La réforme constitutionnelle de la Belgique en 1993 a confirmé le statut de trois régions du pays – Flandre, Wallonie et la région de Bruxelles – ainsi que celui de trois communautés linguistiques des citoyens d’expression flamande, française et allemande. Chacune de ces régions et de ces communautés possède son parlement et son exécutif propres. Les institutions gouvernementales de la communauté flamande et du gouvernement de la Flandre ont été fusionnées. Les communautés, les régions et le gouvernement fédéral sont liés au sein d’un partage complexe des responsabilités.

Godelieve Van Den Bergh est ambassadeur auprès du service belge des Relations avec les régions et les communautés (une branche du ministère des Affaires extérieures, du commerce extérieur et de la coopération au développement). Ce service agit en qualité d’intermédiaire entre le ministère et les unités constituantes belges.

Madame Van Den Bergh a récemment rencontré David Mac Donald du Forum des fédérations et a discuté avec lui du rôle du gouvernement belge et des unités constituantes dans leur effort commun pour établir une nouvelle façon d’aborder les relations extérieures.

Fédérations : La Belgique était au départ un État unitaire. Pouvez-vous nous expliquer en quoi elle estaujourd’hui un État fédéral?

Mme Van Den Bergh : En 1993, la Belgique a amendé sa Constitution, et l’article premier stipulemaintenant que : « La Belgique est un État fédéral qui se compose des communautés et des régions. » Il y a doncl’État fédéral, trois régions et trois communautés. Les communautés ont une compétence exclusive pour tout ce qui touche à la personne; ce sont les secteurs dits « personnalisables » comme la culture, l’éducation, la jeunesse et la santé. Les régions ont quant à elles une compétence exclusive pour tout ce qui touche au sol : environnement, eau, électricité, etc.

Ce qui était l’État unitaire n’existe plus, à part l’État fédéral. Ainsi, en tant que diplomate des Affaires étrangères, j’appartiens toujours au gouvernement fédéral, mais de plus en plus de compétences au niveau international ont été transférées aux autorités des entités fédérées : par exemple, la politique extérieure de la Belgique relève du fédéral, mais les entités fédérées ont le droit de signer des traités internationaux dans leurs domaines de compétences.

Prenez par exemple le secteur culturel : le fédéral n’a plus de compétences au culturel car, étant lié à la personne, ce secteur appartient maintenant aux communautés.

Fédérations : Avez-vous un représentant du secteur culturel dans les communautés?

Mme Van Den Bergh : Oui, dans certaines communautés, mais pas dans toutes. Moi par exemple, j’étais encore attachée culturelle au Mexique de 1983 à 1986.Je crois que j’étais l’une des dernières de l’État fédéral belge. Maintenant, s’il y en a, ce sont des représentants des communautés, donc ce n’est plus complètement fédéral. Pour mieux travailler ensemble, nous avons conclu un accord de coopération avec les agents des entités fédérées qui œuvrent dans les enceintes fédérales à l’étranger, notamment les ambassades et les consulats généraux. Il y a des règles à suivre, mais ça marche très bien.

Si, dans un traité, il y a certains éléments qui concernent la culture ou un autre domaine qui relève de la compétence des entités fédérées, le gouvernement fédéral ne peut pas conclure ledit traité de manière unilatérale. C’est ce qu’on appelle des « traités mixtes » avec des matières quiconcernent aussi bien l’État fédéral que les entités fédérées. Cette question nous tient occupés.

Fédérations : Il y a donc énormément de consultation….

Mme Van Den Bergh : Oui, il y a énormément de consultation à l’avance. Ça a été notamment le cas lorsque la Belgique a occupé la présidence de l’Union européenne [du 1er juillet au 31 décembre 2001]. Le Conseil de l’Union européenne est le principal centre de décision de l’Union, etchaque État membre en assume la présidence à tour de rôle pendant une période de six mois. Tout au long de son mandat, le gouvernement fédéral a consulté en permanence les entités fédérées.

Fédérations vol. 3, no. 1, février-mars 2003

Fédérations : Compte tenu que le service Relations avec les régions et les communautés relève du ministre des Affaires étrangères et du Commerce extérieur, celui-ci joue probablement un rôle actif dans la négociation et la signature de traités internationaux…

Mme Van Den Bergh : Le ministre des Affaires étrangères est également ministre du Commerce extérieur. Depuis les derniers accords, qui datent de 2002, le commerce extérieur est tout à fait régionalisé; seule la représentation dans les organisations internationales, comme l’Organisation mondiale du commerce (OMC), demeure fédérale. Mais même si la Belgique est représentée par un ministre fédéral, ce qui se fait là-bas a d’abord été convenu entre les entités fédérées et le gouvernement fédéral.

De plus, le ministre des Affaires étrangères et du Commerce extérieur est également ministre de la Coopération. Et la coopération internationale sera régionalisée en 2004. C’est la raison pour laquelle nous n’avons pas encore instauré d’accords de coopération.

Fédérations : Les régions seront donc représentées au sein de la Francophonie, par exemple. Même si la régionalisation de la coopération internationale est de compétence fédérale, il y a sans doute tout un processus de consultation…

Mme Van Den Bergh : Le ministre des Affaires étrangères est nommé par le roi. Ainsi, nous, diplomates quireprésentons l’État belge à l’étranger, sommes nommés par l’autorité royale, mais il y a toujours consultation. Je pense par exemple aux attachés économiques et commerciaux, comme on les appelle, qui se trouvent dans les ambassades et qui sont tout à fait régionalisés; ils font la promotion du commerce belge à l’étranger. Autrement dit, ils s’occupent de la promotion microéconomique tandis que l’analyse macroéconomique relève du fédéral. En fait, c’est assez compliqué. La plupart des accords de coopération datent de 1994, et je crois qu’il faut les mettre au point, les adapter. Il y a donc toujours du travail.

Fédérations : La Belgique est un laboratoire du fédéralisme…

Mme Van Den Bergh : Oui, voilà. Je préside le groupe de travail des « traités mixtes ». Même s’il s’agit d’un traité mixte, auquel le gouvernement fédéral et les entités fédérées participent conjointement, c’est toujours au ministère des Affaires étrangères, c’est-à-dire au pouvoir fédéral de décider si on enclenchera un processus de négociations ou non. Dans certains cas, nous n’avons pas de relations diplomatiques, ou bien nous avons certaines difficultés. De toute manière, pour qu’un traité soit ratifié, il faut que tout le monde soit d’accord. C’est souvent ce qui explique que le processus de ratification prenne autant de temps en Belgique.

Fédérations : Y a-t-il une certaine volonté d’harmoniser?

Mme Van Den Bergh : Les entités fédérées doivent accepter le traité, et je crois que ça prend tellement de temps qu’il faudrait peut-être essayer de simplifier, ou bien voir quelle solution on pourrait trouver pour accélérer le processus. Il arrive souvent que des accords doivent être ratifiés assez rapidement pour qu’une convention puisse entrer en vigueur, mais il faut attendre parce que la Belgique se fait attendre. Et on a fait beaucoup de remarques au Premier ministre à cet égard. Je crois que ça prendra beaucoup de temps avant que tout marche de façon idéale.

Fédérations : Souffrez-vous de « réunionite », comme on dit chez nous, c’est-à-dire êtes-vous en réunion de façon constante?

Mme Van Den Bergh : Je crois que ça aide de se parler, d’être face à face, d’exposer les problèmes. Il faut essayer de trouver des solutions; les problèmes sont là pour êtres résolus, je suppose, non? On veut travailler, on veut arriver à quelque chose. Oui, c’est assez intéressant je crois, la coopération, les entités fédérées autonomes qui travaillent ensemble.

Fédérations : Croyez-vous que les transferts de compétences vers les régions vont continuer ou vont-ils s’arrêter ici?

Mme Van Den Bergh : L’État belge restera toujoursl’État souverain, mais les entités fédérées – les régions et les communautés – jouissent de compétences exclusives qu’elles auront le droit d’internationaliser, de mettre au point. Et ces compétences iront en augmentant.

Fédérations : C’est ce qu’on appelle au Québec la « thèse Gérin-Lajoie ». Monsieur Gérin-Lajoie, qui était ministre au niveau provincial, soutenait qu’il était important que les provinces canadiennes puissent internationaliser leurs compétences exclusives, notamment en matière d’éducation.

Mme Van Den Bergh : Internationaliser leurs compétences, voilà, c’est ce qui se passe en Belgique depuis 1993. Mais je crois que ça ne s’est pas réalisé au Canada, pas encore du moins…

Fédérations : Je sais que certaines provinces au Canada étudient le modèle belge sur les questions d’environnement et de ressources naturelles. Comme il y a maintenant beaucoup de négociations qui se font de façon continentale au niveau des Amériques, les provinces aimeraient prendre part aux négociations.

Mme Van Den Bergh : En Belgique c’est déjà le cas. Tout ce qui est agriculture, par exemple, est régionalisé depuis les accords de 2002. Je crois que, dans le cas du Conseil de l’Agriculture de l’Union européenne, les entités fédérées ont pu le présider. C’est la première fois dans une présidence belge. Il y a donc quand même beaucoup de nouveauté. Et alors il y a beaucoup, beaucoup de réunions préparatoires. On pourra ainsi tenir compte du point de vue de chacun. On avance.

Fédérations vol. 3, no. 1, février-mars 2003