Jusqu’à tout récemment, Cesario Melantonio Neto était directeur des relations fédérales au ministère des Affaires extérieures du Brésil. Il a notamment veillé à l’établissement de bureaux du ministère des Affaires extérieures dans les diverses régions du Brésil—un projet fort novateur. Lors de la Conférence sur les relations extérieures des unités constituantes, tenue du 10 au 13 mai 2001 à Winnipeg, Canada, Cesario Melantonio Neto a eu l’occasion de décrire cette idée tout à fait nouvelle à Fédérations.

Fédérations : Vous possédez au Brésil une institution très particulière, sinon unique au monde. Vous avez, en effet, ce qu’on pourrait appeler des ambassadeurs du service des Affaires extérieures dans différentes régions du pays. Expliquez-nous comment cela fonctionne.

Melantonio : Eh bien, je ne saurais dire si nous sommes les seuls à posséder un tel système, mais nous en sommes certainement très fiers et le considérons comme une véritable diplomatie fédérale. Nous pratiquons cela depuis bientôt quatre ans et nous croyons que cette pratique s’ancrera dans la culture diplomatique. Il s’agit d’un très important réseau de communications entre le ministère, la société civile et les unités constituantes de la fédération. Tout cela relève de la démocratie en général et plus particulièrement à l’intérieur même du pays. Une véritable nouvelle culture s’est installée au ministère des Affaires étrangères. Nous tâchons de faire en sorte que nos représentants à l’étranger développent de plus en plus de contacts avec différentes régions du Brésil.

Cette idée a germé il y a quatre ans. Rappelez-nous ce qui a incité le gouvernement brésilien à réfléchir à ce genre de procédé.

Je crois que cela vient de la mondialisation. Celle-ci, en effet, fait en sorte que les unités constituantes des fédérations ont une tendance—et c’est tout à fait naturel—à développer davantage de contacts à l’étranger. Bien entendu, il est extrêmement important qu’un ministre des Affaires extérieures ait au moins une connaissance élémentaire des priorités des régions d’un pays. Dans un grand pays comme le Brésil, qui compte six mille villes et vingt-sept états, il est quasiment impossible de tout connaître. Mais nous devrions au moins connaître les plus importantes activités extérieures des unités constituantes de notre propre fédération.

Étant donné que la capitale se trouve au centre du Brésil (une sorte de noman’s land perdu au milieu d’un grand pays), nous pourrions facilement perdre contact avec les principales régions du pays. Le Brésil compte dix grandes villes de plus de un million d’habitants et plusieurs grands états. Le ministère des Affaires extérieures doit être sensible à leurs préoccupations.

Fédérations volume 1, numéro 5, été 2001

ressources humaines, c’est une sorte de système pour recycler les hauts fonctionnaires à l’intérieur du pays plutôt que dans la capitale.

Pourriez-vous nous donner l’exemple d’un ambassadeur de ce genre qui aurait contribué à régler un problème de relations extérieures d’un état donné?

Je pourrais justement vous parler d’une demande toute récente qui concerne le Canada.

Il y a quelques jours, nous nous sommes réunis pour discuter du Sommet des Amériques à Québec, la zone du libreéchange des Amériques. Un de nos gouverneurs (d’un état agricole très important) a annoncé au ministre des Affaires extérieures qu’il ne pourrait pas venir au Sommet, mais qu’il apprécierait que son vice-gouverneur y participe en tant que membre de la délégation brésilienne afin de suivre les discussions. Bien entendu, nous avons accepté et cela s’est avéré très constructif. Maintenant, en effet, le vice-gouverneur suit de près les discussions au sujet de la zone de libreéchange des Amériques et en particulier en ce qui concerne les obstacles et les subventions en matière d’agriculture, principale préoccupation économique de son état. Du reste, ce gouverneur est membre de l’opposition, mais je dois souligner qu’au ministère des Affaires extérieures (disons un ministère technique) nous ne nous occupons pas de politique intérieure. Nous travaillons sur un même plan tant avec les gouverneurs et les maires de la présente coalition, qu’avec ceux de l’opposition.

Pourrions-nous dire que ce programme est en partie destiné à définir, délimiter—voire contrôler—les activités des états, et à faire en sorte d’éviter toute forme de déstabilisation des affaires extérieures du Brésil qu’engendreraient trop de positions indépendantes? Dans quelle mesure cette volonté de cohérence fait-elle partie de l’objectif?

Je dirais que, depuis le début, notre position et notre approche à l’égard de l’union de la fédération sont marquées par le fait que nous ne travaillons pas dans une perspective de contrôle, de supervision ou de fiscalisation car cela ne marcherait pas. Nous privilégions la coopération. Chacun sait très bien qu’il n’est pas possible qu’une unité constituante d’une fédération développe une politique extérieure indépendante. Et chacun sait également que notre important réseau à l’étranger (centcinquante postes) leur est très utile. Ainsi il s’agit véritablement de coopération, de participation et de partage des renseignements plutôt que de contrôle. Étant donné la puissante personnalité politique des gouverneurs (élus), le contrôle est inenvisageable, comme il l’est d’ailleurs à l’échelle d’une fédération en général.

Pensez-vous qu’il y ait quelques leçons à tirer pour les fédérations, y compris celles du Nord, de l’exemple brésilien?

Eh bien, nous avons discuté de nos expériences avec d’autres fédérations bien avant la création du Forum des fédérations. Cela signifie que nous avons été contactés par d’autres pays fédérés par le biais de leurs ambassades au Brésil.

Je dirais que ce genre d’expérience est particulièrement importante pour les grands pays et les pays continentaux, alors que la question ne saurait se poser pour les petites fédérations dans lesquelles il est facile de se déplacer de la capitale aux grandes villes. Cependant, dans les pays comme le Canada, le Brésil, les États-Unis, l’Australie, l’Inde et la Russie, un diplomate d’Ottawa, de Brasilia, de Moscou ou de Canberra se trouve loin de la plupart des grandes villes du pays. Ainsi je pense que le système des ambassadeurs internes est important car il permet au ministre des Affaires extérieures d’être au courant des affaires intérieures qui ont un rapport avec les questions extérieures.

À mon avis, il ne suffit que de modifier la culture diplomatique. À l’heure de la mondialisation et de la technologie informatique, le diplomate ne peut plus se préoccuper uniquement de politique extérieure. Il lui faut se familiariser avec les activités politiques, économiques et culturelles des unités constituantes à l’étranger.

Ainsi qu’on nous l’a appris lors de cette conférence, dans plusieurs pays (du Nord en particulier), les unités constituantes ont commencé de jouer un véritable rôle officiel dans les affaires extérieures, au point que certaines d’entre elles ont un service d’affaires extérieures plus important que celui de bien des pays souverains. Pensez-vous que dans le cas de ces pays-là, il doit y avoir une forme de coordination entre les activités extérieures des unités constituantes et le gouvernement fédéral? Comment pensez-vous que cela pourrait marcher?

Il ne peut s’agir que de cas particuliers. Ainsi que je l’ai appris par le biais du Forum des fédérations, les problèmes à l’intérieur de chaque fédération sont radicalement différents. La nôtre en compte beaucoup, mais ce sont surtout des problèmes reliés au fédéralisme fiscal et aux inégalités régionales. Cependant notre fédération ne présente pas de dissension religieuse, ethnique ou linguistique étant donné que nous n’avons qu’une seule langue. Ainsi la plupart des Brésiliens pratiquent la même religion. Heureusement pour le Brésil, nous constatons que les forces politiques et économiques dans la fédération ne se heurtent à aucun problème religieux ou ethnique, les pires, vraisemblablement, avec lesquels une fédération doit lutter. Je crois que transmettre notre expérience à d’autres fédérations serait très ardue. Il est possible de partager des expériences semblables. Mais personne n’a jamais d’expérience semblable.

Fédérations volume 1, numéro 5, été 2001