmement faible, n’ont même pas réussi à dépenser les ressources qui leur avaient été consenties par le système de péréquation financière.

3 dynamique politique récente

Le fédéralisme éthiopien doit relever plusieurs défis sérieux, dont ceux de la réforme des structures et de la dévolution politique. La réforme des structures se fera par petites étapes pour améliorer le processus de gouvernance. Le fédéralisme exigeant la maturité politique, les citoyens devront prendre de plus en plus conscience de leur intérêt à s’impliquer pour mettre au point une approche commune à ses problèmes. La difficulté pour l’Éthiopie est que, malgré sa longue histoire, ce pays n’a jamais connu le système politique démocratique ou la culture de l’administration. Les peuples du «cœur du pays» abyssinien et les sociétés dites plus traditionnelles du Sud et de l’Est sont habitués à des patriarcats strictement hiérarchisés. Les principes normatifs du régime fédéral et leur adaptation au contexte culturel et historique de l’Éthiopie constituent le grand défi auquel font face le gouvernement fédéral et ceux des états.

Avec le conflit armé en Érythrée, de «vieilles» divergences d’opinions sur l’avenir de l’Éthiopie ont entraîné des luttes de pouvoir dramatiques au sein du FPLT. En 2001, dix ans après le renversement du gouvernement militaire, l’élite politique était divisée de l’intérieur à savoir s’il fallait permettre le cheminement vers l’établissement de vraies institutions démocratiques ou revenir à un modèle marxiste-léniniste de gouvernement et d’administration. Pendant près d’un an, ces clivages paralysèrent presque complètement les activités gouvernementales.

La grave crise aurait pu mener au régime militaire, à la guerre civile ou à l’anarchie. À la place, l’élite du parti manifesta une maturité politique remarquable. On peut en voir les conséquences pour la culture politique de l’Éthiopie dans la réduction des pouvoirs du bureau du premier ministre et dans le recrutement au gouvernement de plus de technocrates et de moins de «batailleurs». Aussi, depuis la crise, on a permis au parti de tenir des débats internes fréquents et aux états de défendre leurs propres intérêts. La crise a ainsi entraîné des occasions de développement pour le fédéralisme de l’Éthiopie. Il semble que la crise des partis ait pavé la voie au passage d’un régime fédéral au sens juridique strict à un régime qui en a compris les contradictions et qui a cherché à apprendre à éviter, gérer et régler les conflits entre le gouvernement fédéral, les unités constituantes et leurs représentants dans l’assemblée législative fédérale.

Pour la toute première fois, il était possible de voir les conflits à l’intérieur du système politique comme une condition préalable au développement du régime fédéral de l’Éthiopie. D’une part, la confiance des états membres en eux-mêmes, et leur assurance, ont eu pour effet d’ouvrir les débats sur les conflits entre gouvernements, comme les différends sur les compétences constitutionnelles, le partage des recettes, les différences de religion et de langue, et les conflits surgissant du manque de consultation entre eux. Plusieurs comités, groupes de travail et mécanismes de coordination ont été mis en place pour gérer «l’unité dans la diversité». D’autre part, en raison de la confiance des états membres en eux-mêmes et de leurs exigences accrues, la Chambre de la fédération a acquis une influence considérable. En plus de se munir de ressources et de dispositions juridiques adéquates par la proclamation no 251/2001 du 6 juillet 2001 (proclamation pour consolider la Chambre de la fédération de la République fédérale démocratique d’Éthiopie et pour définir ses compétences et ses responsabilités), elle est en voie de se transformer en institution au cœur du processus politique eu égard aux intérêts des états.

Tant que le processus politique passera, pour l’essentiel, par le FDRPE, cette transformation semblera insignifiante. L’on s’attend cependant à ce qu’il y ait bientôt un gouvernement d’État indépendant du FDRPE, et la Chambre de la fédération se veut préparée à devenir «la» représentante de tous les groupes ethniques et à se porter garante du fédéralisme éthiopien.

Le gouvernement fédéral et ceux des états membres ont lancé un programme de dévolution rapide. Les buts explicites de la décentralisation sont de rapprocher le gouvernement du peuple, de donner une représentation politique et une voix au chapitre aux différents groupes ethniques du pays, et de faire en sorte que la gouvernance et la répartition des richesses répondent aux besoins et aux priorités locales. L’an 2001 vit l’introduction rapide d’une série de mesures juridiques, fiscales et administratives de longue portée dans les quatre états membres les plus peuplés (Oromia, Amhara, NNPS et Tigré) pour habiliter le niveau local de gouvernement – comprenant les woredas et les municipalités – à fournir la plupart des services de base ainsi qu’à favoriser la démocratisation et le développement économique local. Un octroi «en bloc» selon une formule visant l’équité constitua l’instrument fiscal principal des états membres pour assurer la décentralisation rapide aux woredas de la responsabilité de fournir des services. Il y a cependant une myriade de défis institutionnels, juridiques, techniques et logistiques associés à ce processus de transformation rapide.

La pauvreté en Éthiopie y affecte toute tentative de développement du système politique. Le niveau de pauvreté de ce pays est en effet parmi les plus élevés au monde, et, de surcroît, la population y est extrêmement vulnérable en raison, surtout, de son économie qui dépend de la pluviosité. À l’effet délétère de périodes fréquentes de sécheresse est venu s’ajouter, dans le passé récent, l’impact cumulatif des conflits frontaliers avec l’Érythrée, de la détérioration de l’échange international (sur le prix du café surtout), et de l’épidémie du VIH/ sida. Bien que ce soit la sécheresse qui ait brusquement augmenté le nombre de personnes touchées, il faudra s’attaquer aux causes sousjacentes de la vulnérabilité et aux carences économiques et sociales qui y sont liées.

4 sources de renseignements supplémentaires

Barnabas, Gebreab et Tom Pätz (dir.), Proceedings of the 1st National Conference on Federalism, Conflict and Peace Building, mai 2003, Addis-Abeba.

Nahum, Fasil, Constitution for a Nation of Nations : The Ethiopian Prospect, Lawrenceville, New Jersey, Red Sea Press, 1997.

http ://www.waltainfo.com, bulletin de nouvelles électronique

http ://www.cyberethiopia.com, bulletin de nouvelles électronique

http ://www.nale.gov.et, Archives et Bibliothèque nationale

http ://www.electionworld.org/election/ethiopia.htm, élections dans le monde, section sur l’Éthiopie

http://www.telecom.net.et, Ethiopian Telecommunications Corporation

http://www.gksoft.com/govt/en/et.html, renseignements sur les gouvernements dans le monde, section sur l’Éthiopie

http://www.un.org/french/peace/peace/cu_mission/unmee/ body_unmee.htm, Mission des Nations Unies en Éthiopie et en Érythrée (MINUEE)

http://www.afdb.org/african_countries/summing_csp_et_fr.htm, document de stratégie de développement 2002–2004 (Banque africaine de développement)

Tableau I Indicateurs politiques et géographiques

Capitale Addis-Abeba
Nombre et type d’unités constituantes 9 états membres/états régionaux : Afar; Amhara; Benishangul/Gumuz; Gambella; Harar; Nations, nationalités et peuples du Sud; Oromia; Somali; Tigré 2 villes à charte : Addis-Abeba, Dire Dawa
Langue(s) officielle(s) Amharique
Superficie s.o. N.B. La frontière avec l’Érythrée n’est pas encore établie.
Superficie – plus grande unité constituante Oromia – 353 690 km2
Superficie – plus petite unité constituante Population totale Population de chaque unité constituante (% de la population totale) Régime politique – fédéral Gambella – 25 274 km2 67 335 000 (2002) Oromia 35,2 %, Amhara 25,6 %, Nations, nationalités et peuples du Sud 19,7 %, Tigré 5,8%, Somali 5,8 %, Addis-Abeba (ville à charte) 3,9 %, Afar 1,9%, Benishangul/Gumuz 0,8%, Dire Dawa (ville à charte) 0,5 %, Gambella 0,3 %, Harar 0,3 % République fédérale, régime parlementaire
Chef d’État – fédéral Président : Girma Woldegiorgis (2001). Le président est proposé par la Chambre des représentants du peuple, puis élu lors d’une séance conjointe du Parlement (à la majorité des deux tiers) pour un mandat d’une durée de 6 ans. En vertu d’une loi adoptée le 8 octobre 2001, le président doit être non partisan et indépendant.
Chef de gouvernement – fédéral Premier ministre : Meles Zenawi (1995–2000). Dirige une coalition de 24 partis (Front démocratique et révolutionnaire du peuple éthiopien, FDRPE). Le premier ministre choisit les membres du Conseil des ministres, avec l’assentiment de la Chambre des représentants du peuple.

Structure de gouvernement – fédéral

Bicaméral – Assemblée parlementaire fédérale:

Chambre haute – Chambre de la fédération (Yefedereshn Mekir Bet), 112 sièges. 71 membres sont nommés par des organismes régionaux, et 41 sièges sont répartis en fonction de la population et de l’ethnicité. Pour les membres choisis dans les états régionaux, il revient au conseil régional d’établir si les représentants sont élus au suffrage direct ou indirect (par le Conseil de l’état). Les membres exercent un mandat d’une durée de 5 ans.

257 Éthiopie Tableau I (suite)

Chambre basse – Chambre des représentants du peuple (Yehizbtewekayoch Mekir Bet), 548 sièges. Les membres sont élus pour un mandat d’une durée maximale de 5 ans dans des circonscriptions uninominales, au scrutin uninominal à un tour. Au moins 20 sièges sont réservés aux nationalités minoritaires.

Nombre de représentants à la Oromia – 178
Chambre basse du gouverne
ment fédéral pour l’unité
constituante la plus peuplée
Nombre de représentants à la Harar – 2
Chambre basse du gouverne
ment fédéral pour l’unité cons
tituante la moins peuplée
Répartition des représentants s.o.
à la Chambre haute du gouver
nement fédéral
Partage des compétences La Constitution attribue 21 compétences exclusives au
gouvernement fédéral, y compris l’élaboration et
l’application des politiques économiques, financières
et monétaires, la santé publique, l’éducation, les scien
ces et la technologie, les richesses naturelles, la frappe
de la monnaie, les affaires internationales, les trans
ports et les communications, le commerce, la défense
et l’immigration. Les états régionaux légifèrent sur les
questions de politiques économiques, sociales et de
développement à l’intérieur des états, de droit civil, de
main-d’œuvre, de police d’état et d’ordre public. Le
pouvoir d’imposition est une compétence concurrente.
Compétences résiduelles Tribunal constitutionnel (tribunal de dernière instance en matière constitutionnelle) Régime politique – unités constituantes Les compétences résiduelles relèvent des états régionaux. La Chambre de la fédération est seule gardienne de la Constitution. Le Conseil d’enquête sur la Constitution la conseille sur les questions constitutionnelles, mais la Chambre de la fédération n’est pas tenue de suivre l’avis consultatif du Conseil d’enquête. Les régions administratives sont tout à fait autonomes et ont à leur tête un conseil régional élu, le Conseil de la région. De surcroît, on reconnaît dans chaque région différentes «nationalités», dont la plupart jouissent du droit d’élire des «administrations locales nationales» pour se gouverner elles-mêmes et pour se lier à cette fin avec d’autres nationalités voisines. Dotée d’un statut spécial, Addis-Abeba se gouverne en toute autonomie.

Chef de gouvernement – Président de la région unités constituantes

Tableau II Indicateurs économiques et sociaux

PIB 48,7 milliards de $ US à PPA (2002)
PIB par habitant 724 $ US à PPA (2002)
Dette nationale extérieure 5,7 milliards de $ US (2001)
Dette infranationale s.o.
Taux de chômage national (%) Urbain – environ 10 % Rural – environ 0,1%
Unité constituante ayant le taux de chômage le plus élevé Addis-Abeba – 40 %
Unité constituante ayant le taux de chômage le plus faible s.o.
Taux d’alphabétisation chez les adultes 40,3 % (2001)
Dépenses nationales en matière d’éducation (% du PIB) 4,8 % (2001)
Espérance de vie (années) 45,7
Recettes du gouvernement fédéral – impôts et sources connexes s.o.
Recettes des unités constituantes – impôts et sources connexes 168,8 millions de $ US (est. 2000)
Transferts fédéraux aux unités constituantes s.o.
Mécanismes de péréquation Les transferts sont établis à l’aide d’une formule.

Sources

Banque mondiale, Global Development Finance 2003 – Striving for Stability in Development Finance: Total External Debt of Developing Countries 1995–2001, sur Internet: http:// www.worldbank.org/prospects/gdf2003/vol2tables.htm

Banque mondiale, Indicateur du développement dans le monde 2003–2004, Paris, Eska, 484 p. (sur Internet: www.worldbank.org)

Banque mondiale, « Quick Reference Tables: Data and Statistics», sur Internet: http:// www.worldbank.org/data/quickreference/quickref.html

Fonds monétaire international (FMI), Country Report : Ethiopia – Statistical Appendix, septembre 2002, sur Internet: http://www.imf.org/external/pubs/ft/scr/2002/ cr02214.pdf

Fonds monétaire international (FMI), «Ethiopia: Sustainable Development and Poverty Reduction Program», juillet 2002, sur Internet: http://www.imf.org/external/np/ prsp/2002/eth/01/073102.pdf

International Constitutional Law: Ethiopia – Constitution, Université de Berne, Institut fur offentliches Recht, 1994, sur Internet: http://www.oefre.unibe.ch/law/icl/ et00000_.html

Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), Rapport mondial sur le développement humain 2003: Indicateur du développement humain, sur Internet: http:// hdr.undp.org/reports/global/2003/francais/pdf/hdr03_fr_HDI.pdf