Survol :

Le fédéralisme en Afghanistan après les Talibans

PAR DAVID CAMERON semble être Groupes ethnolinguistiques en Afghanistan

un pays tout indiqué pour instaurer un régime fédéral. Un regard à son histoire, à sa géographie et à sa structure sociale suffit à montrer qu’une forme quelconque de fédéralisme contribuerait à sortir ce pays de son marasme, une fois le régime des Talibans aboli et l’heure venue d’adopter une nouvelle constitution.

L’Afghanistan compte vingt-six millions d’habitants répartis sur un territoire de la taille du Manitoba. Divers groupes ethniques s’y côtoient, dont les Pachtouns, qui constituent 38 % de la population, les Tadjiks, les Hazaras, les Ouzbeks et d’autres encore. Les deux principales langues sont le dari, ou perse afghan, et le pachtou. On y retrouve deux branches de l’Islam, soit les Sunnites et les Shi’a. Même si ces collectivités sont férocement attachées à leurs racines locales, on constate un profond sentiment d’appartenance à la collectivité afghane. Trop souvent, les gouvernements centristes établis par les Pachtouns se sont montrés exclusifs et abusifs à l’endroit des autres groupes. Cela a engendré la dissidence et la résistance.

Le sentiment d’appartenance nationale (afghane) ajouté aux loyautés locales fondées sur la région, l’ethnie, la langue et la religion ont jeté les bases sociopolitiques d’un régime fédéral très décentralisé. Le fait de combiner une régie centrale collective à certaines fins et une régie régionale autonome à d’autres fins pourrait

Map courtesy of the CIA. N.B. Carte disponible en anglais seulement.

aider à unir une nation divisée par les guerres et à canaliser les énergies nationales et locales nécessaires pour rebâtir la société afghane après la guerre.

Bon en théorie, mais en pratique…?

Comme l’ont souligné des étudiants de la fédération voisine de l’Inde, le fédéralisme peut constituer un outil efficace pour gérer les disparités ethniques et autres. Le fédéralisme dilue les conflits en les transférant aux unités constituantes et aux pouvoirs locaux ; il situe ces dissensions au sein des mêmes groupes ethniques quand diverses factions sollicitent le contrôle des gouvernements des unités constituantes ; il favorise la coopération entre les ethnies lorsque des provinces ou des unités constituantes établissent

Fédérations Spécial Afghanistan, octobre 2001

des coalitions pour réclamer, appuyer ou contester les politiques du centre ; enfin, il stimule l’énergie créatrice des collectivités locales appelées à gérer leurs systèmes d’éducation, leurs services sociaux et leurs bureaucraties régionales.1

De la théorie à la pratique, il y a toutefois un grand pas à franchir. Il est incontestablement utile de se doter d’une bonne constitution fédérale qui définit clairement les rôles du gouvernement central et des instances régionales. Mais sans volonté commune de travailler ensemble à rebâtir le pays, la plus belle charte constitutionnelle au monde ne saurait empêcher la guerre civile et le chaos. Voilà pourquoi il faut établir un climat de confiance suffisant entre tous les opposants pour les convaincre que le régime qu’ils acceptent d’instaurer fonctionnera bien. Pour concrétiser cette « vision du fédéralisme », il faut d’abord satisfaire à plusieurs conditions.

Quelques conditions préalables

Premièrement, faire la paix. Tant et aussi longtemps que le pays sera secoué par la violence et la guerre, il sera impossible d’y établir un régime constitutionnel. Cependant, les interventions internationales actuelles laissent entrevoir quelque espoir en ce sens.

Deuxièmement, faire appel à l’aide internationale. La communauté internationale doit être prête à appuyer fermement, et à long terme, le processus de paix et l’instauration d’un régime constitutionnel. Si les grandes puissances ou les états voisins préfèrent que l’Afghanistan reste en guerre, aucune réforme valable ne sera possible. Au fil des mois, une importante campagne de secours s’avérera nécessaire pour fournir aux Afghans ce qui leur est nécessaire pour vivre. Une force internationale de maintien de la paix devra être établie pour surveiller la situation jusqu’à ce que les forces réformistes locales puissent prendre la relève. Il faudra user de doigté pour aider l’Afghanistan à se doter de nouvelles institutions et faire en sorte que ce pays transcende son passé douloureux. En 1946, des avocats de Harvard ont rédigé en six jours la constitution du Japon… mais cette performance ne saurait fonctionner pour l’Afghanistan. En vérité, il est peu probable que l’aide internationale soit efficace à moins qu’elle n’engage la participation des pays musulmans concernés.

Troisièmement, les peuples afghans ne peuvent accomplir toutes ces transformations du jour au lendemain. Il faut prévoir du temps et trouver le moment propice. Les discussions actuelles au sujet de l’instauration d’un gouvernement intérimaire (lequel pourrait être présidé par l’ancien roi, Mohammad Zahir Shah), confirment cette nécessité. Il faudra ensuite miser sur une présence internationale solide et durable pour assurer l’application et l’évolution des ententes constitutionnelles conclues.

Ainsi, si jamais…

  • les Talibans sont défaits et la paix rétablie,

  • les factions guerrières afghanes acceptent de tout effacer et de repartir à zéro,

  • la communauté internationale appuie l’Afghanistan comme il faut,

  • un gouvernement intérimaire crédible peut être établi,

• on peut lancer un processus consensuel pour élaborer une constitution en accord avec les principaux groupes intéressés,

...cette « vision du fédéralisme » pourrait devenir une réalité et le fédéralisme jouer, en effet, un rôle crucial dans l’élaboration d’un nouvel ordre constitutionnel en Afghanistan.

1Donald Horowitz, Ethnic Groups in Conflict (Berkeley: University of California Press, 1985), pp. 597–613.

Fédérations Spécial Afghanistan, octobre 2001