travaille avec le ministère belge des Affaires extérieures et avec le ministère francophone de la réforme institutionnelle. Il s’est engagé dans les négociations et la mise en place de la dernière réforme institutionnelle belge majeure, laquelle mettait l’accent sur une plus grande autonomie des régions.

Une loi du 13 juillet 2001 transfère aux Régions la compétence en matière de politique agricole à partir du 1er janvier 2002. Dans la logique institutionnelle de la structure fédérale belge, ce nouveau transfert de compétence va de pair avec la disparition du ministère fédéral de l’agriculture ainsi qu’avec la représentation exclusive sur la scèneinternationale de l’État belge par les Régions en matière de politique agricole, en ce compris pour conclure des traités ou pour représenter l’Etat au sein des organisations supranationales et internationales.

Si cette seconde conséquence n’a rien d’étonnant dans le cadre du fédéralisme belge, dans la mesure où les entités fédérées exercent des compétences sur la scène internationale depuis plus de dix ans, il n’en demeure pas moins qu’en matière de politique agricole cette très large autonomie accordée aux Régions risque de présenter une certaine complexité voire d’être à la source de multiples difficultés organisationnelles.

La répartition des compétences en matière de relations extérieures

Généralement, le fédéralisme belge – fédéralisme de dissociation – apparaît tout à la fois comme l’un des modèles les plus en pointe en matière de délégation de compétences aux entités fédérées, notamment sur la scène internationale, et comme un écheveau institutionnel sans pareil. En ce qui autonomie des entités fédérées se traduit par l’application du principe de « parallélisme des compétences », en vertu duquel les compétences internes des Régions et des Communautés se prolongent sur la scène internationale : ces entités fédérées exercent sur la scène internationale les mêmes compétences que celles dont elles disposent dans l’ordre interne. L’autorité fédérale ne se substitue donc pas aux entités fédérées lorsqu’il s’agit de négocier un traité ou d’adopter une position au sein d’une organisation internationale dans une compétence relevant des compétences des entités fédérées.

La cohérence dans le cadre des accords bilatéraux et multilatéraux

Aussi limpide soit-elle dans son principe, cette délégation sur la base du parallélisme de compétences n’en pose pas moins certaines questions liées à la cohérence. L’Etat fédéral, les trois Régions et les trois Communautés exerçant des compétences en matière de relations internationales, le nombre d’interlocuteurs éventuels sur la scène internationale est particulièrement élevé. Il importait dès lors d’assurer une certaine cohérence à l’exercice des relations extérieures, autant dans le cadre du treaty making power qu’au sein des organisations internationales.

Cette cohérence repose essentiellement sur des procédures de concertation et sur la Conférence interministérielle de la politique étrangère (C.I.P.E.), véritable forum des ministres en charge des relations extérieures au niveau fédéral, régional et communautaire, au sein duquel ceux-ci s’accordent sur lareprésentation de l’État belge, se concertent et confèrent de la cohérence de la politique étrangère de la Belgique.

circonstances tout à fait exceptionnelles que l’autorité fédérale – seul niveau de pouvoir investi de la personnalité juridique en droit international – pourra limiter la capacité de conclure des traités des entités fédérées ou se substituer à elles.

Fédérations volume 2, numéro 2, février 2002

Ainsi, dans le cadre des traités bilatéraux, la loi ne permet à l’autorité fédérale de s’opposer à un projet de traité que dans quatre hypothèses, à savoir : lorsque la Belgique ne reconnaît pas la partie cocontractante ; lorsque la Belgique n’entretient pas de relations diplomatiques avec celle-ci ; lorsque les relations diplomatiques ont été rompues, suspendues, gravement compromises ou, encore, lorsque le traité envisagé est en opposition avec les obligations internationales ou supranationales del’État belge.

La conclusion des traités « mixtes » – c’est-à-dire les traités qui, à l’instar des traités fondateurs de l’Union européenne, concernent plusieurs niveaux de pouvoir, voire l’ensemble d’entre eux – est également précédée de négociations afin de déterminer les niveaux de pouvoir concernés par le texte, chacun d’eux étant ensuite appelé à prendre part aux négociations, à signer et à voter l’assentiment au texte. Avant de mettre en route des mécanismes de coopération, il est donc nécessaire de décider quelles autorités sont compétentes. Les modalités de conclusion ou d’adhésion à ces instruments de droit international sont réglées par voie d’accord de coopération

– une sorte de « mode d’emploi » de conclusion des traités au niveau belge – passé entre l’autorité fédérale et les entités fédérées. Cet accord de coopération précise les modalités des différentes phases de la procédure. Les principes en sont : l’information mutuelle, la signature par chacun des niveaux de pouvoir compétents et l’attribution d’un rôle central à la C.I.P.E.

La responsabilité juridique de l’autorité fédérale en droit international du fait de l’inexécution de ses obligations par une entité fédérée

En droit international, seul l’État fédéral dispose de la personnalité juridique : c’est donc lui (et lui seul) qui engage sa responsabilité en cas d’inexécution de l’une de ses obligations de droit international ou supranational par une entité fédérée – comme lors d’une condamnation par la Cour de Justice des Communautés européennes pour inexécution par une Région d’une directive, par exemple. Or, dans une logique fédérale, l’autonomie que suppose la décentralisation va de pair avec la responsabilisation des entités fédérées : il revient donc aux entités fédérées et non à l’autorité fédérale de supporter les conséquences financières de leurs manquements. C’est pourquoi la Constitution réserve au pouvoir législatif fédéral et au gouvernement fédéral la possibilité de se substituer temporairement aux organes des Régions et des Communautés lorsque, après concertation, ces derniers restent en défaut de garantir le respect de leurs obligations internationales. Ce ne sera cependant qu’en cas d’échec de la négociation et en guise d’ultime recours que l’autorité fédérale pourra agir au nom de l’entité fédérée défaillante, en retenant les sommes déboursées sur les dotations qui lui sont versées.

La représentation dans les organisations internationales ou supranationales

Dans la logique du principe de parallélisme des compétences internes et externes, les entités fédérées participent aux réunions des instances multilatérales

– au nombre desquelles figurent le Benelux, le Conseil de l’Europe, l’UNESCO, l’O.C.D.E. et l’O.N.U. – chaque fois que leurs compétences sont concernées. Il n’en demeure pas moinsque l’État belge ne dispose que d’une seule voix dans le cadre de ces instances internationales, cette voix ne pouvant se démultiplier en fonction du nombre de niveaux de pouvoir concernés dans l’ordre interne. Un seul représentantpourra donc intervenir au nom de l’État belge, la question étant de savoir qui, d’un ministre régional, communautaire ou fédéral, représentera effectivement la position belge au sein de cette instance, qui occupera concrètement le siègeréservé à l’État belge.

La solution reste cohérente par rapport au principe général de parallélisme de compétences : lorsque la matière traitée ressort principalement de la compétencedes Régions ou des Communautés, l’État fédéral s’efface pour laisser le siège de la Belgique au représentant d’une des Régions ou de l’une des Communautés. La question de la représentation nécessite donc une concertation : c’est au sein de la C.I.P.E. que les différents niveaux de pouvoir harmonisent leurs vues et déterminent lequel d’entre euxs’exprimera et votera au nom de l’État belge. Un accord de coopération organise les modalités de cette présence ainsi qu’un système d’échange d’informations, la création d’une structure de concertation permanente et des règles relatives à la composition des délégations.

La structure de concertation permanente repose sur le ministère fédéral des Affaires étrangères qui organise la concertation générale et la coordination des positions qui seront adoptées aunom de l’État belge. Cette concertation revêt une réelle importance, dans la mesure où le ministre régional ou communautaire appelé à siéger interviendra pour défendre la position belge et non en qualité de ministre d’une entité fédérée. Le défaut d’accord entre les parties intéressées au cours des réunions préparatoires aura dès lors pour conséquence de contraindre le ministrereprésentant l’État belge à s’abstenir lors des votes.

Le même mode d’organisation du travail et le même type de délégation trouve à s’appliquer au sein des instances européennes : les Régions et les Communautés participent à la définition de la position belge dans les différentes instances communautaires et y envoient leurs représentants, en ce compris au Conseil des ministres de l’Union européenne. Lors des présidences belges de l’Union européenne – comme ce fut le cas de juillet à décembre 2001 –, plusieurs conseils des ministres furent présidés par des ministres fédérés. L’élaboration du point de vue commun est concertée sous l’égide du ministèrefédéral des Affaires étrangères. À ce niveau également, l’absence d’accord entre les parties intéressées au cours des réunions préparatoires aura pour conséquence que le ministrereprésentant l’État belge au sein du Conseil de l’Union européenne sera tenu de s’abstenir lors des votes.

C’est ici que la récente régionalisation de la politique agricole pourrait présenter quelques difficultés pratiques car, en raison de sa très forte intégration au niveau européen, la matière se prête difficilement à un éparpillement des compétences : le rythme et la fréquence des réunions sur la matière au sein des enceintes européennes ne permettra pas en pratique de réunir systématiquement les différents acteurs concernés aux fins de négocier une position commune. De manière à éviter que l’agriculture belge ne soit privée de voix au chapitre, faute d’accord intervenu dans un laps de temps très court, la loi régionalisant la politique agricole organise la représentation des Régions au sein des instances européennes par un membre du gouvernement fédéral.

Cette entorse à la logique du parallélisme des compétences internes et externes devrait conduire à la création au niveau fédéral d’une cellule de coordination et de concertation chargée de rapprocher les points de vue des Régions et d’harmoniser leurs positions afin de pouvoir présenter une position commune. La future cellule fédérale de coordination agricole sera une réussite si elle parvient à relever le pari de la représentation européenne sans empiéter sur les compétences matérielles des Régions. A défaut, il est très probable qu’elle serait appelée à disparaître lors d’une future réforme institutionnelle.

Fédérations volume 2, numéro 2, février 2002