Les militaires du Pakistan : davantage de pouvoirs aux mouvements populaires?

PAR SAJID QAISRANI

gouvernement militaire du Pakistan a personnel du groupe de gestion de district souscrivent pas entièrement aux visées

établi un plan de gouvernement local qui pourrait grandement aider le pays à progresser sur la voie d’un fédéralisme réel.

Ce plan vise l’établissement de gouvernements de districts élus au sein des 103 districts du pays d’ici le 14 août 2001. En vertu de cette mesure, nettement différente des pratiques antérieures, les administrateurs et la police des districts relèveront maintenant du premier dirigeant du district.

Dans l’histoire du Pakistan, les dirigeants élus locaux n’ont jamais été appelés à gérer les districts car cette tâche revient toujours aux bureaucrates fédéraux et provinciaux.

Le nouveau plan réserve aux femmes un tiers des sièges au sein des conseils de district et un tiers des sièges au sein du gouvernement local. Il prévoit la tenue de suffrages directs avec des électeurs adultes pour ces sièges réservés, et ceci à l’échelle du conseil d’union. Cette décision satisfait à une demande de longue date formulée par les groupes de promotion des droits de la personne et des droits des femmes.

Le plan affiche d’autres caractéristiques majeures, y compris l’abolition des « divisions », soit des unités administratives intermédiaires entre les provinces et les districts, et la réduction de l’âge électoral de 21 ans à 18 ans.

Une longue tradition de centralisation

Le régime politique actuel du Pakistan, marqué par le règne colonial britannique, fragmente le pays en quatre paliers administratifs : le centre, la province, la division et le district. Les districts et les divisions constituent des entités légales distinctes, alors que les provinces jouissent d’un statut constitutionnel. Cependant le centre gouverne tout selon une structure de commande bureaucratique inspirée du modèle colonial.

À l’intérieur de ce modèle, le gouvernement fédéral procède au recrutement du (GGD) et du service de police du Pakistan (SPP) par l’entremise d’une commission de la fonction publique qui impose aux candidats un examen.

Pour chacune des quatre provinces, on établit un quota fondé sur le taux de population. Ainsi, la province du Punjab, qui abrite 56,5 p. cent environ de la population du pays, obtient la plus grande portion des postes à pourvoir. On détermine également un quota pour les officiers des forces armées. Mais, puisque la plupart de ces officiers sont originaires du Punjab, c’est toujours cette province qui reçoit la part du lion des quotas.

Les membres des groupes d’élite ainsi sélectionnés sont affectés aux provinces. Ils y occupent de 40 à 60 pour cent des postes de commissaires adjoints et de surintendants de police du district. Toutes les fonctions liées à l’administration, à la magistrature, aux tâches judiciaires et au développement sont attribuées à une seule et même personne, soit le commissaire adjoint. Celui-ci assume également la tâche de magistrat de district, et exerce un contrôle sur son district par l’intermédiaire d’un vaste réseau de fonctionnaires, de magistrats, de policiers, d’agents du revenu et d’administrateurs provinciaux. Les citoyens n’ont absolument rien à voir dans la gestion du district.

Des membres du GGD sont aussi nommés à tous les postes importants au sein du gouvernement fédéral, y compris ceux de secrétaire et de secrétaire adjoint. À l’instar des employés du GGD, les policiers du SPP s’en remettent au centre pour toutes les nominations, les transferts et les promotions. Il revient également à la fédération de nommer les gouverneurs des provinces.

Plusieurs effets néfastes

Au sein de ce régime très centralisé, le gouvernement fédéral exerce le plein contrôle sur l’administration, à tous les échelons et allant jusqu’aux districts. Les gouvernements provinciaux qui ne du centre sont souvent mis au rancart.

Les pouvoirs illimités des bureaucrates ont semé la corruption. Les critiques dénoncent le fait que « les terres et autres ressources des districts ont été pillées à volonté et l’aide au développement honteusement dilapidée ».

Les pouvoirs non contrôlés des policiers ont encouragé le crime. Il est devenu si difficile de rapporter un geste criminel au poste de police que les hautes cours de justice provinciales, et même les premiers ministres et ministres en chef, doivent parfois intervenir pour qu’un rapport de crime puisse être déposé.

Le fait de confier le contrôle des gouvernements locaux à des bureaucrates non-élus venant d’ailleurs a entraîné la planification boiteuse des centres urbains et la dilapidation des services d’éducation et de santé, des services sanitaires et des établissements civiques, tant dans les régions rurales qu’urbaines.

Le pouvoir aux élus

Ce système a entravé l’évolution du fédéralisme au Pakistan et créé un climat de profonde dissidence au sein des provinces.

Le nouveau plan de gouvernement local vise à redresser ces torts en abolissant le poste de commissaire adjoint et en transférant la plupart des tâches administratives au chef élu du gouvernement local.

On croit qu’en cas d’interruption de la chaîne bureaucratique à l’échelle du district, le contrôle qu’exerce le fédéral sur les districts serait amoindri, ce qui profiterait indirectement au fédéralisme.

Trois forces s’opposent actuellement au plan d’un nouveau gouvernement local : les partis politiques, les bureaucrates et les groupes religieux.

Du point de vue des partis politiques, ce plan constitue « une ingérence dans les domaines provinciaux » et « un empiètement sur l’autonomie provinciale ».

Fédérations volume 1, numéro 4, mai 2001

Le favoritisme a toujours grandement profité aux dirigeants politiques pakistanais. Forts des liens avec la hiérarchie bureaucratique, les familles politiques tribales, féodales et industrielles ont pu conserver leur mainmise sur les districts. Le système leur a permis de bloquer l’accès de nouvelles classes à l’arène politique. Les partis politiques autrefois au pouvoir ont exploité ce même système pour prolonger leur règne et pour écraser les groupes d’opposition. Au Pakistan, il est rare qu’un parti politique ait été défait et évacué du pouvoir.

Des pouvoirs bureaucratiques et religieux menacés

Depuis une dizaine d’années, un nombre croissant de Pakistanais constatent que le régime gouvernemental actuel se désagrège et qu’un contrôle bureaucratique centralisé sur les affaires de l’État, ajouté à l’exclusion de la majorité des citoyens du siège du pouvoir, ont desservi le pays. Malgré tout, les partis politiques conventionnels continuent de s’opposer au nouveau régime.

S’ils critiquent tant ce plan, c’est qu’il réduirait considérablement leurs pouvoirs. Il semblerait qu’un comité de secrétaires fédéraux ait unanimement rejeté le nouveau plan et demandé au gouvernement de le reléguer aux oubliettes.

En raison du contrôle qu’ils exercent sur les districts, les bureaucrates jouent un rôle de premier plan sur la scène politique. C’est ce système qui, d’ailleurs, leur a permis de prendre presque imperceptiblement les rênes du gouvernement pakistanais en 1951, quatre ans à peine après l’indépendance du pays. Les politiciens ont mis 21 ans à reprendre péniblement le contrôle partiel du gouvernement, en décembre 1971. Ceci ne s’est produit que lorsque la province majoritaire du Pakistan de l’Est est parvenue, après une longue lutte, à se défaire de l’emprise des bureaucrates en créant le nouvel état du Bangladesh.

Les partis et les groupes religieux contestent le plan parce qu’il vise à accorder aux femmes un taux de représentativité de 33 pour cent au sein des conseils locaux, ce qui contribuerait, selon eux, à promouvoir « l’immoralité » au sein de la société.

L’appui populaire et l’approche progressive

Jusqu’à maintenant, un accueil enthousiaste a été réservé au nouveau plan. Les élections des gouvernements locaux de districts s’inscrivent dans un programme progressif.

Lors de la première étape des élections, qui se tenaient le 31 décembre 2000, près de 46 pour cent des citoyens se rendaient aux urnes. Au cours de la deuxième étape, le 21 mars 2001, le taux de participation grimpait à près de 60 pour cent. Selon les données recueillies par la « Campagne des citoyens pour la représentation des femmes au sein du gouvernement local » parrainée par le PNUD, plus de 8 000 femmes ont été élues pour siéger au sein de conseils locaux, lors des suffrages directs des deux premières étapes.

Il s’agit d’un événement à valeur historique.

Au cours des deux premières étapes, huit femmes ont été élues maires des conseils d’union, l’emportant de justesse sur leurs adversaires masculins. Les maires des conseils d’union, qu’on appelle nazims, agiront également comme membres des conseils de district. C’est ainsi que les femmes nazims élues au suffrage direct viendront gonfler les rangs des membres féminins des conseils de district qu’il reste à élire dans le cadre de suffrages indirects (selon la règle du tiers).

Outre le peuple pakistanais, la communauté internationale s’est montrée plutôt favorable au système proposé, ce qui a donné un semblant de légitimité au gouvernement militaire en place.

Selon les promoteurs du nouveau régime, le fait de remplacer les bureaucrates fédéraux par des maires élus comme dirigeants de districts contribuera grandement à modifier le visage du gouvernement du Pakistan et à faire passer le pays d’un état centralisé à un état véritablement fédéral. Obliger la police de district à se rapporter aux conseils de district aidera à freiner le penchant tyrannique des policiers. Il se pourrait même qu’on arrive à contrôler le taux de criminalité.

Par ailleurs, d’énormes progrès pourraient être réalisés dans les domaines de l’éducation et de la santé, sans compter l’amélioration globale de la qualité de vie.

On peut aussi s’attendre à ce que les nouvelles instances élues investissent dans une infrastructure de développement des districts, un projet longtemps mis en veilleuse.

Quelles sont les visées réelles des militaires?

Le changement le plus notable tient à l’affaiblissement du contrôle autoritaire qui s’exerçait sur les gouvernements régionaux. Ce phénomène pourrait doter d’un pouvoir d’influence concret des classes sociales écartées depuis toujours du pouvoir. L’accès des femmes de classe moyenne et de classe moyenne inférieure aux postes de conseillères constitue une étape majeure dans l’histoire du pays.

Nonobstant les bonnes intentions et les perspectives d’avenir prometteuses, certains observateurs n’arrivent toujours pas à saisir ce qui pousse les militaires à agir ainsi. Après tout, pourquoi donc un régime militaire voudrait-il miner le contrôle du gouvernement central sur les districts?

Un autre aspect de la question soulève également l’inquiétude. Selon le plan, même si les districts étaient administrés par des dirigeants localement élus, le système de recrutement central des bureaucrates occupant des emplois provinciaux et locaux ne serait pas aboli. En effet, les membres du DGD nommés aux postes d’agents de coordination de districts et de chefs de police des districts continueraient de faire partie de ce groupe élitiste.

Tout ceci fait surgir une question importante qui demeure pour l’instant sans réponse : quelles mesures de vérification efficaces ont été prévues, au sein du système, pour empêcher les groupes d’élite de consolider leur pouvoir, compte tenu du fait que le gouvernement militaire n’a pas encore érigé de base constitutionnelle ou légale pour soutenir le nouveau plan?

Fédérations volume 1, numéro 4, mai 2001