commun, mais de celles d’observateurs non partisans et d’analystes professionnels.

Il y a neuf mois (cf. Fédérations, vol. 2, n° 4), nous avons rendu compte de l’esprit qui régnait après la signature de l’accord de Belgrade, un accord de principesur les relations futures. À ce moment-là, l’Union européenne (UE) jubilait, tandis que les Serbes et les Monténégrins restaient sceptiques. L’accord de Belgrade devait établir les principes de laCharte constitutionnelle du futur État.

C’est un document de nature résolument politique, qui comprend un nombre assez important de principes rédigés dans des termes si vagues que chacune des parties pouvait affirmer sans sourciller que sa propre lecture était authentique et respectait la lettre etl’esprit de l’accord. À cette époque, les délégués de l’UE et les optimistes parmi les Serbes et les Monténégrins croyaient que le flou de l’accord serait corrigé par la Charte constitutionnelle etque, ultimement, un État commun fonctionnel verrait le jour.

L’adoption de la Charte traîne en longueur

Au cours des neuf derniers mois, il y a eu davantage de problèmesque de réussites. Le nouvel État commun (ou « union des États », ou bien « fédération », ou encore « confédération » – personne ne sait trop comment l’appeler) est désormais réalité mais il est loin d’être fonctionnel. Par conséquent, le scepticisme des Serbes et des Monténégrins s’est accru et l’on ne décèle pratiquement plus de sentiment triomphant chez les membres de l’UE.

Première complication : le temps qu’a pris l’adoption de la Charte constitutionnelle, soit le document juridique de base du nouvelÉtat presque une année complète, au lieu de la période de trois mois envisagée par les signataires de l’accord de Belgrade. Cette

Mihailo Crnobrnja est économiste. Il a occupé nombre de fonctions dans l’ex-Yougoslavie, notamment celles de ministre de la planification économique en République serbe et d’ambassadeur à l’Union européenne. Il vit maintenant au Canada où il enseigne, écrit et agit à titre de conseiller.

situation est une conséquence directe du fossé séparant les intérêts de la Serbie et ceux du Monténégro, fossé dont, de toute évidence, on n’avait pas évalué l’ampleur au début du processus de négociation. Chaque partie croyait que l’autre exagérait sciemment sa position pour des raisons tactiques. Les parties ont toutes été quelque peu surprises lorsqu’il est apparu que ces positions étaient authentiques et que très peu de points s’avéraient donc négociables.

Pendant la durée des négociations, la situation politique de la Serbie et celle du Monténégro se détérioraient au lieu de s’améliorer. Le Monténégro a eu un gouvernement démissionnaire

Fédérations vol. 3, no 2, mai 2003

pendant six des neuf mois qu’a duré le processus d’adoption du document. Trois tentatives d’élections présidentielles ont échoué en Serbie, et deux au Monténégro. Ces situations auguraient malpour la création d’un État commun, puisque la responsabilité du processus de création a été confiée aux élites politiques des deuxÉtats concernés. Il n’a jamais été question de faire approuver le processus de création au moyen d’un mécanisme démocratique, comme un référendum populaire.

L’Union européenne ne répond plus

L’UE n’a pas beaucoup soutenu non plus le processus après la signature de l’accord de Belgrade. En fait, elle lui a plutôt nui. L’UE avait pris une part très active à la préparation de cet accord; elle avait presque forcé les parties réticentes à signer, en arguant que cet accord représentait un pas important pour sa politique étrangère dans les Balkans. Mais après la signature de l’accord, l’UE s’est beaucoup moins imposée, s’attendant à ce que Serbes et Monténégrins en arrivent seuls à une solution. Les membres de l’UE pouvaient alors devenir de simples observateurs.

Javier Solana, haut représentant de l’UE en matière de sécurité, a adopté la position suivante : l’UE accepterait à peu près n’importe quel accord, et récompenserait les parties en amorçant les négociations en vue d’une entente d’association et de stabilisation avec l’UE. Solana joue alors le rôle « d’accoucheur » du nouvelÉtat commun; il a tellement bien joué ce rôle qu’on a suggéré, avecplus ou moins de sérieux, de baptiser le nouvel État la « Solanie ».

Cette situation a donné lieu à un accord reflétant le plus petit dénominateur commun sur lequel pouvaient s’entendre lesparties, dont le résultat est un État faible et non fonctionnel.

La première faiblesse évidente : le nouvel État ne dispose pas d’une constitution, mais d’une charte constitutionnelle, qui ressemble davantage à un document politique qu’à un document

de nature constitutionnelle. On y définit des objectifs politiques généraux et l’organisation des institutions mises en commun.

Et les ministères fédéraux?

Les institutions en commun sont définies comme des mécanismes de coordination, plutôt que comme desinstitutions d’État. Les deux fonctions qui tombent véritablement sous la responsabilitéde l’État commun sont la défense et la politique étrangère. Ce qui n’a pas empêché le Monténégro de

mettre en place son propre ministère des Affaires étrangères.D’autres fonctions généralement dévolues à l’État sont accomplies,en grande partie, par chacun des deux États séparément. Certainesd’entre elles sont toutefois coordonnées au niveau de l’État commun par l’entremise du ministère des Relations économiques intérieures et du ministère des Relations économiques avecl’étranger. L’État « fédéral » ne possède aucun bien ni ne dispose d’aucune recette fiscale indépendante.

Les élections du Parlement de la Serbie-Monténégro se dérouleront de manière indirecte pendant les deux premières années; ce n’est qu’après cette période que des élections directes seront organisées dans chacun des états constitutifs pour leParlement de l’État commun, si ce dernier survit.

La Cour suprême, pouvoir judiciaire fédéral, ne jouit d’aucune autorité ni de fonctions indépendantes; elle ne fait que coordonnerle système judiciaire propre à chacun des deux États. Et, bien entendu, l’entente n’est valide que pour une période d’essai de

Quatre constitutions en 60 ans

La Charte constitutionnelle de la Serbie-Monténégroreprésente le quatrième régime sous lequel les deux États ont vécu. En d’autres termes, le Serbe ou le Monténégrin moyen de 60 ans a vécu sous trois régimes politiques et vit maintenant sous un quatrième. Et, si sa santé est bonne, dans trois ans, il pourrait vivre sous un cinquième régime de sonÉtat respectif.

trois ans, après quoi chaque partie aura le droit d’organiser unréférendum sur son retrait de l’État commun.

Il est curieux que cette même UE qui a joué un rôle si important dans la signature de l’accord de Belgrade et de la Charteconstitutionnelle se plaigne maintenant que l’État « fédéral » (dont elle a soutenu la création) ne soit pas fonctionnel. On a prévenu la Serbie et le Monténégro que l’UE n’a nullement l’intention denégocier avec un État dont la Charte constitutionnelle ne prévoit ni une union douanière et commerciale, ni un bureau fédéral des statistiques, ni une législation commune sur les monopoles, les normes et la protection de la propriété intellectuelle, entre autres fonctions.

Délais pour le plan d’action?

Au moment de rédiger ces lignes, les Serbes et les Monténégrins entreprennent d’autres négociations. Après la signature de l’accord et de la Charte constitutionnelle, on se penche maintenant sur le plan d’action en vue de l’harmonisation des deux systèmes économiques. Si les négociations aboutissent, la mise sur pied de ce plan donnerait à l’UE ce qu’elle attend avant de reconnaître la Serbie-Monténégro comme partenaire valable lors des négociations en vue d’une entente d’association et de stabilisation.

Ces négociations sont difficiles, peut-être même plus

difficiles que les deux précédentes. C’est normal,

puisque l’on ne discute plus de principes et

d’institutions, mais d’argent. L’UE, encore ici,

n’apporte pas son plein soutien, préférant recourir à des formes de persuasion plus modérées. Le délai initial du 31 mars pour le dépôt du plan d’action a été reporté d’un mois après le tragique assassinat du premier ministre serbe.

Ce nouveau délai approche rapidement. Le nouvelÉtat commun s’affermira ou s’effondrera au cours des

prochains mois. Cependant, aucune partie ne semble

prête à faire les importantes concessions nécessaires à

la réalisation d’une entente sur un plan d’action. De

plus, en dépit de ses marques récentes de sympathie et de son appui au processus, l’UE refuse toujours avec fermeté d’amorcer des négociations avec la Serbie-Monténégro en l’absence d’un plan d’action mis en place et mis en œuvre.

Les deux parties trouveront-elles le courage et feront-elles preuve d’assez de sagesse pour travailler en vue d’un avenir respectif et commun à plus long terme, plutôt que de servir seulement leurs intérêts à court terme? Les membres de l’UE décideront-ils que la création de la Serbie-Monténégro dans les Balkans, dont l’instabilité est notoire, est suffisamment importante pour y participer sur les plans financier et politique afin de réduire l’écart existant entre la Serbie et le Monténégro? Personne ne peut répondre avec certitude à ces questions fondamentales. Mais il est un point sur lequel tout le monde s’entend : plus le temps passe, et plus il est question du « plan B », soit la dissolution définitivede l’État commun avant même la fin de la période d’essai de trois ans.

Fédérations vol. 3, no 2, mai 2003