Pétrole, fédéralisme et démocratie au Nigeria

PAR CHIKA B. ONWUEKWE

29 mai 1999, après plus de seize ans voire $2.70 par baril sur les investissements les régions » (intérieures et côtières) du

de dictature militaire, le Nigeria s’est tourné vers la démocratie. Depuis, le régime civil a travaillé très fort pour rester uni. Une des priorités gouvernementales de l’agenda du président Olusegun Obasanjo vise à satisfaire les demandes à l’égard du delta du Niger, très riche en pétrole. Les neufs états du delta du Niger (Abia, Akwa Ibom, Bayelsa, Cross River, Delta, Edo, Imo, Ogun, et Rivers) s’opposent en effet à ce que le gouvernement fédéral contrôle leurs ressources pétrolières et ne sont pas heureux de la formule du partage des revenus.

Au Nigeria, l’exportation de pétrole brut compte pour plus de 90 % des revenus récoltés de l’étranger. Le budget fédéral de l’année 2001 s’appuie sur un prix prévisionnel de $22 le baril contre les $18 que celui-ci valait en 2000. Les ressources de pétrole du pays sont estimées à 22.5 milliards de barils, et se trouvent en majeure partie dans cette région du delta.

La société nationale du pétrole nigérian (NNPC), une agence gouvernementale fédérale, représente les intérêts du gouvernement nigérian dans l’industrie du pétrole et de l’huile. Ce dernier est le principal actionnaire dans les accords conjoints avec les compagnies de pétrole multinationales (55 % avec Shell, 60 % avec Chevron, 60 % avec ExxonMobil, 60 % avec Texaco, 60 % avec TotalFinaElf 60 %, et, enfin, 60 % avec Eni/Agip).

De bonnes affaires pour les multinationales

Au début du mois d’août 2000, le gouvernement nigérian a signé une nouvelle entente avec ses partenaires sociétaires. Celle-ci, valable au cours des trois prochaines années, élève la marge des coûts de production de $3.50 à $4 le baril pour les partenaires. Cela augmente également la marge de profit des partenaires au-delà du niveau établi en 1996 de $1 le baril à $2.50

jusqu’à $2 par baril.

Une autre série d’accords financiers des opérations pétrolières au Nigeria est composée des Production Sharing Contracts (PSC). Les accords du PSC ne dépendent pas du financement gouvernemental. Cependant, selon les PSC, les compagnies doivent partager leurs profits avec le gouvernement. En règle générale, les multinationales semblent satisfaites des efforts que le gouvernement déploie pour protéger leurs investissements.

En revanche, une bonne partie de la population du delta du Niger déplore l’exploitation des puits de pétrole dans leur région, prétendant que leurs richesses pétrolières sont utilisées pour développer, à défaut de la leur, d’autres régions du Nigeria. Cela est sans mentionner la destruction de la nature par les exploitations pétrolières et la difficulté d’y vivre qui s’ensuit. En effet, un peu partout dans la région du delta du Niger, les pipelines sont bien visibles, et non enfouis. Une des tristes conséquences de cet état de choses sont les fréquentes fuites de pétrole et d’huile qui contaminent les champs avoisinants.

Contrôle fédéral des ressources

La possession et le contrôle de toutes les ressources minières du Nigeria relèvent des assises légales de la Constitution de 1999. « Les mines, minéraux, les champs de pétrole et d’huile de même que la recherche géologique » sont sous la gouverne des compétences légales de l’Assemblée nationale fédérale.

L’acte du pétrole de 1990 (d’abord promulgué en 1969) confirme que le gouvernement fédéral a la mainmise sur les ressources pétrolières. La section 1 de cet acte précise « le contrôle et la possession absolus du pétrole dans toutes pays par le gouvernement fédéral. De plus, une agence fédérale, la Federal Inland Revenue Service, a la responsabilité de prélever les taxes des profits du pétrole des industries en amont. Cette agence prélève également des taxes sur la valeur ajoutée des produits et des services fournis par les compagnies de pétrole. Celles-ci payent déjà des droits pour obtenir des permis d’exploitation du pétrole, de même que des baux de mines de pétrole au gouvernement fédéral. Cela est sans compter toutes les charges que celles-ci ont à honorer auprès de diverses agences gouvernementales fédérales.

Les seuls montants que reçoivent les individus et les communautés de cette industrie du pétrole sont ceux que les industries gouvernementales de pétrole leur accordent pour compenser les terres sur lesquelles le système de pipelines a été installé. L’acte de l’utilisation des terres de 1990 fournit une base légale à de telles acquisitions en précisant que les terres sont gardées sous le principe du trust pour la population de chaque état. Cependant, dans les faits, les sociétés multinationales payent des compensations directement aux propriétaires des terres qu’elles ont acquises pour les exploiter. Les compensations sont calculées en fonction de l’utilisation économique de la terre et non en fonction de sa réelle valeur. Dans la mesure où les propriétaires des terres de ces régions sont des fermiers dont la production est pauvre, cette compensation semble minimale.

Troubles et ébauches de solutions

Mécontente du gouvernement et des multinationales, une partie de la population du delta du Niger a réagi violemment. Des individus et des groupes militants ont détruit les pipelines, saisi les plateformes pétrolières et même pris en otages des travailleurs ressortissants.

Fédérations volume 2, numéro 1, novembre 2001

Le gouvernement fédéral a envoyé des troupes militaires sur place. Des meurtres de civils ont malheureusement eu lieu.

Afin de faire cesser ces troubles et calmer la population, le président Obasanjo avait pris l’initiative, en juin 2000, de créer une Commission de développement du delta du Niger. Celle-ci avait reçu le mandat d’établir des politiques et des directives socio-économiques pour développer la région. Les principales fonctions de cette commission se décrivent comme suit :

  • Concevoir, établir et mettre en œuvre des projets et des programmes pour développer substantiellement le delta du Niger dans les domaines du transport, de la santé, de l’éducation, de l’emploi, de l’industrie, de la pêche et de l’agriculture, du logement et du développement urbain, des télécommunications, ainsi que de l’approvisionnement en eau et en éléctricité

  • Permettre à la région du delta de s’assurer les mesures nécessaires pour promouvoir son développement physique et socio-économique

  • Exécuter tout ce qui, selon la Commission, est nécessaire au développement du delta du Niger et à sa population

La Commission bénéficie d’un financement fort complexe. Une partie de l’argent que le gouvernement fédéral accorderait normalement aux états a été détournée. La Commission reçoit de plus des contributions des compagnies pétrolières (3 % de leur budget annuel) et la moitié de l’argent qui devrait normalement être alloué à un fonds écologique spécial établi par le gouvernement fédéral pour pallier aux éventuelles conséquences de l’exploitation du pétrole face à l’environnement.

Le siège social de la Commission est situé dans la ville de Port Harcourt (Rivers State) et il y a des succursales dans chaque état de la région. Un conseil de direction nommé par le président et confirmé par l’Assemblée nationale supervise son travail. Le conseil comprend des représentants de tous les états producteurs de pétrole, mais encore d’autres états, de l’industrie pétrolière et du gouvernement fédéral.

La création de cette Commission montre bien que les gouvernements démocratiques de nouveau au pouvoir au Nigeria sont prêts à affronter les réelles conséquences de la production de pétrole. Lors d’une cérémonie à l’occasion du World Environment Day, le gouverneur Alamieye seigha (état du Bayelsa) s’est exprimé en ces termes : « Le delta du Niger était en train de couler, a-t-il déclaré…Si quelque chose n’est pas fait dans les plus brefs délais, nos enfants en souffriront peut-être fatalement. Quoi que nous fassions pour protéger notre environnement, nous devons le faire ensemble et dans un esprit de zèle patriotique ».

La Commission soutient ce genre d’effort collectif.

La lumière au bout du tunnel

Pour plusieurs résidants du delta, il y a de l’espoir. En effet, des individus respectés de la région siègent au conseil de la Commission et occupent des positions-clés dans l’équipe de gestion. Parmi eux, on compte le président, Chef Onyema Ugochukwu, l’ingénieur Godwin Omene (directeur général et chef exécutif), Chef Timi Alaibe (directeur exécutif de l’administration et de la finance), M. Udo Abosoh et, enfin, le professeur Victor Peretemode. Le principal rôle de ces personnalités connues du delta est de signaler à la population régionale que le gouvernement fédéral est sincère quant à son engagement dans le processus de décision.

Il reste toutefois des aspects négatifs.

La Commission ne s’est mise à l’oeuvre que très lentement, soit en septembre 2001. Ce retard est principalement dû à une dispute interne entre le président et l’Assemblée nationale sur la manière dont les membres du conseil d’administration devraient être nommés. Le président veut avoir le pouvoir absolu de nommer les membres du conseil et l’Assemblée nationale celui d’approuver ces nominations. À cet égard, elle a gagné son point et promulgué la loi de la Commission de développement du delta du Niger qui stipule qu’il relève de son autorité d’approuver les réunions du conseil, en dépit du veto du président.

La population du delta se plaint également de la lenteur de la Commission en ce qui concerne la dégradation de son environnement. Au cours des derniers mois, les rapports de fuites de pétrole, de feux et d’explosions ont été nombreux. Il faut mentionner les pipelines qui se sont brisés à Gokana, dans la région d’Ogoniland, de même que l’explosion et le déversement de pétrole à la Shell Nkpoku/Rumuekpe dans la région d’Ogbodo.

En ce qui concerne les questions politiques et constitutionnelles, les critiques se disputent au sujet de la Commission de développement du delta du Niger qui, selons certains, diminue l’autorité des états. Ils prétendent que plutôt que de créer une telle commission, il aurait mieux valu donner plus de contrôle aux états à l’égard des ressources naturelles, tout ceci dans l’esprit du « vrai fédéralisme » ainsi que les Nigérians se plaisent à le dire. Ils soulignent que dans certaines fédérations, dont le Canada, les unités constituantes ont un contrôle prépondérant sur tous les aspects des ressources naturelles de leur territoire.

Mais l’histoire et la conjoncture actuelle du fédéralisme nigérian diffèrent nettement de celle de ces pays. La structure des trente-six états a été créée par le régime militaire en partie dans l’intention de réduire le pouvoir des régions. Par ailleurs, il n’y a pas d’histoire ni de tradition en ce qui concerne le contrôle des ressources naturelles au Nigeria par les états.

Les gens qui ont soutenu l’initiative du gouvernement fédéral lors de la création de la Commission du développement du delta du Niger affirment que si les états s’accordaient à l’égard d’une plus grande autorité du contrôle des ressources, les multinationales pourraient faire bénéficier leurs objectifs de la stratégie du « diviser pour mieux régner ». Ces mêmes personnes déclarent qu’une telle politique ne ferait qu’augmenter les rivalités et les conflits entre le gouvernement fédéral et les états.

Plusieurs croient que la création de la Commission relève d’une initiative de prudence face à un problème multidimentionnel. En fin de compte, les gens du delta et les Nigérians sympatiques à leur cause jugeront la Commission sur ses actions et non sur ses paroles. De façon plus générale, la viabilité du fédéralisme démocratique nigérian renouvelé (du moins dans les communautés pétrolières) peut se reposer sur ses lauriers.

Fédérations volume 2, numéro 1, novembre 2001