Les Pays-Bas n’occupent pas une place prépondérante dans la liste des pays fédéraux ou « fédéralisants ». Malgré tout, c’est en suivant le fil du fédéralisme tout au long de l’évolution néerlandaise qu’on arrive à expliquer les événements actuels dans les Pays-Bas et dans d’autres parties du monde.

À certaines périodes de son histoire, le fédéralisme a joué un rôle important dans la vie des Pays-Bas et de ses anciennes colonies. À d’autres époques, il semble avoir été totalement discrédité [cf. encadré]. De nos jours, le royaume des Pays-Bas est un « État unitaire décentralisé » qui règne comme un bloc unifié sur le plan des relations internationales et qui jouit d’une structure juridique homogène, tout en accordant un statut constitutionnel aux municipalités et aux provinces. La Constitution décrit les provinces et les municipalités comme des entités « autonomes », et leurs pouvoirs sont définis dans le cadre de lois distinctes (Provinciewet, Gemeentewet). En termes légaux, ils jouent un double rôle, puisqu’ils sont à la fois des agents du gouvernement central et des administrations gouvernementales autonomes, démocratiques et imputables.

La culture politique néerlandaise : forte et modeste à la fois

Même si les lois néerlandaises accordent aux provinces et aux municipalités une certaine autonomie, le système est fondamentalement centralisé. En ce qui a trait aux questions budgétaires et aux ressources humaines, les provinces et les municipalités constituent de 25 à 30 pour cent du secteur public. Sur le plan des recettes fiscales autonomes toutefois, ce pourcentage chute à 5 pour cent.

Malgré tout, la culture politique néerlandaise est fortement décentralisée, voire fédéralisée. On respecte au plus haut point l’autonomie et l’identité des groupes sociaux (religieux et culturels) et des instances régionales et locales. Cette culture politique est profondément ancrée dans une quête de survie historique née du fait qu’aucun groupe particulier n’a jamais réussi à dominer exclusivement les autres.

Décolonisation et méfiance envers le fédéralisme

À partir du XVIe siècle, les Néerlandais ont établi un véritable empire commercial maritime dans les Antilles et en Orient. Pour faciliter l’accès aux colonies, ils ont dû conclure des ententes avec les dirigeants locaux, surtout dans l’est. Leurs droits internes ont été reconnus et l’influence néerlandaise a été limitée au commerce et aux relations étrangères.

Dans certaines parties de l’Indonésie moderne, on a instauré un régime semblable à l’autorité indirecte britannique en Inde. Ailleurs toutefois, l’influence coloniale néerlandaise a été beaucoup plus directe. À la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, les Néerlandais avaient davantage tendance à favoriser l’intervention directe. Lorsque le désir d’indépendance s’est manifesté au XXe siècle, la réaction des Néerlandais a été négative et centralisatrice. On n’a accordé qu’une modeste influence « autochtone » au Conseil du peuple (Volksraad) au niveau du centre.

Lorsque l’indépendance indonésienne est devenue une réalité politique après la Deuxième Guerre mondiale, les autorités dirigeantes ont commencé à négocier les conditions du transfert des pouvoirs (1947-1949). Fait surprenant, on a proposé le fédéralisme comme formule de transition. En raison de la diversité caractéristique des Indes orientales, on a conçu une structure fédérale pour les États-Unis d’Indonésie. Le gouvernement néerlandais a transféré des compétences aux États-Unis d’Indonésie, mais ceux-ci ont été rapidement démantelés par le nouveau gouvernement de Jakarta. Quoiqu’un régime fédéral souple semblait tout indiqué en raison de la grande diversité de l’Indonésie, on considérait le fédéralisme comme une ruse néo-coloniale visant à « diviser pour régner ». Aujourd’hui encore, on voit d’un mauvais œil tout effort pour instaurer un régime fédéral indonésien.

Le Timor-Oriental, qui a obtenu son indépendance en 2002 après une période de violents conflits, constitue l’ancienne région portugaise du Timor. Conquise par les Néerlandais au XVIe siècle, la partie occidentale s’est jointe à l’Indonésie en 1949. Les politiques indonésiennes à l’endroit du Timor-Oriental reflétaient les tensions et conflits latents à l’intérieur de ses propres frontières, soit au Timor-Occidental, près de l’archipel des Moluques, dans la zone indonésienne de la Nouvelle-Guinée et dans la région d’Aceh au Sumatra, dans le Nord-Ouest de l’Indonésie. Au lieu de conclure une entente fédérale (une option que semblait favoriser le président des États-Unis), la communauté internationale a négocié une entente visant à séparer le Timor-Oriental de l’Indonésie.

Fragmentation dans les Caraïbes

Dans les Caraïbes, les Antilles néerlandaises ont de plus en plus de difficulté à demeurer unies. Les six îles – dont trois se situent à proximité de la côte vénézuélienne et trois dans le groupe des Îles du Vent près de Porto Rico – étaient autrefois unies sous la férule coloniale néerlandaise et sont encore très dépendantes des Pays-Bas.

Dans cette partie du monde, le processus de décolonisation s’est fait de façon graduelle par rapport à l’Indonésie. Le Suriname est devenu indépendant en 1975. Les Antilles néerlandaises ont obtenu l’autonomie gouvernementale au

Fédérations Numéro spécial triple : Les thèmes de la Conférence internationale sur le fédéralisme 2002

début des années 1950. Les lois régissant les six îles prévoyaient un Histoire arrangement fédéral fondé sur

XVIe et XVIIe siècles

l’égalité et un partenariat

Pendant les guerres de religion qui ont ébranlé l’Europe du XVIe siècle, on a vu émerger de

quelconque entre les îles soutenu

nouvelles théories politiques, y compris le fédéralisme, pour justifier la destruction de l’ordrepar les Pays-Bas. Mais dans les universel établi de l’État et de l’Église. Le « père du fédéralisme moderne », Johannes Althusius, faits, les Antilles n’ont jamais opté entretenait des liens étroits avec les fomenteurs de la rébellion contre l’empereur et appuyait la pour le fédéralisme. Les îles les révolte des Calvinistes qui secouait la Suisse, le nord de l’Allemagne et les Pays-Bas. De fait, plus fortes n’étaient pas c’est à l’université de Herborn, dans le comté de Nassau, une véritable chasse-gardée de la intéressées à prendre sous leur aile réforme calviniste et l’endroit où prenait racine la famille royale néerlandaise (Orange-Nassau)

qu’il mettait au point les grands concepts du fédéralisme et de l’autonomie locale.

les plus faibles, et le gouvernement néerlandais n’était pas prêt à Puisant aux théories d’Althusius, Guillaume d’Orange-Nassau a choisi de jouer un rôle de imposer un régime fédéral dont premier plan dans la rébellion contre l’Espagne. Le nouvel État néerlandais établi à Utrecht en personne ne voulait. 1579 pour faciliter l’organisation de la guerre contre l’Espagne s’inspirait des grandes lignes du fédéralisme, c’est-à-dire qu’il préconisait, dans la mesure du possible, l’autonomie des unitésEn 1986, l’île d’Aruba quittait le

constituantes jumelée à l’établissement d’une autorité commune à des fins collectivesrégime, optant pour un statut particulières. Les signataires du traité d’Utrecht – qui ressemblait plus à un traité qu’à une spécial enrichi de liens privilégiés constitution – se disaient prêts à « agir comme un seul et même État » en matière de guerre, avec les Pays-Bas. L’île de Saint-tout en conservant chacun leur pleine autonomie dans les autres domaines. Martin s’engage actuellement dans

La république néerlandaise des sept provinces, que l’Espagne reconnaissait officiellement en

la même voie. Puisqu’on observe

1648 et qui allait devenir l’une des plus grandes puissances politiques européennes du XVIIe peu de loyauté entre les îles et

siècle, figure parmi les toutes premières nations d’inspiration fédérale établiespuisque aucune île ne semble après l’époque médiévale, à l’exemple de la Suisse. intéressée ou capable d’imposer sa volonté aux autres, il n’est pas XVIIIe et XIXe siècles politiquement viable de songer à Une fois l’Espagne vaincue, les failles du nouveau régime sont vite devenues apparentes. Qu’il

s’agisse d’une fédération ou d’une confédération, il va de soi que les forces dirigeantes

établir un État néerlandais-antillais communes de la république affichaient de graves faiblesses sur le plan des ressources

indépendant, voire un État fédéral.

humaines et financières, ainsi que des pouvoirs autonomes. Les provinces, surtout la Hollande et la Zélande, appuyées par des villes comme Amsterdam, Leiden et Dordrecht, ont réussi à

Un fédéralisme implicite

contrer les efforts des dirigeants fédéraux de La Haye (Stadhouder), même dans des domaines comme la guerre et la politique étrangère. Par conséquent, la république s’est progressivement

En toute honnêteté, et malgré les muée en une entente fondée sur le profit commun conclue entre les élites dirigeantes

exemples susmentionnés, on

provinciales et locales, sans aucune loyauté globale. Une telle situation a engendré des

constate que les politiques

manifestations flagrantes de corruption, de népotisme et d’enrichissement au profit de l’élite.

néerlandaises font très peu référence au fédéralisme. Les On en est venu à associer la république à la Hollande, qui constituait sa plus riche province. À chrétiens-démocrates néerlandais, la fin du XVIIe siècle et au XVIIIe siècle, le rôle international de la république s’était grandement

affaibli et vers 1750, cette ancienne puissance mondiale était devenue une quantité

les libéraux gauchisants et les

négligeable.

membres de partis verts sont clairement en faveur d’une Europe Au moment de la rébellion américaine contre la Grande-Bretagne, les pères fondateurs ont fédérale. Mais au plan des examiné avec grande attention les forces et faiblesses de diverses structures constitutionnelles. politiques internes, le fédéralisme Ils ont pris bonne note de ce que la république néerlandaise avait vécu. De fait, leurs essais est quasi-inexistant. fédéralistes analysent en détail la république des sept provinces, un modèle éloquent de l’échec du fédéralisme. C’est, en partie, en raison de l’expérience néerlandaise que la Quoi qu’il en soit, les principes qui Constitution des États-Unis a favorisé un pouvoir fédéral fort. alimentent la pensée et les

Évoluant sous le signe de la corruption, de l’oligarchie et de l’incompétence, la république a

« réflexes politiques » fédéraux sont

vite perdu toute crédibilité auprès des citoyens, alors que les nouvelles idées nées de la

étroitement imbriqués dans

Révolution française faisaient leur chemin. En 1795, après une révolution sèche, on remplaçait

l’histoire néerlandaise et dans sa

le traité d’Utrecht par la nouvelle république de Batavia, dont la Constitution reposait sur uneculture administrative et politique. philosophie française unitaire et centraliste. Cette république s’est rapidement jointe à la France La notion des « fédérations et est demeurée sous le règne français jusqu’en 1815, alors que les Pays-Bas ont repris leur municipales » pourrait bien prendre indépendance. Mais tout au long du XIXe siècle, les schèmes de pensée légale et administrative de l’ampleur. De fait, le fédéralisme de la France allaient continuer d’influencer les modes de pensée dans les Pays-Bas.

fait partie du répertoire néerlandais

En 1815, le Royaume des Pays-Bas regroupait la Belgique et les Pays-Bas. Sa Constitution de solutions pratiques envisagées

centraliste permettait au gouvernement néerlandais d’instaurer une politique de « despotismepour accommoder tous les groupes éclairé » qui faisait complètement fie des disparités régionales et locales. Ceci a provoqué une qui composent cette société à rébellion dans le sud, soit le territoire de la Belgique moderne, qui s’est séparée au cours des petite échelle formée de minorités années 1830. multiculturelles aux loyautés

Par suite de l’indépendance de la Belgique, la Constitution néerlandaise a continué de susciter

diverses. C’est une solution

la critique en raison de son manque de démocratie et de respect envers les droits régionaux et profondément ancrée dans la

locaux. La Constitution de 1848 – qui a établi le cadre juridique fondamental des Pays-Bas tradition néerlandaise.

actuels – s’est montrée plus accommodante et souple face à l’autonomie provinciale et municipale, s’inspirant de philosophie allemande « holiste » (et non fédéraliste) et des principes unitaires légués par la France.