Rapports de force et changements en Suisse

PAR ANNE-BÉATRICE BULLINGER

1990, le département fédéral Le département fédéral des Finances a Ainsi, certaines tâches seraient allouées

des Finances a lancé des réformes importantes concernant le système de transferts financiers entre le gouvernement fédéral helvétique et les cantons.

Les réformes proposées touchent particulièrement le système de péréquation ainsi qu’une nouvelle répartition des tâches entre la Confédération et les cantons.

Toutefois, certains cantons s’opposent fermement à ce projet très ambitieux pour la Suisse. Étant donné la nature décentralisée du système politique de ce pays, on peut se demander si une réforme d’une telle ampleur a des chances de voir le jour.

Dans ledit système politique, les décisions sont prises par consensus et les cantons peuvent geler les projets fédéraux. Il est donc rare que ceux-ci soient adoptés d’emblée. Les processus de réforme sont souvent longs et leurs résultats incertains.

À cet égard, un projet de réforme des transferts conditionnels a échoué en 1966. En 1971 et en 1978, deux tentatives de nouvelle répartition des tâches entre le gouvernement fédéral et les cantons ont subi le même sort.

Étant donné ce contexte, si le gouvernement fédéral veut que son projet aboutisse, il doit établir une stratégie judicieuse pour contourner les contraintes du système.

Une kyrielle de mesures controversées

Au cours du processus de réforme, le département fédéral des Finances a consulté des experts et invité la Conférence des Directeurs Cantonaux des Finances à prendre part à l’élaboration des propositions au sein d’un groupe de travail composé à part égale de représentants fédéraux et cantonaux.

Le département fédéral des Finances a de plus soumis le projet aux acteurs intéressés. Suite à cette consultation, il a supprimé des éléments non essentiels au projet.

présenté les réformes comme un tout, en insistant sur le fait qu’une adoption partielle du projet ne permettrait pas d’atteindre les buts visés.

Il insiste sur le fait que les alternatives à cette réforme—le statu quo, l’harmonisation fiscale ou une réforme territoriale—ne satisferaient ni les cantons ni la population.

La stratégie du département fédéral des Finances a déçu certains cantons en novembre dernier : des simulations du nouveau système de péréquation ont en effet révélé que certains d’entre eux seraient perdants financièrement.

Il est fort probable que d’autres crises de ce genre se produisent au fur et à mesure de la concrétisation de ce projet. Certains experts estiment que ce projet est trop ambitieux dans le contexte institutionnel actuel.

Efficience et subsidiarité

La nouvelle répartition des tâches, visant à partager les responsabilités au sein d’un gouvernement capable de les gérer de manière efficiente, est au cœur des propositions de réformes.

Simultanément à la nouvelle répartition des tâches, le projet souhaite séparer la péréquation des coûts de la péréquation des ressources en :

  • éliminant les transferts conditionnels

  • introduisant un nouvel “indice de capacité financière” pour évaluer la richesse taxable des cantons, qui se base uniquement sur les recettes fiscales potentielles et exclut des éléments liés aux coûts des tâches à accomplir.

Un groupe de travail a examiné les responsabilités fédérales et cantonales et les a attribuées à l’un ou l’autre niveau de gouvernement selon le principe de la subsidiarité (selon lequel les responsabilités reviennent au niveau de gouvernement “le plus bas” et sont transférées au niveau supérieur seulement si le niveau inférieur n’est pas en mesure de les assumer).

exclusivement au gouvernement fédéral ou aux cantons. Les tâches cantonales dont les effets dépassent leurs frontières devraient être effectuées avec la collaboration intercantonale, et certaines tâches resteraient des tâches communes fédérales-cantonales.

La fin des transferts conditionnels?

Pour les tâches communes, le gouvernement fédéral serait chargé des questions stratégiques et les cantons s’occuperaient des questions opérationnelles et de la mise en œuvre. Le gouvernement fédéral et les cantons devraient s’entendre sur les objectifs à atteindre et établir un contrat intergouvernemental.

Les cantons recevraient des subventions de la part du gouvernement fédéral pour les tâches communes. Le montant de ces transferts serait lié au degré de réalisation des objectifs fixés dans le contrat. Ce système de subventions globales remplacerait le système actuel de transferts conditionnels dans lequel les montants alloués par le gouvernement fédéral sont proportionnels aux contributions des cantons. Ainsi, les montants transférés dépendraient des tâches accomplies et non pas des coûts. Il n’y aurait plus de suppléments de péréquation distribués dans le système de transferts.

Les propositions de réforme concernent également les tâches cantonales ayant un effet sur les autres cantons tels que les écoles professionnelles, les universités, les soins de santé ou les transports publics.

Les cantons qui bénéficient de services offerts par d’autres cantons devraient payer une compensation au canton pourvoyeur. Il y aurait lieu que les cantons établissent des contrats entre eux et l’obligation de coopérer serait inscrite dans la constitution.

Cet aspect de la réforme accorderait au gouvernement fédéral le pouvoir d’étendre un accord à tous les cantons concernés et de forcer les cantons à collaborer.

Fédérations volume 1, numéro 4, mai 2001

Les domaines pour lesquels les cantons seraient tenus de coopérer seraient inscrits dans une loi fédérale.

Cette réforme ne donnerait toutefois pas un pouvoir illimité au gouvernement fédéral. Il ne pourrait forcer les cantons à coopérer que si un certain nombre d’entre eux le demandaient.

Partager les richesses

Afin de réduire les disparités intercantonales, la réforme propose un système de péréquation des ressources fonctionnant selon le système de partage des revenus.

Les cantons recevraient un pourcentage fixe de certaines recettes fédérales qui serait distribué entre eux en fonction du nouvel “indice de capacité financière”. Les cantons bénéficiant de fonds seraient ceux dont la capacité financière est inférieure à un certain niveau. Les cantons seraient libres d’utiliser ces fonds comme ils l’entendent.

Il revient au Parlement suisse de décider de la redistribution entre les cantons.

Afin de s’assurer que tous les cantons atteignent le niveau de capacité financière prévu par le parlement, le gouvernement fédéral attribuerait des subventions complémentaires aux cantons dont la capacité financière resterait faible après la péréquation.

Le gouvernement fédéral attribuerait des transferts inconditionnels additionnels aux cantons devant assumer des charges excessives dues à des facteurs géographiques (comme les régions de montagne) ou socio-démographiques.

Il ne s’agit pas de subventions de contrepartie mais plutôt de subventions qui se rattachent à quelques compétences définies en matière de routes, d’inondations ou de forêts, par exemple. Des critères précis permettraient de déterminer quels cantons peuvent bénéficier de ces transferts ainsi que les montants auxquels ils auraient droit.

Un changement des rapports de force

Les réformes proposées sont ambitieuses puisqu’elles supposent un changement des assises mêmes du fédéralisme helvétique, ainsi que des routines qui se sont développées au cours du temps. La mise en œuvre des réformes engendrerait un changement des rapports de force.

Tout d’abord, l’obligation pour les cantons de coopérer dans certains domaines va à l’encontre des principes d’autonomie cantonale et de la diversité inter-cantonale.

Le fédéralisme suisse a toujours eu tendance à privilégier la compétition entre les cantons et à valoriser leur diversité. Bien que les cantons aient établi des formes de collaboration et mènent des projets au niveau régional, ils sont souvent réticents à travailler ensemble.

On peut également se demander si le gouvernement fédéral sera en mesure de négocier des objectifs politiques avec des cantons qui, jusqu’à maintenant, disposaient d’une grande marge de manœuvre pour appliquer à leur manière les politiques fédérales.

Les réformes changeraient également la distribution du pouvoir au sein des administrations fédérale et cantonales. En particulier, la capacité financière des différents ministères va se modifier. Par exemple, le fait de supprimer les suppléments de péréquation qui font partie des subventions liées à certains projets (le système de transferts conditionnels actuel) changerait la distribution du pouvoir tant au niveau fédéral que cantonal.

Au niveau cantonal, les montants de péréquation transiteraient presque exclusivement par les ministères des Finances au détriment des autres ministères “fonctionnels” qui devraient alors lui réclamer des fonds.

Trop audacieux pour la Suisse?

Le système fédéral suisse fonctionne en instituant des changements petit à petit. Les chances de succès d’une réforme de cette ampleur sont par conséquent limitées. Le fait de proposer à la fois une réforme du système de péréquation et une nouvelle répartition des tâches risque de mettre en péril toute la démarche.

La réforme du système de péréquation stricto sensu—qui ne suppose pas de changements majeurs dans la distribution du pouvoir dans les cantons—aurait plus de chances d’être adoptée si elle n’était pas proposée en même temps que la nouvelle répartition des tâches.

Il faut rappeler qu’en Suisse, malgré tout, certains projets de réforme audacieux ont donné des résultats assez innovateurs.

On pourrait par conséquent affirmer que des propositions radicales sont le seul moyen d’ouvrir de nouvelles “fenêtres d’opportunité” et de créer de nouvelles alliances.

Quel que soit le sort de ce projet de réforme, il aura au moins révélé certains rapports de force au sein de la fédération.

Fédérations volume 1, numéro 4, mai 2001