1999 aurait dû être l’année terrible du fédéralisme belge.

En mars, le Parlement de la Communauté flamande adopte à la quasi-unanimité, majorité et opposition confondues, une série de cinq résolutions réclamant la poursuite de la réforme de l’Etat et impliquant un nouveau bouleversement complet des structures de la fédération belge.

En réaction, tous les partis politiques francophones se rangent unanimement dans une sorte de front du refus face à ce qu’ils considèrent comme une aventure institutionnelle menant au confédéralisme. Une déclaration dont l’adoption est indispensable pour permettre aux nouvelles chambres issues des élections de procéder à une révision de la Constitution, est adoptée dans ce climat de suspicion, mais sans permettre la révision de dispositions relatives aux institutions.

Chacun s’interroge alors sur l’aprèsélections et la capacité des représentants des deux grandes communautés à s’entendre pour former un nouveau gouvernement fédéral.

Va-t-on vivre une crise politique majeure dans laquelle les francophones courraient paradoxalement le risque de fragiliser les institutions qu’ils entendent protéger en bloquant la formation d’un nouveau gouvernement fédéral alors même que les exécutifs régionaux et communautaires se mettront en place rapidement?

La « coalition arc-en-ciel » : la version belges

Si les résultats électoraux de juin 1999 font évoluer le paysage politique marqué par une montée des partis écologistes, les tractations entre partis provoquent un véritable bouleversement de la scène politique. Pour la première fois depuis une quarantaine d’années, les partis chrétiens sont rejetés dans l’opposition par une coalition regroupant la droite libérale, la gauche socialiste et les écologistes.

Rapidement qualifiée d’arc-en-ciel pour son alliage des couleurs bleue, rouge et verte, cette alliance regroupe en réalité six partis. Chaque famille politique est en effet divisée depuis les années septante en deux ailes linguistiques, l’absence de partis fédéraux constituant sans conteste l’un des traits majeurs et l’une des principales faiblesses du fédéralisme à la belge.

Un accord gouvernemental est aisément conclu le 7 juillet 1999 et habilement présenté par ses négociateurs comme une sorte de trêve entre Flamands et Francophones. Un climat politique renouvelé s’installe avec l’entente proclamée des nouveaux gouvernements des Communautés et Régions qui multiplient par delà la frontière linguistique les assauts d’amabilité et les velléités de coopérer là où leurs prédécesseurs n’avaient pas manqué quelques occasions de s’insulter.

Comment cette détente post-électorale a-t-elle été possible entre les deux grandes communautés linguistiques qui composent la Belgique?

La crise politique majeure qui a éclaté en pleine campagne électorale avec la découverte de dioxine dans l’alimentation et les circonvolutions des acteurs politiques en fonction de la possibilité d’accéder au pouvoir n’expliquent pas tout.

Les nouveaux partenaires gouvernementaux ont sans doute été grisés par la possibilité de détrôner enfin les partis pivots de la vie politique belge qu’étaient jusqu’ici les sociauxchrétiens, flamands (C.V.P.) et francophones (P.S.C.).

Par ailleurs, il ne faut pas négliger l’aptitude particulière des Belges à échafauder des compromis dans une démocratie qui relève incontestablement plus de la pratique du consensus que de la confrontation idéologique. Malgré les craintes du grand blocage qui tenait du jeu à se faire peur, chacun, surtout parmi les responsables politiques, ne savait-il pas qu’il faudrait malgré tout continuer à cohabiter dans un même Etat, quitte à renégocier les règles de vie en commun?

Vers une amélioration de la structure fédérale

Le volet institutionnel de l’accord de gouvernement fédéral est donc particulièrement intéressant à analyser. On n’y trouve cependant qu’un peu plus d’une page consacrée au « renouveau institutionnel et démocratique » sur les trente et une que compte le texte.

Le ton de ces quelques lignes commençant par un rappel des exigences de la loyauté fédérale se veut volontairement apaisant : « il faut améliorer la construction de l’Etat fédéral belge pour éliminer définitivement les tensions communautaires et assurer des relations harmonieuses entre nos régions et communautés ».

Pour atteindre cet objectif, il est proposé de créer une « Conférence intergouvernementale et interparlementaire du renouveau institutionnel » présentée comme « un espace serein pour analyser les mécanismes de fonctionnement actuel de l’Etat, permettre d’anticiper sur les solutions à trouver à ceux-ci pour un meilleur fonctionnement des institutions de l’Etat fédéral ».

Fédérations volume 1, numéro 2, janvier 2001

Composée de représentants des gouvernements et parlements du pouvoir fédéral, des régions et des communautés et dirigée par une double présidence linguistique, cette instance est chargée d’une double mission :

  • d’abord, « concrétiser les propositions unanimes et poursuivre la recherche de convergences sur les problèmes décelés » dans un rapport adopté avant les élections par la Commission des affaires institutionnelles du Sénat (seconde chambre du parlement fédéral belge censée assurer, tant mal que bien, la participation des régions et communautés);

  • ensuite, régler une série de questions diverses dont les plus importantes sont le transfert aux régions des règles organiques des communes et provinces qui dépendent encore aujourd’hui du pouvoir fédéral, l’extension de l’autonomie constitutive des Régions et Communautés et l’amélioration des contacts directs entre les autorités régionales et communautaires avec l’Union européenne.

Ce bref catalogue d’intentions peu précises relève à l’évidence du souci de retoucher les institutions existantes pour en améliorer le fonctionnement plutôt que d’approfondir la réforme de l’Etat par une nouvelle étape qui viendrait s’ajouter aux quatre précédentes (1970, 1980, 1988-89, 1993).

La délicate question de la fiscalité

Le dossier institutionnel a ainsi été encommissionné pour éviter que la formation d’un nouveau gouvernement fédéral n’achoppe sur cette question.

Cependant, la nouvelle coalition a été obligée d’affronter la problématique du financement des entités fédérées, en particulier celui des Communautés en charge de l’enseignement qui pose du coté francophone d’inextricables difficultés depuis le début des années 1990.

Un important accord politique a été conclu à ce sujet en octobre 2000. Tandis que les Communautés obtiennent des moyens supplémentaires et voient enfin leur dotation indexée sur la croissance économique, l’autonomie financière des régions se trouve renforcée.

Outre la suppression des limites jusqu’ici imposées à leurs compétences pour ce qui concerne la fixation de la base et du taux des impôts régionaux, leur possibilité d’accorder des augmentations ou des réductions sur l’impôt sur le revenu des personnes physiques jusqu’à présent restée lettre morte, fait l’objet de précisions destinées à la rendre opérationnelle. Les variations pourront intervenir dans une marge de 3,25% à partir de 2001 et de 6,75% à partir de 2004 sans diminuer la progressivité de l’impôt et sans pouvoir provoquer une concurrence fiscale déloyale.

Un nouvel équilibre qui se concrétisera par l’adoption d’une loi spéciale appelée à entrer en vigueur le 1er janvier 2002, s’instaure ainsi dans l’une des matières les plus délicates de la réforme de l’Etat.

Un fédéralisme durable

Il est désormais clair que le principal facteur d’évolution du fédéralisme belge est devenu la répartition des richesses entre des entités fédérées connaissant des évolutions divergentes : alors que le Nord flamand jouit d’une phase de prospérité, le Sud francophone continue à se débattre dans une situation économique difficile.

En contrepartie du refinancement des Communautés qui permettra aux Francophones de sauvegarder leur système d’enseignement, la Flandre a obtenu un certain accroissement de l’autonomie fiscale à laquelle elle aspire.

Bien que les principales négociations se soient déroulées au sein du gouvernement fédéral et non dans le cadre de la Conférence créée à cet effet, le fédéralisme belge écartelé entre les velléités flamandes d’une plus grande autonomie des entités fédérées et les craintes des Francophones de voir l’existence même de la fédération finalement remise en cause, confirme son caractère évolutif.

Dans ce processus, l’importance du dernier accord de gouvernement fédéral tient à une phrase aussi lapidaire que fondamentale : l’une des missions de la Conférence du renouveau institutionnel est « de formuler des propositions aux grands problèmes à venir en matière de fonctionnement de l’Etat fédéral dans toutes ses composantes, partant du principe de la solidarité interpersonnelle ».

Celle-ci trouve un écho dans la partie de l’accord gouvernemental consacrée à la sécurité sociale selon laquelle « le gouvernement entend moderniser la sécurité sociale et rencontrer de nouveaux besoins. Il veut en garantir les moyens nécessaires avec comme seul but de maintenir un système

d’assurance et de solidarité interpersonnelle ».

Alors que le contentieux entre Flamands et francophones se focalise en grande partie sur la question des transferts financiers Nord-Sud au sein de la fédération, une réaffirmation de ce principe est absolument fondamentale.

La revendication flamande de disposer de compétences nouvelles en matière de soins de santé et d’allocations familiales a en effet été interprétée par les Francophones comme une remise en cause de la solidarité interpersonnelle que la sécurité sociale instaure entre tous les habitants de la fédération belge indépendamment de leurs appartenances communautaire et régionale.

Personne ne doute cependant que les revendications flamandes pour plus d’autonomie émises en 1999 reviendront à l’ordre du jour des prochains gouvernements fédéraux.

* * *

La survie de la Belgique dans une Europe dont le degré d’intégration pourrait dans certains cas déboucher sur une remise en cause de l’existence même de l’Etat comme cadre institutionnel au profit des régions qui le composent, dépendra alors de la capacité de ses dirigeants à combiner subsidiarité au profit des entités fédérées et solidarité entre les habitants de la fédération au-delà de la frontière linguistique.

Fédérations volume 1, numéro 2, janvier 2001