Nouvelle initiative de paix au Sri Lanka

Les groupes ethniques hier encore en lutte sauront-ils s’entendre sur une structure gouvernementale leur permettant de coexister dans la paix?

PAR RUPAK CHATTOPADHYAY

a débuté avec l’élection au gouvernement du Front

réintégration économique

En outre, la surveillance dont font

l’objet les organisations dites décembre 2001. Ranil

national uni (UNF) en terroristes depuis le 11 septembre La paix est désormais à portée de main au Sri Lanka.

Le 18 septembre 2002, le gouvernement du Sri Lanka et les Tigres de libération de l’Eelam tamoul (LTTE) ont conclu une première ronde de négociations pour la paix à Sattahip, en Thaïlande. Les deux parties se sont entendues pour mettre sur pied un groupe de travail mixte chargé de la reconstruction de la zone Nord ravagée par la guerre et pour fixer les dates des trois prochaines rencontres.

Une telle réalisation aurait été impensable un an auparavant. Une précédente initiative de paix, lancée en 1995 par la présidente srilankaise, Mme Chandrika

La récente augmentation du

Bandaranaike Kumaratunga, avait avorté après que la prix de certaines denrées présidente elle-même eût été

produites dans le Nord (riz et

la cible d’un attentat à la bombe. mangues), consécutive à une

demande accrue dans le Sud,

Le processus actuel de paix

Wickremesinghe a été élu au poste de premier ministre sur la foi qu’il mettrait fin à la guerre civile. Peu après son arrivée au pouvoir, le nouveau gouvernement initiait les pourparlers.

Le gouvernement a reconnu qu’il ne pouvait régler la situation de façon militaire et que le coût en vies humaines avait été effroyable. Presque vingt ans de guerre se sont soldés par la perte de 65 000 vies et une économie exsangue. Il n’est pas exagéré de dire que ce conflit a conduit le pays au bord de la faillite.

Le LTTE campé sur ses positions

Tout règlement définitif passe nécessairement par le rétablissement de la confiance de la population tamoule et par la prise en compte des revendications du LTTE. Le développement du Nord, soumis pendant plusieurs années à un blocus économique, accuse un retard tangible, tandis

Rupak Chattopadhyay est agent de programme au Forum des fédérations.

que sa population se sent marginalisée sur le plan politique. Le caractère hautement militarisé du conflit a contribué à faire du LTTE le représentant de facto des Tamouls dans les régions Nord et Est du Sri Lanka.

De fait, la plupart des Tamouls sont reconnaissants envers le LTTE d’avoir contraint le gouvernement à négocier. Le LTTE contrôle de vastes territoires desquels il ne peut être évincé, et le nouveau gouvernement considère que l’échec du plan de paix de la présidente Kumaratunga est attribuable au fait de ne pas avoir inclus le LTTE dans les

négociations. Bref, la viabilité de la solution dépend de l’inclusion du LTTE dans le processus.

D’autre part, malgré qu’il ait payé le prix fort en vies humaines, le LTTE ne pouvait espérer réaliser l’indépendance totale du peuple tamoul. Les limites de son champ de recrutement rendaient toute guerre d’usure virtuellement impossible.

2001 a contribué à convaincre le LTTE de négocier.

Le premier ministre Wickremesinghe parlait vraisemblablement pour les deux camps lorsqu’il a déclaré en février dernier : « Il faut absolument que nous discutions; il n’y a pas d’autre solution. »

Les marchandises circulent, les routes sont réouvertes

La surveillance gouvernementale des envois de marchandises vers les régions contrôlées par le LTTE a pris fin en décembre dernier. Peu de temps après, en février 2002, le gouvernement et le LTTE signaient un accord de cessez-le-feu sous parrainage norvégien. Une équipe d’observateurs scandinaves en surveille actuellement l’application. Bien que l’on rapporte des infractions mineures des deux côtés du conflit, il est raisonnable de dire que l’entente a mis fin à la confrontation militaire sur l’île.

La décision gouvernementale de réhabiliter le LTTE avant la reprise des négociations a créé un environnement favorable aux discussions.

Fédérations vol. 2, no 5, novembre 2002

Le Nord, éprouvé par la guerre, a été soulagé par la réouverture de l’autoroute A-9 reliant Jaffna, la principale ville sous contrôle tamoul, aux régions du Sud. Nourriture, médicaments et autres produits circulent désormais dans les deux sens. La récente augmentation du prix de certaines denrées produites dans le Nord (riz et mangues), consécutive à une demande accrue dans le Sud, marque le début de la réintégration économique nationale.

Fin de la limitation imposée sur les voyages

Le Sud a également des motifs de se réjouir.

Pour la première fois depuis une vingtaine d’années, on ne voit plus à Colombo ces points de contrôle qui irritaient la population. Le personnel en uniforme n’y est pas plus visible que dans toute autre ville occidentale. Et l’espoir de la population est nourri par la croissance de l’investissement étranger et par le retour des touristes depuis le début de l’été.

De toutes les régions du Sri Lanka, plus de 100 000 réfugiés ont commencé à retourner dans leur foyer ou s’apprêtent à le faire.

Le processus de normalisation est encouragé par la levée des restrictions de déplacement pour les civils. Les Tamouls en provenance de Jaffna ou de la région Est n’ont plus besoin de sauf-conduits ou de s’enregistrer auprès de la police lorsqu’ils voyagent dans le Sud. Chacun est libre d’aller où bon lui semble, sauf que les cadres du LTTE doivent toujours, selon les termes du cessez-le-feu, s’enregistrer auprès des autorités lorsqu’ils voyagent dans des régions sous contrôle gouvernemental.

Il est encourageant que les résidents du Sud aient commencé à voyager au Nord pour voir de leurs yeux les ravages causés par la guerre. Il s’agit pour plusieurs d’entre eux d’un premier voyage en région tamoule. Cette libre circulation des citoyens contribue au renforcement d’un sentiment populaire en faveur de la paix.

Le gouvernement de la Norvège a largement contribué à amener les parties à la table de négociation et à mettre en place le cessez-le-feu. Mais il y a des limites à ce que ce gouvernement peut ou souhaite faire.

Le caractère apparemment durable du cessez-le-feu permet d’espérer. Mais pour consolider la paix, les parties devront bientôt s’attaquer à une série de problèmes politiques et

Groupes ethniques et religieux au Sri Lanka

humanitaires complexes. À court terme, elles devront définir les modalités de la reconstruction et faire respecter les droits des minorités sur l’ensemble du territoire.

Toute entente politique, fusse-t-elle provisoire ou permanente, doit prendre en compte les revendications de ces minorités. Il est probable que la nouvelle administration par intérim dans les provinces du Nord et de l’Est sera dominée par le LTTE, et certaines minorités cinghalaises et musulmanes sont inquiètes.

À long terme, les parties doivent envisager un transfert des pouvoirs vers les régions du Nord et de l’Est. Elles doivent aussi déterminer les modalités de désarmement du LTTE, dont les forces sont considérables, et la meilleure façon d’intégrer, le cas échéant, l’administration du LTTE dans l’appareil étatique.

Une aide internationale accrue

Reconnaissant l’ampleur du défi qui les attend, les parties ont demandé l’aide de la communauté internationale. Ainsi,

Fédérations vol. 2, no 5, novembre 2002

à la fin de la première ronde de négociations, elles se sont mises d’accord pour créer un groupe de travail mixte chargé de la reconstruction et de l’aide humanitaire. Constituant une forme de partenariat entre le gouvernement du Sri Lanka et le LTTE, le groupe de travail a pour tâche de déterminer, de financer et de superviser l’aide humanitaire et les activités de reconstruction nécessaires dans le Nord et l’Est du pays.

Le groupe de travail opérera en collaboration avec les Musulmans qui constituent un groupe minoritaire important à l’Est. Quant au financement de la reconstruction dans les provinces du Nord et de l’Est, le LTTE et le gouvernement srilankais mèneront conjointement une campagne de financement à l’échelle mondiale.

Le groupe de travail mixte constitue un test de la capacité des parties à collaborer. Il est inévitable que surgiront des problèmes de juridiction et de partage des pouvoirs entre les centres administratifs, comme c’est généralement le cas dans toute entreprise de décentralisation.

Conscientes que la solution suppose un important transfert des pouvoirs à la communauté tamoule et à ses représentants, les parties ont invité le Canada à contribuer au processus. Après avoir rencontré les représentants des deux parties, le Canada a fait appel au Forum des fédérations, spécialiste en la matière.

Au terme de la première ronde de négociations, on pouvait voir se dessiner un règlement politique reposant sur un transfert asymétrique des pouvoirs aux régions tamoules. Au lieu d’une répartition égale des pouvoirs entre les provinces, comme

c’est le cas aux États-Unis, par exemple, les provinces tamoules se verraient octroyer des pouvoirs accrus, comme la Catalogne, en Espagne. Il est à noter que, si le modèle institutionnel choisi emprunte à des systèmes fédéraux existant ailleurs dans le monde, il sera certainement spécifique au Sri Lanka.

Un défi de taille

Le Sri Lanka a toujours été un État unitaire. Le processus de transfert des responsabilités doit donc s’attaquer à deux catégories distinctes de problèmes.

GÉOGRAPHIE
  • Superficie : 65 610 km ca. – soit les deux-tiers de la Suisse

  • Population : 19 408 000 (est. 2001) – soit légèrement plus que l’Australie

  • Ethnies : Cinghalais (74 %), Tamouls (18 %), Arabes (7 %), autres (1 %)

  • Religions : Bouddhistes (69 %), Hindous (15 %), Chrétiens (8 %), Musulmans (7 %)

  • Langues : cinghalais (74 %), tamoul (18 %), autres (8 %)

ÉCONOMIE
  • Secteurs économiques : alimentation, agriculture, textile et confection, télécommunications, assurance et banque

  • Secteurs d’emploi : services (45 %), agriculture (38 %), production manufacturière (17 %)

  • Secteurs d’exportation : cultures de plantations (20 %), textiles et vêtements (63 %)

  • Articles d’exportation : textiles, vêtements, thé, produits de la noix de coco, diamants, produits raffinés du pétrole, épices

  • Population active : 6,6 millions (1998)

  • Taux de chômage : 8,8 % (est. 1999)

La première concerne les questions de gouvernance.

Les parties appelées à partager le pouvoir devront bénéficier d’un soutien technique leur permettant de profiter de l’expérience d’autres pays dans la mise sur pied de leurs institutions. Le manque d’expérience du Sri Lanka dans les questions intergouvernementales constitue un obstacle de taille au bon fonctionnement d’un État de type fédéral ou décentralisé. Le Forum mettra à la disposition des parties son expérience des réformes constitutionnelles et des relations intergouvernementales (notamment en ce qui concerne les questions fiscales et juridictionnelles, et les mécanismes de règlement des conflits). Le plus grand défi

Fédérations vol. 2, no 5, novembre 2002

qui attend le LTTE sera certainement de renoncer à son organisé une série de séminaires et de conférences statut d’organisation militaire pour devenir un parti publiques dans les villes de Colombo, Kandy et Jaffna. Ces politique. rencontres visaient à encourager la population, dont une

partie est opposée à l’idée d’un partage des pouvoirs ou àLa seconde catégorie de problèmes concerne la façon de celle d’un État fédéral, à participer au processus.

convaincre la population de la nécessité de nouvelles institutions. Les rencontres ont permis au groupe de spécialistes d’aborder la question du coût et de la viabilité du

Le gouvernement et le LTTE peuvent être d’accord sur le fédéralisme pour le Sri Lanka, et debien-fondé d’un transfert substantiel des souligner la façon dont le partage despouvoirs de Colombo, mais il n’est pas

pouvoirs agit dans le règlement des

dit que la population sera de leur avis.

conflits. De retour de mission, les Or, aucune réforme constitutionnelle membres de l’équipe ont fait état d’une n’est possible sans le soutien de la volonté populaire très nette en faveur de population. Les tentatives précédentes la paix. Il n’est que de voir l’intensité dede transfert des responsabilités ont la circulation sur l’autoroute A-9 pour se suscité des réactions mitigées dans le convaincre du bienfait des mesures de

pays. Selon qu’elle appartient à une paix pour l’économie et le bien public.

communauté ou à une autre, la population interprétera le transfert des

Il est aussi ressorti que certains pouvoirs comme un pas vers la s’inquiétaient encore de la forme qu’allait désintégration du Sri Lanka, ou comme prendre le règlement final, et que le manque étant nettement en deçà des aspirations des minorités. d’expérience du Sri Lanka en matière de gouvernance à

paliers multiples était perçu comme un obstacle au succès.

Il est important de donner au public une vision claire de la gouvernance à paliers multiples et de sa capacité Un certain type de partage asymétrique paraît maintenant d’améliorer les relations interethniques et sociales, inéluctable dans le cadre des pourparlers de paix. Cette autrement dit, de sa capacité d’assurer l’intégrité de l’État forme de partage implique que les constituantes de la tout en préservant les droits des minorités. nouvelle structure gouvernementale srilankaise n’aient pas

des pouvoirs et responsabilités identiques, mais qu’elles Du 2 au 7 septembre 2002, un groupe de spécialistes recruté assument un rôle correspondant à leur situation spécifique.

par le Forum des fédérations a visité le Sri Lanka pour Le concept implique également qu’il puisse y avoir unedéterminer la nature exacte du soutien technique nécessaire sorte de charte des droits culturels et des minorités qui pour entamer les pourparlers de paix ainsi que pour complèterait la structure constitutionnelle et politique de sensibiliser la population à la gouvernance à paliers base, un système qui garantirait certains droits culturels, multiples. L’équipe comprenait Bob Rae, président du par exemple, aux Tamouls vivant en territoire cinghalais, et conseil d’administration du Forum des fédérations et ancien aux Cinghalais vivant en territoire tamoul.

premier ministre de l’Ontario, David Cameron et Will Kymlicka du Canada, et Charlie Jeffery de la Grande-Il reste maintenant à sensibiliser la population aux Bretagne, chercheurs universitaires, et Peter Meekison, possibilités offertes en matière de constitution et de ancien haut fonctionnaire du gouvernement albertain. gouvernement.

L’équipe du Forum a d’abord rencontré G.L. Peiris, ministre des Affaires constitutionnelles, et Milinda Morogoda, ministre de la Science et de la Technologie, accompagnés de

représentants du bureau du Dix mois du processus de paix

premier ministre, du

19 décembre 2001 Le LTTE annonce un cessez-le-feu unilatéral d’un mois.

Secrétariat d’État pour la paix

24 décembre 2001 Le gouvernement annonce une interruption des hostilités d’un mois.

et du ministère des Finances.

15 janvier 2002 Le gouvernement lève l’interdiction sur le transport de marchandises Le groupe s’est ensuite rendu vers le Nord. à Vanni, une ville du Nord, 22 février 2002 Le gouvernement et le LTTE s’entendent sur le principe d’un

pour y rencontrer M. Thamil cessez-le-feu permanent. Chelvan, représentant et chef

3 mars 2002 Création d’une mission de surveillance du cessez-le-feu

de l’aile politique du LTTE.

8 avril 2002 Réouverture de la nationale A-9 reliant Jaffna à Kandy 10 avril 2002 Le chef du LTTE donne une première conférence de presse en 12 ans.

Convaincre la population

27 juillet 2002 Première rencontre officielle entre un ministre srilankais et le En collaboration avec le Centre négociateur en chef du LTTE à Londres pour des solutions politiques 4 septembre 2002 Levée de la proscription gouvernementale à l’encontre du LTTE du Sri Lanka, le Forum a 16 septembre 2002 Premières rondes de négociations entre le gouvernement et le LTTE

Fédérations vol. 2, no 5, novembre 2002