Allemagne (République fédérale d’Allemagne )

RUDOLF HRBEK

1 histoire et évolution du fédéralisme

Le fédéralisme est un élément clé du régime politique allemand. Ancré dans l’histoire nationale, il a été rétabli après la Deuxième Guerre mondiale. Avant l’unification politique de 1871 (date de création de l’Empire allemand sous l’égide de la Prusse), l’Allemagne constituait une véritable mosaïque d’États. Ces États, qui formaient l’«ancien Empire» (Altes Reich), étaient constitués autour d’une institution commune appelée Immerwährender Reichstag, établie à Regensbourg (1663–1806) et réunissant des représentants des territoires respectifs. Le régime était caractérisé par le partage des pouvoirs, la négociation et la quête de compromis.

Après la dissolution de cet Empire en 1806, 39 territoires se constituèrent sous le protectorat de Napoléon. Mais la Confédération du Rhin (Rheinbund) s’avéra à la fois inefficace et trop complexe. Le Congrès de Vienne de 1815 établit la Confédération germanique (Deutscher Bund) pour succéder à l’ancien Empire et le dota d’un Bundesrat (à Francfort), une institution suprême mais faible. Suite à la révolution de 1848, la création d’une assemblée constituante (Frankfurter Paulskirche) mit en place une nouvelle structure (une fédération démocratique semblable au modèle américain, mais qui donnait beaucoup de poids aux instances exécutives des entités membres). En raison de l’opposition de l’Autriche et de la Prusse, on n’arriva cependant pas à concrétiser ce modèle. L’unification politique se réalisait sous le leadership de la Prusse en deux étapes consécutives: en 1867, Otto von Bismarck fondait la Confédération de l’Allemagne du Nord (Norddeutscher Bund), qui allait ensuite évoluer pour devenir l’Empire allemand, englobant les grands états du sud de l’Allemagne.

L’Empire était une fédération de 25 états, dont la Prusse était l’entité dominante. Les états allaient continuer de jouir d’une impressionnante autonomie interne, et établir le Bundesrat en tant qu’institution souveraine suprême représentant les gouvernements des états. Ce régime fédéral se démarquait en raison de la prédominance des administrations exécutives et publiques, de la préservation des attributs spéciaux des états participants et de l’absence d’un centre national unique.

Après la Première Guerre mondiale, alors que l’Allemagne formait toujours la République de Weimar, la consolidation des autorités du Reich (président, gouvernement et Reichstag comme Parlement) contribua à affaiblir les éléments fédéraux au détriment des états, qu’on appelait dorénavant des länder. Ces derniers étaient représentés à l’échelle du Reich par le Reichsrat, la deuxième Chambre, composée de membres des gouvernements des länder (constitués par les partis politiques), ce qui reflétait bien la partialité traditionnelle du fédéralisme allemand en faveur de l’exécutif. Malgré la faiblesse du Reichsrat, on continua de favoriser les prises de décisions axées sur la négociation entre les administrations du gouvernement du Reich et les gouvernements des länder. Le régime nazi totalitaire qui vint par la suite (1933– 1945) abolit tous les éléments fédéraux restants et y substitua un régime hautement centralisé.

La Deuxième Guerre mondiale prit fin avec la capitulation inconditionnelle de l’Allemagne. À cette époque, il n’existait aucune autorité allemande, même à l’échelle locale. Les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Union soviétique et la France assumaient tous les pouvoirs et toutes les responsabilités au nom du pays. Ces nations s’entendirent pour diviser le territoire allemand en quatre zones d’occupation et abolir la Prusse. À compter de 1946, des länder furent établis dans ces quatre zones, sous la tutelle des pouvoirs d’occupation respectifs. Même si ces décisions ne visaient pas à établir la structure détaillée du futur territoire allemand d’après-guerre, elles ont eu un impact considérable sur l’évolution du pays.

La guerre froide a élargi le gouffre qui séparait la zone soviétique des trois zones occidentales, ce qui rendait impossible tout accord sur l’avenir de l’Allemagne entre les quatre pouvoirs. Après avoir fusionné leurs zones d’occupation pour des raisons d’ordre pratique, les trois alliés de l’Ouest décidèrent, à l’été de 1948, de stabiliser davantage la situation en créant un État allemand dans le secteur des trois zones qu’ils administraient. En juin 1948, ils demandèrent aux autorités allemandes de rédiger une nouvelle Constitution, stipulant que ses modalités protègent les droits fondamentaux des individus, reposent sur des principes démocratiques et favorisent une structure fédérale. Ces exigences, qui avaient pour but de faire obstacle au régime centralisateur et antidémocratique des nazis, furent toutes acceptées de bon gré par les représentants allemands. La structure fédérale avait d’abord pour but de fournir un système de contrôles et équilibres («checks and balances») et, par conséquent, de soutenir le principe de la séparation des pouvoirs tout en renforçant la démocratie.

L’instance mandatée pour établir la nouvelle Constitution, désignée comme le Conseil parlementaire (Parlamentarischer Rat), n’était pas une assemblée constituante élue au suffrage direct; elle réunissait plutôt des représentants des parlements des länder situés dans les trois zones de l’Ouest (ce qui reflétait la force des partis politiques de ces parlements). Même si les Allemands furent d’accord pour créer une structure fédérale, les députés du Conseil parlementaire n’arrivèrent pas à s’entendre sur une définition des relations entre le gouvernement fédéral et les länder touchant la division des compétences et l’allocation des pouvoirs. La solution proposée dans le cadre de la Loi fondamentale (Grundgesetz) – nom donné à la nouvelle Constitution entrée en vigueur en mai 1949 – peut être considérée comme un compromis par lequel on a modifié les pouvoirs de l’autorité centrale en établissant le Bundesrat.

En vertu de la Loi fondamentale, le Bundesrat devait accueillir des représentants des gouvernements des länder (ce qui était conforme à la tradition historique de son prédécesseur à l’époque de l’Empire de 1871) jouissant de pouvoirs considérables sur le plan législatif fédéral. Mais ces dispositions ne déterminèrent pas irrévocablement et entièrement l’équilibre entre les deux niveaux. Ceci allait se faire, puis se transformer au fil de l’évolution politique du nouvel État ouest-allemand : la République fédérale d’Allemagne (RFA, Bundesrepublik Deutschland).

La zone soviétique, devenue la République démocratique allemande (RDA, Deutsche Demokratische Republik), le second État allemand, affichait toutes les caractéristiques d’un régime communiste. Dès 1952, la RDA adopta une structure territoriale centralisatrice en abolissant les cinq länder établis après 1945 et en leur substituant 15 districts administratifs (Bezirke). Cette structure territoriale centralisatrice s’harmonisait bien avec le caractère dominant du Parti communiste; une véritable structure fédérale aurait été incompatible avec un tel régime.

Même si la structure fédérale de la RFA était protégée de l’abolition par une disposition spéciale de la Constitution (article 79.3) – appelée la «clause éternité» – une réforme territoriale demeurait possible, puisqu’à l’exception de la Bavière et des deux villes-états (Brême et Hambourg) qui s’inscrivaient dans la continuité historique, tous les autres länder étaient des créations artificielles. Profitant d’une disposition constitutionnelle spéciale (article 118), les trois länder nouvellement établis dans le sud-ouest de l’Allemagne s’unissaient pour former Bade-Wurtemberg en 1952. Mais tous les efforts de réforme territoriale ultérieurs visant à réduire le nombre de länder tout en leur donnant plus de puissance échouèrent. En 1957, la Sarre se joignit à la RFA et devint le onzième land, suite au rejet (par les deux tiers de l’électorat) d’une proposition visant à accorder à ce territoire, sous la gouverne des Français depuis 1945, un «statut européen» (ce qui lui aurait donné le statut spécial de «région européanisée» plutôt que de se joindre à l’Allemagne ou la France).

Après la chute du régime communiste en RDA et dans le contexte de la réunification de 1990, les cinq länder originaux furent rétablis, et l’Allemagne unie compte aujourd’hui 16 länder. Une tentative d’union entre Berlin et Brandebourg a échoué lors d’un référendum organisé dans ces deux länder en mai 1996, à la grande déception de ceux qui croyaient qu’une décision positive favoriserait les réformes territoriales à l’échelle de l’Allemagne. Cela dit, la deuxième tentative qui se prépare actuellement pourrait bien réussir.

Depuis 1949, le régime fédéral de la RFA s’est développé, évoluant vers des rapports imbriqués entre le gouvernement fédéral et ceux des länder. Cette situation tient aux éléments suivants:

On a tenté à plusieurs reprises de réformer le fédéralisme allemand. De 1973 à 1976, une commission spéciale (Enquete-Kommission Verfassungsreform) s’est penchée sur un projet de réforme globale de la Constitution. La moitié des propositions émises portait sur le fédéralisme. Mais aucune n’a été retenue et intégrée à la Loi fondamentale. Dans les années 80, on a tenté de consolider les länder en restreignant l’envergure des tâches communes, en adoptant des mesures d’autocontrôle face à la capacité législative de la fédération et en consolidant les fondements financiers des länder. Mais ces démarches n’ont pas eu grand succès. La situation économique globale et, depuis 1990, le défi de la réunification, ont réduit la marge de manœuvre financière de tous les membres du régime fédéral. De 1992 à 1994, une commission mixte du Bundestag et du Bundesrat, les deux chambres du Parlement, a discuté des réformes constitutionnelles qui pourraient s’avérer nécessaires par suite de la réunification. Hormis quelques modifications mineures, le régime fédéral est demeuré essentiellement le même. Les décisions relatives aux dispositions constitutionnelles sont difficiles à prendre puisqu’elles exigent une majorité des deux tiers au niveau du Bundestag et du Bundesrat, ce qui suppose la conclusion d’une entente entre les deux principaux partis.

2 dispositions constitutionnelles relatives au fédéralisme

En tant qu’unités constituantes de la RFA, les länder possèdent les mêmes attributs que des états, de même que leurs propres institutions. L’ordre constitutionnel des länder se fonde sur des principes de base comme les droits fondamentaux de la personne, la démocratie, la règle de droit et garantit la tenue d’élections qui permettent aux citoyens d’élire leurs représentants politiques (article 28). Chaque land possède un gouvernement de type parlementaire et un Parlement dont les membres sont élus au suffrage direct (pour un mandat légal de quatre ou cinq ans) et un gouvernement imputable au peuple. Les constitutions des länder diffèrent toutefois à divers niveaux, particulièrement en ce qui a trait à la tenue de référendums, aux procédés d’établissement des gouvernements, aux votes de con-fiance ou de non-confiance, à l’imputabilité personnelle des ministres, etc. On remarque aussi des variantes au niveau des droits. Les constitutions des cinq nouveaux länder, par exemple, contiennent des dispositions relatives aux droits fondamentaux de la personne et aux droits sociaux (comme l’emploi, l’environnement, le logement, l’éducation, etc.).

D’après la «clause éternité» de l’article 79.3, il ne faut pas abolir le régime fédéral comme tel, même si les réformes territoriales demeurent possibles. Cela signifie que l’existence ou l’intégrité territoriale d’un land particulier ne sont pas garanties. La Loi fondamentale prévoit deux procédures particulières pour procéder à une réforme territoriale : une procédure très complexe (article 29) qui est perçue comme faisant obstacle à la réforme, et une clause (conforme au modèle de réforme de l’Allemagne du Sud-Ouest de l’article 118 décrit précédemment) qui s’applique au cas spécial de Berlin et de Brandebourg (article 118 (a)) et qui permet une réforme territoriale au moyen d’accords bilatéraux, y compris des référendums dans les deux länder.

La Constitution détermine le partage des pouvoirs législatifs entre la fédération et le land. Les domaines relevant exclusivement de la fédération sont énumérés à l’article 73, ceux faisant partie de compétences concurrentes relèvent de l’article 74 et ceux pour lesquels la fédération peut établir des lois-cadres sont prévus à l’article 75 (une loi-cadre donne uniquement les grandes orientations et doit être appuyée d’une loi votée par le land et qui permet à ce dernier de l’adapter à ses besoins). L’article 72 précise dans quelles circonstances la fédération peut adopter des lois dans des domaines relevant de compétences concurrentes, notamment «si l’obligation d’uniformiser les conditions de vie à l’étendue du pays ou de maintenir l’unité législative ou économique rend une telle législation nécessaire dans l’intérêt national». L’article 70 stipule que «les länder ont le droit de légiférer, pourvu que cette Loi fondamentale n’accorde pas d’autres pouvoirs législatifs à la fédération». Cela dit, les compétences exclusives des länder s’appliquent uniquement aux questions propres à leurs constitutions et aux dossiers locaux, aux questions d’organisation et d’administration et à des domaines comme la police et l’ordre public, la culture, les médias et l’éducation.

Le fédéralisme allemand a ceci de particulier qu’il permet aux länder de mettre en œuvre les lois fédérales comme bon leur semble (article 83). On constate un faible nombre d’exceptions qui exigent une administration fédérale directe (des champs de responsabilité comme le service extérieur, la surveillance des frontières, la circulation aérienne, les voies navigables, la navigation intérieure et les finances fédérales, y compris les douanes, relèvent directement de l’administration fédérale).

Les länder participent aux lois fédérales par l’entremise du Bundesrat. Ce dernier regroupe des membres des gouvernements des länder et le nombre de voix varie : chaque land a droit à trois voix au moins; les länder qui comptent plus de deux millions d’habitants ont droit à quatre voix; ceux qui en comptent plus de six millions ont droit à cinq voix; et ceux qui en comptent plus de sept millions ont droit à six voix (article 51.2). Les voix de chacun doivent être soumises uniformément (en pratique comme un bloc de voix par un membre du gouvernement du land) et ne peuvent être divisées. La participation aux lois fédérales permet d’abord au Bundesrat d’adopter des lois fédérales et de soumettre des projets de loi, comme le font le Bundestag et le gouvernement fédéral. Une fois qu’un projet de loi a été adopté par le Bundestag, il doit être soumis au Bundesrat. Il existe deux types de lois : celles qui exigent l’accord explicite du Bundesrat et une majorité des voix; et celles qui n’imposent pas cette exigence. Cette seconde catégorie accorde au Bundesrat un veto suspensif qui, après une période de temps limitée, peut être rejeté par le Bundestag avec une majorité absolue (ou une majorité des deux tiers si les deux tiers des voix du Bundesrat sont contre). Le Bundesrat doit approuver toute loi risquant d’affecter les pouvoirs administratifs des länder (qui doivent mettre en œuvre les lois fédérales) ou ayant une incidence financière sur les länder. Plus de la moitié de toutes les lois fédérales actuelles font partie de cette catégorie.

Dans ce contexte, la Constitution prévoit un mode de médiation particulier, soit la Commission de médiation (Vermittlungsausschuß), qui réunit un nombre égal de membres du Bundesrat (16, un pour chaque gouvernement de land) et du Bundestag (16, choisis selon la représentation des partis). La Commission a pour tâche de dégager un consensus, qui est soumis à l’approbation des deux chambres. Le Bundesrat, le Bundestag et le gouvernement fédéral peuvent tous trois faire appel à la Commission de médiation.

En ce qui a trait aux ententes financières, la Constitution prévoit le partage du gros des revenus d’impôt entre la fédération et les länder. Par conséquent, l’impôt sur le revenu et l’impôt des sociétés sont partagés à parts égales et la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) est répartie selon un ratio ajusté tous les trois ans par une loi fédérale que le Bundesrat doit approuver. Les autres revenus fiscaux sont versés tour à tour à la fédération (par exemple, douanes et accises) ou aux länder (par exemple, les impôts sur la propriété, l’héritage, les véhicules à moteur et la bière). On accorde une grande importance aux mécanismes et aux mesures de péréquation financière entre la fédération et les länder et, horizontalement, entre les divers länder.

Les litiges constitutionnels, dont ceux se rapportant au régime fédéral, sont réglés par la Cour constitutionnelle fédérale (Bundesverfassungsgericht) suivant une plainte logée par l’un des partis contestataires. Ce tribunal comprend 16 membres élus à la majorité des deux tiers par une entité électorale composée de membres du Bundestag et du Bundesrat.

Dans ses décisions, la Cour constitutionnelle fédérale a maintes fois soulevé et confirmé le principe de la courtoisie fédérale (Bundestreue), ce qui semble constituer une caractéristique clé du régime fédéral allemand, même s’il n’existe aucune référence précise en ce sens dans la Constitution. Ce principe oblige la fédération et les länder à tenir compte des préoccupations de l’autre parti lorsqu’ils mènent leurs affaires.

3 dynamique politique récente

On note trois grandes questions ayant des répercussions majeures sur le fédéralisme allemand : les effets de la réunification, les défis de l’intégration européenne et les initiatives en faveur d’une réforme globale du régime fédéral.

La réunification a eu pour effet d’aggraver les disparités économiques et financières entre les länder. En plus d’entraîner l’affaiblissement des länder, une telle situation pourrait les rendre plus dépendants envers la fédération, ce qui lui donnerait plus de poids et modifierait considérablement l’équilibre fédéral. De plus, le système de péréquation financière horizontale (horizontaler finanzausgleich) a été affecté par cette faille croissante. Les cinq nouveaux länder, soit Brandebourg, MecklembourgPoméranie-Occidentale, Saxe, Saxe-Anhalt et Thuringe, appartiennent tous au groupe des bénéficiaires nets, ce qui a une incidence sur les bénéficiaires nets précédents (qui pourraient bien devenir contributeurs nets ou, du moins, subir certaines pertes) et sur les contributeurs nets «traditionnels» (leur fardeau et leurs paiements de transfert pourraient augmenter). Enfin le système de partis en place dans les cinq nouveaux länder diffère de l’ancien système en vigueur dans les länder, puisque le Parti du socialisme démocratique (Partei des demokratischen Sozialismus), qui a succédé au Parti communiste de l’ancienne RDA, est devenu la troisième force avec l’Union démocrate-chrétienne (Christlich demokratische Union) et le Parti social-démocrate (Sozialdemokratische Partei Deutschlands). C’est aussi la raison pour laquelle le Parti libéral-démocrate (Freie demokratische Partei) et le Parti Vert ne sont pas représentés au sein de leurs parlements de länder respectifs. Cette situation a eu des répercussions sur les modèles de coalition (le Parti du socialisme démocratique avec le Parti social-démocrate, ou les grandes coalitions si un parti n’arrive pas à former seul une majorité) et pourrait bien influencer l’ensemble du paysage politique allemand.

Le processus de plus en plus intense d’intégration européenne re-met constamment en cause le statut légal des länder et, par conséquent, la structure fédérale même de la RFA. Le premier défi tient au fait que la portée fonctionnelle de l’Union européenne (UE) est bien plus grande qu’avant; ainsi, certaines activités de l’UE relèvent des domaines qu’on avait confiés aux länder lors de l’attribution des pouvoirs à l’interne. Le second défi tient aux modalités de prise de décision adoptées par l’UE. Au sein de l’UE, c’est le Conseil des ministres qui constitue la plus importante instance décisionnelle et législative, et la représentation de l’Allemagne y est assurée par le gouvernement fédéral. Cela signifie que le gouvernement fédéral participe à des décisions dans des domaines relevant exclusivement de la compétence des länder. Le troisième défi concerne l’application des lois européennes en Allemagne. Cette responsabilité incombe surtout aux länder qui, jusqu’à tout récemment, n’avaient aucune influence sur la législation et se sentaient sous le joug du gouvernement fédéral.

Jusqu’à maintenant, les länder ont relevé ces défis. D’une part, ils ont établi, en 1992–1993 (dans le nouvel article 23 confirmé par la Loi sur la coopération entre la fédération et les länder dans les affaires de l’Union européenne), des droits de participation aux dossiers de l’UE à l’échelle nationale. Le gouvernement fédéral doit maintenant tenir compte des préoccupations des länder formulées par le Bundesrat et, quand les dossiers relèvent exclusivement de la compétence des länder, il doit même souscrire au point de vue du Bundesrat. Un transfert additionnel des pouvoirs souverains, lorsque la chose modifierait le contenu de la Loi fondamentale, exige le vote majoritaire favorable des deux tiers du Bundesrat. D’autre part, les länder ont engagé des activités autonomes au niveau de l’UE (par exemple, nommer des représentants à Bruxelles et faire du lobbying direct). Finalement, ils ont obtenu le droit de participer officiellement et directement au processus décisionnel de l’UE. Ils ont une place au sein du Comité des régions établi en 1993 (à titre consultatif seulement) et peuvent représenter l’Allemagne à l’échelle du Conseil lorsque les sujets à l’ordre du jour relèvent de leurs compétences. En outre, le nouvel article

24.1 (a) permet aux länder de transférer (avec l’accord du gouvernement fédéral) des pouvoirs souverains à des institutions transfrontalières, pourvu que les länder aient la compétence voulue dans ce domaine politique particulier. Somme toute, les länder ont réussi à consolider leur présence. À preuve, deux représentants des länder ont participé à des conférences gouvernementales sur la réforme des traités de l’UE (à Amsterdam en 1996 et à Nice en 2000). En outre, le Bundesrat et le Bundestag étaient chacun représentés par un membre à la conférence sur la Constitution de l’UE de 2002–2003.

La réforme exhaustive du fédéralisme fait partie du programme politique allemand depuis les années 80, et les länder, surtout les plus puissants, continuent de réclamer un «fédéralisme concurrentiel» (Wettbewerbsföderalismus) plutôt qu’un «fédéralisme participatif» (Beteiligungsföderalismus). Ces derniers réclament plus de pouvoirs autonomes et la réduction de l’activité fédérale (par exemple, dans des domaines de pouvoirs législatifs cadres et concurrents). Ils réclament également une plus grande marge de manœuvre encore au niveau des activités transfrontalières et des relations extérieures. Ils font référence aux besoins fonctionnels liés à la politique de marché interne de l’UE (qui vise à abolir les frontières économiques internes et à établir un marché unifié pour tous les pays membres de l’UE) et à la nouvelle position géographique centrale de l’Allemagne par rapport à un plus grand nombre de pays voisins dans une UE en expansion.

Le troisième sujet, qui suscite une grande controverse au sein des divers länder et du gouvernement fédéral, a trait au système financier. Les länder plus puissants (des contributeurs nets) déploient beaucoup d’efforts (en faisant appel à la Cour constitutionnelle fédérale et en engageant des négociations politiques) pour faire adopter un système de péréquation consensuel qui permettrait d’alléger leur fardeau. Les länder plus faibles (des bénéficiaires nets) appellent à la solidarité de la part de la fédération (de qui ils réclament des ressources supplémentaires et une autonomie législative plus importante) et de la part des länder plus puissants. Ils croient que la péréquation financière, même réduite, devrait se poursuivre. Puisque tous ces changements affecteraient les intérêts acquis, seules de modestes réformes pourraient voir le jour.

Au printemps 2003, le gouvernement fédéral et les premiers ministres des länder présentaient leurs projets de réforme; ils en faisaient le fondement de leurs négociations politiques. Ils se mettaient d’accord pour réclamer la fin des rapports interreliés mais ne s’entendaient pas sur les mesures à prendre ni sur les priorités. À l’été 2003, les deux parties convenaient d’établir un comité bicaméral chargé d’examiner la modernisation du fédéralisme allemand et de proposer des réformes constitutionnelles. Le rapport du comité est prévu à la fin de 2004.

Les éléments décrits ci-après se trouvent au cœur du programme de réformes qui alimente la discussion depuis 2000–2001:

Une commission bicamérale (Kommission Bundesstaatsreform) a été établie et a amorcé ses travaux en novembre 2003. Des sources extérieures à la commission ont proposé des projets de réforme plus radicaux (par exemple, remplacer le Bundesrat par un Sénat de type américain; abolir le vote en bloc de chaque land membre du Bundesrat; autoriser les länder à percevoir leurs propres impôts ou à dévier des taux moyens applicables à certaines catégories d’imposition). L’établissement de cette commission a permis à la population d’espérer que le fédéralisme allemand subira d’importantes réformes. Mais puisque tout changement aura des incidences sur des intérêts déjà bien ancrés, le succès exigera probablement un compromis global équilibré.

4 sources de renseignements supplémentaires

Gunlicks, Arthur, The Länder and German Federalism, Manchester, Manchester University Press, 2003.

Hrbek, Rudolf et Annegret Eppler (dir.), Deutschland vor der Foederalismus-Reform. Eine Dokumentation, Tübingen, Europäisches Zentrum für Föderalismus-Forschung, document occasionnel n° 28, 2003.

Jeffery, Charlie (dir.), Recasting German Federalism. The Legacies of Unification, Londres et New York, Cassell, 1999. Laufer, Heinz et Ursula Münch, Das föderative System der Bundesrepublik Deutschland, Opladen, 1998.

Leonardy, Uwe, The Institutional Structures of German Federalism, Londres, 1999. (Également disponible en version électronique : Bonn, Friedrich Ebert Stiftung, Digitale Bibliothek, 1999.)

Sturm, Roland, Foederalismus in Deutschland, Munich, 2003. Wehling, Hans-Georg (dir.), Die deutschen Länder. Geschichte, Politik, Wirtschaft, Opladen, 2000. http ://www.gksoft.com/govt/en/de.html, renseignements sur les gou

vernements dans le monde, section sur l’Allemagne http ://www.bundesrat.de, Chambre haute du Parlement fédéral http ://www2.dw-world.de/french/, bulletin d’informations de l’Al

lemagne http ://www.cceae.umontreal.ca/fr/index.htm, notes de recherche et publications du Centre canadien d’études allemandes et européennes

Tableau I Indicateurs politiques et géographiques

Capitale Berlin
Nombre et type d’unités constituantes 16 états (länder) : Bade-Wurtemberg, Basse-Saxe, Bavière, Berlin, Brandebourg, Brême, Hambourg, Hesse, Mecklembourg-Poméranie-Occidentale, Rhénanie du Nord-Westphalie, Rhénanie-Palatinat, Sarre, Saxe, Saxe-Anhalt, Schleswig-Holstein, Thuringe
Langue(s) officielle(s) Allemand

Superficie 356 970 km2

Superficie – plus grande unité Bavière – 70 548 km2 constituante

Superficie – plus petite unité Brême – 404 km2 constituante

Population totale 82 542 000 (septembre 2003)

Population de chaque unité constituante (% de la population totale)

Rhénanie du Nord-Westphalie 21,9%, Bavière 15%, Bade-Wurtemberg 12,9%, Basse-Saxe 9,7%, Hesse 7,4%, Saxe 5,3%, Rhénanie-Palatinat 4,9%, Berlin 4,1%, Schleswig-Holstein 3,4%, Saxe-Anhalt 3,1%, Brandebourg 3,1%, Thuringe 2,9%, Mecklembourg-Poméranie- Occidentale 2,1%, Hambourg 2,1%, Sarre 1,3%, Brême 0,8%

Régime politique – fédéral République fédérale

Chef d’État – fédéral Président: Johannes Rau (1999), Parti social-démocrate (Sozialdemokratische Partei Deutschlands, SPD). Élu pour un mandat d’une durée de 5 ans par les membres du Parlement fédéral et un nombre égal de représentants (délégués) élus par les assemblées législatives des länder. Le président nomme les ministres, juges et fonctionnaires fédéraux sur avis du chancelier. Le chancelier fédéral est proposé par le président et élu par le Bundestag.

Chef de gouvernement Chancelier: Gerhard Schröder (1998, réélu en 2002),

fédéral Parti social-démocrate (Sozialdemokratische Partei Deutschlands, SPD). Élu par le Bundestag pour un mandat d’une durée de 4 ans. Les dernières élections ont eu lieu le 22 septembre 2002.

Structure de gouvernement – fédéral

Bicaméral – Parlement:

Chambre haute Bundesrat. Représentation des länder. Composé de 69 membres élus au suffrage indirect par les assemblées législatives des länder dans 16 états plurinominaux (3 à 6 sièges par état, en fonction de la population de chaque land). Les membres sont élus pour la durée du mandat du gouvernement du land respectif.

Tableau I (suite)

Chambre basseBundestag, comprenant généralement 598 sièges. Le 15e Bundestag, élu le 22 septembre 2002, compte 603 membres en raison des «mandats excédentaires» (Uberhangmandate). Les membres sont élus au suffrage populaire direct selon un «scrutin proportionnel mixte» qui combine 299 circonscriptions uninominales avec 299 sièges alloués à la représentation proportionnelle. Les membres sont élus pour un mandat d’une durée de 4 ans.

Nombre de représentants à la Rhénanie du Nord-Westphalie – 134
Chambre basse du gouverne
ment fédéral pour l’unité
constituante la plus peuplée
Nombre de représentants à la Brême – 4
Chambre basse du gouverne
ment fédéral pour l’unité cons
tituante la moins peuplée

Répartition des représentants à la Chambre haute du gouvernement fédéral 69 sièges: Les länder comptent chacun au moins 3 sièges au sein du Bundesrat; les länder qui comptent plus de 2 millions d’habitants ont droit à 4 sièges, ceux qui en comptent plus de 6 millions ont droit à 5 sièges et ceux qui en comptent plus de 7 millions ont droit à 6 sièges. La présidence du Bundesrat change tous les ans et le poste est comblé tour à tour par chaque land. La loi stipule que la délégation de chaque land doit voter en bloc, conformément aux directives émises par le gouvernement du land.

Partage des compétences Le gouvernement fédéral légifère et les länder appliquent les lois fédérales. Le gouvernement fédéral jouit de compétences exclusives dans divers secteurs, y compris les affaires étrangères, la défense, la citoyenneté, l’immigration, le commerce international, les douanes, les devises, la frappe de la monnaie, les droits d’auteur, et les services publics d’envergure nationale. Les compétences concurrentes comprennent les codes criminel, civil, économique, du travail et agricole, ainsi que l’aide sociale, les transactions immobilières, la circulation routière et les chemins de fer non fédéraux.

Les länder peuvent adopter des lois pourvu que les compétences législatives n’aient pas été confiées à la fédération. Leurs compétences exclusives ont trait aux dossiers locaux, y compris l’organisation de l’administration, la police et l’ordre public, la culture, les médias et l’éducation. En cas de conflit, la loi fédérale prévaut.

Tableau I (suite)

Compétences résiduelles Les compétences résiduelles relèvent des länder.
Tribunal constitutionnel (tribunal de dernière instance en matière constitutionnelle) Cour constitutionnelle fédérale, formée de 16 membres. La moitié des juges est élue par le Bundestag, et l’autre moitié, par le Bundesrat, pour un mandat d’une durée de 12 ans sans réélection.
Régime politique – unités constituantes Monocaméral – Assemblée législative (Landtag). La composition varie d’un land à l’autre.
Chef de gouvernement – unités constituantes Premier ministre ou maire

Tableau II Indicateurs économiques et sociaux

PIB 2,2 billions de $ US à PPA (2002)
PIB par habitant 26 600 $ US à PPA (2002)
Dette nationale extérieure 3 062 milliards de $ US (juin 2003)
Dette infranationale 446,6 milliards de $ US (2002)
Taux de chômage national 10,4 % (décembre 2003)
Unité constituante ayant le taux de chômage le plus élevé Saxe-Anhalt – 19,6 %
Unité constituante ayant le Bade-Wurtemberg – 5,4 %
taux de chômage le plus faible
Taux d’alphabétisation chez 99 %1
les adultes
Dépenses nationales en 4,6 %
matière d’éducation
(% du PIB)
Espérance de vie (années) 78
Recettes du gouvernement fédéral – impôts et sources connexes 78,6 milliards de $ US (2002)
Recettes des unités constituantes – impôts et sources connexes 31,5 milliards de $ US (2002)
Transferts fédéraux aux unités constituantes 14,8 milliards de $ US (prélim. 2002)
Mécanismes de péréquation Formule de péréquation sous forme de transferts fédéraux et de transferts entre états

Sources

Allemagne (Gouvernement de l’), «Elections 2002», sur Internet: http:// www.germany-info.org/relaunch/info/publications/infocus/Elections/ Election_process.html

Allemagne (Gouvernement de l’), Bureau de statistiques, «Finance and taxes: Cash tax revenue», «Finance and taxes: Debt» et «Finance and taxes: Länder government revenue sharing scheme», sur Internet: http://www.destatis.de/basis/e/fist/ fisttab01.htm

Banque nationale de l’Allemagne (Bundesbank), «Gross External Debt Position», juin 2003, sur Internet: http://www.bundesbank.de/stat/download/ stat_auslandsverschuldung/stat_sdds_auslandsverschuldung.en_0603.pdf

International Constitutional Law: The Basic Law (Grundgesetz), Université de Berne, Institut fur offentliches Recht, sur Internet: http://www.oefre.unibe.ch/law/ the_basic_law.pdf

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Note

1 15 ans et plus