Au Nigeria, le gouvernement local a connu de nombreuses transformations. À l’ère coloniale, c’était simplement l’agent du gouvernement central, sans identité propre. Au mieux, c’était la voix du gouvernement central au niveau local. Dans la période qui a suivi l’indépendance, il était en état de flux. Certains Nigérians tentèrent d’en faire un instrument de développement alors que d’autres n’y virent qu’un outil de gestion.

Les problèmes qui affligeaient les administrations locales entravaient cependant la réalisation de leurs objectifs. Parmi ces problèmes, les plus importants étaient reliés à la capacité financière et administrative. D’une certaine façon, les deux se tiennent : sans fonds, on ne peut attirer de personnel compétent.

Les premières réformes

Dans les années 1970, le pétrole a fait pleuvoir sur le Nigeria une manne inattendue de revenus grâce auxquels on a pu réorganiser le gouvernement local. En 1976, le pays se rendit plus loin encore et créa un troisième palier de gouvernement au niveau local. Le gouvernement fédéral renforça cette décision en octroyant 100 millions de naira aux administrations locales du Nigeria. Cette subvention contribua à la viabilité des gouvernements en les aidant à mieux exécuter les fonctions que la loi leur assignait.

Cela modifiait profondément la situation pour les institutions locales au Nigeria, notamment parce que les revenus internes des administrations locales étaient très faibles. Toutefois, cela créait aussi une nouvelle source de conflits intergouvernementaux possibles, car le fédéral s’est mis à surveiller la façon dont seraient dépensées ces allocations.

Après la restauration de la démocratie

En 1999, la Constitution de la République fédérale du Nigeria traita, dans plusieurs de ses dispositions, de la question des relations intergouvernementales. Malgré les subventions fédérales depuis 1976, les états continuaient de contrôler les administrations locales. Ce contrôle fut inscrit dans la Constitution de 1999 qui affirme que, « sous réserve de l’article 8 de la Constitution, le gouvernement de chaque état en assurera l’existence sous la loi qui pourvoit à la création, l’organisation, la composition, le financement et les fonctions de ces conseils. »

Hélas, la Constitution elle-même est maladroite. L’alinéa 11 de la liste des compétences législatives partagées semble contredire l’article 7, qui range explicitement le gouvernement local parmi les compétences du gouvernement d’état. L’article 7 affirme que «l’Assemblée nationale peut adopter des lois pour la fédération concernant l’inscription des électeurs et la procédure de réglementation des élections aux administrations locales. »

Les administrations locales avaient été élues en 1999 selon une loi qui fixait à trois ans leur mandat. Par contre, la Constitution fixait à quatre ans celui des gouvernements d’état et du gouvernement fédéral. Estimant nécessaires la symétrie et l’équité, les présidents des administrations locales préconisèrent qu’on fixe aussi à quatre ans leur mandat. À cette fin, ils formèrent l’Association des administrations locales du Nigeria.

L’Association fit des démarches auprès de l’Assemblée nationale et celle-ci finit par adopter une loi électorale approuvant un mandat prolongé. Les gouvernements d’état trouvaient qu’elle contrevenait à l’article 7 de la Constitution, et les trentesix états de la Fédération engagèrent conjointement un litige devant la Cour suprême pour la faire annuler. Dans un jugement qui fit époque, la Cour suprême déclara que l’Assemblée nationale était incompétente à légiférer sur le mandat des administrations locales car cela eût contrevenu à l’article 7. Cette révision par un tribunal est l’un des arrêts les plus importants rendus par la Cour suprême depuis bien des années.

Les effets de la décision du tribunal

Cette décision signifiait que le mandat des administrations locales prendrait fin le 29 mai 2002. Malheureusement, la Constitution n’envisageait pas la situation où les administrations locales pourraient être dissoutes sans gouvernements pour prendre la succession. Cette situation créerait un vide et, pour l’éviter, il faudrait soit des élections, soit la mise en place d’un comité de transition pour gérer les affaires du gouvernement local.

La première option (la tenue d’élections) donnait lieu à des difficultés découlant du système d’engrenage de la loi électorale. Bien que l’article 197 de la Constitution eût prévu des commissions électorales d’état indépendantes pour organiser les élections gouvernementales locales, la compétence pour l’établissement de la liste électorale était dévolue à la Commission électorale nationale indépendante.

Les Commissions d’état ne peuvent organiser aucune élection si la Commission nationale n’a pas préalablement établi de liste électorale.

Après le jugement du tribunal, la situation était donc la suivante : le parti politique contrôlant le gouvernement fédéral ne contrôlait pas quinze gouvernements d’état. Pour cette raison, la Commission nationale – un organisme fédéral – estimait devoir faciliter les élections aux administrations locales dans ces états. Cette option n’étant pas souhaitable, la Commission retarda l’inscription des électeurs en prétendant que le gouvernement fédéral n’avait pas fourni les fonds nécessaires. En réponse, les gouvernements d’état prétendirent que la liste électorale alors valide devrait le demeurer jusqu’à ce qu’on leur en fournisse une autre.

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Vu que la Commission nationale avait tenu des élections complémentaires à partir de la liste existante, affirmèrent-ils pour étayer leur argument, celle-ci devrait pouvoir servir aussi aux élections des administrations locales. Le débat terminé, la Commission nationale consentit à l’inscription des électeurs pour permettre aux états de tenir des élections locales.

Restait cependant le deuxième problème. L’article 7, préalablement évoqué par les états pour justifier leur contrôle des administrations locales, était à présent invoqué pour les empêcher de désigner des comités de transition. Le passage pertinent affirme que « cette Constitution garantit le régime de gouvernement local par un conseil local élu démocratiquement. » N’étant pas élus, les comités de transition violaient donc la Constitution.

Certains membres bruyants de l’Association des administrations locales insistèrent pour demeurer fidèles à la Constitution et refusèrent de remettre leurs administrations locales à des comités de transition non élus. La situation présentait tous les signes d’une crise constitutionnelle.

Obasanjo intervient

Le président de la République fédérale du Nigeria, le chef Olusegun Obasanjo, prit alors l’initiative de convoquer une réunion de tous les gouverneurs d’état pour délibérer sur le dilemme politique. La réunion conclut que la dissolution des conseils des administrations locales, le 29 mai 2002, serait conforme, pour l’essentiel, à la décision de la Cour suprême.

De plus, Obasanjo et les gouverneurs décidèrent qu’il restait trop peu de temps pour organiser des élections aux conseils locaux et recommandèrent la tenue de scrutins le 10 août 2002. On donna à la Commission électorale nationale l’ordre d’inscrire les électeurs avant cette date.

Enfin, la réunion du président et des gouverneurs d’état convint qu’il fallait désigner des comités pour assurer la transition entre la fin du mandat des conseils sortants et l’élection des nouveaux conseils. On semblait alors avoir réglé le problème.

Des événements et des déclarations subséquentes prouvèrent cependant qu’il était toujours là.

Le ministre de la Justice et procureur général de la fédération, M. Kanu Agabi, était en désaccord avec les décisions de la réunion et déclara qu’elles contrevenaient à la Constitution. De même, certains membres de l’Association des administrations locales maintinrent leur résistance et demandèrent à divers tribunaux supérieurs une injonction pour empêcher la désignation de comités de transition.

La haute cour d’Abuja empêcha les gouvernements d’état de désigner des comités de transition. Les hautes cours de plusieurs états firent de même. Les gouverneurs insistèrent pour les désigner, car c’est ce que l’on avait convenu lors de la réunion du président et des gouverneurs.

La décision de la Cour suprême établit qu’il serait inconstitutionnel de prolonger le mandat des administrations locales. Bien que les gouverneurs soutinrent qu’il ne fallait pas tolérer de cabrioles de la part de l’Association des administrations locales, ni non plus permettre l’exploitation de considérations juridiques d’ordre purement technique pour outrepasser le jugement de la Cour suprême, il s’avéra ultérieurement que tous les états avaient désigné des comités de transition à l’échéance du mandat des conseils des administrations locales.

Le gouvernement fédéral prolongea cependant le mandat de six conseils régionaux dans le Territoire de la capitale fédérale.

Une autre commission fédérale intervient dans le litige

Alors même que l’on eût pensé que la crise constitutionnelle fut terminée, la commission responsable de la répartition et de la perception des revenus continua le combat. Cette commission était toujours d’avis que les comités de transition contrevenaient à l’article 7 de la Constitution, affirmant que, en conséquence, elle ne libérerait pas les subventions fédérales aux administrations locales contrôlés par un tel comité. Cela signifiait que seuls les conseils régionaux du Territoire de la capitale fédérale seraient aptes à recevoir des subventions.

La loi établissant les conseils des administrations locales ne comporte aucune disposition pour prolonger leur mandat. La Constitution ne prévoit même pas le prolongement du mandat de l’Assemblée nationale sauf en cas de guerre – et à condition que l’on juge physiquement impliqué le territoire du Nigeria et que le président estime impraticable la tenue d’élections (article 64 (2)). À la lumière de ces dispositions, le prolongement du mandat des conseils régionaux (fédéraux) pourrait être jugé tout aussi inconstitutionnel.

Il ne fut toutefois pas nécessaire de mettre cet argument à l’épreuve devant les tribunaux étant donné que, par la suite, la commission responsable de la répartition et de la perception des revenus abrogea sa décision de refuser les subventions fédérales aux conseils locaux pour le motif que les comités de transition étaient inconstitutionnels.

Pour plusieurs raisons, le problème que posait le mandat des administrations locales atteignit une très grande visibilité politique. Tout d’abord, les administrations locales constituent le fondement politique de toute nation. Les partis politiques estimaient que si on permettait aux états d’organiser les élections locales, ceux-ci jouiraient d’une influence illégitime. Ensuite, les institutions de gouvernement local sont essentielles à l’organisation et à l’administration des élections à venir. On craint que cela ne mène à une sorte d’avantage électoral pour les titulaires.

L’événement décrit ici illustre certains aspects de la conduite politique des Nigérians, notamment ce que l’on a longtemps identifié comme étant une politique du bord de l’abîme. Les Nigérians sont réputés pour leurs désaccords violents dans les questions litigieuses, désaccords suivis d’ententes soudaines. La volte-face intrigue souvent les observateurs politiques.

Les Nigérians ont maintenant appris à exploiter le processus judiciaire prévu par la Constitution. Ce recours aux tribunaux marque une évolution cruciale en politique nigériane.

Indépendamment de leurs affiliations politiques, les gouverneurs d’état s’entendirent pour contester la loi électorale devant les tribunaux. Cette évolution politique a été bien accueillie parce que symptomatique de l’émergence d’un consensus politique pour défendre la Constitution.

D’autre part, les agissements de l’Association des administrations locales montrent que celles-ci n’acceptaient pas les principes du partage des compétences tels que stipulés par la Constitution. Ces idéaux peuvent prendre une forme concrète seulement lorsque, de temps à autre, le peuple a l’occasion de s’élever contre leur contestation.

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