Au Vermont, deux lesbiennes peuvent s’unir civilement et recevoir les mêmes droits octroyés aux couples hétérosexuels mariés, dont les droits d’adoption et d’assurance, les droits hospitaliers, et même la reconnaissance de leur relation. Cependant ces droits ne sont pas reconnus partout dans le pays. Selon le système fédéral américain, les couples gais et lesbiens n’ont qu’à se trouver à quelques centaines de milles de leur domicile pour perdre aussitôt leurs droits. Qui plus est, ces couples du Vermont peuvent même se voir refuser leur droit le plus intime sous peine de représailles du gouvernement.

Plusieurs Américains estiment qu’en établissant ce type de réseau de droits qui changent d’un état à l’autre, le fédéralisme aux États-Unis discrimine les homosexuels. Nous croyons au contraire qu’il ne s’agit pas d’une faiblesse, mais bien davantage de la force du fédéralisme américain. Il faut en effet en reconnaître la sagesse et se réjouir du fait que les États-Unis ne soient pas une nation unitaire. L’avenir des droits civils pour les gais et les lesbiennes se situe au niveau des états. Au cours des prochaines années, ceux-ci évolueront de façon spectaculaire.

Une question, toutefois, se pose : pourquoi l’avenir des droits civils pour les gais et les lesbiennes se situe au niveau des états et non du fédéral? Ne pourrions-nous pas imaginer un président qui défendrait les droits des homosexuels, comme Lyndon B. Jonhson qui, dans son discours de 1965, We Shall Overcome, a accordé le droit de suffrage aux Noirs du sud des États-Unis? Ne pouvons-nous pas espérer un jugement favorable de la Cour suprême? Cela a été le cas du procès Loving v. Virginia (1967) qui a reconnu aux couples de race différente le droit de se marier dans tous les états.

Une nouvelle réalité politique

Malheureusement, les élections fédérales de 2000 ont mis fin à tout espoir en ce sens. Le mieux que l’on puisse espérer est que le Président Bush conserve le statu quo.

Et même si Al Gore avait remporté les élections, des droits accrus pour les gais n’auraient certes pas été une priorité de la maison blanche. Bien que Gore appuyait les efforts mettant fin à la discrimination contre les homosexuels, il appuyait toutefois les démarches des supporteurs anti-gais du Defence of Marriage Act—un projet qui refuse de reconnaître le droit aux couples gais et lesbiens de se marier.

« Aux États-Unis, le système fédéral exige d’abord quelques victoires au niveau des états afin de créer un consensus national qui permettra l’intervention nécessaire du fédéral. »

Si les démocrates réussissent à se faire élire en 2004, on peut envisager une administration qui puisse peut-être mettre fin à la discrimination dans les forces armées de même qu’au sein du marché du travail. Malgré cela, le parti démocrate est gouverné par des centristes qui hésiteraient certainement à appuyer ces démarches. Après tout, les gais et les lesbiennes n’ont pas de place (ou très peu malgré la présence des Log Cabin Republicans) au sein du parti républicain.

Les élections de 2000 ont également mis un point final à tout recours rapide aux tribunaux. En 1986, il ne manquait qu’un seul vote à la Cour Suprême pour abolir les lois sur la sodomie. D’ailleurs, Bowers v. Hardwick demeure toujours la référence pour les cas de libertés sexuelles sous la constitution américaine. Depuis, la majorité conservatrice a pris de l’ampleur et continuera certainement lors du prochain mandat du gouvernement de l’administration Bush. Il se pourrait toutefois que le juge Kennedy permette d’entretenir un certain espoir à cet égard. Nommé à la Cour Suprême par Reagan, il a adopté une approche modérée face aux droits des gais et des lesbiennes. Citons, par exemple, son opinion juridique dans Romer v. Colorado qui jugeait anticonstitutionnel un référendum de l’état du Colorado qui aurait enlevé le droit aux municipalités de protéger les gais et les lesbiennes. Malgré cela, il est fort difficile d’envisager une version gaie de Brown v. Board of Education—le cas qui, en 1954, a mis fin à la ségrégation raciale.

Mariage : libre-arbitre des états

À l’heure actuelle, aux États-Unis, il n’existe pas de consensus et de majorité qui appuieraient les droits égaux pour les gais et les lesbiennes. De toute façon, si majorité il y avait, elle ne saurait être suffisamment forte pour contrecarrer la culture conservatrice. Même Clinton a dû rejeter le plaidoyer gai en signant le Defence of Marriage Act en 1997. De concert avec la majorité démocrate au Congrès, Clinton a dû accepter la définition du mariage comme étant l’union d’un homme et d’une femme. Pis encore : cette loi permettait aux états individuels de reconnaître les lois de mariage des autres états. Le mariage d’un couple gai ou lesbien au Vermont ne sera pas reconnu ailleurs.

L’intervention fédérale de Clinton face à cette question du mariage demeure bizarre. Les états considèrent le mariage comme une juridiction relevant des états, et non du fédéral. Ils ont établi des lois très différentes d’un état à l’autre concernant les périodes d’attente et même les tests de sang. La définition de l’inceste, par exemple, diffère d’un état à l’autre. Dix-neuf états permettent le mariage entre cousins germains. Les autres états l’interdisent carrément, surtout quand les couples sont fertiles. Cela ne constitue pas toujours un obstacle; sous le principe constitutionnel du « full faith and credit », les cousins désireux de s’épouser peuvent le faire dans l’un des dix-neuf états l’acceptant. Une fois contracté, ce mariage doit toutefois être reconnu partout ailleurs. Mais la loi signée par Clinton, le Defence of Mariage Act, permet justement aux états de refuser de reconnaître les mariages entre les gais et les lesbiennes des autres états.

Changement des attitudes face à d’énormes obstacles

Ainsi, seul le Vermont reconnaît les unions civiles entre gais et lesbiennes. Malgré cela, les conservateurs ont réussi à s’emparer de postes-clés durant les élections de 2000. Les Républicains ont pris le contrôle de la

Fédérations volume 2, numéro 1, novembre 2001

législature, en grande partie grâce à une saccade contre les gais et les lesbiennes. On peut se demander si l’union civile survivra à la nouvelle législature républicaine. À Hawaii, le mariage entre gais et lesbiennes a presque réussi à passer quand un juge a déclaré que le refus du mariage aux gais et aux lesbiennes violait la constitution de l’état. Une révolte en a résulté et a rapidement conduit à un amendement constitutionnel qui ne reconnaît pas la légalité du mariage entre gais et lesbiennes. Si le mariage entre gais et lesbiennes ne peut trouver d’appui au Vermont et à Hawaii—deux états progressistes—il est difficile de voir comment il pourrait l’être ailleurs. Et même si ce type de mariage réussissait à s’imposer dans ces deux états, les obstacles dans les autres états demeureraient considérables.

Malgré ce bilan, ces états demeurent toujours ceux dans lesquels les droits égaux des gais et des lesbiennes sont les plus prometteurs. Les lois contre les actes de sodomie sont en baisse. Grâce aux recours devant les tribunaux, seulement dix-huit états interdisent la sodomie, définie de diverses façons (actes oral-génital, analgénital ou oral-anal). Bien que certaines lois s’appliquent en particulier aux gais et aux lesbiennes, elles s’appliquent également aux couples hétérosexuels dans plusieurs cas.

De plus, ainsi que les lois contre les limitations des naissances dans les dernières décennies, les lois contre la sodomie sont rarement appliquées contre deux adultes consentants. La fonction première de ces lois est plutôt symbolique, comme un renforcement des moeurs sexuelles traditionnelles, ou encore comme un grief de plus visant les actes sexuels entre gais dans des milieux publics, ou comme moyen de refuser le droit d’adoption aux gais et aux lesbiennes. Par exemple, si, dans un divore, l’un des parents est accusé de briser les lois de l’état (par exemple, en pratiquant la sodomie), ce parent peut être déclaré « inapte » (les lois sur la sodomie sont aussi invoquées dans des cas de viols).

Si la tendance à bannir les lois contre la sodomie est à la hausse, la raison en est certes due à l’acceptation des pratiques sexuelles des hétérosexuels, et non des homosexuels. Il faut se souvenir de la nonchalance avec laquelle le Rapport Starr a été reçu par le public américain. On verra donc plusieurs autres états éliminer les lois contre la sodomie au cours de la prochaine décennie.

On verra également le progrès au niveau de l’état plutôt qu’au niveau du fédéral à l’égard de la discrimination sur le marché du travail. Déjà, plusieurs états et municipalités condamnent la discrimination basée sur l’orientation sexuelle, bien qu’il soit toujours légal dans d’autres états de congédier un employé à cause de son orientation sexuelle. Dans certains autres états, du reste, il est tout à fait permis de congédier un employé à cause de ses préjugés anti-gais. Il est bien entendu difficile d’évaluer l’ampleur de la discrimination contre les gais et les lesbiennes en milieu de travail tant et aussi longtemps que la pratique demeure légale car plusieurs gais et lesbiennes (surtout dans les milieux jugés plus sensibles, par exemple de l’école primaire et secondaire) refusent toujours de s’afficher publiquement.

Une question de liberté?

Au sein de la fédération américaine, les gais et les lesbiennes peuvent s’attendre à des progrès non seulement en provenance des états du nord-est, mais bien des états de l’ouest. Cela peut sembler ironique, mais examinons le paysage politique actuel : bien que les états du nord-est soient en avance sur ces questions, les états de l’ouest montrent des tendances fortement libertaires qui ne sont pas sans appuyer un populisme de laisser-faire. C’est ce mouvement qui conduira à d’importantes victoires pour les gais et les lesbiennes.

Rappelons-nous, à cet égard, les dernières années de gouvernement du sénateur Barry Goldwater de l’Arizona. Un avatar des droits des états, Goldwater, comme candidat à la présidence en 1964 s’est prononcé contre l’immoralité sexuelle. Toutefois, comme gouverneur, il a terminé sa carrière en donnant son appui aux droits égaux pour les gais. La région Mountain West sera certes un exemple à retenir, pris en son affiliation républicaine de plus en plus importante et sa tradition historique pour la protection des droits et libertés individuelles.

Dans le débat pour les droits de la reconnaissance des homosexuels, il sera intéressant de découvrir la perception des citoyens quant à l’origine de l’homosexualité. Selon le spécialiste de l’opinion publique Clyde Wilcoz (Georgetown University), même les plus homophobes sont prêts à tolérer les droits égaux pour les gais et les lesbiennes si l’homosexualité est génétique. Si c’est le cas, l’homosexualité ne résulte pas d’un choix, mais d’une prédisposition génétique. C’est donc plus acceptable. Mais les différences entre les citoyens d’un état à l’autre concernant leurs croyances religieuses et leurs idéologies, leur niveau d’instruction et d’éducation, de même que celui de leurs revenus risquent de mener à différentes interprétations des faits scientifiques et, par le fait même, à des réponses et à des stratégies tout aussi différentes.

Ce sont pour ces raisons, par conséquent, que les victoires pour les gais et les lesbiennes au cours des prochaines années seront sans doute d’abord et avant tout au niveau des états. Ceci n’est guère surprenant : tous les mouvements égalitaires se sont d’abord produits au niveau des états. Pourquoi en serait-il autrement pour le mouvement gai et lesbien?

Chacun leur tour, les états ont aboli l’esclavage bien avant l’amendement 13 qui abolit l’esclavage aux niveaux national et fédéral. Les femmes ont obtenu le droit de vote état par état avant de gagner le suffrage universel au niveau national. Même certaines minorités religieuses ont souffert de discrimination dans certains états avant de bénéficier de la protection de la Cour Suprême.

Dans chaque cas, les groupes qui souhaitaient des droits égaux ont d’abord dû réussir dans quelques états avant de remporter les victoires nationales. Comme le disait le juge Louis Brandeis, au sein du fédéralisme américain, les états sont « le grand laboratoire de la démocratie ».

Tel sera l’itinéraire à suivre pour les gais et les lesbiennes. Certains états sont, et seront, bien en avance sur les autres et même sur l’ensemble du paysage politique fédéral. Ces états offriront des garanties contre la discrimination dans le milieu du travail, des libertés sexuelles, et même le droit au mariage des gais et des lesbiennes. On ne peut qu’espérer que lorsque les Américains iront dans ces états et verront que ces droits ne mènent pas à leur déclin social et moral, à la pédophilie et à la colère de Dieu, ils en viennent à appuyer les droits égaux des homosexuels, ou du moins à les tolérer au niveau national.

Selon le bilan des autres groupes minoritaires, le gouvernement fédéral devra se prononcer et entreprendre les démarches nécessaires pour atteindre l’égalité des gais et des lesbiennes. Mais aux États-Unis, le système fédéral exige d’abord quelques victoires au niveau des états afin de créer un consensus national qui permettra l’intervention nécessaire du fédéral.

Fédérations volume 2, numéro 1, novembre 2001