L’Espagne procède actuellement à une décentralisation de son régime fiscal afin de donner des pouvoirs et des responsabilités accrus aux communautés autonomes. *

En juillet 2001, le gouvernement central et les communautés de l’Espagne ont décidé d’accroître et d’élargir la portée de certains impôts dits « impôts cédés ». Il s’agissait de la seconde étape d’une réforme amorcée en 1996.

La réforme avait d’abord pour objectif principal de faire en sorte que les communautés soient tout autant responsables des fonds qu’elles prélèvent que des dépenses qu’elles effectuent. Bref, on cherchait à réduire ce qu’on appelle, dans les ouvrages sur le fédéralisme fiscal, un « déséquilibre fiscal vertical ». (Un tel déséquilibre se produit lorsque les recettes d’un ordre de gouvernement ne correspondent pas aux dépenses dont il a la charge. Ce déséquilibre se manifeste souvent sous la forme d’un excédent des recettes du gouvernement central par rapport à ses responsabilités exécutives et législatives, les recettes des unités constituantes ne suffisant pas à acquitter leurs responsabilités.)

Jusqu’à la réforme de 1996, les impôts cédés étaient des impôts prélevés par le gouvernement central dont le rendement était « cédé » ou octroyé aux communautés selon les montants prélevés dans chaque communauté. Les impôts cédés étaient, en réalité, une sorte de transfert en vertu duquel une partie des impôts du gouvernement central étaient reçus et administrés par les communautés.

La réforme de 1996 comportait un bon nombre de dispositions importantes. Premièrement, l’impôt sur le revenu des particuliers est devenu un impôt cédé, bien que partiellement. Deuxièmement, le gouvernement central a donné aux communautés le pouvoir de réglementer certains aspects des impôts cédés. Les communautés ont ainsi acquis la maîtrise de certaines questions comme la structuration des tranches de revenu, la détermination des taux d’imposition et l’institution de certains crédits d’impôts.

Le gouvernement central conserve le contrôle ultime

Ce mode de transfert correspondait à ce que les Espagnols appellent « une délégation de compétences législatives » du gouvernement central aux communautés.

À la différence des constitutions et des procédures de la plupart des fédérations, la constitution espagnole permet ce type de « délégation ». Mais comme le gouvernement central ne délègue que des compétences qui, en principe, lui appartiennent, il peut contrôler la façon dont les communautés exercent ces compétences et, surtout, révoquer à tout moment les délégations.

Toutefois, il est généralement convenu que, si le gouvernement central exerçait son pouvoir de révocation, il provoquerait de graves tensions entre les deux échelons de gouvernement. C’est pourquoi les nouvelles compétences des communautés concernant les impôts cédés sont considérées comme étant, à toutes fins utiles, permanentes. Depuis la mise en œuvre de la réforme, le rendement des impôts cédés est toujours attribué à chaque communauté et correspond au montant des impôts acquittés par ses propres contribuables. Mais si une communauté exerce ses nouvelles compétences législatives, le rendement fiscal sera mis au compte de l’autonomie fiscale de la communauté. Ce qui, jusqu’à 1997, n’était qu’un transfert est devenu une forme de partage des recettes fiscales.

La réforme de 2001 a eu pour conséquence d’accroître les compétences législatives des communautés et la liste des impôts susceptibles de leur être cédés.

Il y a tout un éventail d’impôts cédés comprenant, entre autres, l’impôt sur le revenu des particuliers, les droits de succession et les taxes sur les loteries. Compte tenu de la nature d’un impôt, son rendement est dévolu, entièrement ou partiellement, aux communautés, celles-ci étant libres d’exercer ou non leurs compétences législatives. La nature de l’impôt détermine aussi quel gouvernement sera responsable de son administration.

À vrai dire, les compétences des communautés afférentes à chaque impôt particulier varient tellement que, dans certains cas, l’impôt cédé peut être assimilé à un simple transfert (par exemple, dans le cas de la taxe sur la valeur ajoutée). Dans d’autres cas, la portée des compétences octroyées est si large que l’impôt cédé est assimilable à un impôt institué par la communauté elle-même (par exemple, dans le cas des taxes sur les loteries).

De la dictature à une fédéralisation graduelle

Lorsque, après la mort de Franco, en 1978, l’Espagne s’est dotée d’une constitution démocratique, celle-ci prévoyait la création d’entités proprement espagnoles auxquelles on donna le nom de « communautés autonomes ». Les régions se sont vues

Fédérations volume 2, numéro 2, février 2002

offrir la possibilité de se doter de pouvoirs comparables à ceux des unités constituantes dans les régimes fédéraux. Mais elles pouvaient aussi choisir de ne pas s’en doter. Ainsi, toutes les régions du pays ont décidé d’affirmer leur autonomie, de sorte que tout le territoire espagnol est maintenant partagé entre ces communautés.

La Constitution ne stipule pas quel’Espagne est un État fédéral. En réalité, elle ne dit rien au sujet de la forme del’État. Après le gouvernement centralisé de Franco, il était difficile de parvenir à un consensus sur cette question. Mais on admet généralement que, compte tenu du degré avancé de décentralisation, l’Espagne fonctionne comme une fédération.

Dans les années qui ont suivi 1978, les communautés dépendaient financièrement des transferts du gouvernement central. En général, elles ne percevaient pas d’impôts.

Comme, au cours de cette période, beaucoup d’Espagnols affichaient une certaine méfiance à l’égard des communautés, cela ne soulevait pas de difficultés. Les électeurs se sont d’ailleurs opposés aux efforts des communautés visant à instituer leurs propres impôts. C’est ce qui s’est produit, en 1987, dans la communauté de Madrid.

Mais, au fil des ans, les communautés ont progressivement acquis plus de pouvoirs et leurs besoins financiers se sont accrus. Le régime des transferts ayant pris de l’ampleur, les communautés sont aujourd’hui plus dépendantes au point de vue financier.

La question de la responsabilité fiscale des collectivités a bientôt acquis une grande importance dans les relations entre gouvernement central et communautés. À la fin des années 1980, certaines d’entre elles se sont montrées disposées à jouer un rôle plus actif en matière de fiscalité. Elles ont d’ailleurs institué de nouveaux impôts.

Le gouvernement central n’a pas toujours accepté ces nouveaux impôts et n’était pas disposé à abandonner sa souveraineté fiscale de facto. Il a contesté certains des nouveaux impôts devant la Cour constitutionnelle d’Espagne.

Une sorte de guerre sur le partage des recettes fiscales a été déclarée, ce qui a rendu impératif le besoin d’un réaménagement des pouvoirs fiscaux. Les réformes fiscales de 1996 et de 2001 ont été un moyen de faire la paix entre le centre et les régions, et d’amener les communautés à accepter une responsabilité accrue, aussi bien en matière de dépenses qu’en matière de perception des recettes.

Bon nombre d’observateurs estiment que ces objectifs n’ont pas encore été atteints.

Les réformes n’ont pas encore produit les résultats attendus

Les communautés autonomes ont la liberté de déterminer si elles exerceront leurs compétences. Cette approche est compatible avec ce qu’il est convenu d’appeler le « régime autonome facultatif » de la constitution espagnole, où il appartient à chaque communauté de déterminer les pouvoirs et les compétences qu’elle exerce.

Mais les modalités selon lesquelles cette faculté peut être exercée – et le fait que le gouvernement central continue de garantir aux communautés le versement de subventions forfaitaires déterminées en fonction de ce qu’elles ont reçu dans le passé – incitent fortement les communautés à ne pas utiliser leurs nouveaux pouvoirs fiscaux.

La preuve qu’il en est ainsi, c’est que, depuis 1997, les nouveaux pouvoirs fiscaux des communautés ont servi principalement à créer de nouveaux avantages fiscaux. Par conséquent, les communautés jouent auprès des contribuables le rôle d’une « fée bienveillante » offrant des services aux citoyens sans leur demander d’en acquitter le prix, tandis que la perception des impôts est laissée au gouvernement central, à qui incombe le rôle de la « belle-mère malveillante ».

Au cours de l’année 2000, les transferts conditionnels et inconditionnels représentaient encore à peu près 60 % des recettes totales des communautés, tandis que le rendement des impôts cédés correspondait à environ 25 % de ce montant. Toutefois, si on tient pour acquis que la plupart des impôts cédés sont en réalité des « transferts » (les communautés n’exerçant pas leurs pouvoirs de fixer les taux d’imposition), on constate que les transferts du gouvernement central représentaient, en 2000, près de 85 % des recettes totales des communautés.

Comme environ 40 % des dépenses totales sont imputables à ces communautés - lesquelles ne perçoivent qu’approximativement 15 % de leurs recettes – beaucoup d’observateurs estiment que le régime fiscal espagnol est déséquilibré.

Si on admet qu’un des principaux objectifs de la réforme était d’accroître la responsabilité fiscale des communautés et de les rendre comptables aux contribuables des sommes qu’elles dépensent, il faut alors conclure que la réforme n’a pas atteint son but. Seul l’avenir dira si l’augmentation récente des pouvoirs fiscaux des communautés aidera à changer la situation.

La plupart des observateurs avertis croient que la situation ne changera pas puisque les lois aux termes desquelles les nouveaux accords ont été mis en vigueur ne prévoient aucune mesure destinée à inciter les communautés à percevoir leurs propres impôts.

Fédérations volume 2, numéro 2, février 2002