Llibert Cuatrecasas de Catalogne,

défenseur des régions au sein de la nouvelle Europe

Llibert Cuatrecasas est le secrétaire général des Affaires européennes du Gouvernement catalan. Dans le cadre ses fonctions, il est président du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux de l’Europe du Conseil de l’Europe, ainsi que vice-président de la Chambre des Régions.

M. Cuatrecasas a assumé la présidence du récent Groupe de travail « Régions à pouvoir législatif » qui se déroulait à Barcelone au mois de novembre 2000. Fédérations a discuté avec lui du rôle des régions à pouvoir législatif au sein de la nouvelle Europe.

Fédérations : Pouvez-vous décrire le rôle du Groupe de travail « Régions à pouvoir législatif »?

M. Cuatrecasas : Il s’agit d’un groupe de travail mis sur pied par la Chambre des Régions du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux de l’Europe. Au fur et à mesure de l’évolution de la région européenne, on s’est rendu compte que la situation des régions à pouvoir législatif s’avérait différente sur les plans politique et légal. C’est probablement au sein de l’Union européenne que cette situation légale particulière est la plus apparente.

En quoi les situations légales des diverses régions diffèrent-elles?

Dans le cas des régions sans autorité législative, les pays membres doivent immédiatement se conformer aux décisions et aux directives exécutoires de l’Union européenne. Leurs parlements n’ont pas l’autorité voulue pour rejeter ces directives car en vertu du traité de l’Union européenne, elles doivent s’appliquer immédiatement.

Les décisions qui sont prises au niveau de l’UE s’appliquent également aux régions sans autorité législative. Dans ces cas, c’est le gouvernement national qui adopte les lois et ce sont les régions qui les appliquent grâce à leurs pouvoirs locaux.

Les choses se passent différemment au sein des régions dotées d’une autorité législative, surtout lorsqu’elles jouissent de compétences exclusives. Dans ces cas, c’est la région, plutôt que le gouvernement national, qui adopte la loi nécessaire pour se conformer à une décision de l’UE.

Ceci entraîne la création d’un fédéralisme de fait, c’est-à-dire une hiérarchie de règlements affectant les trois niveaux : l’UE, les nations et les régions.

Après avoir établi le groupe de travail, l’une des premières tâches était d’identifier de la façon la plus institutionnelle possible le point de vue des régions comme groupe. Voilà pourquoi que nous avons organisé le Groupe de travail

Avez-vous fixé des objectifs précis pour l’avenir?

Trois objectifs ont été fixés dans le cadre de la Déclaration finale de la conférence :

La Déclaration demande aux gouvernements nationaux d’Europe d’être plus attentifs aux régions dotées d’une autorité législative. Elle demande aussi aux gouvernements nationaux de permettre à ces régions de participer pleinement à la vie du pays.

La Déclaration reconnaît que les circonstances diffèrent d’un endroit à l’autre. La situation n’est pas la même en Allemagne et en Autriche ou encore en Belgique, en Italie ou en Espagne.

La prochaine réunion aura lieu au cours de la seconde moitié de l’an 2001 et se déroulera dans la partie francophone de la Belgique. Entre-temps, le groupe de travail continuera de discuter des enjeux.

Le Conseil de l’Europe est-il de moins en moins pertinent?

Non. On disait souvent qu’une fois l’Union européenne établie, les fonctions du Conseil de l’Europe pourraient être progressivement abolies. Mais depuis la

Fédérations volume 1, numéro 3, mars 2001

l’Espagne, sont conscients qu’ils doivent modifier certaines structures pour mieux refléter un modèle nettement fédéral.

Ce type de fédéralisme doit reconnaître l’énorme diversité qui caractérise l’Europe et qu’aucun Européen ne veut délaisser.

Il va de soi que les pays hautement régionalisés considèrent des régimes comme ceux de l’Allemagne ou de l’Autriche— des pays où le fédéralisme est très développé et accommode bien des situations—comme des structures dont ils peuvent s’inspirer pour trouver des solutions à leurs propres problèmes.

En quoi la mondialisation et la quête d’unité en Europe affectent-ils l’image des régions administratives?

Il est difficile de répondre à cette question à l’heure actuelle, car nous vivons un moment décisif dans l’histoire de la Communauté européenne.

Beaucoup dépend des mesures qui seront prises pour établir concrètement cette Europe unie. Le ministre allemand des Affaires étrangères parle toujours de doter l’Europe d’une constitution. Un jour ou l’autre, nous devrons nous pencher sur cette question.

Par contre, il est intéressant de noter que les personnes qui contestent le plus la notion d’une constitution européenne sont parfois les Allemands. Pourquoi? Parce qu’ils jouissent de pouvoirs réels et de compétences exclusives qui leur permettent d’adopter leurs propres politiques et lois. Et puisque le système législatif de la fédération allemande est déjà très structuré, les Allemands ne veulent pas que la Communauté européenne leur enlève cet acquis.

Cette idée inquiète beaucoup les Allemands depuis quelques années puisque leur mécanisme d’élaboration de politiques suppose une si grande participation qu’ils sont assurés, à toutes fins pratiques, d’appuyer ce que la fédération allemande choisira éventuellement de faire.

Pour le reste, nous devrons attendre la suite des événements.

Croyez-vous que les nations européennes soient appelées à relever des défis différents de ceux qui se posent à d’autres nations?

Ces défis peuvent sembler un peu différents parce qu’en Europe, on constate depuis très longtemps une poussée générale en faveur de l’unité européenne. De fait, le nationalisme européen fait bon ménage avec le sentiment d’unité européenne.

La nation-État qui s’est développée au cours du 16e ou 17e siècle a peut-être rempli une fonction de simplification valable à un moment donné mais aujourd’hui, un tel régime ne peut mener qu’à l’appauvrissement.

Je crois que le monde actuel s’ouvre de plus en plus aux grands marchés. Quiconque refuse de faire partie d’un marché qui englobe 300 millions de personnes ou plus aura bien des problèmes à se défendre.

Même les États-Unis constituent un marché relativement restreint. En Amérique, on a ressenti le besoin de créer l’ALENA, qui a récolté plus de succès que prévu. C’est mieux pour le Canada et le Mexique.

En Amérique latine, on a eu quelques difficultés à instaurer Mercosur, mais cela supposait un revirement complet des mentalités par rapport à ce qui existait auparavant entre divers pays d’Amérique latine. Mercosur a le potentiel de constituer un très grand marché et la capacité de s’organiser ainsi. Je crois que les pays d’Amérique latine peuvent y parvenir.

Bien sûr, la situation actuelle en Europe diffère passablement de la situation dans d’autres parties du monde. Mais en bout de ligne, ces différences peuvent être aplanies si le reste du monde arrive à se consolider davantage.

Une rencontre de ce genre pourrait-elle se dérouler ailleurs?

Oui, pourquoi pas? Il importe de mettre nos expériences en commun. Si nous, les Européens, pouvons présenter notre propre expérience en modèle, le Canada, dont le cas est bien connu, les États-Unis et l’Amérique latine peuvent sûrement faire de même.

Selon le président de l’UE, l’avenir pourrait bien prendre la forme d’un régime régional. Cela suppose-t-il la dissolution des gouvernements nationaux?

Non, je ne crois pas. S’il existe avec une délégation claire des pouvoirs, les trois niveaux s’avèrent nécessaires. Le gouvernement national joue un rôle essentiel, notamment parce qu’il garantit la sécurité publique et l’égalité des droits et des obligations. Il serait donc difficile de l’éliminer. À long terme, l’Union européenne pourrait en arriver à offrir de telles garanties mais les choses ne fonctionnent pas ainsi pour l’instant.

Fédérations volume 1, numéro 3, mars 2001