La dévolution des pouvoirs en Grande-Bretagne : un pas vers le fédéralisme?

PAR MELANIE A. SULLY

1997, le Parti travailliste de Tony Blair Du même coup, l’Union confirmait accordaient un mandat déterminé

remportait une écrasante victoire aux urnes grâce à un programme englobant des réformes constitutionnelles radicales. Ces réformes préconisaient une dévolution des pouvoirs vers l’Écosse et le pays de Galles.

La Grande-Bretagne possède l’un des régimes les plus centralisés d’Europe. Par conséquent, les pressions en vue d’obtenir plus d’autonomie face à Londres s’amplifiaient, allant jusqu’à menacer l’unité même du Royaume-Uni.

Dans un tel contexte, la « dévolution » est un processus qui permet de transférer des pouvoirs sans éroder pour autant la suprémacie du Parlement. Peu après son accès au pouvoir, le gouvernement de Tony Blair mettait au point un programme de dévolution intégrant la création d’un Parlement écossais habilité à percevoir les impôts et d’une assemblée dotée de pouvoirs considérablement moindres au pays de Galles.

Aux yeux du Parti conservateur, ces propositions marquaient le début de la « balkanisation » de la Grande-Bretagne, en plus d’entraîner la fragmentation et d’enflammer le débat. Les Conservateurs craignaient également que la décentralisation engendre un contrecoup réactionnaire en Angleterre, tout en alimentant la haine et les passions nationalistes.

La filière écossaise : ancrée dans l’histoire

L’histoire confirme que les rapports entre l’Écosse et l’Angleterre ont toujours été tendus et que les conflits sur le commerce et le protectionnisme colonial sont monnaie courante.

En 1707, dans le but d’assurer la prospérité du pays, les signataires de l’Acte d’Union établissaient le nouveau royaume de Grande-Bretagne. Ceci entraînait l’intégration des parlements anglais et écossais et garantissait leur coreprésentation à Westminster.

l’autonomie de l’église presbytérienne, des universités et du système juridique de l’Écosse. D’autres clauses de l’Union prévoyaient que les deux pays seraient assujettis aux mêmes impôts, qu’ils auraient une monnaie commune et qu’ils jouiraient des mêmes droits commerciaux, ce qui allait permettre aux négociants écossais d’accéder aux riches marchés coloniaux.

À la fin du dix-neuvième siècle, on établissait un bureau écossais. Depuis, les membres du cabinet comptent généralement un secrétaire écossais. De plus, les Écossais faisaient valoir leur point de vue au sein des comités parlementaires chargés d’examiner les lois écossaises.

Pendant le règne de Margaret Thatcher, les juristes, les représentants des églises, des partis politiques, des entreprises et des groupes ouvriers d’Écosse ont conçu une Réclamation de droit pour garantir « le droit souverain du peuple écossais de déterminer le type de gouvernement répondant le mieux à leurs besoins ». Les membres de cette convention constitutionnelle écossaise publiaient un rapport où ils recommandaient la création d’un parlement écossais distinct. Cette proposition allait influencer le programme du Parti travailliste.

En 1997, le gouvernement nouvellement élu de Tony Blair publiait un livre blanc qui portait sur la dévolution de l’Écosse et qui prévoyait l’établissement d’un parlement à Edimbourgh. Ces projets étaient soumis à l’assentiment du peuple écossais par voie de référendum et ils récoltaient un solide appui. Les trois-quarts des répondants votaient en faveur d’un parlement écossais et près des deux tiers endossaient la proposition sur le pouvoir de taxation.

Un parlement fort différent de celui de Westminster

En 1999, les Écossais se dotaient d’un parlement de 129 membres et leur de quatre ans. Ce parlement varie grandement de celui de Westminster à plusieurs égards. D’une part, au lieu de souscrire au modèle de confrontation « gouvernement-opposition » traditionnel, il favorise le consensus. De l’autre, son premier ministre (un premier ministre écossais) est élu par tous les membres du parlement à l’aide d’un système de vote électronique moderne.

Le mode d’élection des membres diffère également de celui de Westminster. Chaque votant écossais a droit à deux votes pour déterminer la composition du parlement écossais, l’un pour élire le représentant de sa circonscription, l’autre pour élire un membre à partir de listes de partis. Ainsi, 73 membres sont élus directement, alors que 56 autres sont choisis selon le système de représentation proportionnelle des membres supplémentaires (fondé sur le modèle allemand).

Le parlement écossais jouit de pouvoirs considérables dans divers domaines, y compris les suivants :

  • la santé, l’éducation et la formation;

  • la loi, la police et les prisons;

  • le développement économique, les pêches et la foresterie;

  • les normes alimentaires et les permis d’alcool;

  • la protection des animaux et l’agriculture;

  • l’environnement;

  • le logement et les transports;

  • les sports, les arts et le tourisme;

  • les gouvernements locaux.

Londres conserve ses pouvoirs dans divers « domaines réservés », y compris les affaires étrangères, la défense, la sécurité, le contrôle frontalier, les politiques économiques et sociales, la sécurité dans les transports, la législation sur

Fédérations volume 1, numéro 3, mars 2001

l’emploi, les marchés communs des biens et services du Royaume-Uni, les questions d’éthique telles que l’avortement et la fertilité humaine—ainsi que la constitution.

Ce dernier domaine s’avère particulièrement important, advenant que les Écossais réclament un jour l’indépendance totale.

Le parlement écossais pourrait engager un débat en ce sens mais il ne pourrait pas déclarer l’indépendance unilatéralement.

Une relation complexe

Le cabinet du Royaume-Uni comprend toujours un secrétaire d’État pour l’Écosse. Ce dernier a pour tâche de faciliter la communication entre les deux pays et de représenter les intérêts de l’Écosse dans les secteurs où il n’y a pas de dévolution des pouvoirs.

Westminster continue d’assurer les liens avec l’Europe, même si l’Écosse a son propre bureau de délégués à Bruxelles semblable à ceux des Länders allemands et à ceux d’autres régions dotées de pouvoirs législatifs dans des pays comme l’Espagne et l’Autriche. Les délégués écossais à Bruxelles ont pour tâche de favoriser les rapports directs avec l’Union européenne (UE) et ses institutions, de manière à complémenter le travail de l’exécutif écossais.

En ce qui a trait aux relations internationales, l’Écosse se doit de respecter les traités signés par le Royaume-Uni.

La question de la langue à l’avant-scène au pays de Galles

Une composante du programme de dévolution des pouvoirs de Tony Blair visait la création d’une assemblée galloise spéciale qui n’aurait toutefois pas le droit de percevoir les impôts.

Lors d’un référendum tenu au pays de Galles, le taux de participation s’établissait à 50 pour cent et la moitié à peine des répondants accordaient leur appui au projet. Dans les faits, seulement 25,2 pour cent de l’électorat réel approuvait la proposition. Cet accueil mitigé pourrait s’expliquer du fait que le rôle d’une telle assemblée serait purement consultatif.

Les lois applicables au pays de Galles sont toujours promulguées par Londres, même si la nouvelle assemblée est maintenant habilitée à prendre des décisions en matière de développement économique, d’agriculture, de pêches et d’alimentation, d’industrie et de formation, d’éducation, de gouvernement local, d’environnement, de planification, de transports, d’arts et culture, de langue galloise, d’édifices historiques et de sports et loisirs.

Mais même si elle jouit d’une certaine latitude quant à l’application des lois votées par Londres, Westminster garde la mainmise sur les pouvoirs réservés : les affaires étrangères, la défense, l’imposition fiscale, les politiques économiques globales, la sécurité sociale et la radiodiffusion.

Le processus d’application fonctionne de la façon suivante :

Les lois adoptées par le parlement britannique constituent de lois-cadres. Chaque loi s’élabore en paragraphes qui précisent tous les détails pertinents. C’est à ce niveau que l’assemblée galloise peut, suivant un débat, émettre ses propres règlements

Cela dit, le pays de Galles aimerait avoir assez de pouvoirs pour modifier les loiscadres, comme c’est le cas en Écosse.

Sur le plan de la langue, l’anglais et le gallois jouissent d’un statut égal au sein de l’assemblée. Selon un sondage effectué en 1991, 19 pour cent des habitants disent parler gallois. Les panneaux de signalisation sont bilingues et dans les écoles, la plupart des élèves de cinq à seize ans prennent des cours de gallois.

De fait, la langue constitue la composante majeure du nationalisme gallois. Contrairement à l’Écosse, le pays de Galles ne possède pas son propre système juridique.

Les élections pour constituer l’assemblée ont lieu tous les quatre ans. Elles permettent d’élire au vote majoritaire 40 membres pour représenter les circonscriptions. Vingt autres membres sont élus selon le système de représentation proportionnelle, à partir des listes de partis.

Même si l’expérience est loin d’être terminée, la dévolution des pouvoirs en faveur de l’Écosse et du pays de Galles a déjà modifié considérablement la culture politique britannique. En plus d’accorder au régime politique britannique une dimension quasi-fédérale, elle a favorisé le recours aux référendums et encouragé la réforme des procédés électoraux (comme la représentation proportionnelle).

Mais le vent de la dévolution ne balaie pas avec tant d’ardeur d’autres régions des Îles britanniques. Ainsi, suivant le résultat serré du référendum tenu au pays de Galles, les projets d’assemblées régionales en Angleterre ont été remis à plus tard.

Un fédéralisme en demi-teintes?

À l’heure actuelle, il semblerait que le projet de dévolution des pouvoirs avance en terrain vierge. Certains affirment que la situation actuelle crée plus de problèmes qu’elle n’en résout.

Parmi ces problèmes, une question en suspens que les Britanniques qualifient de « West Lothian Question », à savoir que les membres écossais du parlement de Westminster continuent de mettre leur grain de sel dans les dossiers des Anglais, alors que les députés anglais n’ont aucune influence en Écosse. Il s’agit d’un paradoxe que le chef du Parti conservateur, William Hague, a tenté d’exploiter à l’aide de slogans du genre « des votes anglais, des lois anglaises ».

Dans une large mesure, le mouvement de dévolution était le fruit d’une impulsion spontanée et ne s’appuyait pas sur une solide réflexion intégrant tous les aspects de la réforme constitutionnelle. Il en est résulté une série de pouvoirs dévolus disparates, déséquilibrés et plutôt incohérents quant aux relations avec le centre.

Il se peut que la notion de réforme radicale s’accorde mal avec le tempérament des Britanniques qui, comme le notent les experts constitutionnels « aiment trouver refuge dans une suite de maisons de transition ».

En ce qui touche la notion d’uniformité, la Grande-Bretagne n’a jamais constitué un état unitaire. ll s’agit plutôt d’un état unioniste capable d’accommoder, dans un cadre plurinational, l’identité traditionnelle particulière des Écossais et des Gallois.

Pour l’instant, cette approche de fortune semble avoir dissipé les revendications plus radicales axées sur un système clairement fédéraliste. Mais à long terme, elle pourrait attiser les passions en faveur de réformes plus fondamentales. Une telle situation pourrait causer bien des maux aux autorités londoniennes, qui sont déjà perturbées à l’idée de céder certains pouvoirs, en amont à Bruxelles et, en aval, aux régions.

Fédérations volume 1, numéro 3, mars 2001