Une bataille qui fait très rarement la une des journaux a actuellement cours au Canada. Le public en général s’y perd. Pourtant, cette bataille pourrait changer à jamais la face du pays.

Le ministre canadien des Affaires indiennes et du Nord (INAC), monsieur Robert Nault, a en effet annoncé que son ministère mettait la dernière main à un projet de gouvernance des Premières Nations, lequel pourrait devenir une loi à l’automne 2002. Le 30 avril, le ministère a également annoncé que des consultations exceptionnelles dans l’histoire du Canada seraient engagées partout au Canada. Destinées à la population et non aux chefs aborigènes, celles-ci doivent se poursuivre dans tout le pays jusqu’en octobre. Le ministre Nault a enfin déclaré que les chefs protégeraient leur statut et qu’ils n’accepteraient aucun changement qui puisse entraver leur pouvoir actuel.

Opposition des chefs aborigènes

Le 10 mai, après avoir débattu la question pendant trois jours lors de l’Assemblée des Premières Nations, les chefs aborigènes de tout le pays ont fermement rejeté l’initiative de Nault. Le grand Chef de l’Assemblée des premières nations, Matthew Coon Come, a vivement incité la population des premières nations à boycotter les délibérations. Nault a répondu qu’il les poursuivrait de toute façon, et qu’il concevrait une loi avec ou sans l’accord des chefs.

Le ministre a précisé que la loi de gouvernance est une mesure intérimaire nécessaire pour boucher les trous de la loi fédérale sur les Indiens. Celle-ci, établie en 1876, gouverne presque tous les aspects de la vie des autochtones qui y sont assujettis. Tout le monde, y compris les chefs des premières nations, l’estiment inadéquate. Les pouvoirs du conseil de bande sont restreints, incomplets, mal desservis par les règlements et n’ont jamais été conçus pour durer. Les pouvoirs du ministre et du cabinet fédéral datent de la colonie.

La loi sur les Indiens est attaquée dans plus de deux cents procès. Nault estime qu’il vaut mieux soumettre un plan clair pour définir la loi plutôt que d’attendre que la cour rétablisse les liens entre le gouvernement et les premières nations, n’importe comment ou encore cas par cas.

Démocratie ou colonialisme déguisé?

Le grand Chef admet que son peuple a besoin de meilleures structures à l’égard de sa gouvernance. Cependant il ne veut pas répéter les erreurs coloniales et s’en remettre au gouvernement fédéral pour régler ces questions.

« Après tout, c’est l’organisation nationale qui sait quels changements doivent être effectués, déclare-t-il. Ce que nous essayons de faire maintenant c’est d’en isoler un certain nombre. Les premières nations ne sauraient accepter toute initiative du ministre qui contribuerait à les rejeter. Cependant, je crois que les premières nations veulent des changements. »

Il semble que les longues et coûteuses initiatives continuent de se heurter au mur de la juridiction. Le gouvernement fédéral ne cèdera pas le dernier échelon de l’échelle. Les premières nations, elles, insistent sur un accord de nation à nation. Tout à fait réticent, voire incapable de donner corps à quelque point que ce soit, le ministre manifeste de l’impatience face à cette impasse. C’est pourquoi, dans l’espoir de faire avancer la loi sur la gouvernance, il consulte directement le peuple des premières nations et non leurs chefs.

Coon Come estime que le ministre Nault devrait négocier directement avec lui et accepter le fait que le gouvernement doit faire une petite pause sur cette impasse. Pour l’instant, le ministre ne négocie qu’avec les premières nations qui s’insurgent contre la demande de Coon Come de boycotter les pourparlers.

On a demandé à Nault si la population pouvait stopper les négociations. « C’est possible, s’ils ont un argument légitime, a-t-il répondu. Mais je n’en ai entendu aucun. Cependant, si la population se bat sur la question de savoir si nous devons ou non délibérer, je crois que cela est très risqué et cela m’indique que nous avons de sérieux problèmes. Ce que j’ai entendu jusqu’à maintenant de la part du grand Chef et des sous-chefs de la nation est : Donnez-moi de l’argent. Montrezmoi plus de procédures. Des excuses… »

Nouvelles institutions fiscales : la façon d’avancer?

Un des anciens chefs propose quelques idées pour vraisemblablement régler un bon nombre de restrictions de la loi sur les Indiens. Longtemps chef de la bande des Kamloops, Clarence « Manny » Jules a fait avancer plusieurs initiatives, désormais prêtes à être considérées par le parlement.

Il a décrit en détails les quatre institutions que, à son avis, la loi des Institutions financières devraient créer.

La première serait une agence de statistiques indispensable au développement fiscal. Elle veillerait à établir une compilation analytique de renseignements économiques au sujet des premières nations.

La deuxième, une commission fiscale de taxe nationale pour les premières nations, serait responsable des pouvoirs fiscaux de la première nation.

Fédérations volume 1, numéro 5, été 2001

Cette question effraie les chefs étant donné que leur peuple bénéficie d’une exemption de taxes en vertu de la section 87 de la loi sur les Indiens. En tant que chef, Jules a réussi à taxer les entités non autochtones qui spéculent sur son territoire et il croit que les autres premières nations peuvent faire de même.

« La Cour suprême du Canada reconnaît que nous avons ce pouvoir et qu’il ne dérive pas de la législation fédérale, mais qu’il y est inhérent. »

La troisième institution, une autorité financière des premières nations, permettrait un accès plus facile aux capitaux pour les premières nations », précise-t-il.

« Lorsqu’il s’agit de négocier avec les premières nations, le Canada est l’un des quelques pays dans lequel toute l’infrastructure doit être négociée sur une seule année fiscale. Nous n’avons pas la possibilité, ainsi que l’ont tous les autres niveaux de gouvernement, de commencer à développer des cautionnements et des obligations ou encore de pénétrer le marché libre ».

« Nous devons pouvoir être en mesure de réunir nos ressources, pas seulement celles des Indiens qui imposent des taxes, mais aussi celles de ceux qui ont des titres de propriété. Également, les milliards de dollars que le gouvernement investit dans son infrastructure pourraient l’être dans le type d’infrastructure dont nos communautés ont cruellement besoin. »

La quatrième institution serait une commission de gestion financière des Premières Nations, une institution nationale qui établirait des normes de gestion financière, de même qu’un soutien aux institutions locales.

Le gouvernement fédéral a esquissé la loi des institutions financières de concert avec l’AFN. Cependant, ni l’un ni l’autre ne l’a approuvée. Le ministre a donné la priorité à la loi de la gouvernance. Cependant, si les chefs adhèrent à l’une des initiatives, ce sera à la loi des institutions financières.

Tout cela n’en est qu’au début. Des observateurs, même avertis, ne peuvent prédire comment cela finira. L’ancien ministre Ron Irwin a tenté de modifier la loi des Indiens en 1996 mais il a été arrêté à temps par les chefs. Nault, son équipe et les chefs ont incontestablement appris de cette expérience.

Fédérations volume 1, numéro 5, été 2001