Histoire, culture et origine ethnique en Afghanistan

PAR SEDDIQ WEERA ET ALISON ROBERTS MICULAN

L’histoire

Au cours des deux derniers siècles, l’Afghanistan a été le théâtre de conflits entre l’Empire britannique et la Russie, les forces de l’OTAN dirigées par les États-Unis et l’Union soviétique et, plus récemment, des coalitions des pays accolés à divers groupes ethniques afghans en fonction de la langue.

En 1775, les compagnies britanniques décidaient de coloniser l’Inde. Trente-deux ans plus tard, en 1807, l’Empereur Napoléon et le Tsar Alexandre Ier signaient un traité par lequel ils s’engageaient à arracher l’Inde des mains des colonisateurs britanniques. Si ce traité n’entraîna pas l’établissement d’une coalition militaire, il confirma les tensions entre l’Angleterre, la Russie et la France, trois pays désireux d’envahir le territoire afghan et de servir leurs intérêts économiques.

En 1837, confiante en sa force militaire, la Russie poursuivit ses visées expansionnistes en attaquant la province de Herat, dans l’ouest de l’Afghanistan. En guise de représailles, les Britanniques de l’Inde envahirent l’Afghanistan. Ce premier affrontement entre le peuple afghan et les troupes britanniques dura de1839 à 1842. Les troupes britanniques furent entièrement décimées et seul un médecin anglais blessé parvint à revenir en Inde.

Près de trois décennies plus tard, en 1869, la Russie envahit plusieurs territoires d’Asie centrale et se fraya à nouveau un chemin jusqu’à la frontière afghane. Les Britanniques reconstituèrent leurs troupes et attaquèrent de nouveau l’Afghanistan en 1878. Cette tentative dura un an de moins que la première. Ayant tiré une bonne leçon de la première guerre anglo-afghane, une poignée de militaires britanniques parvint à s’évader des montagnes.

Le troisième affrontement entre les guerriers afghans et les troupes britanniques eut lieu en 1919. Cette fois, les Britanniques firent marche arrière et reconnurent, comme la Russie, l’indépendance de l’Afghanistan. Les États-Unis mirent quinze ans à faire de même.

De 1929 à 1953, l’Afghanistan est demeuré un État-tampon entre l’est et l’ouest et une nation désireuse de conserver son caractère traditionnel. En 1953, toutefois, la présence militaire et l’influence économique soviétiques se firent de plus en plus sentir en Afghanistan.

En 1977, les efforts de l’Afghanistan pour renforcer ses liens commerciaux avec l’Occident entraînèrent un certain déséquilibre des forces soviétiques et occidentales au sein du pays. Dans le but de contrer l’influence des pays occidentaux, les Soviétiques appuyèrent, en 1978, un coup militaire qui donna le pouvoir au régime communiste du Parti démocratique populaire afghan.

De 1979 à 1989, les Afghans ont combattu jusqu’à défaire l’Armée rouge soviétique, grâce à l’aide militaire et politique des États-Unis, de pays européens et arabes, ainsi que de la Chine (en passant par le Pakistan). Le bilan des pertes humaines après une décennie d’affrontements féroces est accablant : un million d’Afghans et quinze mille Russes.

Deux ans plus tard, ce fut la déconfiture du régime soviétique. En 1992, le gouvernement communiste afghan fut démantelé. Les Afghans se retrouvèrent alors privés d’une infrastructure solide. Leurs terres renfermaient dix millions de mines terrestres et ils n’avaient toujours pas le droit d’élire de plein gré un gouvernement.

Une fois de plus, l’Afghanistan devint l’arène de luttes intestines entre plus de dix groupes belligérants en quête de victoire militaire. Des pays voisins comme le Pakistan, l’Inde, la Russie, l’Iran, le Tadjikistan et la Turquie continuèrent de fournir des armes et des munitions à ces groupes dans l’espoir que le gouvernement de leur choix accéderait au pouvoir.

Au printemps de 1992, on a cru qu’il serait possible de réaliser un partage des pouvoirs entre le parti de Rabbani-Massoud, ami de la Russie, de l’Iran et de l’Inde, et le parti de Hekmatyar, le leader du Hizb-i Islami (HIA) et un proche du Pakistan. Cette entente ne s’étant jamais matérialisée, la lutte au pouvoir militaire s’est poursuivie.

Puisque le jeune gouvernement de Rabbani-Massoud en Afghanistan entretenait des liens étroits avec les ennemis et les concurrents du Pakistan, le Pakistan s’est mis à fournir plus d’armes et plus de ressources au HIA dans le but de faire basculer le gouvernement de Rabbani-Massoud.

En 1994, Burhanuddin Rabbani était président du parti de l’État islamique d’Afghanistan, une coalition regroupant trois partis : son propre parti; le Parti unitaire de libération de l’Afghanistan et, enfin, l’ancien groupe communiste du Mouvement islamique national de l’Afghanistan. À un certain point des conflits, entre 1992 et 1994, le Mouvement islamique a changé son fusil d’épaule pour s’attaquer au gouvernement de Rabbani.

En raison de l’attrait croissant qu’exerçaient sur divers pays les ressources pétrolières de la mer Caspienne, l’Afghanistan est redevenu une passerelle stratégique non pas vers l’Inde mais bien vers l’Asie centrale.

Fédérations Spécial Afghanistan, octobre 2001

L’illégalité et le désordre engendrés par les incessants conflits et l’abus de pouvoir des commandants guerriers ont jeté le pays dans un profond état de turpitude morale, sociale, politique et militaire.

Ainsi, en réaction au chaos ou, selon certains analystes, à la suite d’une entente conclue entre le Pakistan, les Émirats arabes unis, l’Arabie saoudite, le Turkménistan et les Etats-Unis, un groupe radical d’étudiants en théologie, les Talibans, ont ainsi vu le jour.

En 1994, même si Hekmatyar avait peu de chances d’éloigner de Kaboul le gouvernement de Rabbani, le Pakistan, craignant la présence d’un gouvernement anti-Pakistan, a conçu un plan pour mettre au pouvoir un gouvernement taliban.

Les États-Unis ont bien accueilli cette idée car les Talibans entendaient confisquer les armes des groupes islamiques extrémistes et appuyer la prolongation d’un oléoduc allant du Turkménistan au Pakistan, en passant par l’Afghanistan. Sur le plan national, les Afghans, las du désordre, n’ont pas contesté la mission des Talibans qui cherchaient à récupérer des armes, de même qu’à rétablir la loi et l’ordre.

La prise de Kaboul par les Talibans en 1996, puis celle de Mazaar-e-Sharif en 1997 et 1998, a suffisamment inquiété l’Inde, l’Iran, la Russie, le Tadjikistan et la Turquie pour que ces pays renforcent leur appui au gouvernement défait de Rabbani et cherchent à prévenir l’établissement d’un gouvernement pro-Pakistan, pro-Arabe et clairement sunnite.

Étant donné la crise actuelle, le Pakistan craint une fois de plus l’établissement d’un gouvernement afghan anti-Pakistan, ce qui se produirait si l’Alliance du Nord prenait le pouvoir. Advenant que les troupes de l’Alliance du Nord trouvent le moyen de profiter des attaques militaires américaines et britanniques, ce scénario pourrait bien se concrétiser. Alors que l’Iran, l’Inde et la Russie verraient d’un bon oeil un remaniement de pouvoir en Afghanistan, le Pakistan cherche à s’assurer, par des moyens politiques, diplomatiques et militaires, que le prochain gouvernement afghan comprendra une portion acceptable de Pachtouns favorables au Pakistan.

Bien qu’il faille éliminer la menace terroriste, la guerre par procuration qui fait rage en Afghanistan illustre ce qui arrive quand on abandonne la voie de la diplomatie préventive. En raison des tiraillements entre les régions et les pays voisins, la menace d’une guerre civile en Afghanistan, d’une segmentation de l’Afghanistan ou du Pakistan, ou de la chute du Pakistan, est plus sérieuse que jamais.

À moins d’user de diplomatie pour transformer le schisme actuel en compréhension mutuelle et en coopération régionale, le cercle vicieux de la gouvernance externe continuera de brimer tous les efforts en faveur d’une paix durable en Afghanistan et d’un climat de stabilité dans toute la région.

La culture

Même si les rapports entre les tribus, et au sein des tribus, ont évolué au fil des siècles, les Afghans accordent toujours une grande importance au code d’honneur. La notion de sacrifice continue d’inspirer énormément de fierté et de gloire, et les Afghans font toujours preuve d’une grande bravoure lorsqu’il s’agit de protéger leur religion, leur peuple, leurs terres et leur souveraineté. Même si leur engagement semble plus discret en temps de paix, chaque nouvelle menace ravive leur dévouement et magnifie leur zèle.

L’histoire militaire afghane est aussi tributaire de sa géographie particulière. La topographie naturelle du pays pose un défi particulier aux envahisseurs. Ces derniers se voient obligés de circuler en file simple; leurs voies de ravitaillement sont régulièrement bloquées et l’artillerie n’arrive pas à emboîter le pas à l’infanterie. Ces facteurs se sont avérés désastreux sur le plan militaire pendant la guerre anglo-afghane et, un siècle plus tard, lors des affrontements opposant les Afghans aux Soviétiques.

La puissance et la constance de la culture et des traditions afghanes tiennent aussi au fait que les envahisseurs et les colonisateurs n’ont jamais réussi à coloniser l’Afghanistan. Grâce au système de clans et de tribus, il a toujours été facile et rapide de mobiliser les Afghans en cas d’urgence nationale. La tradition de la Grande assemblée, ou « Loya jirga », favorise également la mobilisation, puisque les décisions prises par le chef de la tribu sont entérinées par le village ou par les autres membres de la tribu.

La plupart des Afghans sont très croyants. La grande majorité sont des Musulmans, surtout des Sunnites. Les Chiites constituent le deuxième groupe religieux et on compte une minorité d’Ismaïliens et de Ahl-hadees. La religion s’est avérée très efficace pour rassembler diverses factions afghanes et pour les motiver à lutter contre les envahisseurs. Soulignons l’existence de groupuscules afghans qui pratiquent l’hindouisme ou le sikhisme. Un plus petit nombre encore sont de religion juive.

L’origine ethnique

Les Afghans vivent en clans et en tribus, et on compte plusieurs ethnies dont les Pachtouns, les Tadjiks, les Hazaras, les Ouzbeks, les Turkmènes, les Baloutchis, les Nooristanais, les Qezil-bash, les Pasha-Ee et les Aimaq. Au fil de l’histoire, certains groupes ethniques ont eu des différends avec d’autres groupes et maintes fois crié à l’injustice. Ces incidents ont engendré des tensions, voire de l’hostilité, et des gestes de vengeance.

Ceux qui ne sont pas des Pachtouns, par exemple, affirment que le monopole politique qu’exerce la famille royale des Pachtouns depuis deux cent-cinquante ans constitue une forme « d’oppression nationale ». Les Pachtouns, pour leur part, rétorquent que le monopole du dari comme langue officielle et d’enseignement (dans les écoles) depuis tout aussi longtemps constitue une forme « d’oppression culturelle ».

Les divisions religieuses et ethniques se sont accentuées au fur et à mesure que des crimes ont ébranlé les villes de Kaboul en 1993 et en 1995 (les Sunnites contre les Chiites), de Mazaar-e-Shareef en 1997 et en 1998 (les Tadjiks contre les Pachtouns, puis les Pachtouns contre les Tadjiks et les Hazaras) et de Bamian (les Pachtouns Sunnites contre les Chiites). Même si la haine et les préjugés qui animent les groupes ethniques varient de part et d’autre du pays, il est clair que le grand public n’est pas aussi touché par ces différends que les Afghans qui affichent des motifs politiques.

Fédérations Spécial Afghanistan, octobre 2001