Gouverner l’Afghanistan après le conflit : non pas qui mais comment?

PAR M. NAZIF SHAHRANI cent ans d’incompétence Cependant les dures leçons de l’histoire La nation multiethnique d’Afghanistan

gouvernementale, vingt-cinq ans de guerres et plusieurs années de répression aux mains du régime des Talibans et de son réseau terroriste mondial, les peuples afghans comptent parmi les plus pauvres au monde. Ils ont besoin de modifier fondamentalement leur mode de gouvernance et doivent y parvenir de toute urgence. L’attentat terroriste du 11 septembre contre les Etats-Unis, orchestré par l’organisation terroriste Al-Qaida d’Oussama Ben Laden (qui se cache en territoire afghan sous la protection des Talibans), a révélé au monde entier le destin tragique des peuples d’Afghanistan. Du même coup, cela leur permet d’espérer la fin de leur cauchemar.

La guerre actuelle des États-Unis et de leurs alliés contre les forces terroristes de Ben Laden ne peut être gagnée sans déterminer avec grande minutie le mode de gouvernance démocratique qui convient à ce pays affligé. Au fur et à mesure qu’on cherche des solutions au régime des Talibans, une question se pose : qui devrait gouverner l’Afghanistan après les Talibans? On fait régulièrement mention de certaines instances, telles l’ex-roi afghan Mohammad Zahir Shah, la majorité ethnique des Pachtouns, le parti d’opposition de l’Alliance du Nord, les leaders de l’ancien moudjahiddin, une coalition de représentants de tous les groupes ethniques ou un gouvernement à base élargie vaguement défini.

Le service de renseignements militaires du Pakistan (ISI), qui a établi le régime des Talibans, insiste pour que les futurs dirigeants du pays accueillent en leurs rangs des Talibans « modérés ». Pour légitimer ce gouvernement hautement centralisé, on aurait recours au système traditionnel de la Grande assemblée afghane (ou Loya Jirga en pachtoun).

montrent que, à long terme, un a été littéralement concoctée par l’Inde gouvernement central fort entraînerait britannique et par la Russie tsariste à la fin toujours la domination d’un groupe en du XIXe siècle pour servir d’État-tampon. fonction de l’ethnie, de la langue ou de la Son premier dirigeant moderne, Amir religion, et constituerait un régime abusif Abdur Rahman Khan (1880-1901), a été

« En cette période critique de son histoire, l’Afghanistan a besoin de la même chose que les Américains, c’est-à-dire un gouvernement fédéral décentralisé fondé sur une solide constitution nationale. »

et injuste. Il n’existe aucune personne ou tribu, aucun parti, clan ou groupe ethnique, aucune combinaison possible de ces groupes capable, en soi, de rétablir la paix et de gouverner avec justice l’Afghanistan post-taliban.

Une contribution durable?

Il ne s’agit pas d’établir qui devrait gouverner l’Afghanistan mais comment le pays pourrait se gouverner lui-même. Une coalition établie sous l’égide des États-Unis s’apprête à instaurer de profonds changements en Afghanistan. En cette période critique de son histoire, l’Afghanistan a besoin de la même chose que possèdent les Américains, c’est-à-dire d’un gouvernement fédéral décentralisé fondé sur une solide constitution nationale. Il pourrait s’agir de la plus valable contribution des États-Unis et de sa coalition anti-terroriste internationale pour aider l’Afghanistan et éradiquer à tout jamais le terrorisme planétaire.

choisi avec soin par l’empire britannique parmi des petits princes guerriers d’un des clans pachtoun. Pour le remercier d’avoir cédé à la Grande-Bretagne le contrôle des affaires étrangères du pays, les Anglais lui versaient de l’argent et des armes pour conquérir et écraser une myriade de groupes ethnolinguistiques. Reconnu pour sa grande cruauté et surnommé « Amir de fer » par ses maîtres coloniaux, ce roi a établi les assises d’un régime colonialiste interne centralisé corrompu et oppressif à l’endroit de certaines tribus des Pachtouns et des groupes ethniques non Pachtouns.

L’instauration, de 1965 à 1973, d’une monarchie constitutionnelle, a accordé un bref répit au pays, jusqu’à sa défaite après un coup d’état au palais. Un régime communiste d’inspiration soviétique a été établi en 1978. L’événement a jeté le pays dans un tourbillon de guerres par procuration et préparé l’arrivée au pouvoir du régime taliban et la regrettable

Fédérations Spécial Afghanistan, octobre 2001

présence de l’Afghanistan dans l’arène du terrorisme mondial.

Le régime des Talibans, miroir du XIXe siècle

Malheureusement, la tendance historique à monopoliser l’autorité centrale est ancrée dans la culture politique de l’Afghanistan. C’est ainsi que les partis des Mudjaheddins (qui ont pris le pouvoir à Kaboul en 1992) ont insisté pour imposer à nouveau une forte autorité centrale (le modèle familier de l’ancienne monarchie) sur l’ensemble du territoire. Les visées des Talibans dirigés par Mullah Muhammad Omar, qui se proclame lui-même Amir al Mu’mineen (Commandant des Fidèles), et leur stratégie de terreur ressemblent étrangement à celles de « Amir de fer », le protégé des Britanniques : la conquête militaire et la subjugation, une fois de plus, de tous les territoires autonomes n’appartenant pas aux Pachtouns.

On constate une troublante similitude entre les événements sanglants de la fin du XIXe siècle et ceux de la dernière décennie du XXe siècle. Dans les deux cas, on a eu recours à un islamisme extrémiste pour terroriser et écraser les supposés ennemis de l’État. Les Talibans ont toutefois innové en négociant des alliances avec les mouvements terroristes internationaux. L’ancienne monarchie et le régime des Talibans ont aussi en commun certains mythes. Le premier, inventé par l’Inde britannique et entretenu par les généraux et les politiciens pakistanais, allègue que seuls les Pachtouns ont le droit de gouverner en Afghanistan— un mythe qui a quasiment provoqué la destruction du pays. Si on ne le fait pas tomber, le pays risque de ne jamais connaître une paix durable.

Népotisme, copinage et colonialisme interne

Pour toutes ces raisons, la question ne consiste pas à se demander qui devrait diriger l’Afghanistan, mais comment il faudrait gouverner le pays après la chute du régime taliban. Il importe de contrer fermement toute tentative de la part d’une famille, d’une tribu, d’un clan ou d’un groupe ethnique—pachtoun ou autre—visant à rétablir un puissant régime centralisé. Les cliques qui manipulent de tels régimes au sein de sociétés multiethniques comme l’Afghanistan tendent à favoriser le népotisme, le copinage et le colonialisme interne.

La communauté internationale devrait plutôt encourager et faciliter l’instauration d’un gouvernement qui reconnaîtrait le rôle crucial des collectivités autonomes Il faudra investir beaucoup de temps et de patience pour instaurer la structure de gouvernance qui convient en Afghanistan, sous l’égide d’un gouvernement transitoire dévoué et honnête. Cette tâche devra s’effectuer sous la surveillance d’une force de maintien de la paix mandatée par les Nations Unies en Afghanistan. La composition du gouvernement transitoire

locales constituées à l’ère du jihad anti-soviétique des années quatre-vingts. Elle devrait également appuyer un gouvernement qui soutient l’autodétermination à l’échelle des villages, des sous-districts, des districts et des provinces. Un gouvernement pleinement engagé à établir une large structure fédérale à l’image d’une société afghane pluriethnique.

La seule façon de garantir l’autonomie locale et l’intégrité politique de tous les segments de la mosaïque sociale confessionnelle et ethnique consiste à adopter une nouvelle constitution nationale et une structure gouvernementale fédérale décentralisée. Les peuples afghans pourront alors commencer à rebâtir leurs collectivités décimées et reprendre confiance en l’avenir au sein d’une société démocratique multinationale.

constitue un facteur de réussite-clé. Même si l’ancien roi Mohammad Zahir Shah peut et doit jouer un rôle dans ce gouvernement, il faudra prendre toutes les mesures possibles pour empêcher ses anciens collègues vénaux de s’immiscer dans le nouveau gouvernement post-Taliban. Il faudra également empêcher les éléments corrompus et abusifs associés aux nombreuses factions guerrières et au régime communiste précédent de reprendre le pouvoir.

Malgré la lourdeur de la tâche, ces efforts sont amplement justifiés puisqu’ils permettront d’affranchir les peuples afghans du joug de la terreur. Plus encore, si les États-Unis et ses partenaires de la coalition internationale peuvent aider les Afghans à instaurer un gouvernement juste et compatissant, ils créeront un précédent et feront la preuve qu’il est possible d’éradiquer les sources du terrorisme international.

Une version de cet article a été publiée dans le New York Times du dimanche 14 octobre 2001.

Fédérations Spécial Afghanistan, octobre 2001