Le contexte économique dans lequel évoluent les entreprises brésiliennes s’est radicalement transformé suite à la régularisation et à l’ouverture de l’économie brésilienne, dans les années 1990, et aux changements dans les relations internationales— la mondialisation.

À l’heure actuelle, l’obstacle à surmonter, c’est la réforme du système fiscal, qui ne convient pas à la nouvelle réalité du pays.

Quatre fléaux importants attaquent le système fiscal du Brésil :

Presque toutes les études récentes sur la concurrence fiscale dans les fédérations en arrivent à la conclusion que cette dernière pratique est malsaine. Il existe de nombreuses preuves des ravages de la guerre fiscale au Brésil dans le financement de l’État; cette guerre nuit aussi à l’harmonie et à la coopération au sein de la fédération.

Une fédération inégale

Les écarts de revenus entre les états brésiliens sont assez considérables. Le produit intérieur brut (PIB) par tête est plus de trois fois supérieur dans la région du sud-est que dans le nord-est; le PIB par tête de l’état le plus riche, São Paulo, est sept fois supérieur à celui du plus pauvre, Tocantins.

À première vue, les politiques industrielles décentralisées relèvent d’un désir légitime des gouvernements d’état d’augmenter chez eux le niveau d’emplois, la production et les revenus.

Pour tout état, il semble avantageux d’accorder des mesures d’incitation fiscale pour attirer et conserver les investissements.

Si l’on suppose que, sans ces avantages fiscaux, les entreprises choisiraient de ne pas s’établir dans l’état en question, les mesures d’allégement fiscal n’occasionnent pas vraiment de pertes au niveau des recettes de l’état.

Et, outre leur influence directe sur la création d’emplois et la production, ces nouvelles entreprises renforcent l’activité économique en créant encore plus d’emplois et de revenu, et, bien entendu, de recettes fiscales.

Les mesures d’incitation fiscale des états constitueraient un excellent moyen de développement si l’histoire s’arrêtait là. Le hic c’est que, quand un état a du succès, il se voit imiter par d’autres et une guerre fiscale éclate.

La dynamique de la guerre fiscale

La guerre fiscale a, entre autres caractéristiques, une tendance à engloutir tous les joueurs. Les entreprises qui bénéficient des incitatifs fiscaux jouissent d’un avantage sur leurs concurrents des autres états. Ceux-ci menacent souvent de déménager dans l’état qui accorde les incitatifs à moins que l’état dans lequel ils se trouvent leur accorde des avantages comparables.

Bientôt, pour éviter ce risque, les états s’engagent dans la guerre.

Lorsque la guerre fiscale s’est propagée, les grandes entreprises sont en mesure d’instituer une sorte d’« encan » pour choisir leur emplacement, espérant ainsi obtenir des avantages supplémentaires. Il arrive même qu’elles retiennent un emplacement pour stimuler la concurrence et conclure une meilleure entente avec l’état choisi.

À mesure qu’il devient difficile d’attirer de nouveaux investisseurs, la politique d’incitation des états se fait plus acérée; des fonctionnaires se rendent dans les autres états pour inviter les entreprises à se réimplanter.

Le conflit au sein de la fédération s’accentue.

La diffusion de la pratique en diminue l’efficacité. Les revenus chutent dans tous les états. Puisqu’on a également réduit les impôts partout, les états finissent par perdre le pouvoir d’inciter la réimplantation de la production. Les entreprises ont alors tendance à choisir leur emplacement en ne tenant compte que des conditions de marché et de production.

Les dépenses augmentent et les recettes fiscales diminuent, si bien que les états financièrement faibles, qui sont aussi les moins développés, ne peuvent offrir les services et travaux publics nécessaires pour attirer de nouveaux investisseurs du secteur privé.

Vers la fin de la guerre fiscale, les états plus développés remportent toutes les batailles. Les écarts—déjà très grands au Brésil—ont naturellement tendance à s’amplifier.

Prévenir la guerre fiscale

Depuis 1975, il est illégal pour les états de réduire la taxe à la valeur ajoutée pour attirer les nouveaux investisseurs (sauf si tous les états approuvent la réduction prévue). Mais on ne respecte pas la loi, et, au cours des dernières années, la guerre fiscale s’est même intensifiée.

Il serait possible, en modifiant les règles d’imposition applicables au commerce entre états, d’obtenir des résultats que la loi n’a pas réussi à produire.

Fédérations volume 1, numéro 3, mars 2001

Pour la quasi-totalité des entreprises s’installant dans un état à cause des incitatifs fiscaux, l’essentiel de leurs marchés se trouve ailleurs. Si ces entreprises se trouvaient dans un pays de l’Union européenne, et leur marché dans un autre, les gouvernements ne pourraient accorder d’incitatifs fiscaux sur la taxe à la valeur ajoutée, car le taux d’imposition sur les exportations d’un pays membre à un autre est nul.

Mais au Brésil, on taxe les ventes entre états en vertu du système de taxe à la valeur ajoutée de l’état, l’ICMS. La taxation du commerce entre états est à la source d’incitatifs fiscaux, qui consistent en un remboursement déguisé des frais d’ICMS, généralement sous la forme d’un prêt à long terme à intérêt faible ou nul.

Pour mettre fin à cette pratique, il faudrait attribuer les recettes fiscales provenant du commerce entre états à l’état auquel sont destinés les biens plutôt qu’à celui qui les produit. On limiterait ainsi l’effet des incitatifs fiscaux pour attirer des investisseurs. Les incitatifs ne joueraient que dans la mesure où les biens produits dans un état donné sont vendus dans le même état.

L’adoption du principe de destination augmenterait aussi le potentiel de revenus des états moins développés, où l’on tend à consommer davantage qu’à produire, en plus de résoudre d’autres problèmes liés au processus fiscal actuel entre états.

Par ailleurs, l’instauration du principe de destination avec taxe nulle sur les ventes entre états, comme dans l’Union européenne, ne serait pas sans exacerber d’autres carences importantes du système de taxe à la valeur ajoutée au Brésil— évasion fiscale excessive et concurrence déloyale coûteuse.

Il vaudrait donc mieux mettre en place le principe de destination en taxant au même taux les échanges commerciaux internes et externes de l’état.

Réforme fiscale comme question d’ordre constitutionnel

Redéfinir le système fiscal brésilien est une tâche extrêmement ardue.

Depuis la proclamation de la république et l’adoption du fédéralisme, en 1889, toutes les constitutions brésiliennes ont précisé quels impôts peut prélever chaque palier de gouvernement. Depuis 1965, les dispositions constitutionnelles définissent aussi les caractéristiques principales et parfois détaillées de certains impôts.

Pour modifier la structure du système fiscal, et même les caractéristiques de certains impôts—l’ICMS, par exemple—, il faut donc nécessairement un

amendement constitutionnel.

L’approbation d’une proposition d’amendement donne lieu à des négociations politiques difficiles dans le cadre d’un processus législatif long et complexe.

Toute proposition visant à amender la constitution, présentée à l’une des Chambres du Congrès, est d’abord soumise à son comité « constitution et justice », qui doit certifier sa constitutionnalité!

(Hé oui! Au Brésil, un amendement constitutionnel peut être inconstitutionnel!).

Ensuite, un comité spécial, nommé à cette fin, étudie ses qualités. Il accepte, rejette ou modifie la proposition. Si elle est approuvée, sa version originale ou modifiée est présentée à la commission plénière, où elle peut encore être modifiée.

Pour que la proposition obtienne l’approbation de la Chambre, elle doit recueillir la faveur d’au moins 3/5 des membres, et ce, dans les deux tours de scrutin. La proposition approuvée, qui peut différer totalement de la version originale, est ensuite présentée à l’autre Chambre, où un processus semblable a lieu. S’il y a modification, elle retourne à la première Chambre pour une dernière ronde de négociations politiques.

Une tentative de réforme

En 1995, on a mis en marche un processus constitutionnel de réforme fiscale, qui fut presque immédiatement interrompu, puis réintroduit en 1999.

La réforme fiscale envisagée ciblait principalement les impôts fédéraux en cascade, excellentes sources de revenu et d’aberrations en tout genre, et l’ICMS, une taxe si confuse que peu de gens se rendent compte qu’il s’agit—à l’origine du moins—d’une taxe sur la valeur ajoutée (TVA).

La réforme proposée suggère de :

  • remplacer l’ICMS, la taxe municipale existante sur les services (une « taxe sur le chiffre d’affaire ») et la taxe fédérale sur les biens industrialisés (une TVA partielle) par une « TVA double » ;

  • remplacer les impôts fédéraux en cascade par un impôt non cumulatif ;

  • mettre en place le « principe de destination » pour le commerce entre états, tel qu’expliqué précédemment.

Réforme en suspens

La proposition, débattue en 1999, a obtenu 35 voix favorables sur un total de 36 dans le comité spécial chargé de l’étudier. Néanmoins, le ministère des Finances et plusieurs gouvernements d’état, surtout les plus engagés dans la guerre fiscale, s’y sont fortement opposés.

Cette opposition, qui indique que la proposition n’aura pratiquement aucune chance d’être approuvée à la commission plénière de la Chambre des représentants (et encore moins au Sénat!), a interrompu le processus et relancé le débat.

Pour en arriver à un consensus sur le contenu de la réforme fiscale, on a formé une commission tripartite (Congrès et gouvernements du centre et des états).

Mais, en mars 2000, les négociations ont abouti à une impasse; on a envoyé la proposition à la commission plénière et interrompu le processus législatif. La proposition de réforme fiscale de 1999 repose maintenant au fond d’un tiroir du Congrès national, et ce, à tout jamais peut-être.

* * *

Malgré tout, la réforme fiscale brésilienne n’est pas morte. Ceux qui ont connu les à-coups des réformes antérieures sont prêts à parier qu’il ne s’agit que d’une autre prolongation, et que le processus va redémarrer… peut-être même au cours du premier semestre de 2001.

Le plus tôt sera le mieux, car si la réforme fiscale s’arrête ici, non seulement la guerre fiscale va-t-elle continuer de troubler les relations fédératives, mais les investissements demeureront aussi en deçà de leur niveau potentiel, et la croissance économique stagnera.

Fédérations volume 1, numéro 3, mars 2001