La violence de l’ETA et le Pays basque : le fédéralisme représente-t-il une solution?

PAR GURUTZ JAUREGUI

système d’autonomie régionale fédéral de gouvernement. De nature Le problème du territoire implanté par le gouvernement espagnol complexe et ambiguë, il déclenche

Géographiquement, la région basque a eu des retombées extrêmement positives constamment des conflits entre les chevauche les territoires espagnol etsur le Pays basque. Le recouvrement de deux paliers de gouvernement.

français. Dans la conception traditionnelle,l’identité basque connaît un progrès Au lieu d’énumérer des pouvoirs, la le nationalisme basque aspirait à laremarquable. Le système n’a toutefois Constitution répartit les fonctions. Dans création d’un état indépendant couvrantpas pu résoudre le « problème basque ».

plusieurs secteurs, la Constitution décrit tout le territoire.

Le conflit qui oppose séparatistes basques

les fonctions des régions autonomes en

et Espagne a occasionné des centaines Cette division territoriale France-Espagne

les diluant par des termes comme « dans

de morts, ainsi que d’innombrables crée des frictions, mais la question des

le cadre de » ou « selon » (d’autres

souffrances. limites territoriales de la région basque

autorités). Résultat : le gouvernement

au sein de l’Espagne provoque aussi des La répartition des pouvoirs, le territoire fédéral adopte des règlements, directives controverses.

et le droit à l’autodétermination sont les et contrôles qui réduisent principales, mais non les seules, sources considérablement les pouvoirs Selon le Statut d’autonomie, les actuelles de conflits entre la région basque des régions autonomes. provinces d’Alava, de Guipúzcoa et de et le gouvernement espagnol. Vizcaya constituent la région basque;

Les régions ne peuvent pas vraiment

il fait aussi mention de la Navarre, sans

participer à l’ensemble des activités

Répartition des pouvoirs toutefois préciser si elle fait ou non partie

gouvernementales fédérales. Le Sénat

de cette région. Pour les nationalistes devrait, en théorie, représenter lesLa constitution espagnole de 1978 basques, la Navarre fait partie intégrante

différents territoires, mais, en fait, ce

introduit un système qui répartit le de la patrie basque.

sont les partis politiques nationaux

pouvoir entre les dix-sept communautés autonomes. Ce système hybride se trouve qui le dominent. Le nationalisme basque est toutefois à mi-chemin entre les modèles régional et très faible en Navarre. C’est pourquoi les

e Pays basque, qui, s’étendant du golfe de Gascogne aux basque et persécuté ceux qui tentaient de préserver la langue Pyrénées, chevauche l’Espagne et la France, compte quelque et la culture basques. 2,5 millions d’habitants.

En 1978, après la mort de Franco et l’avènement de la démocratie Des peuples de langue basque habitaient la région à l’époque en Espagne, le gouvernement espagnol a adopté une nouvellede l’invasion romaine, mais il semblerait que leurs ancêtres y constitution; celle-ci stipule que l’État espagnol est indivisible, et aient vécu au temps de l’homme de Cro-Magnon. met en place un système de régions autonomes. La Communauté

autonome du Pays basque (les provinces d’Araba, de Bizkaia, et La langue basque, l’Euskara, est unique, et les chercheurs de Gipúzkoa), et la Navarre forment deux de ces régions. se révèlent incapables d’établir des liens de parenté avec d’autres langues. L’Euskara fait partie intégrante de l’identité La Communauté autonome du Pays basque possède un parlement nationale basque. élu doté de pouvoirs 1égislatifs, un président élu, et sa propre force

policière. Elle jouit de pouvoirs de taxation, et le parlement basqueAu Moyen Âge, les Basques formaient le groupe dominant du nomme des représentants au Sénat espagnol. Royaume de Navarre. Suite à la dissolution de la Navarre dans les années 1500, les Basques étaient assujettis aux gouvernements Quelques partis politiques et organisations basques ont rejeté la espagnol et français. En Espagne, le Pays basque bénéficiait d’une constitution de 1978 et revendiqué une indépendance politique autonomie notable grâce au système de fueros, qui garantissait lestotale pour le Pays basque. Le plus important d’entre eux, c’est lois et coutumes locales contre toute ingérence de l’État. À la suite le groupe militaire ETA (acronyme désignant la patrie et la liberté des guerres carlistes (1833–39 et 1874–76), les fueros étaient abolis. basques), et son aile politique, Herri Batasuna (Parti populaire).

Durant la guerre civile espagnole, les Basques ont opposé une Depuis 1968, l’ETA a perpétré des attaques terroristes telles résistance farouche aux fascistes, et ont énormément souffert qu’assassinats et attaques à la bombe pour arriver à ses fins, après la victoire des forces franquistes. Le régime centralisateur faisant près de 800 morts. L’année 2000 s’est avérée et homogénéisateur de Franco a fait disparaître toute autonomie particulièrement violente : dix-neuf personnes ont trouvé

la mort dans ce conflit.

Fédérations volume 1, numéro 2, janvier 2001

politiciens navarrais ont résolu non pas de se joindre au Pays basque, mais de créer leur propre communauté autonome.

Et il ne s’agit là que de quelques problèmes entourant la délimitation du territoire basque.

Le droit à l’autodétermination et l’Union européenne

Pour les nationalistes basques, le principal problème politique vient de ce qu’ils exigent la reconnaissance du droit du peuple basque à l’autodétermination. Même si, en théorie, ce droit pourrait se traduire sous diverses formes politiques — autonomie, fédéralisme, confédération, état indépendant, etc. — les nationalistes basques ont toujours associé l’autodétermination au droit à un état national indépendant.

Mais la mondialisation est en train de remplacer rapidement les frontières classiques, perçues comme des lignes de démarcation, par le nouveau concept de frontières comme points de rencontre privilégiés pour la coopération internationale. On remet ainsi en question la conception classique de la souveraineté.

Les relations internationales ne sont plus seulement l’affaire des états-nations, mais elles concernent aussi d’autres institutions et organisations, en particulier, les institutions régionales, qui occupent une place de plus en plus grande dans cette nouvelle Europe.

Compte tenu de ces changements, quels seront le contenu et la forme du droit à l’autodétermination au 21e siècle? Est-il possible de substituer à la notion d’un état basque souverain et indépendant celle d’une région basque conservant son identité propre au sein de l’Union européenne?

Il s’agirait donc d’intégrer la société basque à l’Europe plutôt que de l’en exclure, comme c’est souvent le cas avec un nationalisme radical. Les forces politiques tant nationalistes que nonnationalistes adopteraient facilement une politique visant à accorder à la région basque une présence institutionnelle adéquate au sein de l’Union européenne.

Ainsi, suivre l’évolution des institutions de l’Union européenne pourrait régler définitivement le « problème basque ». En permettant au Pays basque de participer davantage au processus de construction de l’Europe, on désamorcerait les conflits les plus graves.

Des pays européens comme l’Allemagne, l’Autriche et la Belgique ont réussi à régler des problèmes semblables grâce à des stratégies adaptées aux circonstances. En Allemagne, où il existe un fédéralisme parfaitement symétrique entre les divers Länder homogènes, les décisions sont prises par le biais de relations multilatérales et symétriques entre gouvernement et Länder. En Belgique, où cohabitent virtuellement deux « nations » dans le même pays, les relations sont bilatérales.

En ce qui concerne l’Espagne, la mise en place des communautés espagnoles autonomes tire son origine de deux sources principales : régionalisme et nationalisme.

Le régionalisme se fonde sur le principe de l’efficacité organisationnelle—la répartition des pouvoirs entre unités administratives.

Le nationalisme vise à demander ou à garantir le principe de la « différence ».

Pour garantir l’efficacité, il faut établir des relations multilatérales ou symétriques entre les unités constituantes.

Pour garantir la « différence », il est parfois nécessaire d’établir des relations bilatérales, asymétriques entre les divers groupes autonomes.

En Espagne, pour garantir les deux, il faut établir un système fédéral asymétrique, combinant au multilatéralisme quelques relations bilatérales.

* * *

Dans l’histoire contemporaine, indépendance politique et nationalisme sont intimement liés. Toutefois, avec le nouveau millénaire et la nouvelle Europe, les états-nations se transforment profondément : on assiste à un changement graduel du pouvoir en faveur des nouvelles structures supranationales.

Deux possibilités s’offrent à la région basque : soit de revendiquer un état indépendant, la méthode classique, soit de revendiquer que les collectivités territoriales locales, telles que la région basque, participent à la construction de l’Europe à côté des états.

En ce moment, la région basque comporte plusieurs divisions politiques

Repères chronologiques du conflit basque

1937 Occupation du Pays basque par Francisco Franco, qui fait disparaître l’autonomie basque et persécute les Basques

1959 Création de l’ETA

1968 Premier assassinat politique de l’ETA

1973 Assassinat par l’ETA de l’Amiral Luis Carrero Blanco, premier ministre espagnol

1975 Décès de Francisco Franco

1978 Approbation par le gouvernement espagnol d’une nouvelle constitution, qui met en place l’autonomie régionale

1978 Création de l’aile politique de l’ETA, Herri Batasuna

1979 Adoption par l’Espagne du Statut d’autonomie, qui fixe les modalités de l’autonomie basque

1995 Tentative manquée d’assassinat contre José Maria Aznar, chef de l’opposition (maintenant premier ministre)

1997 Assassinat par l’ETA d’un conseiller basque, ce qui provoque un tollé de protestations en Espagne contre la violence de l’ETA

1997 Emprisonnement de 23 membres de Herri Batasuna pour collaboration avec l’ETA

1998 Déclaration par l’ETA d’un cessez-lefeu de durée indéterminée

1999 Première et unique rencontre entre le gouvernement espagnol et l’ETA

1999 Suspension par l’ETA du cessez-lefeu après 14 mois.

2000 Dix-neuf morts violentes en rapport avec ce conflit

(communauté autonome basque en Espagne, Navarre, région basque en France). Il est aujourd’hui impossible de réclamer l’intégration de la Navarre ou l’unification des régions espagnole et française. Il est beaucoup plus approprié d’imaginer des outils de coopération conçus pour résoudre les problèmes mutuels (dans des secteurs comme l’économie, la culture ou la technologie), dans le cadre du respect mutuel et de l’autonomie.

En fait, on attache beaucoup trop d’importance aux solutions politiques, et l’on néglige les aspects sociaux, économiques et tout simplement humains. Or, un pays n’évolue pas uniquement par l’exercice de son pouvoir politique; les relations sociales, culturelles et économiques en définissent aussi la nature. L’Europe naissante offre des solutions neuves et originales à la région basque et aux autres communautés désireuses d’avoir plus d’emprise sur les facteurs qui influencent leur vie.

Fédérations volume 1, numéro 2, janvier 2001