Saint-Kitts-et-Nevis – Réforme constitutionnelle ou séparation?

Une fédération des Caraïbes, qui compte environ 45 000 habitants, pourrait se fractionner en deux États.

PAR TERRY NISBETT

L’unité de la Fédération de Saint-Kitts-et-Nevis est menacée; son avenir politique est précaire, ou tout au moins incertain. Cette crise s’est révélée lors de déclarations publiques présentées par le premier ministre de Nevis, Vance Amory, et le chef de l’opposition de l’Assemblée de l’île de Nevis, Joseph Parry.

Dans la Fédération de Saint-Kitts-et-Nevis (qui comprend deux îles), les deux partis politiques de l’île la plus petite, Nevis, ont déclaré qu’à l’avenir, ils préféreraient s’abstenir de participer aux élections fédérales. Ironiquement, cette déclaration vient au moment où les deux îles forment un comité chargé d’amorcer un processus de réforme constitutionnelle. Cette situation particulière découle de la structure fédérale unique de Saint-Kitts-et-Nevis, ainsi que des droits spéciaux que la Constitution fédérale octroie à Nevis.

Le 19 septembre 1983, Saint-Kitts-et-Nevis est devenue complètement indépendante de la Grande-Bretagne, alors que depuis 1967, ces deux îles des Caraïbes étaient administrées selon un statut semi-autonome d’État associé à la Grande-Bretagne. Cet État associé se composait de trois îles : Saint-Kitts, Nevis et Anguilla – une île située à 75 kilomètres au nord de Saint-Kitts. Peu de temps après, Anguilla s’est unilatéralement déclarée indépendante, et la Grande-Bretagne a hâtivement pris des mesures pour la ramener à un statut colonial complet.

Liens et tensions

Les îles de Saint-Kitts et de Nevis sont unies par des liens solides. Comme elles se trouvent à seulement trois kilomètres l’une de l’autre, la population se déplace d’une île à l’autre, et la plupart des habitants ont des parents dans l’autre île. Il existe un intense commerce traditionnel de légumes, fruits, poisson et bétail, principalement à partir de Nevis vers Saint-Kitts. Trois traversiers font tous les jours la navette entre les îles pour transporter les citoyens qui vont au travail, à l’école ou au collège, ou faire des courses dans l’autre île. Les pêcheurs se partagent les eaux, et tout le monde cohabite sans problème.

Pourtant, la relation politique entre Saint-Kitts et Nevis n’a jamais été solidement établie et la Constitution d’indépendance octroyée par le Royaume-Uni donne un caractère légal à cet état de précarité.

La Constitution prévoit un gouvernement de style provincial pour Nevis, avec une assemblée et un cabinet dirigé par un premier ministre. Cette administration gère les affaires de Nevis dans des domaines définis par la Constitution. Le Parlement adopte les lois nécessaires pour gouverner l’île. Nevis régit ses propres écoles, son hôpital et son système de santé, la structure touristique et le ministère de l’agriculture, et gère son système routier, son aéroport et son port. Parmi les secteurs qui ne sont pas sous sa responsabilité, mentionnons la sécurité nationale, les affaires étrangères et le commerce international.

Terry Nisbett est économiste au ministère du Commerce international de Saint-Kitts-et-Nevis.

Pas d’assemblée locale à Saint-Kitts

Curieusement, l’autre partie de la Fédération, l’île de Saint-Kitts, n’a pas de législature équivalente. Les observateurs des deux îles considèrent que cette situation n’est pas équitable. Toutes les provinces du Canada sont dotées d’un gouvernement provincial.Tous les états des États-Unis d’Amérique possèdent une législature d’état. Les Land d’Allemagne ont leur Landtag. Ce n’est que dans les pays en cours de décentralisation – mais n’ayant pas adopté un système fédéral – que l’on voit une unité constituante sans son propre gouvernement. (Le fait que l’Angleterre, au sein du Royaume-Uni, n’ait pas d’assemblée en est l’exemple le plus frappant – cf. « La dévolution se poursuit au Royaume-Uni », par Charlie Jeffery, dans le présent numéro.) La difficulté pour le

premier ministre de Saint-Kitts-et-Nevis est de savoir quand il est le « premier ministre de Saint-Kitts » et quand il est celui de la Fédération. C’est principalement cette anomalie qui est à l’origine de la demande récente de réforme constitutionnelle. En tout cas, on peut certainement lui attribuer, au moins en partie, l’épineuse situation actuelle sur les plans constitutionnel et politique.

La Constitution prévoit une assemblée nationale qu’on pourrait logiquement considérer comme une assemblée fédérale, puisque la nation en question est une fédération. Mais, soit intentionnellement, soit par défaut, cette assemblée nationale fait également fonction d’assemblée pour l’île de Saint-Kitts. Alors que la Constitution prévoit des élections locales à Nevis, l’électorat de Saint-Kitts ne peut participer qu’aux élections générales où sont élus les

membres de l’Assemblée nationale. Ce déséquilibre peut fort bien expliquer la réticence des politiciens de Nevis à participer aux élections fédérales à l’avenir.

Élections et avenir

Les élections générales dans la Fédération sont généralement disputées à l’intérieur de chaque île. Aucun parti politique de Nevis ne fait campagne à Saint-Kitts. Dans le passé, le Parti travailliste de Saint-Kitts-et-Nevis a essayé de faire élire des candidats à Nevis, mais n’a jamais réussi et a donc cessé ses efforts en ce sens. L’autre parti politique de Saint-Kitts, le Mouvement de l’action du peuple, n’a jamais présenté de candidat à Nevis pour des électionsgénérales. Étant donné la répartition des circonscriptions, huit à Saint-Kitts et trois à Nevis, il est possible de former un gouvernement national sans un seul représentant élu de Nevis.

La réticence que manifestent les politiciens de Nevis à l’égard des élections fédérales constitue leur manière d’imposer des changements constitutionnels. Cependant, même sans leur participation, un premier ministre peut être nommé et un cabinet choisi, sans que le processus de gouvernement en soit nécessairement affecté sur le plan légal.

La plupart des gens croient qu’un changement constitutionnel est inévitable. Les décisions sur la forme que doit prendre le gouvernement fédéral et sur la question de savoir s’il y a lieu de créer un gouvernement local pour Saint-Kitts vont probablement être chaudement débattues.

Fédérations vol. 3, no 2, mai 2003

Saint-Kitts-et-Nevis en bref

Nom officiel Saint-Christophe-et-Nevis, ou Saint-Kitts-et-Nevis

Lieu Nord-est des Caraïbes

Surface Saint-Kitts : 176 km2 - Nevis : 93 km2

Population 45 000

Dates historiques 1624 – Colonisation de Saint-Kitts par les Britanniques 1628 – Colonisation de Nevis par les Britanniques 1967 – Octroi du statut d’État associé – autonomie, sauf pour les affaires étrangères et la défense 1983 - Indépendance

Organisations Membre de l’Organisation des États des Caraïbes

régionales orientales (OECO)

Membre de CARICOM, un groupe de libre-échange

composé de quatorze États des Caraïbes

Secteurs économiques Industrie légère, sucre, tourisme, services financiers

Changement constitutionnel promis

Le gouvernement connaît bien l’urgence de la situation et a formé un comité parlementaire sur la réforme constitutionnelle composé de parlementaires appartenant au gouvernement ou à l’opposition. Les membres du comité tiendront une série de consultations dans les deux îles avec des groupes de la société civile, des représentants du secteur privé et des groupes confessionnels, ainsi que des membres de tous les partis politiques. Il y aura également des assemblées publiques locales avec le grand public. Le pays n’aura jamais été aussi avancé dans une démarche de réforme de la Constitution, même si des groupes et des personnes ont déjà manifesté leur insatisfaction et n’ont pas manqué de souligner les lacunes du système.

Des voix se sont élevées pour demander une réforme constitutionnelle, en 1993, après que les élections générales à Saint-Kitts ont abouti à l’égalité : quatre sièges pour chacun des deux partis. Les partis de Nevis ne souhaitaient pas former une coalition, et le gouverneur général a demandé au parti en place, le Mouvement de l’action du peuple, de former le gouvernement. La situation devenant très tendue, la solution a été de procéder à des élections générales précoces et d’exercer des pressions pour que la Constitution soit réformée. Les élections de 1995 ont vu une victoire écrasante pour l’ancien parti d’opposition, le Parti travailliste de Saint-Kitts-et-Nevis. Une coalition n’était plus nécessaire. La crise était passée, et la Constitution est restée la même. Aujourd’hui, la Fédération se trouve de nouveau en situation de crise.

La position unie des deux partis politiques de Nevis – le Mouvement des citoyens et le Parti réformiste de Nevis – a accéléré la tenue d’une réunion mixte de l’Assemblée nationale de Saint-Kitts-et-Nevis et de l’Assemblée de l’île de Nevis. C’est un début, et chacun devra écouter ce que ses concitoyens ont à dire.

Pour compliquer encore le problème, le gouvernement et l’opposition de Nevis demandent également plus d’autonomie pour leur île. On ne sait pas au juste s’ils souhaitent voir augmenter les responsabilités de l’Assemblée de l’île de Nevis ou obtenirl’indépendance pure et simple en tant qu’État séparé et distinct de Saint-Kitts. Cependant, lors de l’assemblée parlementaire conjointe, le premier ministre de Nevis, Vance Amory, a dit espérer que l’on trouverait « une solution qui éviterait la division du pays mais permettrait la création d’entités s’appuyant mutuellement. »

Appel à la sécession

Cependant, ce n’est pas la première fois que M. Amory parle d’indépendance pour son île. La sécession est une possibilité évidente qui s’appuie sur l’article 113 de la Constitution : « La législature de l’île de Nevis peut décider que l’île de Nevis cessera d’être jointe en fédération à l’île de Saint-Christophe et, en conséquence, que la présente Constitution ne s’appliquera plus dans l’île de Nevis. » Par contre, Saint-Kitts ne peut faire sécession à l’égard de Nevis.

Une fois auparavant, en 1996, l’Assemblée de l’île de Nevis a évoqué le fameux article 113 et voté un projet de loi sur la sécession en 1997. Le référendum requis a eu lieu en 1998, mais le parti au pouvoir, mené par le premier ministre actuel, n’a pas obtenu la majorité aux deux tiers qui lui aurait permis d’aller de l’avant.

Le mot « sécession » reste un cri de ralliement populaire pour les politiciens de Nevis, la population de l’île ayant toujours eu l’impression d’être négligée alors que celle de Saint-Kitts prospérait. L’infrastructure de Saint-Kitts s’est développée pour inclure un port en eau profonde et un aéroport international. Par contre, Nevis accuse un certain retard dans le domaine de l’infrastructure de base comme le réseau routier et l’approvisionnement en eau. Malheureusement pour le Parti travailliste de Saint-Kitts-et-Nevis, la population de Nevis semble incapable d’oublier que tout cela s’est passé pendant les trente ans où ce parti a été en place.

Ironiquement, c’est peut-être ce goût de l’autonomie qui a entraîné la récente tentative de sécession. Le degré plus élevé d’autonomie a contribué à améliorer l’économie de l’île de Nevis et à hausser le niveau de vie de ses habitants. Le tourisme et les services financiers sont les principales sources de revenu. Cependant, les politiciens de l’île ont l’air de penser que les grandes décisions qui touchent la Fédération sont prises sans qu’ils aient leur mot à dire. Les membres de l’Assemblée de l’île de Nevis semblent convaincus qu’ils obtiennent de bons résultats et qu’ils peuvent fort bien se charger des responsabilités supplémentaires qui ne leur ont pas encore été confiées et réaliser l’objectif des habitants de l’île : gérer leurs propres affaires.

Partis politiques

Mouvement des citoyens (CCM) Chef - Vance Amory, premier ministre de Nevis. Ce parti conserve sa majorité dans l’Assemblée de l’île de Nevis depuis juin 1992. Il détient quatre des cinq sièges à l’Assemblée, et, avec deux sièges, forme le parti d’opposition du Parlement national.

Parti réformiste de Nevis (NRP) Chef - Joseph Parry. Ce parti détient un siège au Parlement fédéral et un siège à l’Assemblée de l’île de Nevis. Il a été le principal opposant à la sécession mais n’a pas appuyé la tenue d’un référendum à cet égard en 1998.

Mouvement de l’action du peuple (PAM) Chef - Lindsey Grant. Ce parti a été au pouvoir de 1980 à 1995 mais il n’a actuellement aucun siège au Parlement. Il a été fondé en 1965 avec l’appui de la classe moyenne. C’est lui qui a formé le premier gouvernement après l’indépendance.

Parti travailliste de Saint-Kitts-et-Nevis (SKNLP) Chef – Denzil Douglas, premier ministre de Saint-Kitts-et-Nevis. Ce parti détient huit des onze sièges au Parlement national. Parti le plus ancien de la Fédération, il a pris naissance dans un mouvement de travailleurs de l’industrie du sucre, mais il repose maintenant sur une base plus vaste.

Si le premier ministre cherche à obtenir l’indépendance, il réussira probablement la prochaine fois qu’il évoquera l’article 113. Les deux partis de Nevis sont unis dans leur résolution de ne pas prendre part aux élections fédérales. Cette nouvelle solidarité n’est pas habituelle et semble laisser prévoir un front uni face à la question de l’indépendance de Nevis, ou de « l’autonomie pleine et entière » comme ils préfèrent dire.

Ceci étant dit, la pertinence et la raison d’être du comité parlementaire sur la réforme constitutionnelle sont mises enquestion. À quoi aboutirait cette réforme et sur quelle constitution porterait-elle? Faute de mesures énergiques, Saint-Kitts pourrait se retrouver dotée d’une constitution fédérale mais sans fédération, et Nevis devra se doter de sa propre constitution.

Fédérations vol. 3, no 2, mai 2003