Carlos Gadsden du Mexique,

l’emergence d’un nouveau fédéralisme au Mexique

Carlos Gadsden est directeur général du Centre de développement municipal, qui relève du ministère de l’Intérieur du Mexique. Tout au long de la campagne électorale et de la période de transition qui a suivi, il a agi comme conseiller spécial sur le fédéralisme auprès du président Vicente Fox. Yemile Mizrahi, chercheur à l’institut mexicain du CIDE, a interviewé M. Gadsden pour Fédérations. Madame Mizrahi a signé l’article « Le président Vicente Fox arriverat-il à implanter un nouveau fédéralisme au Mexique ? » paru dans le premier numéro de Fédérations.

Fédérations : Le programme du PAN accorde une grande importance au dossier du fédéralisme et le président Fox en a également fait une priorité. Alors qu’il était encore gouverneur d’état et que le PRI présidait aux destinées de la République, Fox a observé de très près les conséquences d’un centralisme politique et économique à outrance. Maintenant que votre parti forme le gouvernement fédéral, quels sont les dossiers et enjeux qui vous préoccupent le plus en matière de fédéralisme? Comment le pays peut-il se donner un nouveau modèle de relations intergouvernementales?

Gadsden : Le modèle traditionnel des relations intergouvernementales se fonde sur celui du chef politique local, selon lequel les gouverneurs et présidents municipaux détiennent tous les pouvoirs à l’intérieur de leur territoire, même s’ils dépendent du gouvernement fédéral. Ils sont de véritables acteurs politiques reconstituant le modèle présidentiel à leur échelle.

Le modèle que nous avons adopté propose une vision enrichie d’une approche constitutionnelle qui s’applique à trois niveaux de gouvernement.

Cette stratégie comprend quatre éléments de base.

Premièrement, la décentralisation doit se faire non seulement au niveau économique ou administratif, mais aussi au niveau politique. Même si les ressources sont complémentaires, il faut amorcer le processus en procédant à la décentralisation politique.

Deuxièmement, les gouvernements locaux doivent être consolidés. En général, cette démarche ne relève pas d’un processus de décentralisation, encore moins du processus en vigueur dans les Amériques. Mais nous jugeons cette consolidation essentielle, surtout à la lumière de la définition que nous en proposons.

Troisièmement, un nouveau modèle de relations intergouvernementales doit présenter un volet fondamentalement fédéral, comme je l’ai expliqué. Des programmes assureraient alors la reddition des comptes et l’évaluation de rendement à tous les échelons de gouvernement.

Enfin, il est indispensable que des mécanismes soient adoptés pour encourager la participation des citoyens.

Pouvez-vous nous décrire les projets que vous comptez mettre sur pied pour concrétiser ces objectifs?

En ce qui a trait à la décentralisation, nous préconisons la pratique du fédéralisme au niveau des finances publiques.

Il faut établir des liens entre les revenus et les dépenses. Pour ce qui est de la distribution des ressources aux gouvernements des états et des municipalités, il faut distinguer collecte des revenus et dépenses.

Nous proposons d’octroyer aux gouvernements des états et des municipalités 30 pour cent de ressources supplémentaires. Cependant, sans une définition précise de leurs pouvoirs, nous ne parviendrons pas à assurer une distribution plus équitable et plus équilibrée.

Fédérations volume 1, numéro 4, mai 2001

Par ailleurs, le processus de consolidation des gouvernements locaux doit comprendre trois éléments :

Un système qui permet de mesurer l’efficacité de l’administration municipale. Nous devons déterminer les instruments dont le gouvernement municipal a besoin pour s’acquitter efficacement de ses obligations envers les citoyens. Il importe de mesurer les efforts de chaque gouvernement municipal dans l’exécution de ses tâches et d’aider ceux qui ne disposent pas des outils nécessaires.

Nous aimerions que cette mesure soit une sorte de rayon-X municipal qui calcule le progrès accompli au fil du temps en rapport avec des politiques précises. Ceci devrait se faire par l’intermédiaire d’organismes de tiers fiables. La fonction de « mesureur » ne doit pas incomber au gouvernement fédéral.

Un système pour transformer les emplois de la fonction publique en professions et pour introduire un concept de fonctionnaire de carrière comportant des normes de compétence professionnelle.

Un système de formation pour pallier aux déficiences intellectuelles et humaines actuelles.

Quels mécanismes voulez-vous introduire pour promouvoir un nouveau modèle de relations intergouvernementales? Quel rôle votre bureau jouera-t-il alors?

Aujourd’hui nous sommes face à une structure « encéphalique » : le gouvernement fédéral est une tête énorme ; les gouvernements étatiques un corps émacié ; les gouvernements municipaux des mains et pieds handicapés ou paralysés. Il faut soigner le corps entier pour donner de la vigueur aux municipalités. Cela suppose des relations intergouvernementales équilibrées, responsabilisées, où les trois niveaux de gouvernement collaborent et font front commun pour bien servir les citoyens.

Cela signifie également que notre bureau, qui développe actuellement les gouvernements municipaux, doit devenir un centre voué aux relations intergouvernementales. L’un ne va pas sans l’autre. On ne peut dissocier le développement municipal des rapports de pouvoir entre divers niveaux de gouvernement. Il doit y avoir une certaine cohésion entre le gouvernement fédéral et les gouvernements des états et des municipalités.

Le processus de décentralisation doit être subsidiaire, à l’instar du processus en place au sein de l’Union européenne, et il doit favoriser la coordination entre divers ministères d’État. La décentralisation des affaires agricoles, par exemple, affectera forcément les domaines de l’éducation ou de la santé.

Un plan unilatéral ou partiel entraînerait une décentralisation forcée sans grande intégration. Il faut s’assurer que la décentralisation élaborée par le gouvernement fédéral s’effectue harmonieusement et que ce dernier ne se contente pas de transférer ses problèmes aux gouvernements des états, mais les aide plutôt à rehausser la qualité du gouvernement.

L’amélioration des relations intergouvernementales suppose aussi l’adoption de nouveaux mécanismes de communication entre divers niveaux de gouvernement. Nous offrons à tous les gouvernements municipaux un programme d’accès à Internet et à un système intranet, de façon à faciliter la coordination des activités gouvernementales entre les trois paliers. Cette mesure importante devrait garantir l’imputabilité gouvernementale et la participation des citoyens.

Les diverses bases de données de l’État doivent être compatibles et échangeables. Il faut pouvoir compter sur des renseignements fiables pour appuyer la vocation compensatoire du fédéralisme au plan des finances publiques. À l’heure actuelle, nous sommes incapables de mesurer la contribution d’un état à la fédération. Cela est pourtant fondamental.

Quelles sont les questions les plus épineuses à l’ordre du jour de la fédération?

La première question, et la plus difficile à régler, concerne le changement de culture à tous les échelons du gouvernement. Je dirais que la seconde concerne le régime du chef local.

Pour arriver à modifier la culture, il faut passer la réalité intergouvernementale au crible de la coopération et s’assurer que la responsabilité publique l’emporte sur l’antagonisme politique.

Selon notre expérience, à la tête du gouvernement de l’état de Guanajuato, le cabinet lui-même représente le plus gros obstacle à la dévolution des pouvoirs aux municipalités. Transférer des responsabilités aux municipalités correspondrait à une perte de pouvoirs en faveur des municipalités. Le président Fox est sur le point d’accomplir de grandes choses à cet égard. Pour l’instant, chaque ministère a exposé au président une série d’objectifs au sujet des mesures précises en faveur de la décentralisation et du fédéralisme. Cela suppose toutefois que les ministères modifient leur culture propre.

Comment voyez-vous l’avenir d’ici deux ans?

Nous aimerions instaurer une stratégie de décentralisation cohérente et nous doter d’un système pour rehausser le professionnalisme des fonctionnaires.

Notre propre bureau pourrait s’apparenter à un bureau du fédéralisme et du développement municipal et une armée qui opérerait sous la direction éclairée du ministère du gouvernement. Ce ministère a enfin l’occasion de s’investir au niveau des politiques publiques au lieu de concentrer ses efforts à résoudre des conflits. Grâce à ce bureau, le président pourrait négocier des objectifs en accord avec ses ministres dans tous les secteurs du fédéralisme.

Selon moi, le bureau du fédéralisme devrait jouer un rôle politique discret pour permettre aux partis de mieux briller.

Notre objectif biennal consiste également à organiser un événement international très important au mois de novembre prochain, en collaboration avec le Forum des fédérations. Le Forum permettra aux participants de puiser dans l’expérience fédérale internationale pour mieux saisir le sens réel du fédéralisme à l’échelle planétaire. L’événement se tiendra à Veracruz, l’état qui abrite la toute première municipalité de notre hémisphère. Il témoigne de notre engagement envers l’établissement d’un fédéralisme coopératif entre les trois niveaux de gouvernement, et qui va bien au-delà du fédéralisme dualiste. De plus, le gouvernement d’état de Veracruz est le PRI et son gouvernement municipal est le PAN.

Nous devons nous poser la question suivante : quels résultats les projets de cohabitation ontils donnés dans d’autres pays? Dans notre cas, l’événement constitue une tribune qui nous permettra de mettre en valeur les efforts fédéraux du Mexique et de faire connaître au monde entier nos rêves et aspirations. Il ne s’agit pas seulement d’un forum de discussion mais aussi d’un forum d’apprentissage auquel assisteront des représentants élus municipaux et gouvernementaux. Nous comptons accueillir 1 500 participants.

J’aimerais ajouter que nous avons également adopté un plan en vue de créer un centre inter-institutions et inter-universités où seront regroupées plusieurs bibliothèques sur le fédéralisme, la responsabilisation municipale et la décentralisation déjà établies au Mexique. Cette fusion nous aidera à mieux coordonner l’action fédérale dans le pays, étant donné le soutien de chercheurs des quatre coins du Mexique. Il importe d’examiner nos réalisations et leurs répercussions. Nous avons déjà trouvé l’endroit. Il s’agit d’un édifice situé dans un parc que nous allons baptiser le « Parc du fédéralisme ».

Fédérations volume 1, numéro 4, mai 2001