Les élections indiennes d’états : glissement des rapports de forces

PAR PRASENJIT MAITI

que jamais, au fur et à mesure ouest de l’Inde) des mains du parti Asom de l’Inde, de nouvelles tendances aptes

qu’on s’affaire à redéfinir la balance du pouvoir, l’Inde unipartite devient chose du passé.

En mai dernier, cinq assemblées d’état ont tenu des élections. Celles-ci, qualifiées de « miniélections générales » par la presse indienne, témoignent de la santé frêle des partis nationaux de l’Inde et de ses alliances fortuites.

Les observateurs en ont scruté le résultat pour y déceler des indices de changement dans l’appui accordé au parti au pouvoir à New Delhi, soit l’Alliance démocratique nationale, dirigée par le parti Bharatiya Janata (PBJ). Le PBJ détient le pouvoir central depuis 1999, s’étant fait élire sur les ailes d’un programme électoral axé sur un nationalisme hindou.

Il est courant d’analyser le déroulement des élections étatiques pour mieux comprendre les mutations fédérales, compte tenu de l’interaction croissante— quoique sinueuse—entre les politiques étatiques et la répartition des pouvoirs centraux. L’époque où un parti de l’établissement indien pouvait contrôler le centre sans opposition est révolue. De nos jours, les partis fédéraux doivent créer des coalitions pour conserver le pouvoir, et leurs partenaires constituent souvent l’incarnation fédérale de mouvements sectaires ou locaux.

Le PBJ perd des appuis

Des élections d’état ont eu lieu le 10 mai dernier à Assam, au Bengale de l’ouest, au Kerala, au Tamil Nadu et au Pondichéry. Le Parti congressiste (auparavant le parti dominant de l’Inde), a gagné beaucoup de terrain, alors que le PBJ a subi de graves pertes.

Le Parti congressiste, fort de ses 126 membres, a repris Assam (dans le nord-Gana Parishad.

Au Bengale de l’ouest, le Congrès a conclu une alliance avec sa faction dissidente, le Congrès Trinamul de Mamata Banerjee.

Néanmoins, pour une sixième fois consécutive depuis 1977, le front de la gauche dirigé par le Parti communiste de l’Inde (marxiste) a repris le pouvoir au Bengale de l’ouest. À eux seuls—c’est-àdire en excluant les partenaires de la coalition—les communistes ont raflé 143 des 294 sièges à l’assemblée.

Le PBJ n’a pas réussi à remporter un seul siège au Bengale de l’ouest malgré sa présence traditionnelle dans les districts éloignés qui bordent le Bangladesh et les anciens établissements de réfugiés hindous.

Le Front démocratique uni dirigé par le Congrès a repris le pouvoir au Kerala (au sud de l’Inde), au détriment des communistes.

Au Pondichéry, le All-India Anna Dravida Munnetra Kazagham (AIADMK) s’est joint aux communistes et à la coalition Congrès-Congrès Tamil Manila pour garantir la victoire. Le PBJ n’a remporté qu’un siège sur 30 au sein de l’assemblée du Pondichéry.

La coalition AIADMK (maintenant proche du Congrès) a balayé les bureaux de scrutin au Tamil Nadu (dans le sud de l’Inde). L’AIADMK, malgré les nombreuses accusations de corruption portées contre son chef, a obtenu 132 sièges et sa coalition contrôle 194 des 234 sièges au sein de l’assemblée de l’État.

Construction et destruction de ponts

Ces élections étatiques ont suscité l’émergence, au sein du régime des partis à influencer le cours de la politique fédérale indienne dans un proche avenir.

À l’image de « l’enfant prodigue », le Parti congressiste, écarté du pouvoir depuis 1996, est en voie d’affermir ses assises au sein des états, avec l’aide de ses alliés régionaux. Ce parti national a commencé à bâtir des ponts avec des factions autrefois dissidentes, quoique puissantes, comme le Congrès Trinamul au Bengale de l’ouest et le Congrès Tamil Manila au Tamil Nadu et au Pondichéry.

Le Parti congressiste s’est aussi associé à des satrapes régionaux dominants tel Jayaram Jayalalitha au Pondichéry, qui ont souvent fait la pluie et le beau temps récemment, même à New Delhi. Le retrait de son appui au gouvernement de coalition PBJ du premier ministre Atal Behari Vajpayee illustre bien la situation.

En revanche, les efforts déployés par le PBJ pour créer de nouvelles alliances ont rapidement écarté certains amis. Il a perdu l’appui crucial de Mamata Banerjee au Bengale de l’ouest (même si le PBJ n’est pas le seul responsable de cette séparation). En outre, Assam illustre éloquemment les erreurs commises par le PBJ au moment de choisir ses alliés politiques.

Il est même arrivé, à l’occasion, que les chefs d’état du PBJ nuisent au parti en se mettant à dos d’importants alliés. L’an dernier, une telle erreur de jugement a même entraîné la défaite, par un seul siège, du front de la gauche au pouvoir au profit du PBJ et de la Coalition Tamil Manila lors des élections municipales de Salt Lake City (près de Calcutta).

Le PJB n’a jamais aimé l’idée d’établir des coalitions fédérales et de partager le pouvoir avec des partis régionaux. Cette attitude tient, en partie, à sa structure organisationnelle hiérarchique très encadrée et à un programme politique

Fédérations volume 1, numéro 5, été 2001

qui mise davantage sur l’exclusion que sur l’adaptation aux identités pluralistes et multiculturelles de l’Inde.

Cette réticence à former des coalitions peut détruire un parti désireux de prendre le pouvoir dans un pays si diversifié. Il ne faut pas oublier que l’ancien premier ministre indien Vishwanath Pratap Singh (qui jouissait en 1989 de l’appui des « fondamentalistes de droite » du PBJ, ainsi que des « progressistes de gauche » communistes), avait alors déclaré que « l’Inde constituait elle-même une coalition ».

Il semble que certains membres du PBJ ont reconnu ce fait. Le ministre fédéral, Lal Krishna Advani du PBJ, affirma un jour que « dans le cadre de notre politique globale, nous devrions nous engager à créer une chimie de coalition efficace avec nos alliés en élargissant constamment nos champs d’intérêt communs et en réduisant—ou du moins en inactivant—nos points divergents ».

Cela dit, il n’est pas certain que le PBJ fédéral saura s’adapter à la nouvelle Inde et se rétablir des dommages subis au niveau des états. Si ces élections témoignent vraiment des orientations à venir, on pourrait bien assister dans un proche avenir à la résurrection, sur la scène fédérale, d’un Parti congressiste assoiffé de coalitions.

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Nonobstant toutes les prévisions, il est clair que la politique fédérale de l’Inde a subi diverses transformations. Le pays est passé d’un régime unipartite dominant à une suite de gouvernements de coalition nés d’alliances fortuites à court terme entre des partis régionaux et des partis majeurs, au niveau du centre comme à celui des états. Ce phénomène a été qualifié de « pluralisme polarisé ». Reste à savoir en quoi ces mariages de raison affecteront la personnalité même de l’Inde.

Ces types de négociations fédérales et de partages de pouvoirs ont alimenté la frustration de la population à l’endroit de partis régionaux qui affichent des programmes politiques très étroits— des partis qu’on perçoit comme perçant des trous sectaires dans la grande toile de l’Inde.

Fédérations volume 1, numéro 5, été 2001