Contexte régional et international : Peut-on envisager la paix et la coopération?

PAR AMIR HASSANPOUR

régime des Talibans n’est pas fondée sur la reconnaissance mutuelle ait également formé des terroristes

uniquement l’incarnation d’une quelconque dynamique interne de la société afghane, ou plus précisément des diverses sociétés afghanes. Ce régime a pris forme au fil d’interactions conflictuelles tour à tour divergentes et convergentes engageant de nombreux pouvoirs locaux, nationaux, régionaux et internationaux. Les États-Unis, la Grande-Bretagne, la Russie, le Pakistan, l’Iran, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis ont tous contribué, chacun à leur façon, à établir la structure du pouvoir post-soviétique.

Si le régime taliban est né d’un système interétatique, il s’agit également d’une entité façonnée par une série d’acteurs extérieurs à l’État, tant sur la scène nationale qu’internationale. Alors que l’ascension de Khomeini en Iran a conduit les fondamentalistes islamiques à réclamer le pouvoir étatique, la prise du pouvoir politique par les Talibans a tracé la voie à des vagues de guerriers qui se sont donnés pour mission d’établir un véritable empire islamique. Tout comme l’impérialisme occidental ne saurait survivre sans marchés internationaux, les théocraties islamistes ne sauraient s’épanouir sans un empire qui leur soit propre.

Dans les deux cas, les forces supranationales en jeu n’ont pas réussi à garantir la prospérité, la liberté et la paix à cette région riche en capital humain et en ressources naturelles. Existe-t-il un autre régime supranational capable de promouvoir la coexistence, alors que la souveraineté de l’État est régulièrement contestée par les manipulateurs des pouvoirs locaux, régionaux et mondiaux? Si les intérêts des états voisins tiennent à l’identité des détenteurs du pouvoir en Afghanistan, peut-on réaliser une division du travail et la non-intervention?

Une gouvernance ébranlée par les crises modernes

Au fil des ans, plusieurs observateurs de la mondialisation ont constaté que la tradition

« Les peuples de ces régions en sont assez du néocolonialisme, du despotisme islamique ou laïque et des inévitables massacres que ces régimes entraînent. »

souverainiste du monde occidental moderne accordant à l’État l’exercice exclusif des pouvoirs à l’intérieur des frontières est maintenant dépassée. Les états ne peuvent plus gouverner de façon centralisatrice. Qu’on le veuille ou non, un nouveau mode de division du travail tend à émerger ; des entités supranationales et infranationales manipulent maintenant une bonne portion du pouvoir.1

Cette « crise de gouvernance » s’est matérialisée en Afghanistan. Les Talibans ont imposé un régime de terreur médiéval qui bafoue les femmes et tous les autres groupes. S’il est vrai que Oussama Ben Laden a ordonné le massacre du 11 septembre, il est fort probable qu’il fondamentalistes et les ait expédiés au Kurdistan iraquien où ils ont attaqué des villages, tué de nombreux militaires du gouvernement kurde local et instauré un Émirat islamique taliban. Comment le nouvel ordre mondial a-t-il pu donné le jour à un tel régime? On entend souvent dire que la modernité a engendré le nazisme et l’holocauste. Si tel est le cas, l’émirat islamiste des Talibans est né du choc d’intérêts prémodernes, modernes et postmodernes, et son règne de terreur viole toutes ces frontières.

Comment concilier des intérêts conflictuels?

Lorsqu’on tente d’imaginer l’avenir de l’Afghanistan et de ses peuples (brutalisés depuis deux décennies), il faut d’abord s’interroger en ces termes : les États-Unis, la Grande-Bretagne, la Russie, l’Inde, la Chine, le Pakistan, l’Iran, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et les états de l’Asie centrale accepteront-ils de laisser l’Afghanistan tranquille? Permettront-ils à cette population diversifiée d’élire en toute liberté un gouvernement démocratique? Probablement pas, car leur intérêt est trop grand pour être mis sous le tapis. En Afghanistan, la gouvernance n’est plus une question interne. En revanche, l’accès au pouvoir d’un régime fantoche dirigé par une ou deux marionnettes régionales ou internationales n’entraînera pas non plus la paix et la prospérité en Afghanistan. Pour convertir ce nid de vipères en un état souverain, il faudra que les parties intéressées modifient radicalement leurs politiques.

L’Afghanistan fait partie d’une série de régions et de zones culturelles géo-stratégiques juxtaposées. Elle longe

1Selon un observateur, « les faits qui sous-tendent la souveraineté et la territorialité définis par le droit international sont en voie de devenir de la fiction transnationale. Au fur et à mesure que la prolifération des pouvoirs décentralisés infranationaux et supranationaux entraîne le viol des lois anti-gouvernementales dans des territoires incertains, chaque souverain découvre que son propre territoire est contesté, à l’interne comme à l’externe...»; ces forces fractionnelles vont de l’environnementalisme global constructif au fondamentalisme religieux destructif ». Timothy Luke, « Reconsidering nationality and sovereignty in the New World Order », Political Crossroads (1997), volume 5, numéros 1 et 2, page 8.

Fédérations Spécial Afghanistan, octobre 2001

les nébuleuses frontières de diverses régions, telles l’Asie centrale, le Moyen-Orient et l’Asie méridionale. Depuis 1978, elle fait partie de la « zone de guerre » la plus imposante et la plus active au monde, qui s’étend du Cachemire, de l’Afghanistan et du Pakistan à l’est jusqu’au Soudan, et à Chypre à l’ouest. Ses peuples ont été victimes de guerres intermittentes, d’invasions, de génocides et d’épuration ethnique notamment au cours de conflits internes et externes impliquant le Cachemire, le Pakistan et l’Inde; l’Iraq et l’Iran; l’Arménie et l’Azerbaïdjan; la Tchétchénie-Russie; Israël, la Palestine, le Liban et la Syrie; l’Iraq et le Koweït; la Turquie, l’Iran, l’Iraq et les Kurdes; la Turquie et la Syrie; la Turquie et l’Iraq; le Soudan et la région vulnérable de la Turquie et de Chypre.

À l’intérieur de cette zone, une « sous-zone de génocide » s’est créée au sein de laquelle les Arméniens, les Assyriens et les Kurdes ont subi plusieurs campagnes d’extinction et d’épuration ethniques dans l’empire ottoman et l’Iraq.2

Il s’avère difficile de concilier les intérêts conflictuels des pouvoirs occidentaux et ceux des divers états face à l’Afghanistan. Il serait plutôt préférable qu’ils acceptent de sauvegarder la neutralité d’un régime démocratique afghan, et que l’Afghanistan accepte à son tour de protéger son territoire et ses citoyens afin qu’ils ne soient pas noyés dans des conflits, des actes terroristes et des conspirations. L’Afghanistan semble avoir joué ce rôle « d’État-tampon » pendant quelques décennies suivant l’ascension soviétique en Asie centrale après la Deuxième guerre mondiale. Évidemment, ce monde bipolaire et plutôt simple n’existe plus.

Quelle place fait-on à la sécurité dans une entente supranationale?

La meilleure justification de l’État-tampon pourrait bien être sa dimension pratique, même s’il ne s’agit pas d’une option à long terme. La zone de guerre n’est ni locale ni régionale. Les États-Unis y jouent un rôle de premier plan, menant la seconde opération majeure de l’après-guerre froide. Il faut aussi prendre très au sérieux la menace d’une guerre nucléaire entre l’Inde et le Pakistan.

À l’instar des conflits européens du XXe siècle, il se pourrait bien que la crainte des conflits et des soulèvements graves ne suffise pas à éliminer l’option militaire.

Une solution plus viable consisterait à déployer des efforts pour établir un « supra-État » ou conclure une entente en général. Même au sein des régions développées d’Europe de l’Ouest, l’établissement de l’Union européenne s’est étiolée sur une période d’un demi-siècle.

Cela dit, les notions de gouvernance évoluent plus vite que jamais. Moins de vingt ans après son arrivée au pouvoir

supranationale qui répondrait aux exigences les plus fondamentales : la non-agression et la non-interférence. On pourrait songer à des mesures ultérieures pour instaurer une confédération d’états axés sur la coexistence pacifique et la coopération dans des secteurs comme l’éducation, la santé, l’environnement, la technologie, le développement économique et autres. Même s’il existe plusieurs organisations régionales (dont le Conseil de coopération du Golfe, le Projet de coopération économique de la mer Noire, l’OPEP), ces dernières n’ont rien établi de semblable au marché commun européen des années soixante qui, au-delà de l’intégration économique, en est venu à former l’Union européenne.

Quand on jette un regard sur la région du Moyen-Orient, du Proche-Orient et de l’Asie centrale, on ne sent pas que la population soit prête à accepter des structures supranationales. Ces idées mettent en effet du temps à être acceptées par le monde suite à la révolution la plus populaire du siècle dernier, le régime islamiste de l’Iran commence à craquer sous la pression intense des femmes, des étudiants, des paysans et d’autres groupes dissidents. Aujourd’hui, même certains Islamistes vont jusqu’à contester le concept de la théocratie et revendiquent la séparation de l’État et de la religion.

Dans ce monde instable, l’idée d’une « gestion ou gouvernance confédérale » gagne du terrain.3 Le succès de telles ententes dans la région tient au degré de démocratisation de chaque pays. Les peuples de ces régions en ont assez du néocolonialisme, du despotisme islamique ou laïque et des inévitables massacres que ces régimes entraînent. Les habitants de l’Afghanistan sont les tristes victimes de cette tragédie. Tout indique qu’ils seront une fois de plus perdants, puisqu’on les empêche de profiter d’une évolution démocratique qui marque l’itinéraire du monde depuis deux siècles.

2Mark Levene fait référence au concept de « zone de génocide » dans « Creating a modern zone of genocide: The impact of nation- and state-formation on Eastern Anatolia, 1878-1923 », Holocaust and Genocide Studies, volume 12, numéro 3 (1998), pp. 393-433.

3Voir : Daniel Elazar, Constitutionalizing Globalization: the Postmodern Revival of Confederal Arrangements, Lanham, et New York, Rowman & Littlefield Publishers, Inc., (1998); et Frederick Lister, The European Union, the United Nations, and the Revival of Confederal Governance, Westport, Greenwood Press (1996).

Fédérations Spécial Afghanistan, octobre 2001