Nul doute: l’un des grands objectifs de la campagne présidentielle de Vicente Fox a porté sur la revitalisation du fédéralisme.

En raison de sa précédente expérience en qualité de gouverneur d’état, Fox a été à même de constater les effets pernicieux d’un régime politique beaucoup trop centralisateur et anti démocratique. L’engagement pro-démocratie qui l’a propulsé au pouvoir portait, dans une large mesure, sur une nouvelle définition des relations intergouvernementales au Mexique.

Vicente Fox promettait non seulement de multiplier les efforts déployés par la précédente administration pour décentraliser certaines fonctions publiques en faveur des états (comme l’éducation et la santé), mais également de transférer le siège de certains pouvoirs économiques et de décisions politiques vers les gouvernements étatiques et locaux. Si son plan réussit, il permettra de « réinventer », dans une large mesure, le gouvernement mexicain.

Il va de soi que des changements de cette envergure ne s’effectuent pas du jour au lendemain et mettent beaucoup de temps à être reconnus. Cependant, un an après l’élection de Vicente Fox et huit mois après l’amorce de son administration, qu’en est-il des plans présidentiels de réforme fédérale?

En bonne intelligence avec le PRI

La conception d’un nouveau modèle de relations intergouvernementales ne constituait pas seulement un corollaire théorique né de l’engagement de Fox à l’égard du fédéralisme. Suivant son arrivée au pouvoir, elle devenait une urgente nécessité d’ordre pratique.

Fox (qui cherchait à se faire élire sous la bannière du Parti de l’action nationale (PAN))a remporté la victoire par une bonne avance. Mais le Parti révolutionnaire institutionnel (PRI) détenait toujours la majorité au Sénat, bon nombre de sièges à la chambre basse des députés (211 des 500 députés fédéraux), en plus de diriger 18 des 31 gouvernements étatiques et la plupart des gouvernements locaux du pays. Si la nouvelle administration entendait gérer un gouvernement efficace, il fallait forcément établir de bonnes relations de travail avec le PRI.

Cela dit, le plus grand défi que doit maintenant relever l’administration Fox consiste à instaurer des relations de travail correctes avec plusieurs gouverneurs étatiques du PRI issus du régime précédent et qui continuent d’administrer leurs états de façon plus ou moins démocratique. Depuis que le PRI a perdu le contrôle de la présidence, il a accordé une importance accrue au rôle des gouverneurs. En outre, ces gouvernements ne sont pas très enclins à se soumettre aux autorités fédérales, même lorsqu’ils enfreignent des lois fédérales.

Dans cet « océan démocratique » né du remaniement des pouvoirs à l’échelle présidentielle, ces « îlots autoritaires » constituent toujours une entrave majeure à l’établissement d’un nouveau modèle de relations intergouvernementales. La dévolution de ressources économiques et de capacités décisionnelles accrues à des gouverneurs qui se comportent toujours comme des caciques (chefs locaux) traditionnels ne servirait qu’à encourager des régimes dictatoriaux locaux et étatiques.

Pour fonctionner efficacement, tout régime fédéral doit posséder des assises démocratiques. Sans mécanismes rendant les autorités locales et étatiques redevables à leurs électeurs et au gouvernement fédéral, le fédéralisme est voué à l’échec.

Un fédéralisme non interventionniste

En janvier dernier, pour la première fois, l’autorité et l’engagement de Fox envers le fédéralisme ont été mis à rude épreuve, alors que le Tribunal électoral fédéral a annulé les élections dans l’état de Tabasco sous prétexte qu’il s’agissait d’un processus électoral frauduleux. Le PRI a été soupçonné d’avoir corrompu le processus électoral pour faire élire le candidat du gouverneur.

Le PRI local (dirigé par le gouverneur) choisit d’ignorer la décision du Tribunal électoral fédéral et ordonna la nomination d’un gouverneur intérimaire et la tenue de nouvelles élections. En fin de compte, le PRI a trafiqué la sélection du gouverneur intérimaire et tenté de retarder la date des élections extraordinaires.

Même si le choix du gouverneur intérimaire relevait officiellement du Congrès, il y a eu une certaine dissension quant à la façon de le faire : le Congrès sortant ou celui nouvellement élu. Le PRI a prétendu que cette responsabilité incombait au premier Congrès (entièrement contrôlé par leur parti). L’opposition a rétorqué qu’une telle décision revenait plutôt au Congrès actuel (où l’opposition comptait plus de sièges).

Le président Fox a refusé d’intervenir directement dans ce conflit, pour plutôt encourager les partis locaux à conclure une entente politique. Enfin, la personne nommée par le PRI a conservé son poste, les élections extraordinaires ont eu lieu et le PRI a remporté la victoire avec une bonne longueur d’avance.

Le rôle de la Cour suprême

Le gouvernement fédéral a dû relever un défi encore plus grave lancé par l’état du Yucatán. Au mois d’août 2000, le gouverneur Víctor Cervera Pacheco, membre de longue date du PRI et cacique typique, a influencé le processus de sélection du nouveau conseil électoral, une instance ayant pour fonction d’organiser et de superviser les élections du gouverneur de l’état qui devaient avoir lieu en mai 2001.

Le parti d’opposition du Yucatán a protesté, affirmant que le conseil électoral était partial et par conséquent incapable de garantir un processus électoral équitable. Le cas a été soumis au tribunal électoral fédéral qui a jugé en faveur du parti d’opposition au mois d’octobre 2000.

Le gouverneur Pacheco et les députés locaux du PRI ont contesté ce jugement, affirmant que la décision du tribunal menaçait

Fédérations volume 2, numéro 1, novembre 2001

l’autonomie de l’état. Le PRI et le gouverneur Pacheco se sont défendus au nom du fédéralisme. Le gouvernement fédéral a refusé de faire appel à la police pour obliger le gouverneur à respecter la décision du tribunal électoral fédéral. Le président était d’avis que le recours public à la force ne servirait qu’à envenimer les choses. L’opposition au Yucatán, pour sa part, a décidé de faire appel à la Cour suprême.

Le conflit a enfin été résolu en avril 2001, au moment où la Cour suprême a rejeté les arguments du gouverneur du PRI et l’a obligé à démanteler son conseil électoral. Pour la première fois dans l’histoire du Mexique moderne, la Cour suprême a réglé un conflit entre un état et le gouvernement fédéral. Lors des élections de mai, l’état a élu un gouverneur du PAN et le PRI a perdu le pouvoir.

Fédéralisme et économie

C’est dans ce délicat contexte politique que le président Fox a élaboré de nouveaux modèles de coopération entre le gouvernement fédéral et les états, de même qu’à mettre sur pied deux projets particuliers.

Le premier est un ambitieux plan de développement économique de la région du sud-est, laquelle se compose de neuf états, dont sept sont sous le contrôle du PRI. Ce plan, qu’on appelle le projet du Puebla-Panamá, vise la création d’un corridor industriel et commercial qui devrait permettre de regrouper les pays d’Amérique centrale en une zone de libre-échange.

Les adeptes de ce plan le considèrent comme une solution à long terme pour régler les problèmes de pauvreté extrême et de désespoir dans plusieurs de ces états, problèmes qui poussent les gens à fuir vers les États-Unis en quête d’une vie meilleure.

Jusqu’à maintenant, les gouverneurs de tous les états touchés par ce plan ont réservé un accueil chaleureux au projet du Puebla-Panamá. Au mois de juin dernier, le président et les gouverneurs mexicains, y compris celui du Yucatán, se sont rendus au Salvador et au Panamá pour signer une entente avec les présidents de sept pays d’Amérique centrale.

Le second projet majeur de l’administration Fox vise une profonde réforme fiscale. Même si le Congrès n’a pas encore approuvé cette réforme, Fox continue d’exercer des pressions auprès des gouverneurs de tous les partis politiques en vue d’obtenir leur appui. L’un des éléments les plus controversés de cette réforme est la hausse de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), une proposition que tous les partis politiques, y compris le PAN, ont d’abord rejetée. Fidèle à son engagement envers le fédéralisme, le président s’efforce néanmoins de convaincre les gouverneurs : si le Congrès approuve la hausse de la TVA, affirme-t-il, un pourcentage des revenus sera versé directement aux états.

Fox offre également d’accorder aux gouvernements étatiques le droit de recueillir et de conserver une partie de cette taxe. (À l’heure actuelle, les gouvernements étatiques n’ont pas le droit d’imposer des taxes. C’est le gouvernement fédéral qui récolte toutes les taxes et qui les répartit ensuite parmi les états, selon des formules complexes.) Cette réforme fiscale fera l’objet de discussions à l’échelle du Congrès au mois de septembre 2001.

Outre ces deux projets importants, le gouvernement fédéral s’est engagé à établir un bureau spécial responsable des relations intergouvernementales. Lors du précédent règne du PRI, il revenait au ministère de l’Intérieur de transiger avec les gouvernements étatiques et locaux. Mais compte tenu des pouvoirs de l’exécutif et de la logique de subordination qui soustendaient les relations intergouvernementales mexicaines, ce bureau s’affairait surtout à maintenir l’ordre et à éviter les conflits. Par ailleurs, la plupart des décisions relatives aux dépenses fédérales dans les états, de même qu’aux pouvoirs alloués à ces mêmes états provenaient directement du bureau du président ou du Trésor.

Même si l’établissement d’un nouveau bureau de relations intergouvernementales constitue une modification administrative majeure, des querelles bureaucratiques continuent de bloquer le projet.

En ce moment, les observateurs ne savent toujours pas s’il se concrétisera un jour.

Quoi qu’il en soit, l’un des projets du président Fox a tout de même connu beaucoup de succès, soit la réforme constitutionnelle axée sur les peuples autochtones. Adoptée par le Congrès et par le nombre requis de législatures d’État, la loi reconnaît le droit des collectivités indiennes à l’autodétermination, soit en accord avec leurs traditions propres. Certains critiques soulignent toutefois que la reconnaissance légale de ce droit se limite aux compétences municipales, ce qui pose des problèmes aux groupes autochtones dont le rayonnement s’étend au-delà des frontières des municipalités et des états. Il se pourrait bien que les ordres de gouvernement établis au sein du régime fédéral mexicain (municipaux, étatiques, fédéraux) ne suffisent pas à régler le dossier complexe de l’autonomie autochtone.

Alors que Vicente Fox termine sa première année à la présidence, son engagement envers le fédéralisme demeure l’une des pierres angulaires de son programme politique. Même si le peuple mexicain croit que l’instauration d’un régime fédéral fonctionnel constitue une noble cause, le fédéralisme mexicain demeure une proposition abstraite. Vicente Fox doit encore relever le défi et trouver le moyen de concrétiser son rêve.

Fédérations volume 2, numéro 1, novembre 2001