Le tribunal constitutionnel allemand conteste le principe de « solidarité »

PAR PAUL BERND SPAHN

y a deux ans, trois Länder de Dans les faits, les discussions entourant intergouvernementaux en Allemagne l’Allemagne du Sud (Bade-Wurtemberg, la péréquation s’inscrivent dans un débat (voir l’encadré ci-dessous). Bavière et Hesse) décidaient de contester qui vise à établir jusqu’où l’Allemange doit

Puisque les impôts sur le revenu sontla constitutionnalité du système d’accords pousser l’intégration d’une pratique que répartis en proportions fixes entre divers fiscaux intergouvernementaux de les Européens qualifient de « solidarité niveaux de gouvernement, on réalise unl’Allemagne. interrégionale ».

certain équilibre entre les Länder et le Leur mécontentement à l’endroit du système Est-il possible de promouvoir cette gouvernement fédéral (équilibre fiscal de péréquation interétatique tenait au fait « solidarité » sans produire du même vertical) en variant la portion de taxe à qu’il intègre une trop large redistribution des coup des incitatifs aux effets néfastes? valeur ajoutée (TVA) allouée aux Länder. richesses et engendre des incitatifs négatifs. Cette façon de faire est dictée par les lois

Si le tribunal n’a pas répondu à cette

fédérales et s’effectue en collaboration avecDans un jugement rendu le 11 novembre question, il s’est tout de même penché les Länder, par l’entremise du Bundesrat (le1999, le tribunal constitutionnel allemand avec grand sérieux sur les aspects Sénat allemand, qui constitue la deuxièmestipulait que la loi sur la péréquation techniques du mécanisme de fiscalité chambre du parlement formée dess’avérait « transitoire », précisant qu’elle intergouvernementale.

représentants désignés des gouvernementsdevait être progressivement éliminée Landiques).

jusqu’à dîsparaître le premier janvier 2005.

Des mécanismes de partage

Tenant pour acquis l’atteinte d’un équilibre Ce jugement justifie, dans une certaine des richesses au service de fiscal entre divers niveaux de gouvernement,mesure, un minutieux examen de la la Fédération allemande il faut ensuite franchir trois étapes pourphilosophie générale qui sous-tend la Pour arriver à évaluer le jugement du réaliser l’équilibre fiscal horizontal :Constitution allemande et encourage une tribunal, il est essentiel de saisir la

discussion plus poussée sur les rapports la répartition régionale de la taxe sur

nature globale des rapports fiscaux

fiscaux entre les gouvernements. la valeur ajoutée;

Coup d’œil à la constitution fiscale allemande Le mécanisme de péréquation horizontale comprend trois volets:

Les taxes sont essentiellement uniformes et les recettes fiscales Premier volet : La répartition des trois quarts de la part des

sont souvent réparties entre divers niveaux de gouvernement. Länder est fonction de la population. L’autre quart est versé aux Cette réalité s’applique à 75 pour cent environ du revenu total. Länder qu’on juge « financièrement vulnérables ». Ces Länder Les formules de partage visent à équilibrer des ressources ont droit à des transferts supplémentaires provenant de la TVA, fiscales entre les niveaux de gouvernement (péréquation ce qui accroît leur potentiel fiscal par habitant au moins jusqu’à

verticale) et à niveler les disparités qui affectent le potentiel 92 pour cent de la moyenne. fiscal des diverses régions (péréquation horizontale).

Deuxième volet : On retrouve un mécanisme de péréquation

En ce qui a trait à la désignation de l’impôt sur le revenu, horizontale particulier qui permet d’atteindre de manière la constitution se montre extrêmement rigide : la moitié « fraternelle » un taux quelconque de péréquation régionale des recettes va à la fédération et l’autre moitié est remise aux entre les Länder, puisque les Länder « riches » compensent les

Länder (avec une certaine participation des municipalités). La Länder « pauvres » par le biais de transferts financiers. L’accent répartition horizontale souscrit au principe de résidence (avec est mis sur la capacité d’imposition (comme au Canada), une formule de répartition pour l’impôt des sociétés). On assure ignorant totalement ou presque les charges spécifiques. une « compensation équitable » entre les divers niveaux de

Troisième volet : Il est ici question des subventions verticales gouvernement en divisant verticalement la taxe sur le chiffre asymétriques, soit des subventions fédérales supplémentaires.

d’affaires, dont l’allocation est régie par une loi fédérale que Alors que ces transferts étaient insignifiants auparavant, ils le Bundesrat (le Sénat allemand) doit approuver.

sont devenus très populaires depuis l’unification, en particulier La dernière révision du système de péréquation verticale les « subventions concrètes pour combler les lacunes ». remonte à 1992, soit l’année où les accords fiscaux

Ces dernières garantissent 99,5 pour cent au moins de la intragouvernementaux (entrés en vigueur en 1996) ont capacité fiscale moyenne de tous les Länder. De plus, neuf commencé à s’appliquer aux Länder de l’Est. Par conséquent, Länder sur seize reçoivent des subventions fédérales pour la portion de la TVA allouée aux Länder a augmenté couvrir les coûts de « gestion politique », alors que les nouveauxconsidérablement, d’où l’importance de conclure une entente Länder de l’Est (et certains homologues de l’Ouest) obtiennent consensuelle avec les Länder de l’Est. À l’heure actuelle, la des subventions fédérales liées à leurs « charges spéciales ».

portion fédérale de la TVA s’établit à 50,5 pour cent.

  • un plan de redistribution interrégionale;

  • des subventions fédérales asymétriques.

Le tribunal constitutionnel a noté l’absence de critères précis visant à définir le mode de redistribution des richesses entre diverses compétences. Il a également réclamé une plus grande transparence sur le plan de la péréquation fiscale entre les Länder comme tel, et entre les Länder et le gouvernement fédéral.

La péréquation verticale

En ce qui a trait au partage des ressources entre le fédéral et les Länder, la constitution demande à chaque niveau de gouvernement de définir les « dépenses nécessaires » et exige une « juste compensation » entre les compétences. Le tribunal juge ces conditions réalisables, à condition d’utiliser des données statistiques objectives et de procéder à une planification à moyen terme.

Malheureusement, ces bons souhaits sont probablement illusoires.

En effet, il est impossible de comparer les besoins du gouvernement fédéral en matière de défense et les besoins d’un Land en matière d’éducation sans poser de jugements de valeur. Il est plus facile d’établir des « critères de besoins » entre des entités aux responsabilités comparables à l’échelle infranationale. Il est parfaitement plausible, par exemple, d’adopter des normes régissant l’allocation de ressources pour l’éducation élémentaire (nombre d’enfants d’âge scolaire; rapport élèvesenseignant) entre les Länder.

Dans une première réaction (en septembre 2000) au jugement du tribunal, le gouvernement fédéral proposait de fonder le partage des recettes de la taxe à valeur ajoutée sur un exercice de planification financière auquel participeraient régulièrement les Länder.

En outre, le ministère des Finances jugeait redondante, à cette fin, une « loi sur les normes générales ». Le mécanisme actuel de partage des recettes de la taxe à valeur ajoutée permettrait de ratios de couverture semblables entre les « revenus actuels » et les « dépenses nécessaires » pour chaque niveau. Ceci garantirait du même coup une compensation équitable.

Par ailleurs, le ministère a jugé utile un mécanisme qui permet de rééquilibrer automatiquement la portion de la taxe sur la valeur ajoutée. Mais on ne sait pas encore comment établir les critères de gestion applicables à un tel mécanisme.

La péréquation horizontale entre les Länder

Le jugement du tribunal porte essentiellement sur la péréquation entre les Länder. La constitution allemande oblige les législateurs à prendre les mesures nécessaires pour aplanir les disparités entre les capacités financières des divers Länder. Ceci tient compte des ressources financières actuelles plutôt que de l’écart qui existe entre les revenus et les besoins particuliers au chapitre des dépenses.

La constitution a adopté un étalon qui oblige à tenir compte du nombre d’habitants dans le calcul des paiements de péréquation aux divers Länder.

Dans sa décision, le tribunal critique le recours actuel à la pondération de la population comme moyen d’exprimer des charges précises dans certains cas, comme celui des villes-Länder. Le tribunal a réclamé l’adoption d’un procédé d’équilibrage scientifique fondé sur des données précises. Mais ni le gouvernement fédéral ni les Länder n’ont ressenti le besoin d’agir.

Par ailleurs, le tribunal questionne la pertinence de certains éléments faisant partie des « charges précises » (les ports par exemple) qui se sont immiscés dans le système de péréquation de Land-à-Land. Le tribunal affirme que ces éléments doivent être abrogés ou appliqués plus globalement à partir de solides critères statistiques.

Ici, le tribunal note l’existence d’un véritable dilemme constitutionnel.

D’une part, la constitution exige que le partage des ressources entre la fédération et ses Länder passe par une approche quantitative objective. (Selon plusieurs experts, une telle approche pourrait être irréalisable.)

D’autre part, la constitution précise que la population constitue le critère unique à considérer dans la répartition des ressources entre les Länder (alors qu’en principe, une approche fondée sur les besoins pourrait être réalisable).

Toutefois, compte tenu de la tradition allemande, il semble peu probable qu’on ait un jour recours à des critères plus précis au niveau des besoins (comme c’est le cas en Australie).

De fait, le gouvernement fédéral se dit prêt à soustraire de sa formule de péréquation les éléments « afférents aux besoins », comme la disposition relative aux ports. Il veut cependant conserver le facteur de pondération favorable aux villes-Länder, précisant qu’il faut tenir compte de certaines particularités inhérentes à la formule. À l’avenir, ces particularités seraient néanmoins fondées sur des critères plus fiables et plus objectifs.

Par ailleurs, le tribunal réclame une interprétation plus large de la « capacité financière », qui constitue le seul critère de distribution applicable à la péréquation entre les Länder. En plus des recettes fiscales, il faudrait tenir compte des autres revenus non marchands des compétences (comme les redevances et les droits de concession). Il faudrait également inclure l’ensemble des ressources financières municipales (qui représentent actuellement 50 pour cent des éléments de capacité financière des Länder).

Le gouvernement fédéral semble accepter la requête du tribunal de calculer la capacité financière d’un Land de façon plus globale.

Mais les Länder payeurs n’ont pas dit leur dernier mot. Certains, surtout les plus riches « contestataires », perdraient probablement certaines ressources si l’on procédait ainsi.

L’intervention fédérale

Le tribunal s’est montré particulièrement sévère à l’endroit des subventions de péréquation fédérales.

Il a clairement indiqué que les subventions fédérales devaient constituer des cas d’exception et des mesures transitoires ayant pour but de soulager les pressions financières qui s’exercent sur des Länder particuliers.

À l’heure actuelle, l’effet d’égalisation des subventions fédérales sur le potentiel fiscal par habitant (99,5 pour cent de la moyenne de Land pour tous les Länder) s’avère important. Ces subventions ont même des effets pervers, puisque les Länder plus pauvres peuvent parfois atteindre un taux de potentiel fiscal plus élevé que celui des Länder riches.

Le tribunal semble avoir limité le degré de péréquation par habitant à 95 pour cent de la moyenne. Le gouvernement fédéral devra donc réduire le nombre et l’importance des subventions qu’il verse.

La première réaction du Ministère des Finances a été d’annoncer l’abolition des subventions fédérales visant à réduire les coûts de la

gestion politique.

Les Länder secoués par une crise budgétaire pourront continuer d’obtenir des subventions pendant une période de temps limitée et selon une échelle régressive. Les Länder admissibles devront préparer un plan de réorganisation financière ayant force obligatoire. Il reviendra au gouvernement fédéral et aux Länder d’assumer ensemble le fardeau de telles subventions, en fonction de leurs dépenses.

Somme toute, le jugement du Tribunal constitutionnel allemand suppose un examen en profondeur de la loi allemande actuelle sur la péréquation. Cela dit, les juristes allemands n’ont pas l’intention d’abolir entièrement le modèle actuel. Sans doute tenteront-ils plutôt de limiter les modifications à quelques révisions mineures, dans la mesure du possible.

Dans l’Allemagne du nouveau millénaire, le concept de solidarité intrarégionale, qui suppose la plus grande égalité économique possible au sein de la fédération, continue de séduire la culture politique, nonobstant les pressions inhérentes à l’unification.

Fédérations volume 1, numéro 3, mars 2001