Le président Fernando Henrique Cardoso a déclaré récemment que le gouvernement fédéral brésilien essaie de créer une « mentalité fédéraliste » au sein du pays. Deux exemples témoignent de l’émergence de cette mentalité : la nouvelle loi fédérale, qui autorise les États à fixer des seuils minima concernant les salaires, et la loi sur la responsabilité budgétaire fédérale, qui limite la capacité de dépenser des administrations étatiques.

La loi sur la responsabilité budgétaire revêt une importance critique au cours d’une année électorale. Elle est en effet censée réduire la capacité des candidats cherchant à se faire réélire (ou, comme dans le cas du Président Cardoso lui-même et de son candidat préféré, le ministre de la santé José Serra, des politiciens appuyant des candidats) et à adopter des mesures populistes.

En principe, la nouvelle loi devrait permettre de supprimer les conséquences coûteuses de dépenses excessives pendant une année électorale. Il suffit de voir ce qui se passe en Argentine : le gouvernement De La Rua a hérité du lourd bilan engendré par les déficits budgétaires de l’administration Menem pour comprendre l’importance d’une telle loi.

Réduire la taille du secteur public

La loi brésilienne sur la responsabilité budgétaire s’appuie sur une loi antérieure aux termes de laquelle l’administration fédérale refinance les dettes des États en contrepartie de leur engagement à maintenir des équilibres budgétaires durables. Afin d’éviter les pressions inflationnistes, le gouvernement fédéral brésilien estime que les deux échelons de gouvernement doivent poursuivre des politiques budgétaires prudentes.

L’accent mis sur l’équilibre budgétaire est conforme aux vues de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international, de même qu’aux principes sur lesquels reposent les programmes d’ajustement structurel et selon lesquels les déficits budgétaires excessifs créent des pressions inflationnistes.

Les Brésiliens ont accordé une attention spéciale à la réduction des frais afférents aux travailleurs du secteur public. Entre 1995 et 1999, les États brésiliens ont affecté en moyenne 70 pour cent de leurs recettes disponibles à des salaires. Sans nier la nécessité de limiter le poids des salaires, beaucoup de gens craignent que les travailleurs ne fassent les frais des mesures d’ajustement.

À vrai dire, les salaires moins élevés dans le secteur public sont venus s’ajouter au rendement relativement médiocre des marchés de main-d’œuvre pendant la seconde moitié des années 1990. Dans la foulée de la crise asiatique de 1997, notamment, le revenu réel moyen des travailleurs a chuté à des niveaux correspondant à peu près à ceux du début de la décennie, lesquels étaient eux-mêmes d’environ 40 pour cent inférieurs aux niveaux du milieu des années 1980. Du reste, les niveaux de chômage sont de quelque 80 pour cent supérieurs à ceux du début des années 1990.

En plus d’avoir adopté la loi sur la responsabilité budgétaire, le gouvernement fédéral a imposé des limites au niveau d’endettement que les États peuvent contracter. Le gouvernement peut interrompre ses transferts aux États si ceuxci ne respectent pas les limites en question. Cette dernière mesure a eu un effet sensible sur la capacité de dépenser des États, et peut être considérée à juste titre comme un retour à la centralisation budgétaire. Certains estiment qu’il s’agit d’une politique paradoxale puisqu’elle présuppose que la responsabilité budgétaire au Brésil n’est pas associée à une tendance vers la décentralisation budgétaire et vers une participation accrue de tous les échelons de l’administration au processus budgétaire.

Bref, la loi sur la responsabilité budgétaire, en plus d’accroître le pouvoir discrétionnaire des autorités fédérales, a une portée qui dépasse la simple régulation des relations entre les divers échelons de gouvernement. D’une certaine manière, la loi impose la centralisation budgétaire au nom de la stabilité économique.

Déficits et endettement accrus

Au cours de la première moitié des années 1990, il y a eu des excédents budgétaires primaires (les recettes moins les dépenses, à l’exclusion des paiements d’intérêt) et ce n’est qu’après 1994 que les déficits primaires ont commencé à augmenter. Après 1998, le solde primaire est redevenu excédentaire. Par ailleurs, les déficits du compte de fonctionnement (lequel comprend les dépenses d’intérêt) ont été élevés pendant toute la décennie 1990 sauf en 1993 et en 1994. En réalité, le déficit de fonctionnement a explosé après la crise mexicaine (dite crise « Tequila ») de décembre 1994. Le déficit du compte de fonctionnement est encore élevé aujourd’hui, même après les efforts d’ajustement qui ont suivi la crise de 1999 – et dont la loi sur la responsabilité budgétaire est un des fruits les plus importants.

Au début des années 1990, la situation budgétaire n’était pas alarmante. Mais à compter du milieu des années 1990, cette situation s’est révélée plus difficile à gérer, et ce même si les prix avaient été stabilisés. Non seulement les déficits du compte de fonctionnement ont-ils augmenté rapidement, mais le ratio de la dette au PIB a augmenté de 29,2 pour cent en 1994 à plus de 50 pour cent en 2001.

L’augmentation de la dette nette du gouvernement fédéral a été vertigineuse. Ironie du sort, la politique de responsabilité budgétaire exige que des limites soient imposées au niveau d’endettement des administrations locales, mais pas à celui du gouvernement fédéral. Bien entendu, le fardeau de la dette du Brésil est relativement faible par rapport à celui des pays de l’OCDE comme la Belgique ou l’Italie, qui ont des ratios d’endettement par rapport au PIB supérieurs à 100 pour cent.

Fédérations volume 2, numéro 3, avril 2002

Le gouvernement fédéral a réussi à maîtriser le déficit primaire en augmentant les recettes à plus de 30 pour cent du PIB et en réduisant les dépenses. Les dépenses sur les salaires sont passées de 32 pour cent à environ 22 pour cent du PIB. Les transferts aux administrations étatiques et locales sont passés de 25 pour cent à un peu moins de 15 pour cent de PIB. Un des principaux effets de la nouvelle loi a justement été d’obliger tous les échelons de l’administration publique à réduire les salaires, et à limiter le niveau d’endettement aux échelons inférieurs.

Réductions des dépenses sociales plutôt que « financières »

Malgré les inquiétudes concernant les effets de la loi sur la responsabilité financière sur les conditions sociales, ceux-ci ont été peu importants jusqu’à ce jour. À vrai dire, le degré d’inégalité des revenus est demeuré à peu près constant. À la fin des années 1990, il est comparable à celui enregistré à la fin des années 1970. On ne peut imputer à la nouvelle politique budgétaire la responsabilité des inégalités socioéconomiques dont souffre la société brésilienne.

Pourtant, les contraintes que la nouvelle loi impose sur les dépenses sociales, même si elles ne font de tort à personne, n’aident pas à acquitter la dette sociale accumulée. Par exemple, le gouvernement fédéral réduira le budget de la santé de l’année en cours de 2 milliards deR$ (environ 800 millions de $ ÉU selon les prix qui ont cours actuellement). Ces réductions ne compromettront pas à court terme la stratégie exhaustive du Brésil contre le VIH/SIDA, que de nombreux observateurs considèrent comme un programme modèle pour les pays en développement, mais elles pourraient avoir des effets sur l’efficacité du programme dans le futur.

Et s’il est vrai que les dépenses sociales ont été relativement limitées, on ne saurait en dire autant au sujet des dépenses financières du gouvernement fédéral. Les frais d’intérêt sur la dette accumulée, bien que variables, sont demeurés à des niveaux élevés. Il y a deux explications à ce phénomène :

• Depuis la dépréciation de la monnaie en janvier 1999, la crainte de nouvelles pressions inflationnistes a suscité la mise en œuvre de mesures anti-inflationnistes. Les autorités brésiliennes considèrent que les taux d’intérêt élevés sont un moyen de maîtriser l’inflation.

• La persistance des déficits au compte courant depuis 1994 signifie qu’il faut recourir à des taux d’intérêt élevés pour attirer les capitaux permettant d’équilibrer la balance des paiements. Dans les deux cas, des taux d’intérêt élevés sont nécessaires pour résoudre des problèmes soulevés par les comptes extérieurs.

C’est pourquoi, bien que la loi sur la responsabilité budgétaire limite efficacement les dépenses sociales, elle ne permet pas de maîtriser les dépenses financières.

Et les compressions budgétaires n’ont pas été limitées aux dépenses sociales. Elles s’appliquent aussi aux investissements publics.

Par exemple, les dépenses d’immobilisation dans la production et la distribution d’énergie ont été inférieures au niveau requis pour maintenir les possibilités de croissance. Entre 1995 et 1999, ces dépenses ont été en moyenne de 3,7 milliards de $ ÉU, et donc sensiblement inférieures au niveau de 6,5 milliards de $ ÉU que les spécialistes estiment indispensables. C’est pourquoi, le gouvernement fédéral impose d’importantes restrictions à la consommation énergétique. Les usagers industriels ont réduit leur consommation énergétique de 20 pour cent en moyenne en 2001. Dans certains secteurs (aluminium, cimenterie), la réduction a été de 25 pour cent.

Fait plus important encore, les coupures de production énergétique pendant les années 1990 ont eu pour conséquence que les dépenses gouvernementales pour les centrales hydroélectriques ont diminué, ce qui a permis aux investissements privés moins substantiels dans les centrales thermoélectriques de prendre le relais. Cela signifie que les réductions de dépenses ont eu un effet nocif sur l’environnement.

Le modèle « participatif »

La plupart des Brésiliens reconnaissent que les efforts axés sur la responsabilité budgétaire méritent d’être poursuivis. La transparence dans la gestion des affaires publiques et l’obligation de rendre des comptes sont des objectifs louables. Et l’opinion publique est généralement favorable à une forme décentralisée de fédéralisme budgétaire et fiscal. Du moins, tant que tout cela ne compromet pas l’aide sociale.

À cet égard, bon nombre de Brésiliens misent sur les politiques débattues récemment lors du Forum social mondial, à Porto Alegre, capitale de l’État méridional de Rio Grande do Sul. Le Forum social, qui se veut un contrepoids au Forum économique mondial de Davos (maintenant à New York), favorise la transparence et la participation démocratique au processus budgétaire. Ces idées sont inspirées notamment du budget « participatif », élaboré par le Parti des travailleurs, qui gère la ville de Porto Alegre depuis 12 ans, et l’État de Rio Grande do Sul depuis quatre ans.

Selon les règles du budget « participatif », les décisions concernant les taxes et les dépenses ne doivent pas être confiées uniquement à des techniciens et à des représentants gouvernementaux. Il appartient à la population, grâce à un processus de consultations et de débats, de déterminer les montants des dépenses et les modalités de lieu et de temps concernant les dépenses d’investissement. Le budget « participatif » a démontré qu’une gestion démocratique et transparente des ressources est un moyen efficace d’éviter la corruption et les détournements de fonds publics.

À la différence de la loi sur la responsabilité budgétaire, qui essaie de réduire la corruption en limitant les marges de manœuvre des autorités en matière de dépenses, le budget « participatif » vise à obtenir les mêmes résultats en favorisant la participation démocratique des citoyens. Si vous demandez aux Brésiliens ce qu’ils pensent de cette question, ils vous répondront vraisemblablement que, même si la responsabilité budgétaire est une bonne chose, elle est encore meilleure lorsqu’elle est associée à une participation démocratique.

Fédérations volume 2, numéro 3, avril 2002