Les représentants présidentiels de Poutine : un an plus tard

PAR ALEXEI AVTONOMOV

mois de mai 2000, le président aucune instance fédérale pour coordonner • assurer le respect de la politique

Vladimir Poutine procédait à d’importantes modifications du régime fédéral de la Russie.

Il établissait sept districts fédéraux distincts englobant les 89 unités constituantes de la fédération. Il nommait ensuite sept « représentants présidentiels plénipotentiaires » imputables au président et leur donnait le mandat de défendre les intérêts du gouvernement central au sein de chaque district.

Cette réforme a suscité l’inquiétude de nombreux observateurs russes et étrangers. Ils craignaient qu’en centralisant le pouvoir entre les mains du président et d’individus choisis par lui, une telle mesure affaiblisse le caractère fédéral de la Russie.

Ils pensaient par ailleurs qu’il ne relevait pas du hasard que la plupart des représentants présidentiels avaient déjà évolué au sein de l’armée ou d’autres forces militaires, et qu’ils avaient l’habitude d’obéir aux ordres des supérieurs et d’en donner aux subalternes.

Même si le décret du président Poutine n’accordait pas aux représentants présidentiels le pouvoir de diriger les représentants élus et les gouvernements des entités constituantes, on craignait qu’ils n’en traitent pas moins les dirigeants locaux comme des subalternes. Au cours de la dernière année, en effet, quelques représentants ont tenté de s’immiscer dans les dossiers internes de certaines entités constituantes.

Il est trop tôt pour évaluer l’effet global de cette nouvelle composante du fédéralisme russe, mais l’analyse de la première année en poste des représentants a permis de calmer certaines craintes.

La quête de coordination fédérale

Il est clair que la Russie doit déployer des efforts pour assurer une coordination et une surveillance fédérales à l’échelle des régions.

Avant les réformes engagées par Poutine, les régions ne pouvaient compter sur les activités des bureaux locaux des ministères et organismes, même s’il s’avérait très complexe de le faire à la seule échelle centrale. La coordination efficace des entités fédérales doit de toute évidence trouver un écho au plan régional. De plus, la gestion plutôt inefficace des possessions fédérales au palier local constitue un problème d’envergure pour la Russie.

Une grave lacune du fédéralisme russe tient au manque de congruence manifeste entre les lois des entités constituantes et les lois fédérales. Dans bien des cas, cette situation est due à un manque de coordination entre le siège fédéral et les régions au moment d’élaborer les lois régionales.

Il importe de faire appel à une instance fédérale pour s’assurer d’une bonne utilisation des sommes fédérales versées aux entités constituantes pour couvrir certaines dépenses. Lorsqu’on a mis fin, dans les années 90, au transfert de sommes fédérales aux unités constituantes pour couvrir des dépenses précises (comme les salaires des enseignants, par exemple), les gouvernements de certaines unités constituantes ont choisi de se servir dans d’autres fonds pour combler cette lacune. Il n’existait alors, dans les régions, aucune entité fédérale habilitée à garantir l’utilisation adéquate des fonds fédéraux.

Les représentants présidentiels pourraient aider à combler ce besoin.

Les tâches des représentants présidentiels

Voici un aperçu des principales tâches des représentants présidentiels :

• organiser des activités dans leurs districts

fédéraux respectifs afin de garantir que

les bureaux locaux des ministères

fédéraux soient bien ceux qui instaurent

les politiques intérieures et étrangères;

• surveiller l’application des décisions fédérales à l’échelle locale; présidentielle au sujet des ressources

humaines;

  • sensibiliser régulièrement le président aux questions de sécurité nationale, à la situation politique et au contexte économique des districts fédéraux;

    • recommander au président l’adoption de diverses mesures afférentes aux dossiers locaux.

    • Les représentants ont déjà établi leurs priorités en ce qui concerne le développement socio-économique des districts fédéraux :
  • le district fédéral du nord-ouest : la quête d’investissements étrangers et la concrétisation des projets d’infrastructure;

  • les districts fédéraux du sud et de l’Extrême-Orient : la réalisation des projets de développement socioéconomique;

  • le district fédéral du centre : la sécurité économique accrue des citoyens, la lutte contre le crime économique et la promotion de l’esprit d’entreprise;

  • le district fédéral de l’Oural : les mêmes priorités que le district du centre, sauf qu’en Oural le personnel du représentant s’occupe également du développement de secteurs économiques et de groupes financiers et industriels régionaux particuliers;

  • le district fédéral de la Volga : le représentant tente de transformer ce district en un véritable « creuset d’innovation » en ayant recours aux nouvelles technologies.

Bilan de l’année écoulée

Tous les représentants présidentiels ont conjugé leurs efforts pour harmoniser les lois des entités constituantes et la législation fédérale. Ils ont été soutenus par des procureurs spéciaux (prokurory) nommés par le procureur général et mandatés pour vérifier la congruence des lois des entités constituantes avec les lois fédérales.

Fédérations volume 1, numéro 4, mai 2001

À la mi-novembre, les membres d’un groupe de travail spécial mis sur pied par le représentant présidentiel du district fédéral du sud, V. Kazantsev, se sont réunis pour discuter des mesures à prendre pour améliorer la situation dans les zones portuaires russes de la mer Noire et de la mer d’Azov.

Selon le représentant présidentiel adjoint affecté aux dossiers économiques, la mauvaise gestion des ports de mer occasionne des pertes financières annuelles de 400 millions de dollars. Le « nouvel accord » de V. Kazantsev sur les ports de mer du sud propose une politique spéciale sur les ressources humaines, ainsi que des mesures pour accroître la mainmise fédérale sur les zones portuaires par l’achat d’actions.

Au sein du district fédéral de l’Oural, le représentant présidentiel, P. Latyshev, a déployé beaucoup d’efforts pour instaurer une politique économique unifiée. À la fin de l’année 2000, il a établi un centre de prévisions et de planification économiques pour gérer plus efficacement les dossiers d’intégration économique et de développement du district.

Dans le district fédéral de la Volga, le représentant présidentiel, S. Kireyenko, est perçu comme un innovateur. Il a eu, par exemple, recours à l’internet pour combler des postes vacants au sein de son personnel. Cette initiative a suscité l’intérêt de 5 338 candidats. On a décerné aux 25 personnes retenues des certificats indiquant qu’elles pouvaient faire partie de l’effectif du représentant présidentiel (quoi que les membres du personnel de Kireyenko occupant des postes de haut niveau aient été choisis selon des critères politiques et personnels, et non en vertu des résultats du concours.)

À la fin de l’année 2000, Kireyenko avait organisé un forum bancaire pour l’ensemble de la Russie à Nizhny Novgorod et une foire sur les projets sociaux. Il s’agissait d’un concours visant à répartir de façon publique et transparente les subventions fédérales parmi les organismes non gouvernementaux.

Problèmes et préoccupations

Il importe de préciser que Kireyenko est le représentant présidentiel qui cherche le plus à influencer le cours des élections organisées au sein des entités constituantes. Les médias ont fait largement état de l’appui public de Kireyenko à un candidat à la présidence de la république d’Udmurt

(A. Volkov, qui a remporté la victoire).

Quatre candidats à l’élection présidentielle de la république de Mari El, en compétition avec le président en place, V. Kislitsin, disaient jouir de l’appui du président russe (et, bien sûr, de son représentant présidentiel). Ainsi, « comme par hasard », à la veille des élections présidentelles, le représentant présidentiel adjoint a passé plusieurs jours dans la capitale de la république de Mari El pour coordonner une enquête sur la corruption du personnel du président Kislitsin.

Ces deux exemples particuliers montrent comment des représentants présidentiels ont tenté d’influencer les résultats des élections.

On constate d’autres aspects négatifs : certains représentants présidentiels ne sont pas en mesure de composer avec des problèmes économiques graves. Le représentant présidentiel du district fédéral de l’Extrême-Orient, par exemple, n’a pas réussi à prévenir ou encore à surmonter la crise d’énergie qui ébranlait la province de Primorski, dans laquelle des centaines de milliers de personnes et quantité d’entreprises ont été privées d’électricité et de chauffage central pendant plusieurs semaines.

Certains critiques affirment, quant à eux, que les districts fédéraux ont été établis de façon plus ou moins rationnelle. En principe, la nomination des représentants présidentiels devrait rapprocher les dirigeants du pouvoir central et les habitants de régions éloignées de la capitale. Par conséquent, les districts fédéraux les plus isolés du centre devraient être plus petits que les districts plus rapprochés du centre politique du pays, de façon à garantir aux citoyens un meilleur accès au pouvoir central.

Aujourd’hui, pourtant, un premier district fédéral englobe le vaste territoire de la Sibérie, un second tous les territoires de l’Extrême-Orient et un troisième les régions montagneuses de l’Oural. Ainsi, dans la région européenne de la Russie (qui comprend la capitale), on compte quatre districts fédéraux, alors que les trois derniers districts fédéraux recoupent plus des deux tiers du territoire russe au-delà desdites montagnes.

Les districts fédéraux ont très peu à voir, officiellement, avec le développement de la structure fédérale, ayant été établis aux seules fins de représentation présidentielle. Certains politiciens n’en affirment pas moins que les nouveaux districts fédéraux devraient remplacer toutes les entités constituantes actuelles. Jusqu’à maintenant, le président Poutine n’a jamais acquiescé à cette demande.

Fédérations volume 1, numéro 4, mai 2001