PAR JAMES LORIMER régime fédéral post-apartheid de provinces et a réussi à former un dans les faits, des « législations cadres ».
l’Afrique du Sud est en état de perpétuel changement. Alors que certaines factions exercent des pressions en vue de décentraliser davantage le pays, d’autres réclament une centralisation accrue. Pour leur part, les analystes sud-africains ne savent toujours pas quelle tendance l’emportera sur l’autre.
Dans les faits, on est en droit de se demander si l’Afrique du Sud est bel et bien régie par un régime fédéral.
Selon le professeur Harold Rudolph de l’Université de Witwatersrand, il est faux d’affirmer que l’Afrique du Sud est un état réellement fédéral, puisqu’aucune des compétences accordées aux neuf gouvernements provinciaux ne s’avère exclusive.
« En bout de ligne, c’est toujours le gouvernement central qui prend le dessus, » affirme Harold Rudolph.
La plupart des analystes sont d’avis que cette définition du fédéralisme est trop exigeante et ne tient pas compte des pratiques courantes qui permettent aux provinces de prendre leurs propres décisions en matière de santé, d’éducation et d’autres secteurs de moindre importance.
Quoi qu’il en soit, le gouvernement central n’a pas hésité à imposer avec fermeté son pouvoir au cours des six années depuis l’instauration d’un régime démocratique en Afrique du Sud.
Le pouvoir du Congrès national africain (ANC)
La lutte opposant le gouvernement central à d’autres sièges de pouvoir soulève plusieurs problèmes litigieux.
Le gouvernement au pouvoir en Afrique du Sud, soit le Congrès national africain (ANC), jouit actuellement d’une forte majorité au sein du parlement. En outre, il exerce un plein contrôle sur sept des neuf gouvernement de coalition avec la huitième province.
La structure et le mode de fonctionnement traditionnels de l’ANC favorisent une hiérarchie centralisée qui, de l’avis des journalistes, a clairement profité de la propension du président Thabo Mbeki à une forte domination centrale.
Les récents événements politiques semblent confirmer cette opinion, au fur et à mesure qu’on éloigne du pouvoir les mouvements démocratiques populaires locaux et que le Comité exécutif national de l’ANC ou l’une de ses formations auxiliaires, le Comité des réaffectations, s’affairent à nommer des candidats à des postes de direction provinciaux ou métropolitains. En plus de combler des postes politiques, le Comité des réaffectations désigne des membres du gouvernement pour gérer des ministères ou des sociétés para-gouvernementales comme la société nationale de l’électricité et la société nationale des chemins de fer.
L’analyste Thabo Rapoo, du Centre for Policy Studies de Johannesburg, qualifie de « plutôt superficielle » la perception selon laquelle le gouvernement de Mbeki cherche à tout centraliser.
Thabo Rapoo souligne les efforts soutenus du gouvernement de la province de Kwazulu Natal pour obtenir le droit de récolter des impôts et la permission d’établir des zones de gestion des exportations. La province de Kwazulu Natal est administrée par le principal parti d’opposition, soit le Parti de libération Inkatha, qui est aussi le plus important parti a avoir établi une coalition avec l’ANC.
Le professeur Jonathan Klaaren de la faculté de droit de l’Université de Witwatersrand est du même avis. Selon lui, l’affirmation selon laquelle on assiste à une centralisation accrue n’est pas tout à fait vraie. Il précise que plusieurs éléments des lois du parlement national constituent, Dans ces cas, le gouvernement central a fixé des normes, tout en laissant aux provinces le soin de régler les détails.
Thabo Rapoo souligne le nombre réduit de fois où le gouvernement central est intervenu, fort de ses pouvoirs constitutionnels, au niveau de fonctions assignées aux provinces.
Un événement particulièrement intéressant en ce sens est survenu en 1998, alors que le gouvernement central est intervenu pour prendre en main le versement des pensions dans la province du Cap de l’est. Cette mesure résultait de l’incompétence et du manque d’organisation du gouvernement provincial, qui privaient un grand nombre de personnes âgées de leur pension. Le gouvernement national justifiait son intervention en invoquant une section de la constitution lui permettant d’intervenir à l’échelle d’une province si cette dernière ne remplissait pas toutes ses obligations constitutionnelles. Le gouvernement de Prétoria expédiait des responsables dans la province pour superviser les activités de bien-être social jusqu’à ce que les autorités provinciales puissent reprendre le contrôle et effectuer le travail de façon plus efficace.
Un cadre fédéral et un parti dirigeant centralisateur
Colin Eglin, un politicien d’expérience et membre du Parti démocratique, un groupe d’opposition à tendance libérale et fédéraliste, est convaincu que le parti au pouvoir intègre une certaine tendance à la centralisation. Ayant étroitement collaboré à la rédaction de la constitution de l’Afrique du Sud, Colin Eglin croit toutefois que la constitution permet de modérer cette tendance. Il ajoute que l’ANC n’a pas engagé de démarches pour modifier la constitution et pour favoriser la centralisation des pouvoirs.
Selon Colin Eglin, le point de tension tient au fait qu’en tant que mouvement
Fédérations volume 1, numéro 2, janvier 2001
politique, l’ANC tend plus vers la centralisation que la constitution. Mais puisque la constitution reflète les négociations menées avec des partis politiques voués aux fédéralisme, l’ANC a dû faire des compromis et accepter un régime qui affiche plus de caractéristiques fédéralistes que voulu.
L’encadrement d’un parti dirigeant à tendance centralisatrice dans une structure fédéraliste a miné, dans une certaine mesure, les mesures constitutionnelles élaborées visant à protéger les droits des provinces.
C’est ainsi, par exemple, que tous les fonctionnaires du parti au pouvoir sont nommés ou congédiés par le centre et qu’ils suivent tout naturellement les ordres émanant du siège social.
Il existe un facteur plus puissant encore qui alimente la poussée vers le centre, soit l’incompétence flagrante de plusieurs gouvernements provinciaux qui n’arrivent pas à établir les infrastructures et à assurer les services d’aide sociale nécessaires aux plus graves victimes du régime de l’apartheid. En outre, l’expulsion de la fonction publique de fonctionnaires compétents de race blanche au profit de candidats d’autres races, conformément à la politique de « transformation » du gouvernement, a contribué à aggraver la situation.
La constitution a prévu la création d’une institution ayant pour fonction de donner une voix décisionnelle aux provinces, soit le Conseil national des provinces (la chambre haute du parlement). Mais jusqu’à présent, cette initiative s’est soldée par un échec. Selon Thabo Rapoo, ceci tient au fait que l’administration est faible et que les membres choisis viennent surtout de provinces régies par un gouvernement de même parti que le gouvernement central. Par conséquent, la chambre haute conteste rarement l’opinion des membres de la chambre basse.
La chambre haute s’est montrée quelque peu dissidente sous la présidence de Mosiuoa Lekota, un vaillant partisan de l’ANC aux opinions bien arrêtées. Toutefois, le rôle naissant de Lekota comme « conscience du gouvernement » a subitement pris fin lorsque, dès son élection, le président Mbeki lui a confié le porte-feuille de la défense au sein du cabinet fédéral.
Cette situation fait ressortir les lacunes d’un régime fédéral dominé par un seul parti. Elle illustre aussi en quoi le fédéralisme peut ne pas convenir lorsqu’un gouvernement n’attire pas un nombre suffisant de personnes compétentes pour assurer son bon fonctionnement.
Les forces qui jouent en faveur de la décentralisation
Un examen plus minutieux révèle toutefois que ces poussées politiques et pratiques vers le centre ne sont pas les seuls facteurs à considérer pour évaluer la santé du fédéralisme en Afrique du Sud.
Certaines forces entrent aussi en jeu pour faire contrepoids.
Le camp des « décentralisateurs » regroupe les deux plus importants partis d’opposition pro-fédéralisme, l’Inkatha et le Parti démocratique. Même si les démarches engagées en vue d’octroyer plus de pouvoirs aux provinces n’ont pas encore porté fruit, la quête de pouvoirs des provinces est toujours à l’ordre du jour national.
Plus important encore, le régime actuel, qui accorde tout de même certaines compétences aux provinces, a engendré un intérêt réel envers le parti au pouvoir qui pourrait bien profiter d’un accroissement des pouvoirs provinciaux.
La démarche vers la décentralisation du parti au pouvoir a pris un certain recul depuis que le président Mbeki a succédé à Nelson Mandela. Thaboo Rapoo croit toutefois qu’il s’agit d’une illusion. Selon lui, le gouvernement du président Mbeki tend simplement à ne pas afficher au grand jour les signes de dissension. Ainsi, rien n’indique que les premiers-ministres réclament moins de pouvoirs qu’avant, même s’ils ne font pas de grandes déclarations en ce sens à la presse.
Regardant vers l’avenir, le professeur Klaaren croit que les provinces sudafricaines commenceront à s’affirmer davantage lorsqu’elles se rendront compte que le régime est encore assez ouvert pour considérer leur quête de décentralisation.
« Dans bien des cas, ce sont les gouvernements provinciaux qui contrôlent l’étape clé entre l’adoption des politiques par le gouvernement central et la mise en oeuvre de ces politiques », ajoute Klaaren.
Au fur et à mesure que les provinces obtiendront plus de pouvoirs et deviendront plus confiantes, elles découvriront que ce rôle constitue une occasion unique d’interpréter à leur avantage les politiques du gouvernement central.
Le rôle des villes
Il importe aussi de surveiller de près la croissance des régions métropolitaines nouvellement constituées, en particulier les six « méga-villes », car elles pourraient bien abriter un centre parallèle des pouvoirs. Contrairement aux provinces, ces grandes villes ont le droit de générer des revenus et leurs budgets sont souvent plus imposants que ceux des administrations provinciales.
Même si on leur accorde peu de pouvoirs comme tel, les « méga-villes » jouent un rôle si important dans la vie quotidienne de millions de personnes qu’elles finissent par détenir assez de pouvoirs pour combler la structure de législation gouvernementale. En ce sens, il importe de surveiller de près les villes et les conseils de district où les partis d’opposition jouissent de solides appuis politiques.
Colin Eglin croit que cette réorientation du pouvoir à l’échelon local finira par prendre plus d’importance. Il souligne que les entités locales et provinciales régies par le parti au pouvoir signalent déjà leur désir de contester l’imposition, par l’administration fédérale, de candidats à des postes élus aux plans provincial et local.
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Laissons à Colin Eglin le soin de clore en partageant sa vision à long terme. Pour qu’un régime fédéral arrive à fonctionner comme il faut, indique-t-il, les philosophies des divers partis politiques doivent refléter la philosophie fédéraliste contenue dans la constitution du pays. À son avis, on n’observe aucun consensus du genre en Afrique du Sud à l’heure actuelle.
Il n’en croit pas moins qu’éventuellement, les forces centrales et les forces régionales pourraient finir par emprunter le même sentier ou, du moins, une piste semblable. Ceci se produira, conclut Colin Eglin, à un rythme bien naturel, c’est-à-dire au fur et à mesure que les forces décentralisatrices inhérentes au régime arriveront à s’affirmer.
Fédérations volume 1, numéro 2, janvier 2001