Lors des élections générales au Brésil, la population sera appelée à élire un président, un vice-président, 26 gouverneurs et vice-gouverneurs d’état, un gouverneur et un vicegouverneur du district fédéral et deux sénateurs par état, ce qui équivaut aux deux tiers du Sénat. La Chambre des députés et les assemblées législatives des états seront donc entièrement remodelées. Les changements apportés au cadre politique permettront des modifications institutionnelles et administratives à l’échelle du pays.

Malgré tout, le Brésil fait face au même dilemme : comment maximiser son énorme potentiel de production, développer suffisamment son économie pour contrecarrer une dette publique croissante et régler, de toute urgence, les profondes disparités régionales et l’exclusion socioéconomique qui affectent un important segment de la population.

Le rapport sur le développement humain 2002 du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) accorde au Brésil la cote de 0,757 sur une échelle de 0 à 1, ce qui le classe au 73e rang parmi les 173 pays analysés. L’Amérique latine et les Caraïbes surclasse le Brésil avec une moyenne de 0,767. Dans ce contexte, il est donc fort surprenant de constater que d’après l’indice de Gini, le Brésil se classerait au quatrième rang mondial pour la concentration des revenus!

À la lumière de ce scénario, le nouveau président et son équipe de gouverneurs et de législateurs devront notamment redéfinir et actualiser le régime fédéral brésilien.

Le « pacte fédéral »

Les tensions entourant la centralisation et la décentralisation des pouvoirs secouent le Brésil depuis l’avènement des premier et second empires, soit entre 1822 et 1889. Puisque la tradition portugaise favorisait la centralisation, il a fallu attendre l’instauration de la Première république (1889-1930) et l’avènement du fédéralisme pour que les états obtiennent un peu plus d’autonomie.

Au cours du XXe siècle, le fédéralisme brésilien a connu tour à tour des régimes autoritaires centralisateurs et des régimes libéraux favorables à la décentralisation. Il aura fallu attendre le processus de démocratisation et la Constitution de 1988 pour assurer une plus grande autonomie sous-nationale face à l’Union.

La nouvelle Constitution conférait une autonomie fédérale aux municipalités, les rendant officiellement égales à l’Union et aux états. Le débat relatif à la forme que prendra le fédéralisme

Gilberto Marcos Antonio Rodrigues est professeur de droit international à la Faculté de droit de l’université catholique de Santos, dans l’état de São Paulo, au Brésil.

brésilien repose sur ce nouveau pacte fédéral constitutionnel, sur ses pratiques et sur son application progressive.

Les employés de la plupart des petites et moyennes municipalités n’ont toutefois pas les compétences voulues pour satisfaire aux nouvelles exigences constitutionnelles. Les nouveaux dirigeants auront donc fort à faire pour remédier à la situation.

Dette, impôt et péréquation

Le débat entourant le fédéralisme fiscal a pris une nouvelle ampleur avec l’adoption de la Loi sur la responsabilité financière le 4 mai 2002 [cf. Fédérations, vol. 2, n° 3]. Il aborde un grave problème brésilien : l’endettement sans bornes des unités constituantes qui donne lieu à une dette publique difficile à gérer. La Loi vise à garantir une saine gouvernance et à transformer des habitudes ancrées dans une culture de dépenses sans limites. Mais le redressement fiscal inhérent à la Loi engendre de sérieux problèmes et menace la viabilité même de plusieurs états et municipalités.

Dans ce contexte, la réforme doit porter sur la fiscalité, de manière à assurer le financement nécessaire au bon fonctionnement et à l’autonomie des entités fédérales.

Il importe de redéfinir la péréquation fiscale pour rectifier le grave déséquilibre socioéconomique régional. Le Brésil doit donc améliorer son régime actuel de transferts verticaux, notamment en matière d’éducation et de santé, et le protéger contre l’interférence et la manipulation politiques. Du côté de la concurrence fiscale, l’adoption de règlements efficaces aiderait à réduire l’asymétrie régionale et mettrait fin aux querelles fiscales entre les états.

Les Brésiliens songent depuis plus de dix ans à modifier leur régime d’imposition. Mais toutes les propositions se heurtent au fait que le fédéral perdrait au change advenant une dévolution des responsabilités fiscales aux états et aux municipalités.

Les propositions législatives et les débats engagés jusqu’ici ont permis de remplacer la taxe sur la production par une taxe à valeur ajoutée (TVA). Cette dernière, qui ne s’applique qu’au produit final, est plus exhaustive que la « taxe sur les services et la circulation des produits » et la « taxe sur les produits manufacturés ».

Les réformes fiscales doivent également tenir compte de la participation du Brésil au MERCOSUR (le « Marché commun du Sud ») et de son adhésion éventuelle à la Zone de libreéchange des Amériques (en voie de négociation), deux entités favorables aux politiques d’harmonisation fiscale.

Fédérations vol. 2, no 5, novembre 2002

Services de base et guerre au crime

Les thématiques qui sous-tendent le fédéralisme sont aussi étroitement liées que les gènes sur un brin d’ADN. Dans une structure fédérale, la redéfinition des compétences n’a de sens que si la réforme fiscale permet d’accorder les fonds nécessaires pour couvrir le coût des responsabilités implicites ou prévues.

Cette seconde priorité soulève des questions qui touchent directement la population, et constitue le fondement même de l’efficacité dans la formulation et l’application des politiques publiques dans des secteurs comme la santé, l’éducation, l’environnement, le logement et les installations sanitaires essentielles.

Les Brésiliens sont fort inquiets du taux alarmant de violence urbaine et de crime organisé au pays. C’est pourquoi ils réclament des changements à la sécurité publique à l’échelle des compétences fédérales et étatiques.

Les plus grandes manifestations de violence et de crime existent au sein des villes, mais les municipalités ne jouissent pas de l’autorité constitutionnelle nécessaire pour assurer le maintien de l’ordre. Les états, pour leur part, gèrent deux forces policières (civile et militaire), qui coopèrent mal, sinon pas du tout, et dilapident les ressources financières et humaines.

On s’attend à un important débat entourant les responsabilités accrues à confier aux municipalités dans ce secteur, comme cela s’est fait pour la gestion des transports. Les verbes « fédéraliser » et « étatiser » existent dans le vocabulaire portugais et décrivent la gestion ou l’exécution d’une politique ou d’un service public par le fédéral ou par un état. Mais le terme « municipaliser » n’existe pas. Il s’agit néanmoins d’un point chaud du programme fédéral brésilien, alimenté par un mouvement mondial visant à renforcer les pouvoirs locaux dans des domaines généralement régis par le centre ou un état.

Par contre, plusieurs arguent que les enquêtes et les sentences applicables aux membres du crime organisé devraient être fédéralisées, pour garantir l’intégrité et l’indépendance des commissaires de police, des procureurs et des juges, et pour assurer l’application équitable de la loi.

Manque de coopération

Au Brésil, il existe trois ordres de gouvernement (fédéral, étatique et, contrairement à plusieurs fédérations, municipal), et pourtant, il existe peu de mécanismes institutionnels efficaces pour faciliter les relations intergouvernementales. La coopération intergouvernementale aiderait à régler les « guerres fiscales » qui opposent divers états [cf. Fédérations, vol. 1, n° 1] et qui nuisent aux économies régionales. Mais la réalité brésilienne est telle que le pays doit créer son propre modèle dans ce domaine. Le régime fédéral brésilien est particulièrement complexe, compte tenu de l’existence conjointe de l’Union, de 26 états, d’un district fédéral et de 5 561 municipalités affichant de profondes disparités socioéconomiques.

Lorsque l’Union signe un traité, il lie du même coup les états et les municipalités. Un survol de l’histoire du Brésil ne fait ressortir aucune opposition à cette règle. Compte tenu de la complexité croissante des dossiers internationaux et de la participation accrue des acteurs sous-nationaux dans la mise en oeuvre d’ententes multilatérales, il devient urgent d’amorcer le dialogue et d’engager des mesures intergouvernementales en ce sens.

C’est ainsi que le Brésil a ratifié la Convention-cadre sur les changements climatiques (1992) et le Protocole de Kyoto (1997) mais n’a engagé encore aucune mesure pour garantir que ses instances sous-nationales respecteraient ces ententes. Puisqu’il n’existe, à toutes fins pratiques, aucune communication efficace entre les diverses compétences brésiliennes, le fédéral a agi de façon incohérente et pris des décisions qui, croit-il, serviront bien ses intérêts.

États, municipalités et relations étrangères

Il y a également lieu d’examiner les relations internationales qui relient les états et les municipalités, un phénomène qui prend plus d’ampleur depuis les années 90, propulsé par la mondialisation et le mouvement d’intégration régionale. Le mouvement en faveur des villes internationales inspiré de la Conférence sur l’habitat (ONU, 1996) et ses ramifications, ainsi que le MERCOCIUADES, un réseau qui regroupe des centaines de municipalités de pays du MERCOSUR, offrent deux nouvelles occasions de coopérer entre tous les ordres de gouvernement.

Cela dit, on ne peut écarter pour autant la possibilité de certains conflits. Prenons, à titre d’exemple, la crise du moratoire sur l’ « euro-obligation » dans l’état de Minas Gerais en 1999, où le fédéral a dû intervenir pour bloquer la fuite de capitaux.

Il existe déjà, dans ce secteur, un organisme dont le mandat consiste à favoriser la coopération. En 1997, le ministère des Affaires étrangères a mis sur pied un Conseil des relations fédérales dont le rôle consiste, justement, à collaborer étroitement avec les états, les municipalités et la société civile.

Malgré tout, cet organisme n’est pas équipé pour chapeauter le nombre croissant d’engagements internationaux négociés par les états et les municipalités. La création d’un forum consultatif et l’adoption de mesures diplomatiques fédérales permanentes contribueraient peut-être à favoriser le dialogue avec les instances sous-nationales et à sensibiliser les gens aux responsabilités inhérentes à l’instauration de politiques étrangères fédérales.

Une « culture fédérale » au Brésil?

Afin de relever tous ces défis à court et moyen terme, il faudra engager des mesures pour préparer les générations futures à mieux composer avec le fédéralisme et pour apprendre à en profiter davantage. Les maisons d’enseignement, surtout les universités et les centres de recherche, doivent élargir leurs champs d’activités pour inclure l’apprentissage du Brésil sous l’angle du fédéralisme. En outre, il pourrait s’avérer utile de se familiariser avec le fonctionnement d’autres régimes fédéraux.

Les programmes actuels d’enseignement des facultés de droit et les cours de droit ne tiennent pas compte des lois des états et des municipalités. Pourtant, ces mêmes organismes éduquent la plupart des dirigeants des trois paliers gouvernementaux, dont plusieurs ont pour tâche d’interpréter et d’appliquer les lois.

Le débat entourant la réforme du fédéralisme doit servir à stimuler et à appuyer la propagation d’une culture fédérale à l’échelle du Brésil, puisant à de nouvelles ressources éducatives qui reflètent fidèlement les perspectives de chacun des trois paliers gouvernementaux de la fédération brésilienne.

Fédérations vol. 2, no 5, novembre 2002