Le vote de l’extrême droite est réduit de deux tiers en Autriche

Les Conservateurs gagnent des sièges au détriment du parti de Haider.

PAR MELANIE SULLY

En Autriche, l’élection législative de novembre 2002 marque un point tournant dans l’histoire du pays, étant donné que les électeurs ont provoqué le revirement politique le plus radical depuis la fin de la guerre. Ce phénomène a entraîné ledémantèlement électoral spectaculaire du Parti de la liberté (FPÖ), la formation de l’extrême droite dirigée par Jörg Haider au profitdu Parti populaire (ÖVP) de centre-droite (sous l’égide du chancelier fédéral Wolfgang Schüssel). Les Autrichiens ont également été surpris de la perte de vitesse du Parti socialdémocrate qui, pour la première fois depuis 1966, n’a pas obtenu le plus grand nombre de votes et de sièges au sein du Parlement (qui compte 183 sièges). Schüssel avait décidé de tenir une élection éclair en septembre, suite à la démission de ministres clés du Parti de la liberté avec qui il avait formé une coalition.

La campagne électorale a donné lieu à des discussions pour le moins surprenantes sur les relations entre le fédéral et les états, à savoir :

  • l’attribution de pouvoirs additionnels aux états et aux villes (la « subsidiarité » promise par le Parti populaire);

  • la centralisation des droits des animaux sous contrôle fédéral (un traitement égal pour les porcs dans tous les états!);

  • le rôle des parlements des états dans une Union européenne élargie.

Il y aurait lieu d’engager un vigoureux débat sur la portée et les contraintes de ces compétences fédérales et étatiques lorsque le temps sera venu de négocier la création d’un gouvernement de coalition.

L’incident de Knittelfeld

fonctionnaires du Parti de la liberté politique ancrée dans

Sur la piste de Knittelfeld

révélait une culture

Certains ministres et hauts

séduire les Verts. Les Sociaux-démocrates avaient

(FPÖ), y compris la chef Susanne Riess

le radicalisme, le rejet toujours tenté d’ostraciser le FPÖ, un parti que le

Passer, ont quitté le monde politique

SPÖ jugeait fort répugnant, surtout sous le règne

après s’être querellés avec Jörg Haider, le du compromis et un

de Haider. L’inaptitude des Sociaux-démocrates à

gouverneur d’extrême droite de l’état de

fort sentiment séduire les membres déçus du Parti de la liberté

Carinthie. Plus tôt dans l’année, Haider

était une conséquence logique de leur mentalité

avait confondu les leaders du parti en

d’exclusion politique. En revanche, l’ÖVP adoptait

serrant la main de Saddam Hussein lors

des politiques rigides sur l’asile et l’immigration

sans compter que ses fréquentes « démissions de démissions » étaient la risée des chroniqueurs politiques. En vérité, Haider était devenu l’élément imprévisible du parti au sein du gouvernement. En outre, la piètre performance du parti lors des élections régionales avait déçu plusieurs de ses disciples qui souhaitaient un retour à la belle époque de l’opposition.

En septembre dernier, la ville de Knittelfeld, en Styrie, a été secouée par un débat houleux, alors que les éléments radicaux rejetaient un document de compromis rédigé par Riess-Passer et Haider. Dégoûtés, les rebelles de Haider ont déchiré le document

Melanie Sully est chargée de cours à l’Académie diplomatique de Vienne et l’auteure de The New Politics of Tony Blair et de The Haider Phenomenon.

alors que les modérés de Riess-Passer ont convenu qu’ils n’avaient plus aucune raison de s’accrocher au pouvoir. La coalition établie en février 2000 sous la menace de sanctions de l’UE venait d’éclater. L’incident de Knittelfeld révélait une culture politique ancrée dans le radicalisme, le rejet du compromis et un fort sentiment anti-européen.

C’est ainsi qu’ont défailli, après une longue série de victoires, les fins instincts politiques de Jörg Haider. Ce dernier avait compté sur ses ministres pour rester au pouvoir et croyait fermement que Schüssel ne tiendrait pas d’élections si tôt. Dans le cas de Schüssel, malgré les dangers inhérents, le jeu en valait la chandelle.L’opinion publique n’était pas favorable au Parti populaire (ÖVP) et l’implosion du Parti de la liberté que les travailleurs avaient pourtant appuyé en 1999 menaçait de profiter au partid’opposition des Sociaux-démocrates (SPÖ).

Non aux Verts/Rouges

La coalition ÖVP-FPÖ voulait établir des réformes axées sur l’instauration d’un gouvernement économe, la restructuration de l’aide sociale et la réduction du déficit. Lors de son court passage au pouvoir, cette coalition s’était attaquée avec un succès mitigé aux divers problèmes affectant les régimes de pension et d’aide sociale. Apparemment, beaucoup d’électeurs voulaient que ces politiques perdurent en 2002 et semblaient prêts à confier le mandat à Wolfgang Schüssel. En revanche, l’incompétence

économique du gouvernement des Verts/Rouges en

Allemagne, le pays voisin, décourageait les

électeurs d’opter pour un gouvernement du centre

gauche.

Le SPÖ ne semblait pas intéressé à récupérer les partisans désillusionnés de Haider, préférant plutôt

dans le but d’attirer les partisans ébranlés du FPÖ.En outre, l’ÖVP annonçait que Karl Heinz Grasser, l’ancienministre des Finances du FPÖ qui avait démissionné de son posteaprès Knittelfeld, serait membre du prochain cabinet de l’ÖVP. Prononcée la veille même de l’élection, cette déclaration fit l’effet d’un coup de maître.

Le sentiment anti-Vienne

Les rebelles de Haider s’étaient vertement moqués de Grasser, un bel homme d’allure jeune qualifié de « petit prince de la nation » en raison de sa richesse et de son mode de vie raffiné. Selon ces radicaux, la mentalité de Grasser était trop éloignée des préoccupations des « gens ordinaires » qu’ils estimaient euxmêmes représenter. De fait, la rébellion de Knittelfeld résultait,

Fédérations vol. 3, no. 1, février-mars 2003

fédéralisme. Dans sa plate-forme électorale « de A à Z »I, il préconisait une décentralisation du pouvoir vers les plus petites unités de pouvoir et soutenait le développement de la dimension

Parti Sièges

+/- %

+/

fédérale et l’autogestion des municipalités.

du vote

Parti social-démocrate (SPÖ) 69 + 4 36,5
Parti populaire (ÖVP)
Autres 0 0 1,6

Participation électorale : 84, 3 % des électeurs admissibles

dans une certaines mesure, du ressentiment à l’endroit de Vienne, capitale du chic et du jet-set. Plusieurs ministres du FPÖ étaient bien accueillis dans les prestigieux cercles de « l’establishment » viennois et menaient une vie sociale fort active. Pour leur part, lespartis provinciaux du FPÖ détestaient « les grands airs » que se donnait Vienne.

Le successeur de Riess-Passer au pouvoir, et celui qui aurait dûprendre la barre du FPÖ aux élections, était Mathias Reichhold, un Carinthien. Son mandat ne dura pas car il démissionna pour cause de maladie quelque quarante jours après sa nomination. Dès le début, Haider a précisé que le nouveau venu ne devait pas se laisser trop influencer par l’ambiance insidieuse de la capitale. Le parti carinthien réservait un appui plutôt tiède à Reichhold et sa photo n’ornait pas les pancartes électorales affichées un peu partout. C’est un autre Carinthien, le ministre des affaires sociales Herbert Haupt, qui lui succéda. Pendant toute la campagne électorale et jusqu’à l’heure des résultats désastreux, ce dernier défendit avec grande conviction le programme de Haider.

Le fédéralisme et la défense des droits des animaux

Tout au long de la campagne, les gens voulaient surtout savoir sil’ÖVP arriverait à supplanter le SPÖ et à devenir la plus grande force politique. Bien des enjeux furent mis en veilleuse dans cette course à la chancellerie fédérale. On dérogea très peu despolitiques de parti établies. Comme prévu, le SPÖ mit l’accent sur l’emploi, les pensions et l’éducation, alors que le parti des Verts réclamait un ministère des femmes et l’abolition des frais étudiants.

À quelques jours du scrutin, un changement surprise survint en rapport avec un projet de loi centralisé sur les droits des animaux qu’appuyait le prestigieux quotidien Kronen Zeitung et tous les grands partis, à l’exception du Parti populaire qui représentait lesfermiers. Faisant volte-face, l’ÖVP déclara qu’il appuierait une mesure demandant aux états fédérés de céder à la fédération la responsabilité des droits des animaux au sein du nouveau Parlement. En vertu de ce projet, les états seraient toujours responsables des lois sur la chasse mais toutes les autres lois sur les animaux seraient regroupées sous la compétence de la fédération. Comme l’affirmait le leader social-démocrate Alfred Gusenbauer : « Les porcs de Haute Autriche ne devraient pas être traités différemment des porcs de l’état de Vorarlberg. »

Le parti des Verts réclama également le transfert des pouvoirs régissant l’aide sociale et les foyers pour malades des états vers la fédération. En général, les Verts étaient favorables à la décentralisation et revendiquaient une plus grande autonomie financière pour les administrations locales. Le Parti de la liberté appuyait le principe de « subsidiarité » selon lequel il revient à l’ordre de gouvernement le plus près des citoyens d’agir. En raison de leur structure de parti et du Weltanschaaung, les Sociauxdémocrates voyaient plutôt la politique sous un angle centralisateur. Pour sa part, le Parti populaire, qui possède une structure de parti décentralisée, était en faveur d’un plus grand L’un des volets fédéraux de la Constitution autrichienne est la seconde Chambre, ou Bundesrat (conseil fédéral), dont les 62 membres (qui siègent

+ 3.3

+ 15.4 en permanence) représentent les unités constituantes du pays. Tous les programmes politiques visent à modifier les règles de

-2.6

procédure et leurs modalités d’application au sein

du Bundesrat pour en faire une véritable «

Chambre des états ». Un changement

constitutionnel d’une telle envergure exigerait néanmoins une majorité des deux tiers des voix.

Dans l’accord de coalition signé en 2000, l’ÖPV et le FPÖ souscrivaient tous deux à l’idée d’une réforme de la fédération. Mais même ensemble, les partis n’avaient pas une majorité parlementaire suffisante pour instaurer des changements importants. Le traité visait à «consolider les droits des états et des administrations locales en respectant pleinement le principe de subsidiarité ». Le document préconisait également « l’abolition des contraintes actuelles de la constitution fédérale pour donner aux états le pouvoir d’adopter eux-mêmes des dispositions législatives. »

Un nouveau gouvernement doté d’une solide majorité parlementaire pourrait de nouveau s’intéresser à la formulation et aux interactions des politiques à l’échelle de l’UE. Cependant, il pourrait s’occuper du gouvernement national et de ceux des Länder. Même si on a déjà songé à diverses mesures pour réduire la dimension des parlements des états, il s’agit de questions délicates qui supposent la perte d’emplois et le déséquilibre des intérêts en place. Compte tenu de ses dimensions modestes, l’Autriche possède un nombre exagéré d’instances décisionnelles à différents niveaux qui pourraient profiter d’une rationalisation opérationnelle. En outre, le débat entourant la Convention européenne pourrait aboutir à certains changements et offrir un plus grand rôle aux parlements nationaux au sein d’une Europe élargie. Dans un tel scénario, les parlements nationaux pourraient devenir des « parlements d’état », ce qui ouvrirait la voie à une Europe fédérée.

Le chancelier fédéral Wolfgang Schüssel a eu maintes fois l’occasion de renforcer la coalition, un processus souvent plus long et onéreux que celui de la campagne électorale elle-même. Il veut maintenant poursuivre les politiques de réforme engagées en 2000 et respecter, dans toute la mesure du possible, le message de l’électorat. Le processus de création d’un gouvernement s’estavéré long et pénible. À la fin du mois de janvier, il n’existait toujours pas de nouvelle coalition gouvernementale. Le président de l’Autriche a confié à Wolfgang Schüssel la responsabilité de former un gouvernement, mais la tâche s’est avérée longue et ardue. Deux mois après l’élection, rien ne laissait entrevoir que lesnégociations entre l’ÖVP et les autres partis élus avaient porté fruit.

Fédérations vol. 3, no. 1, février-mars 2003