Un arrangement fédéral pour l’Afghanistan

PAR REETA CHOWDHARI TREMBLAY

fédéralisme pourrait être l’arrangement des montagnes du nord et du nord-est de Nouvelles institutions,

le plus pertinent pour l’Afghanistan. Ce fédéralisme devra toutefois y adopter un visage bien particulier. Il ne saurait en effet reproduire les traditions et les conventions des systèmes fédéraux occidentaux.

Le discours occidental sur le fédéralisme a toujours été tenu dans la tradition d’une charpente de relations centre-état, avec un accent particulier sur la centralisation ou la décentralisation. Dans le cas de l’Afghanistan, il faut un nouveau départ et considérer le fédéralisme comme un projet à la fois territorial et non territorial. Dans la perspective d’un projet territorial, le fédéralisme vise à maintenir le fragile équilibre entre une union indestructible et des unités tout aussi indestructibles. Mais dans l’optique d’un projet non territorial, le fédéralisme veut plutôt imposer une représentation culturelle et identitaire dans une société multiculturelle.

La diversité culturelle en Afghanistan

L’Afghanistan est l’un des pays les plus pauvres du monde. Sa population est divisée, voire déchirée entre les ethnies, les langues et les religions. La population de l’Afghanistan (comprenant quelques cinq millions de réfugiés vivant dans des contrées limitrophes, dont le Pakistan et l’Iran en particulier) atteint grosso modo vingt-cinq millions de personnes, et ceci en un territoire enclavé un peu plus petit que le Texas.

Le groupe le plus important, les Pachtouns, constitue environ 40 % de la population. Les Pachtouns parlent le pachtou (parent éloigné du perse), vivent dans l’est et le sud du pays, et sont répartis dans un amalgame de tribus et de clans. Le deuxième groupe en importance (représentant un tiers environ de la population) est celui des Tadjiks, qui, eux, parlent perse. Originaires des vallées et Kaboul, ils sont ethniquement apparentés aux Tadzhiks d’Asie centrale. Le lointain massif du centre de l’Afghanistan est le berceau des Hazaras (comptant pour 8 % à 9 % de la population afghane). Les Hazaras parlent un perse nommé hazaragi. Le dernier plus grand groupe de même dimension est celui des Ouzbeks, qui parlent ouzbeki. Cela est sans compter une douzaine d’autres minorités ethniques et linguistiques.

Les différences socio-économiques entre les Pachtouns, majoritaires, et les autres groupes tribaux sont nettement moins significatives que leurs distinctions ethniques, culturelles et politiques. Les relations que les Pachtouns entretiennent avec les non-Pachtouns sont marquées par des règles interdisant les mariages entre Pachtouns et non-Pachtouns, les différences de langues, parfois de religion, et, enfin, par des échanges économiques attestant généralement le satut supérieur des Pachtouns. D’ailleurs, ils ont longtemps été la communauté politique dominante. Sous le règne du roi Zahir Shah, les plus hauts postes du gouvernement étaient monopolisés par l’élite de la classe supérieure, le plus souvent d’origine pachtoun.

L’Islam en Afghanistan embrasse un large éventail de croyances. Les groupes ethniques majoritaires sont principalement les Sunnites, à l’exception des Hazaras qui sont chiites. Cependant un nombre important d’Afghans observent la tradition sufi, soit une tradition musulmane qui favorise la tolérance et son existence paisible auprès des autres religions. La tradition wahabi est récemment arrivée d’Arabie Saoudite et les Talibans, qui ont reçu leur instruction musulmane dans des camps de réfugiés pakistanais, sont les disciples de la tradition intolérante wahabi.

nouvelles structures

Plusieurs décideurs internationaux estiment que l’un des moyens de raviver la démocratie et de parvenir à un consensus vers la construction d’une institution serait que l’ancien roi, Zahir Shah, réunisse la Grande Assembée—Loya Jirga—qui est composée de chefs des tribus traditionnelles, d’intellectuels et de bureaucrates. La tâche de Loya Jirga consisterait à formuler une constitution démocratique, laquelle créerait des structures de représentation et de gouvernance équitables.

L’état afghan n’est pas aussi archaïque que les médias nous le laissent entendre, même si l’Afghanistan a en effet subi d’immenses chocs durant l’occupation soviétique et postsoviétique. En 1919, le roi Amanullah Khan a mis en place les fondations d’un État-nation moderne. La première constitution a été promulguée en 1923. Celle-ci a permis à la minorité chiite d’observer ses propres rituels religieux et à sauvegarder les autres droits minoritaires. Le gouvernement d’Amanullah Khan a conduit diverses réformes sociales et économiques, dont la réforme du territoire et la restructuration d’un système d’impôts.

Alors a commencé une époque de succession de régimes, ponctuée par des périodes troublées. Le général Nadir, qui a pris le pouvoir après l’exécution du roi Habibullah en 1930, a réclamé une Loya Jirga pour endosser une nouvelle constitution. Cette Loya Jirga l’a proclamé roi du même coup, déclaré la religion musulmane religion d’État, et approuvé le pouvoir très personnalisé du roi.

En1933, sous le règne du roi Mohammad Zahir Shah, l’État a modernisé sa bureaucratie (laquelle avait considérablement grandi), son armée et ses forces policières. L’éducation a alors été vigoureusement promue.

Fédérations Spécial Afghanistan, octobre 2001

En 1963, King Zahir a démocratisé la constitution, et interdit aux membres de la famille royale toute participation aux affaires gouvernementales. La nouvelle constitution a accordé à la langue perse, celle des grandes minorités, le même statut qu’à la langue pachtou. Cette constitution a également permis l’établissement de partis politiques. De 1963 à 1973, quatre premiers ministres ont été nommés et, en 1973, la république d’Afghanistan a été proclamée. Des femmes et des minorités ont été représentées dans le nouveau gouvernement. Afin de satisfaire un certain nombre de demandes des minorités, l’État a assigné deux membres de la communauté hazara et un de la communauté ouzbek aux dossiers ministériels du planning, des mines et du commerce.

Au début des années cinquante, l’étude du Coran s’est ajoutée à l’éducation occidentale diffusée par le gouvernement en place. À la fin des années soixante, l’éducation comptait pour environ 20 % des dépenses gouvernementales. L’Université était mixte. Les femmes, tout comme les minorités, profitaient de ce système d’éducation, lequel était en grande partie responsable de faire avancer leurs demandes auprès du gouvernement, notamment à l’égard de l’insertion des minorités.

Bien que la religion fût un sujet obligatoire dans les écoles gouvernementales, la plupart des ouvrages portaient sur les aspects de la vie moderne. Dans les écoles traditionnelles, le sufisme était largement étudié.

Fédéralisme nouvelle approche : une option viable

Afin de commencer à tenter de régler la crise en Afghanistan, le roi Zahir Shah pourrait invoquer les traditions démocratiques de l’ancienne constitution pour en réclamer une nouvelle. Cependant, cette fois, une attention plus soutenue devrait être accordée aux structures de gouvernance et de représentation. Le fédéralisme multiculturel, en tant que projet territorial et non territorial, semble être la structure la plus adéquate pour l’Afghanistan.

Un des mandats du fédéralisme multiculturel est de reconnaître la culture des divers groupes du pays et de s’assurer que les groupes minoritaires, qui ne correspondent pas aux normes dominantes régionales, ne soient pas sans pouvoirs ou marginalisés. Un des défis majeurs du fédéralisme en Afghanistan serait d’équilibrer les exigences du territoire et du non-territoire de la nation afghane multicurelle et multitribale. Étant donné la diversité culturelle et le pluralisme social en Afghanistan, le système fédéral aura à lutter constamment pour satisfaire les exigences et les intérêts à la fois de l’identité des groupes et de l’égalité de tous les citoyens. Même en Occident, l’exploration des questions de nationalité, de pluralisme culturel et d’une « communauté politique » multiculturelle est tout récente.

Il serait bon d’examiner des exemples de ce genre parmi les fédérations qui ont essayé de résoudre la question de la représentation territoriale et non territoriale. En Inde, notamment, l’Assemblée constituante en a fait quasiment son cheval de bataille. Récemment, même les sociétés multiculturelles occidentales se sont lancées dans cette lutte.

Historiquement, en Inde, les auteurs de la constitution n’étaient pas seulement sensibles aux indentités des goupes mais ils ont su innover en lançant une longue et complexe discussion non traditionnelle sur la « communauté politique ».

S’appuyant sur des traditions indigènes hindu, insistant sur les identités collectives telles la famille, les castes et les tribus et, enfin, se réclamant de théories « importées » au sujet du concept de l’individualisme, les pères fondateurs de l’État indien ont tenté d’équilibrer constitutionnellement les principes contradictoires de la citoyenneté égale et des droits collectifs. Ils ont également voulu équilibrer le laïcisme et les droits religieux des communautés, l’égalité fondamentale pour tous les citoyens avec des mesures particulières accordées aux castes et aux groupes défavorisés, et, enfin, une langue officielle de même que la protection des droits linguistiques des minorités.

L’approche de réconciliation du territoire et du non-territoire est un défi indubitablement plus grand que le simple modèle fédéral occidental (basé sur les territoires distincts des provinces et des états). Mais cela représente le meilleur espoir pour la nation en Afghanistan, divisée par les religions, les langues et le loyalisme des tribus.

Traditionnellement, le fédéralisme définit deux niveaux de gouvernemenent : un central-fédéral, et un autre, constitué par un ensemble de gouvernements régionaux. Il ne reconnaît toutefois pas constitutionnellement les gouvernements locaux. Cependant on tend à admettre de plus en plus que les gouvernements locaux peuvent accorder une représentation démocratique, notamment aux minorités et aux femmes. Il y a une forte tradition d’autonomie locale en Afghanistan, et une structure fédérale devra comprendre trois paliers de gouvernement—central, régional et local—avec leur propre juridiction.

C’est précisément à l’égard du niveau local qu’on pourrait tirer avantage des structures traditionnelles afghanes. Celles-ci pourraient être délivrées de certaines de leurs significations d’origine (elles ont souvent été basées sur des chefferies héréditaires) pour plutôt se renouveler ainsi :

  • représentation égale,

  • droits démocratiques,

  • liberté de contestation et de participation.

Une fois de plus, l’Inde est un très bon exemple.

En 1992, le parlement indien a donné une base constitutionnelle au gouvernement en reconnaissant constitutionnellement les panchayats (organisations traditionnelles locales). Les panchayats forment le troisième tiers du gouvernement, avec vingt-neuf pouvoirs locaux et la représentation obligatoire des femmes et des populations tribales par au moins un tiers des panchayats.

Une telle emphase sur les gouvernements locaux autonomes et sur la décentralisation du pouvoir est directement liée à la réalisation de deux objectifs fondamentaux : 1) assurer une gouvernance efficace et une représentation politique à même l’institution du fédéralisme 2) résoudre le dilemme de la poursuite simultanée de la croissance économique et de la justice sociale.

Mobiliser une société sans développer des institutions appropriées peut mener au déclin politique. Il ne s’agit pas seulement d’instituer la démocratie en Afghanistan, mais encore des institutions vouées à inculquer une culture de tolérance, de confiance et de coopération. Ces institutions doivent également s’appuyer sur les assises des traditions indigènes et sur le respect des diverses communautés ethniques.

Fédérations Spécial Afghanistan, octobre 2001