LE POINT DE VUE DES JEUNES

Comment affronter les disparités économiques régionales en Argentine?

PAR JULIA POMARES

Julia Pomares a eu l’occasion de participer à la session d’été de 2002 sur le fédéralisme organisée par le Forum des fédérations. À cette occasion, le Forum a invité chaque participant et participante à soumettre un article sur le thème suivant : « Quels défis votre pays doit-il relever dans le contexte actuel de la mondialisation ? »

Dans les pays moins développés, la mondialisation impose un lourd fardeau à certains et confère des avantages à d’autres. Même s’il s’agit d’une nation riche par rapport à bien des pays en voie de développement, l’Argentine ne fait pas exception à la règle.

En Argentine comme ailleurs, la mondialisation tend à exacerber les disparités régionales et sociales. En vérité, les inégalités régionales sont pour le moins surprenantes : cinq des 24 provinces argentines génèrent 85 % du PIB national et trois provinces produisent, à elles seules, 65 % de ses exportations. En outre, moins de deux % des investissements des 500 plus grandes entreprises argentines profitent aux provinces les plus pauvres.

Ce phénomène affecte également le secteur du « développement humain », où l’on constate de graves disparités d’une région à l’autre. Seule la ville de Buenos Aires se mérite une bonne note sur l’Indice du développement humain des Nations Unies. La répartition de la richesse est soumise aux mêmes distorsions. En effet, le revenu du 20 % de population le plus riche est 28 fois plus élevé que celui du 20 % de population le plus pauvre.

Une façon de régler ce problème consisterait à conclure une nouvelle entente entre les unités constituantes de la fédération. Cette dernière servirait à redéfinir les fonctions et les responsabilités de chaque partie engagée dans le processus décisionnel fédéral.

Un droit de veto provincial

On ne peut examiner les effets de la mondialisation en vase clos. En Argentine, les courants internes ont enclenché un processus de différenciation régionale. Depuis une dizaine d’années, le pouvoir décisionnel des provinces s’est accru. La décentralisation amorcée dans les années 1990, jointe à la surreprésentation des petites provinces au Congrès national, ont consolidé le droit de veto des provinces face aux décisions fédérales. Les relations tendues entre les deux niveaux de gouvernement ont donné lieu à un mode de gouvernement « compartimenté », voire à une sorte de paralysie politique.

Cette représentation disproportionnée est évidente au sein des deux chambres et au congrès fédéral – c’est-à-dire à la Chambre haute (le Sénat de la Nation) et à la Chambre basse (la Chambre des députés de la Nation). En vertu de la loi électorale argentine, la Chambre haute accueille 72 sénateurs, soit trois sénateurs de chaque province, sans égard à la population. C’est ainsi qu’avec 115 000 habitants, la province de la Terre de feu a le droit d’occuper trois sièges, le même

Julia Pomares est conseillère au bureau du sous-secrétaire des politiques criminelles du ministère de la Justice et des Droits de la personne à Buenos Aires. Diplômée de l’Université de Buenos Aires en 1998, elle effectue présentement une maîtrise en analyse du discours.

nombre que la province de Buenos Aires qui en compte pourtant 11 millions.

Les 257 députés de la Chambre basse sont élus selon la méthode de représentation proportionnelle « D’Hont » qui fixe à trois % du vote populaire le seuil qu’un parti doit franchir pour avoir droit à une représentation minimale de cinq députés par province. La province de Buenos Aires, qui regroupe 38 % de la population argentine, n’a droit qu’à 28 % des sièges à la Chambre des députés, alors que les six provinces les moins peuplées du pays, qui réunissent quatre % de la population, occupent 11 % des sièges.

Le nouvel accord fédéral n’exigerait pas de modifications constitutionnelles. En revanche, il permettrait d’instaurer de nouvelles procédures grâce auxquelles les négociations entre le gouvernement fédéral et les unités constituantes ne tomberaient pas dans le vide mais se solderaient par des résultats concrets.

Un manque de coordination

Ces nouvelles procédures sont autant d’outils qui aideraient l’Argentine à régler un autre grave problème, soit l’absence de coordination des modes d’élaboration des politiques entre divers ordres de gouvernement. Les récents efforts déployés par les organismes ainsi que les projets engagés par divers intervenants n’ont pas encore donné les résultats escomptés. En outre, les nouveaux mécanismes qui sous-tendent des ententes stables à long terme ne porteront fruit qu’à deux conditions. L’Argentine devra d’abord combler l’écart grandissant entre les régions, puis adopter des mesures incitatives axées sur la responsabilité financière entre les unités constituantes. Il est clair que des régimes fédéraux hautement déséquilibrés comme celui de l’Argentine doivent miser sur des approches efficaces en matière de péréquation pour adoucir les disparités qui pénalisent les régions défavorisées.

Le fonds commun et « l’assiette au beurre »

L’Argentine doit aussi se pencher sur les questions de responsabilité financière. Certains spécialistes constatent un haut degré de décentralisation des dépenses, de déséquilibre financier vertical et d’autonomie d’emprunt entre divers niveaux de gouvernement. Ces attributs constituent autant d’incitatifs pervers au service des gouvernements provinciaux, qu’on qualifie de « problème de fonds commun » puisqu’ils encouragent les provinces à agir de façon opportuniste (d’où le problème connexe de « l’assiette au beurre »). Mark Hallerberg de l’Université de Mannheim, en Allemagne, explique en ces termes le « problème de fonds commun » :

« Puisque le district d’un représentant ne contribue que modestement aux recettes fiscales du gouvernement central, il va de soi qu’il lui demandera de dépenser davantage que si le gouvernement central devait puiser aux taxes locales pour payer ses dépenses. »

De toute évidence, la route qui mène à un nouvel accord fédéral sera longue et ardue. Avant tout, les Argentins devront reconnaître l’ampleur de la tâche. Pour exploiter à bon escient les forces de la mondialisation, l’Argentine devra repenser ses relations intergouvernementales et garantir la compétence des organismes qui dirigent les destinées de chaque ordre de gouvernement.

Fédérations vol. 3, no. 1, février-mars 2003

18