L’Inde établit trois nouveaux états

PAR HARIHAR BHATTACHARYYA

fédération de l’Inde a pris un virage linguistiques. Ainsi, avant même que le gouvernement de l’Inde à fonder la important au mois de novembre 2000, l’indépendance se fasse, cet engagement Commission de réorganisation des états lorsqu’elle a procédé à la création de trois soulevait l’intérêt des groupes ethniques en 1953 et, suivant les recommandations nouveaux états. et des nationalités envers l’autonomie. des membres de cette Commission, à

La création de nombreux mouvements adopter la Loi sur la réorganisationMême s’il n’est pas courant d’établir de nationalistes pro-souveraineté remonte des états en 1956.

nouveaux états en Inde, l’évènement à cette période.

n’est pas rare pour autant. Il s’inscrit dans Cette loi a poussé l’Inde à entreprendre, une longue tradition indienne axée sur la en 1956, une première réorganisation

Une période de changements

« réorganisation des états ». majeure de ses états pour des raisonsdynamiques avant tout linguistiques. Les nouvelles unités fédérales ont été créées pour

La langue... fondement de Au moment de la création de la garantir que les nouvelles bornes des

l’esprit national république de l’Inde en 1950, le pays états respectaient davantage les frontières

regroupait 27 états, tous dotés de pouvoirs

La création d’états en fonction de la langue linguistiques

et de statuts différents.

reflète un engagement et des exigences Depuis 1956, l’Inde a engagé un processus

enracinés dans les mouvements nationaux Lors de la première grande réorganisation plus ou moins continu de réorganisation

anti-coloniaux de l’Inde. Le concept même territoriale de 1956, on réduisait à 14 le étatique. La plupart du temps, la création

du fédéralisme indien illustre cette vision. nombre d’états, en se basant surtout sur de nouveaux états a tenu compte

des critères linguistiques, puis on attribuaitAu début des années 1900 déjà, le d’attributs linguistiques et ethno-régionaux.

à chacun les mêmes droits et les mêmesprincipal parti à réclamer l’indépendance Tout au long des années 50 et 60, c’est le

fonctions.

de l’Inde, le Congrès national de l’Inde critère de la langue qui a dominé, à une (CNI), appuyait le concept des états Depuis, la création de nouveaux états a exception près, soit le cas du Punjab (en linguistiques. Dès 1920, il endossait toujours servi à refléter la riche diversité 1966), où on a combiné des facteurs officiellement cette requête en du pays. linguistique et religieux. réorganisant ses propres unités de

Le premier état établi pour des motifs Dans les années 70, c’est le nord-est de parti sur la base de frontières linguistiques au cours de la période post-l’Inde (qui regroupe maintenant sept

linguistiques régionales. indépendance a été l’Andhra Pradesh en unités fédérales) qui a fait l’objet d’une Une fois acquise l’indépendance, les 1953, ainsi nommé en l’honneur de son réorganisation majeure. Trois nouveaux nationalistes s’engageaient à réorganiser chef légendaire, Sri Ramalu, dont le jeûne états ont été créés pour mieux reconnaître l’Inde en fonction des particularités prolongé a entraîné la mort. Ceci a incité la réalité d’une identité tribale. Dans les

Aperçu des mécanismes institutionnels · réduire le territoire d’un état quelconque;

· modifier les frontières d’un état quelconque;

Les dispositions de la Constitution de l’Inde relatives à l’établissement des états s’avèrent relativement souples. · et modifier le nom d’un état quelconque.

Du point de vue constitutionnel, la fédération de l’Inde est La seule obligation légale qui incombe au Parlement consiste l’union indestructible d’états destructibles. La constitution de à obtenir un vote majoritaire simple dans le cadre du processus l’Inde (articles 3 et 4) accorde au Parlement de l’Union, formé législatif normal. Il faut toutefois obtenir une recommandation du Lok Sabha (la chambre basse élue par le peuple) et du Rajya présidentielle avant d’introduire une telle loi, et le président doit Sabha (le Conseil des états), le pouvoir de réorganiser les états soumettre le projet de loi à l’assemblée législative de l’état affecté en vue d’ajuster son territoire. par les changements proposés avant d’acheminer sa

recommandation. Toutefois, rien n’oblige le président à Le Parlement peut, en vertu de la loi :

accepter le point de vue de l’assemblée législative de l’état.

· établir un nouvel état en divisant le territoire d’un état

Jusqu’à maintenant, plus de vingt lois ont été promulguées parquelconque ou en unissant deux états ou plus, ou des parties

les parlements pour rendre exécutoires les réorganisations d’états.d’états, ou en unissant un territoire quelconque à une partie

Dans le cas des trois nouveaux états, on a respecté les formalitésd’état quelconque;

constitutionnelles. Les membres des assemblées législatives de · accroître le territoire d’un état quelconque; ces états ont examiné pendant plusieurs années les propositions de changement et les projets de loi avant d’y consentir.

années 80, trois autres états ont vu le jour (deux dans le nord-est et un dans le sud-ouest).

Une façon d’établir un état consiste à accorder un statut plus élevé à un « territoire de l’Union ». Il existe présentement au sein de la fédération sept territoires de l’Union de dimensions et d’importances variées. Les territoires de l’Union sont administrés directement par le gouvernement central.

Traditionnellement, les territoires de l’Union ont souvent été précurseurs de nouveaux états indiens. Les groupes ethniques d’une certaine importance occupant un territoire donné ont souvent réclamé la promotion d’un territoire de l’Union au statut d’état, y voyant un moyen d’accéder à une plus grande souveraineté. De fait, un état souverain suppose plus de pouvoirs autonomes et une plus grande liberté d’action au sein de la fédération.

Les pressions qui s’exercent pour accéder au statut d’état s’inscrivent dans une quête de décentralisation et d’autonomie qui vise à protéger l’identité et à favoriser le développement.

De nouvelles bases à l’appui de la création des états

L’établissement de trois nouveaux états, soit le Chhatisgarh (à partir du Madhya Pradesh), le Jharkhand (à partir du Bihar) et l’Uttaranchal (à partir d’Uttar Pradesh), a suivi le modèle conventionnel de réorganisation des états indiens.

Mais la langue, symbole identitaire traditionnel, n’y a joué qu’un rôle très mineur.

Le processus engagé pour établir le Chhatisgarh à partir de l’état du Madhya Pradesh s’est avéré pacifique, contrairement aux événements entourant le retranchement de l’Uttaranchal et du Jharkhand. Des mouvements en faveur du statut d’état, comme celui qui a pris forme au Chhatisgarh, existent depuis les années 60 environ.

Lorsque l’état d’appartenance du Madhya Pradesh a été créé en 1956, très peu de pressions furent exercées en vue d’établir l’état du Chhatisgarh, même s’il était notoire que les habitants de la région affichaient une culture distincte.

Ce sont les anciens Malgujasa, de riches paysans qui récoltaient les impôts fonciers au nom des Maratha (dirigeants indigènes) et des gouverneurs britanniques, qui ont lancé le mouvement en faveur du Chhatisgarh et qui cherchent maintenant à affermir leur pouvoir numérique au sein d’un nouvel état.

Le fait que les deux principaux partis politiques, soit le Congrès et le parti Bharatiya Janata (le plus proche partenaire du gouvernement de l’Alliance démocratique nationale de l’Inde) aient intégré la création du Chhatisgarh à leur plateforme électorale depuis 1993 en dit long sur les enjeux politiques en cause. Mais c’est le parti au pouvoir dans l’état d’appartenance, le Congrès, qui a joué le rôle le plus actif dans l’établissement du nouvel état et qui est le premier bénéficaire politique immédiat d’une telle mesure.

Le nouvel état d’Uttaranchal a été formé à partir des régions montagneuses du nord de l’Uttar Pradesh, l’état le plus populeux de l’Inde (140 millions d’habitants environ en 1991). Pour la première fois, c’est l’intégration de préoccupations écologiques à l’identité ethnique qui a eu le plus de poids dans les arguments en faveur d’un état.

L’établissement de l’état d’Uttaranchal constitue le point culminant du mouvement pro-état qui, pendant dix ans, a attisé l’ardeur des habitants des collines. Ces derniers réclamaient l’autonomie pour les aider à solutionner des problèmes de développement économique et pour protéger une identité culturelle distincte enracinée dans l’écologie particulière de la région. Somme toute, c’est l’absence de développement dans les collines qui a donné le ton à cette quête.

La création de l’Uttaranchal a donné aux montagnards minoritaires d’Uttar Pradesh des institutions politiques qui leur ont permis de devenir un peuple majoritaire et de jouer un rôle actif dans leur propre gouvernement.

Par contre, l’état du Jharkhand est né des réclamations centenaires de divers peuples tribaux de Bihar désireux de protéger leur identité propre, de gérer eux-mêmes leur développement régional et d’obtenir un état bien à eux.

Les fondements ethniques du nouvel état sont complexes, car même si les groupes tribaux ont commencé à affermir leur identité tribale il y a plusieurs décennies, ces derniers ne sont plus majoritaires au sein de cet état « bien à eux ». Ils n’en constituent pas moins un élément important.

Au-delà des affiliations tribales, on a aussi tenu compte, lors de la création de l’état du Jharkhand, du sous-développement régional et du sentiment de privation des habitants. Mais à l’instar du Chhatisgarh et de l’Uttaranchal, la question de la langue n’est pas entrée en jeu dans l’établissement de l’état.

La création d’un état peut-elle favoriser la démocratie?

Le paysage culturel et social de l’Inde est parsemé de mouvements en faveur de la souveraineté étatique. Ces mouvements sont ancrés dans la quête identitaire des collectivités, y compris les suivants :

· Harit Pradesh dans l’Uttar Pradesh de l’ouest;

· Vindhyachal au Madhya Pradesh;

· Telengana dans l’Andhra Pradesh;

· Vidarbha au Maharashtra;

· Kodagu au Karnataka;

· Gorkhaland et Kamtapuri au Bengale de l’ouest;

· et Bodoland dans l’Assam.

Depuis la décolonisation de l’Inde, sa structure fédérale s’est assouplie pour mieux accommoder politiquement des besoins nés de la diversité. À défaut de réaliser la pleine souveraineté, les états ont eu recours à diverses mesures institutionnelles, comme les conseils de district ou de région, les territoires de l’Union et les unités d’états ou de sousétats associés, pour répondre aux plaintes des groupes ethniques. Mais dans bien des cas, les mouvements en faveur de la création d’un état sont nés de l’insatisfaction envers ces mesures institutionnelles.

L’Inde est un vaste pays dont la diversité complexe est jumelée à des déséquilibres régionaux, des inéquités économiques et sociales et une pauvreté généralisée.

La souveraineté étatique offre un cadre institutionnel qui, misant sur l’autonomie et la décentralisation, favorise le développement et protège l’identité. Les trois nouveaux états jouent le rôle d’intermédiaires entre le gouvernement de base populaire, qui a pris une envergure considérable en Inde depuis les années 80, et le gouvernement fédéral au sommet.

Malgré tout, c’est l’ampleur concrète de possibilités et de pouvoirs démocratiquement dévolus aux diverses strates sociales qui déterminent l’efficacité réelle du statut d’état des secteurs défavorisés.

Fédérations volume 1, numéro 3, mars 2001