Le président Bush annonçait récemment le retrait des États-Unis du Protocole de Kyoto de 1977 sur le changement climatique. Cette décision pourrait bien ébranler les engagements canadiens, qui ont déjà donné lieu à de sérieux affrontements entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux.

En novembre 2000, on constatait une dissension interne au sein de la délégation canadienne à son retour de la 6e Conférence des parties à la Convention de La Haye organisée par les Nations Unies, dont le thème portait sur les changements climatiques. La délégation d’une centaine de membres consistait de fonctionnaires fédéraux, provinciaux et territoriaux, ainsi que des représentants d’entreprises et d’organismes non-gouvernementaux.

Quelques jours après la conférence, la diffusion d’un communiqué signé par le ministre de l’Environnement de l’Ontario, la province la plus riche et la plus peuplée du pays, mettait le feu aux poudres.

Le ministre ontarien se plaignait que le gouvernement fédéral n’allait pas assez loin dans la démarche d’établissement des normes nationales et d’une approche nordaméricaine concertée en matière de changement climatique.

Ces commentaires faisaient suite au refus de l’Ontario d’adopter le « Premier programme national sur le changement climatique » lors d’une réunion mixte des ministres de l’Environnement et de l’Énergie à Québec, un mois avant les événements de La Haye.

Tous les ministres provinciaux et territoriaux de l’Environnement et de l’Énergie, hormis le ministre ontarien, adoptaient ce programme. Ils acceptaient également d’en faire le pivot de la stratégie nationale de mise en œuvre du Canada, qui entend « respecter et reconnaître les compétences juridictionnelles de chaque niveau de gouvernement ».

Une stratégie sur le changement climatique qui sème la discorde

La stratégie nationale incite le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux à prendre des mesures précises pour aider le Canada à atteindre son objectif : réduire les émissions de gaz à effet de serre à un taux inférieur de 6 p.100 au taux de 1990, entre 2008 et 2012.

Les contributions particulières des provinces et des territoires devraient également permettre de réduire encore plus le taux d’émission de gaz à effet de serre.

Le ministre ontarien accuse le gouvernement fédéral de ne pas avoir exigé de plus fortes réductions des émissions transfrontalières lors des pourparlers avec les États-Unis. Ces pourparlers ont abouti à l’entente préliminaire fort attendue de l’Annexe sur l’ozone jointe à l’Accord Canada-États-Unis de 1991 sur la qualité de l’air. L’avenir de cette entente, qui visait à réduire la quantité de smog transfrontalier, est maintenant mise en péril.

L’annexe vise surtout à réduire les taux d’oxyde d’azote et de composés organiques volatils émis par 18 états américains du nord et par les industries primaires énergivores du Canada.

En outre, les états de New York et du Connecticut demandaient récemment au ministre fédéral de l’Environnement de mener une enquête et une évaluation environnementales sur les centrales à charbon de l’Ontario. Cette requête a évidemment envenimé le débat multipartite sur le smog.

Un rapport publié par le ministère fédéral des Ressources naturelles signale que si le Canada maintient le statu quo, l’écart entre les taux d’émissions projetés et la cible fixée à Kyoto sera de 26 pour cent.

L’adoption d’une stratégie nationale de mise en œuvre au sein de la fédération canadienne s’avère particulièrement problématique, dans la mesure où les provinces ne possèdent pas les mêmes programmes de développement économique. De plus, le coût des mesures de lutte contre le gaz à effet de serre varie beaucoup selon les secteurs économiques.

Cette situation présente un défi de taille, compte tenu de la hausse des coûts dans le domaine de l’énergie.

L’histoire récente : les remous de la coopération environnementale

En vertu de la constitution canadienne, l’environnement constitue une responsabilité partagée qu’assument conjointement le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux.Selon certains, il s’agit d’un fédéralisme déséquilibré qui sert avant tout les provinces. D’autres affirment qu’il s’agit d’un secteur où les deux niveaux de gouvernement n’hésitent pas à « se renvoyer la balle ».

Avant les années 70, le dossier de l’environnement suscitait très peu d’interactions entre le fédéral et les provinces.

Mais vers la fin des années 60, le public a manifesté un intérêt sans précédent pour l’environnement. Le gouvernement a réagi avec enthousiasme en adoptant plusieurs lois et en créant, au début des années 70, le ministère fédéral de l’Environnement.

Les provinces s’empressaient alors de voter leurs propres lois et d’établir leurs propres ministères de l’Environnement.

C’est ainsi qu’aujourd’hui, les relations intergouvernementales constituent un élément clé dans la formulation des politiques environnementales.

Depuis les années 60, le Conseil canadien des ministres de l’Environnement (CCME) constitue la principale tribune intergouvernementale traitant des dossiers environnementaux. Ce conseil regroupe le ministre fédéral de l’Environnement, dix homologues provinciaux et trois homologues territoriaux. Les membres du conseil se réunissent au moins une fois par an pour discuter des incidences

Fédérations volume 1, numéro 4, mai 2001

intergouvernementales des politiques environnementales.

Afin de donner aux provinces et aux territoires une perspective nationale, le choix du président responsable des destinées du conseil intergouvernemental varie chaque année et oscille entre les divers gouvernements membres. Le CCME est également homologué à un sous-comité ministériel et possède son propre secrétariat administratif.

Au milieu des années 70, on parvenait à rétablir l’harmonie fédérale-provinciale en signant une série d’ententes bilatérales et en concluant des accords facilités par la Commission mixte internationale (Canada et États-Unis) sur la qualité de la gestion des eaux des Grands Lacs.

Au cours de cette période, les relations paraissaient conviviales, en dépit de certains conflits au sujet des politiques énergétiques liées à la Constitution.

À la fin des années 80, les tensions renaissaient, exacerbées par l’inquiétude de la population face à l’environnement.

Adoptée par le gouvernement fédéral en 1988, la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (LCPE) promettait de remettre au goût du jour les projets de réglementation fédérale dans le domaine de l’évaluation environnementale. Cependant, les gouvernements provinciaux s’y opposaient fortement.

Les relations intergouvernementales continuaient de se détériorer : en effet, les environnementalistes obligeaient le gouvernement fédéral, par voie légale, à effectuer une série d’évaluations d’impacts environnementaux, une activité autrefois confiée aux provinces. Ces évaluations menaçaient la survie d’importants projets de développement économique provinciaux alors en cours.

En 1990, les ministres de l’Environnement signaient d’abord une entente de coopération multilatérale, puis, en 1991, un énoncé de principe sur l’évaluation environnementale favorisant la coordination et la normalisation des procédés d’évaluation environnementale fédéraux et provinciaux.

Le Conseil des ministres de l’Environnement poursuivait son mandat et rédigeait des ententes-types. Celles-ci allaient servir de fondement à plusieurs ententes bilatérales entre le gouvernement fédéral et diverses provinces.

Vers le milieu des années 90, les deux échelons de gouvernement devaient composer avec des budgets réduits et l’indifférence croissante de la population pour les questions environnementales.

Le « projet d’harmonisation » de 1993 souhaitait réorienter les efforts et éliminer les chevauchements et les dédoublements de responsabilités fédérales et provinciales. Cette décision mettait fin à l’acceptation implicite d’un certain chevauchement dans le sillon de l’entente multilatérale sur l’environnement de 1990.

En 1993, il était devenu plus urgent de rationaliser les activités gouvernementales que de relever des défis environnementaux.

Toutefois le gouvernement fédéral souhaitait ramener ce sujet à la table de négociation. Majoritairement francophone, le Québec allait ranimer les efforts de coopération intergouvernementale. (Le Québec s’était retiré de la table en 1988 en signe de contestation à la suite de l’adoption de la Loi sur la protection de l’environnement fédérale).

Le gouvernement fédéral cherchait également à démontrer le bon fonctionnement de son nouveau modèle de « fédéralisme souple ».

Lors de la réunion du Conseil des ministres de l’Environnement, en1996, toutes les provinces signaient une entente de principe. Elles acceptaient de conjuguer leurs efforts en vue d’établir un nouveau cadre de travail multilatéral fondé sur des normes pancanadiennes plutôt que nationales, c’est-àdire des normes non plus imposées par le gouvernement fédéral mais faisant plutôt l’objet de négociations entre les deux niveaux de gouvernement.

Un accord contesté

En 1998, toutes les provinces canadiennes (hormis le Québec), ainsi que les deux territoires, signaient l’Accord pan-canadien sur l’harmonisation environnementale.

Grâce à cet accord, le gouvernement fédéral entendait régler une série de dossiers environnementaux exigeant une coopération intergouvernementale en concluant une série de sous-accords avec un ou plusieurs gouvernements provinciaux ou territoriaux.

Il s’agissait surtout de questions concernant les normes environnementales des produits toxiques, les évaluations et les inspections.

Les groupes environnementaux contestaient vivement cet accord. Ils doutaient qu’un tel accord donne des résultats positifs, en particulier parce que plusieurs provinces avaient considérablement sabré leurs budgets environnementaux.

Les critiques argumentent sur le fait que la mise en œuvre de l’Accord, ajoutée au déclin du Conseil des ministres de l’Environnement, sont autant de symptômes confirmant la baisse très nette d’engagement du gouvernement fédéral et d’importantes provinces envers la protection de l’environnement depuis les dix dernières années.

De plus, divers événements internationaux semblent remettre en cause l’efficacité de l’Accord.

La « fédération environnementale » à l’heure des nouveaux défis

De nombreux nouveaux enjeux exigent une action concertée qui dépasse le mandat institutionnel des ministres, des ministères de l’Environnement et du Conseil des ministres de l’Environnement.

Pour que le cadre de travail multilatéral prévu dans l’Accord d’harmonisation permette de relever efficacement ces nouveaux défis, il serait utile de prévoir une série de sous-accords sur les ententes internationales (ce dont il a été question lors des négociations sur l’Accord), compte tenu de l’importance croissante du volet international des questions environnementales.

Le gouvernement fédéral annonçait récemment son intention d’établir un comité parlementaire pour examiner la question des exportations d’eau libre.

En raison de la menace de poursuite des États-Unis liée aux exportations d’eau dans le contexte de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), la fédération canadienne pourrait avoir de la difficulté à légiférer contre les exportations d’eau (que les Américains considèrent clairement comme une marchandise).

Il faut aussi tenir compte de la Loi de mise en œuvre de l’Accord Canada-Yukon sur le pétrole et le gaz relative au projet de pipeline de la route de l’Alaska (un gazoduc de 1 800 miles) qui accentuera les enjeux environnementaux du développement des ressources naturelles et qui dominera l’ordre du jour des rencontres intergouvernementales.

En fin de compte, la souplesse et la polyvalence de la structure fédérale canadienne pourraient bien constituer les plus précieux outils dont le Canada dispose pour gérer l’épineux dossier des zones de responsabilité environnementale.

Fédérations volume 1, numéro 4, mai 2001