Des changements majeurs à la Constitution de l’Inde?

Une commission d’enquête sur la Constitution a mis plus de deux ans pour faire des recommandations, que les critiques estiment superficielles.

PAR PRASENJIT MAITI

En Inde, une commission présente des propositions radicales visant à amender la Constitution. Ces changements pourraient avoir des conséquences majeures sur le Parlement de l’Union, les assemblées législatives d’état, le système électoral et l’appareil judiciaire. Le chef de la Commission d’enquête sur la Constitution, M.N. Venkatachaliah, ancien juge en chef, a remis le 31 mars son rapport final au gouvernement fédéral. Mais l’encre n’était pas encore sèche que les critiques estimaient déjà inadéquates les propositions de la Commission.

Au niveau du parlement, la Commission recommande d’élire le premier ministre du pays et celui de chaque état au sein de leur corps législatif, et d’interdire aux représentants d’un parti ou d’une coalition de changer de camp, individuellement ou en masse. Pour résoudre le problème de la corruption au Parlement, le rapport propose de changer l’immunité parlementaire de façon à en exclure l’acceptation de pots-de-vin pour voter ou prendre la parole au Parlement, et d’interdire aux représentants de se porter candidat à une charge publique pendant une année, s’ils sont accusés d’une infraction passible d’une peine d’emprisonnement de cinq ans.

Sur la question des divisions sectaires, le rapport recommande de proscrire les campagnes électorales fondées sur les castes ou la religion, de traiter sikhisme, bouddhisme et jaïnisme comme des religions différentes de l’hindouisme dans la Constitution, et de créer des tribunaux qui renforceraient le contingentement des emplois destinés aux castes défavorisées (qui comptent 270 millions d’âmes), dans les secteurs public et bancaire.

En matière de pouvoirs économiques, la Commission propose de limiter les expropriations légales par l’État aux projets d’intérêt public, d’établir une Commission interétatique sur le commerce, et de définir les compétences fiscales de l’Union et des états.

En tout, la Commission propose 249 amendements, ce qui serait inimaginable dans nombre d’autres pays fédérés, car il faudrait organiser des référendums ou obtenir le consentement des unités constituantes. Mais en Inde, un vote de deux tiers des membres des deux assemblées législatives suffit, à condition qu’une majorité des membres de chaque assemblée soient présents.

La Commission a débuté ses travaux en janvier 2000; elle devait remettre son rapport un an plus tard, mais on lui a accordé un délai de huit mois pour le compléter [cf. Fédérations, vol. 1, n° 4, mai 2001]. En fait, il aura fallu sept mois de plus.

Les médias ont aussitôt pris à partie ce rapport, accusant ses auteurs de choisir des modifications superficielles plutôt que de tracer une nouvelle voie pour la culture politique fédérale de l’Inde et d’intégrer les réseaux de gouvernance décentralisée.

Comment représenter les masses

Aujourd’hui, l’Inde connaît une démocratie pluriculturelle, multipartite et fracturée. L’une des grandes questions est de savoir s’il faut remplacer le système uninominal majoritaire à un tour au niveau fédéral. Les critiques soutiennent que ce système convient mieux aux régimes à deux partis, comme aux États-Unis ou en Angleterre, et qu’une forme de représentation proportionnelle serait préférable.

Ces derniers temps, on compte tellement de nouveaux acteurs qu’il ne serait pas équitable de les empêcher d’entrer dans l’arène politique sans avoir

à gagner au préalable les élections dans des scrutins uninominaux. Ainsi, des mouvements pour les droits de la personne et des mouvements populaires ont fait leur apparition, comme Narmada Bachao Andolan, ou Sauvons la rivière Narmada, qui s’oppose à l’aménagement d’un barrage sur cette rivière. Ces mouvements déplacent de l’état vers la société civile la résolution des problèmes de développement et de démocratie. Mais le rapport de la Commission n’aborde pas la question de la représentation.

Pouvoirs du président et

pouvoirs d’urgence

La Commission recommande de revoir la pratique controversée des « Pouvoirs du président ». Il s’agit de l’un des neuf articles d’un paragraphe de la Constitution autorisant le gouvernement de l’Union (ou central) à assumer une certaine forme de « pouvoirs d’urgence » en cas de « guerre ou agression externe ou de rébellion armée » ou de « danger imminent d’un tel événement ». Les Pouvoirs du président permettent au président de l’Inde de s’arroger tous les pouvoirs d’un gouvernement d’état, ou de placer les pouvoirs de cet état sous la tutelle du Parlement si « la gouvernance de l’état ne peut être accomplie conformément aux dispositions de la Constitution ».

La Commission prend pour cible la pratique des Pouvoirs du président en ces termes :

« Les Pouvoirs du président ont été imposés dans 13 cas, alors même que le ministère [de l’état] jouissait de l’appui

Fédérations volume 2, numéro 4, juin-juillet 2002

de la majorité de l’Assemblée législative. Cela englobe des exemples où… [le règlement]… a été invoqué pour résoudre des problèmes internes au parti ou pour des considérations n’ayant rien à voir avec le but visé par cet article. »

La Commission recommande que la Constitution soit révisée de façon à permettre au Parlement de convoquer une séance spéciale au cours de laquelle il pourrait abroger les Pouvoirs du président dans toute situation, et qu’aucune assemblée législative d’état ne puisse être dissoute par les Pouvoirs du président sans que cette mesure soit d’abord approuvée par le Parlement.

D’une société religieuse à une société séculaire

Le rapport offre peu de solutions aux problèmes indiens de transition d’une société religieuse à une société séculaire. Pour constater l’ampleur des problèmes, on n’a qu’à penser à l’état du Gujarat qui a été le théâtre des pires flambées de violence intercommunautaire depuis l’accès à l’indépendance en 1947. En février, après que des émeutiers musulmans ait brûlé un train transportant des activistes hindous, tuant 60 passagers, une campagne de « nettoyage religieux » a été lancée par des pseudomilitants hindous, faisant plus de 800 morts, en majorité musulmans. Le premier ministre et le ministre de l’Intérieur de l’Union n’ont pas fait grandchose pour révoquer le premier ministre militant du Gujarat, malgré des demandes en ce sens à l’échelle du pays.

Le rapport passe sous silence d’autres secteurs importants tels que l’ampleur des pouvoirs fédéraux, la citoyenneté, la responsabilité dans les affaires publiques et la transparence de l’administration. Beaucoup estiment que ces lacunes favorisent les intérêts du gouvernement central, aux dépens des gouvernements d’état, d’autant plus que le parti Bharatiya Janata (BJP) au pouvoir ne dirige qu’une poignée d’états politiquement négligeables au pays. Dans le vaste état d’Uttar Pradesh, le BJP ne parvient à maintenir le pouvoir qu’en s’alliant avec son opposant idéologique, le parti Bahujan Samaj, qui cherche à promouvoir les intérêts des classes « défavorisées ».

Politique et corruption

Avant de soumettre son rapport final, la Commission était acerbe au sujet de la corruption. Publié en janvier 2001, le document de consultation de la Commission sur les « Lois, processus et options de réforme en matière électorale » n’avait pas mâché ses mots :

« … Il y a des références constantes aux 3 P – pouvoir de l’argent, pouvoir de la force et pouvoir de la mafia, et aux 4 C – criminalisation, corruption, communautarisme et castisme. »

« Par ailleurs, la plupart de nos représentants sont élus par une minorité de voix, ce qui met en doute leurs compétences. Résultat, la légitimité de notre processus politique est sérieusement compromise. »

Les recommandations finales de la Commission ne donnent pas suite à ces belles paroles. Bien que la punition des parlementaires acceptant des pots-de-vin soit une étape dans la bonne direction, elle ne remédie qu’en partie à un problème plus grave.

La Commission a même révisé ses recommandations originales visant à restreindre les « privilèges » des juges des tribunaux de première instance et de la Cour suprême. Son rapport reste muet à propos des nominations à la magistrature de juges à la retraite. Il préconise même que le Parlement modifie les lois actuelles pour permettre aux juges de la Cour suprême de prendre leur retraite à 65 ans et aux juges des tribunaux de première instance de la prendre à 68 ans. Mais le gouvernement pourrait exploiter cette modification pour employer des juges retraités dans des rôles de politique partisane. En Inde, les commissions d’enquête sont le plus souvent présidées par des juges des tribunaux de première instance et de la Cour suprême, en poste ou retraités. La Commission elle-même en est un bon exemple. Le gouvernement met habituellement les rapports aux oubliettes, et, même si ces rapports sont déposés devant le Parlement de l’Union, des mesures concrètes sont rarement prises.

Quatre employés de la Commission ont allégué que quelqu’un au sein de la Commission avait modifié le rapport après approbation par l’équipe d’une version théoriquement définitive. Une de ces modifications portait sur la nomination des juges à la Cour suprême. Subhash Kashyap, président du comité de rédaction attaché à la Commission d’enquête sur la Constitution, et ancien secrétaire général de la Lok Sabha (Chambre du peuple ou Chambre basse du Parlement), est l’un des contestataires.

Sumitra Gandhi Kulkarni est une autre contestataire. Elle soutient que la Commission n’a engagé aucun dialogue public au cours de ses délibérations. Par exemple, la Commission n’a parrainé que 13 séminaires. Sur une population de plus d’un milliard d’âmes, on n’a compté que 67 personnes ayant répondu aux questionnaires de la Commission, et 670 représentations par des individus ou des organismes.

Questions non résolues

Le rapport de la Commission esquive par ailleurs la question litigieuse sur l’empêchement des personnes d’ascendance étrangère (en particulier, Sonia Gandhi du Congrès national indien, chef de l’opposition à la Chambre basse du Parlement de l’Union), d’accéder à des postes constitutionnels importants. Le rapport recommande que cette question soit réglée uniquement dans le cadre d’un dialogue à l’échelle nationale. Cette proposition a été critiquée par Vinod Kanth, avocat expérimenté du tribunal de première instance de Patna au Bihar. D’aucuns soupçonnent que le BJP préférerait en fait voir cette question se régler dans la rue, même si cela risque de déclencher un conflit d’une ampleur comparable à celle des manifestations de Gujarat.

Même ces modestes réformes constitutionnelles selon les critiques de la Commission risquent de ne jamais voir le jour. Dans tout le pays, le BJP continue de perdre les élections d’État, ce qui le place en position de faiblesse au Parlement. Aura-t-il la volonté ou l’influence politique nécessaire pour obtenir la majorité des deux tiers qu’exige l’amendement de la Constitution?

Le rapport de commission est disponible en ligne au http://lawmin.nic.in/ ncrwc/finalreport.htm

Fédérations volume 2, numéro 4, juin-juillet 2002