Les panchayats de l’Inde : un pont entre le gouvernement et le peuple

PAR HARIHAR BHATTACHARYYA

juillet dernier, on procédait, dans l’état dans les zones rurales et à gérer les affaires de groupes défavorisés.

de l’Andhra Pradesh, à des élections engageant le plus bas niveau de gouvernance fédérale de l’Inde : les panchayats (un terme qui signifie assemblée des cinq).

Les panchayats sont des conseils de village dotés de pouvoirs constitutionnels. Ils accordent aux habitants des régions rurales de l’Inde les pouvoirs requis pour gérer leurs affaires locales et mettre en œuvre des travaux publics.

Les personnes élues en Andhra Pradesh viennent gonfler les rangs des trois millions de représentants, dont un million de femmes environ. Ces personnes évoluent au sein des panchayats à l’échelle du pays.

Au fil des ans, les panchayats ont peu à peu incarné l’une des plus importantes institutions politiques aux yeux de la population indienne des régions rurales. Ils ont également joué un rôle-clé dans le processus de décentralisation de l’Inde engagé vers la fin des années 50.

Un profil des panchayats

Les racines des panchayats, qui constituent une forme de gouvernement local, sont profondément ancrées dans l’histoire de l’Inde.

Les panchayats existent depuis plusieurs siècles en tant qu’unités gouvernementales traditionnelles de village. Ils se sont répandus à l’échelle du sous-continent indien jusqu’à constituer l’une des pierres angulaires de la civilisation indienne.

Si les panchayats étaient héréditaires, ils n’en regroupaient pas moins des représentants de divers groupes sociaux, ce qui en faisait des entités relativement représentatives. Le style de gouvernement se voulait ouvert et direct.

Les panchayats assumaient une double fonction, soit régler les différends par voie consensuelle tout en favorisant le statu quo. C’est ainsi que les habitants des régions rurales de l’Inde ont toujours considéré les panchayats comme de véritables défenseurs de la stabilité sociale.

Après l’indépendance de l’Inde en 1947, les panchayats ont continué de jouer un rôle-clé locales en misant sur de solides valeurs traditionnelles. Mais ils ne jouissaient d’aucun statut officiel ou constitutionnel.

Au fur et à mesure de l’évolution de la fédération indienne (voir l’encadré), les panchayats en sont venus à constituer des unités gouvernementales autonomes au cœur même des états. On leur a donné pour mandat particulier d’assurer le bon développement des régions rurales et des infrastructures connexes.

Le 73e amendement (1992) à la Constitution de l’Inde identifie 29 secteurs relevant des panchayats, dont l’agriculture, l’irrigation, les routes, l’électricité, les industries familiales, le logement rural, l’eau potable, la santé et l’éducation.

L’envergure et la portée des panchayats varie considérablement d’un état à l’autre. Un panchayat de gram moyen fournit des services à 25 000 personnes environ au Kerala alors qu’au Bengale-Occidental, les panchayats de gram desservent 12 000 habitants.

Par ailleurs, les pouvoirs de taxation des panchayats, tout comme leurs revenus, varient grandement selon les états. La contribution fiscale au revenu global des panchayats oscille entre 0,9 pour 100 au Punjab et 63,4 pour 100 au Kerala. En général, les subventions gouvernementales demeurent la principale source de revenus des panchayats.

Un processus démocratique

L’évolution des panchayats indiens en tant qu’unités gouvernementales autonomes se distingue de deux façons.

D’une part, il s’agit d’un processus démocratique. Les représentants des panchayats doivent être élus par leurs populations constituantes au suffrage universel dans le cadre d’élections ouvertes, concurrentielles et multi-partites.

D’autre part, en raison de dispositions particulières, un certain nombre de sièges sont réservés aux femmes et aux membres Cette diversité typique des panchayats témoigne éloquemment de la nature démocratique du processus et des types de défis que ces derniers doivent relever.

Lorsqu’on trace le profil d’un panchayat typique, on note une forte proportion de travailleurs salariés, de paysans, de ménagères villageoises et d’autres groupes de ce genre. Bien que nettement tournés vers leurs traditions locales, ces représentants assument des tâches variées comme celles de président et participent à une kyrielle de comités (routes, alphabétisation, reboisement, etc.).

Lorsqu’on demandait à une représentante (une ménagère du district de Burdwan avec un simple diplôme d’école primaire) ce qu’elle pensait des panchayats, cette dernière déclarait : « Je m’occupe de tous les problèmes des villageois, de la construction des routes aux problèmes familiaux. On fait appel à mes services jusqu’au bureau du panchayat. Je suis heureuse de pouvoir servir le public ».

Une étude menée auprès de 1190 villageois a révélé que 83 pour 100 considéraient les panchayats comme une institution très utile sans laquelle ils souffriraient davantage. 88 pour 100 affirmaient que c’est grâce aux panchayats qu’on avait réussi à abolir la domination des castes plus élevées sur les villages.

La forte participation de la population aux élections des panchayats confirme toute la confiance que la population accorde à cette forme de gouvernement. Le nombre d’électeurs y est toujours plus élevé qu’au cours d’élections gouvernementales étatiques et fédérales. Lors des dernières élections de panchayats au Bengale-Occidental en 1998, 85 pour 100 des habitants en âge de voter se sont rendus aux urnes.

La décentralisation au sein des états

La décentralisation réalisée par l’Inde par l’entremise des panchayats diffère grandement de celle résultant de la création d’états (voir Fédérations, volume 1, numéro 3, mars 2001).

Fédérations volume 2, numéro 1, novembre 2001

Lorsque l’Inde établit de nouveaux états, c’est habituellement en réaction aux pressions des entités ethno-linguistiques particulières. Les pouvoirs accordés aux panchayats ne tiennent pas à de telles considérations. Si l’Inde accepte maintenant d’accorder aux panchayats un statut officiel, c’est parce que ces derniers ont su démontrer leur aptitude à mener à bien des projets de développement ruraux.

En vertu de la Constitution de l’Inde, il revient aux états d’octroyer des pouvoirs aux panchayats. Par conséquent, les états ont adopté un ensemble de lois sur les panchayats qui tiennent compte de leurs besoins et circonstances propres.

Il va de soi que la politique a également marqué ce processus et c’est généralement le mouvement en faveur de la décentralisation qui en a souffert.

Aux yeux des états, les pouvoirs locaux ont souvent constitué une menace à leur propre autorité. Compte tenu du paradigme dualiste traditionnel du fédéralisme, soit des pouvoirs en équilibre sur un axe centre-état, un troisième ordre de gouvernement a beaucoup de mal à se tailler une place. Les considérations ethniques ont également ralenti le processus de décentralisation au-delà du cadre de l’autonomie étatique ethnolinguistique.

Néanmoins, le large appui populaire dont jouissent les panchayats était inévitable et les états n’ont eu que le choix de leur accorder des pouvoirs. De leur côté, les états qui ne possèdent pas encore leurs propres panchayats exercent de fortes pressions en vue de les établir.

Malgré une certaine opposition des états, les universitaires et autres personnalités influentes de l’Inde sont unanimes : la décentralisation démocratique du pays en faveur des panchayats a permis de rehausser la légitimité des états.

Une fenêtre sur le Bengale-Occidental

L’état de l’est du Bengale-Ooccidental, plus que tout autre, a réussi à réaliser le transfert des pouvoirs vers ses autorités locales. Il importe de noter le succès que cette décentralisation vers les panchayats a connu jusqu’à maintenant.

C’est un acquis que le gouvernement étatique du Bengale-Occidental dirigé par le parti communiste appuie le gouvernement local. Le Bengale-Occidental figure d’ailleurs parmi les premiers états ayant officiellement adopté les panchayats en tant qu’unités gouvernementales locales. Les élections à des postes au sein des panchayats ont lieu tous les cinq ans depuis 1978. Dans cette province, les panchayats administrent des projets qui absorbent cinquante pour cent du budget étatique accordé aux dossiers ruraux.

Dans une large mesure, les panchayats sont à l’origine des réalisations socioéconomiques spectaculaires des collectivités rurales du Bengale-Occidental depuis la fin des années 70.

Ils ont joué un rôle-clé dans l’attribution des terrains de surplus aux paysans et aux travailleurs agricoles sans terre, encouragé l’alphabétisation, amélioré la qualité de l’eau potable et de l’irrigation, favorisé la construction de routes et ainsi de suite. Grâce aux panchayats, la population rurale a pu participer pleinement à toutes ces activités.

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En raison du succès de ces entreprises et de l’engagement direct de la population locale, les villageois et les représentants élus tendent à considérer les panchayats comme de véritables institutions politiques plutôt que comme de simples organismes au service de projets locaux.

Les élections au sein des panchayats de l’Andhra Pradesh illustrent bien la situation. Si, au cours de la prochaine étape électorale, les électeurs ruraux du Telengana votent majoritairement en faveur du Telengana Statehood Association, leur geste sera perçu comme un mouvement populaire favorable à la création d’un état du Telengana distinct de l’Andhra Pradesh.

Les panchayats ne sont pas uniquement le fruit du fédéralisme de l’Inde. Ils peuvent aussi contribuer à fédéraliser davantage le pays. De fait, les panchayats pourraient constituer un outil de choix pour aider l’Inde à vivre une nouvelle transformation dans un proche avenir.

Fédérations volume 2, numéro 1, novembre 2001