Bertus de Villiers, ancien directeur général des services juridiques du South African National Parks, est co-auteur du traité ayant conduit à l’établissement du parc Kgalagadi pour la paix. Diplômé en droit constitutionnel, il a été six ans à la tête du Centre for Constitutional Analysis avant de devenir chef du contentieux et des relations avec les Autochtones au Goldfields Land Council (Australie), poste qu’il occupe actuellement. Il enseigne également, à temps partiel, le droit constitutionnel à l’université de Western Australia. Ses champs de spécialisation sont le fédéralisme, la protection des droits de la personne et la rétrocession des droits territoriaux.

Introduction

La signature du traité de Kgalagadi entre les gouvernements de l’Afrique du Sud et du Botswana constitue un pas de plus vers l’intégration régionale de l’Afrique australe. Ce traité était un préalable à l’intégration formelle de deux parcs nationaux séparés par une frontière : le parc du Kalahari, au Botswana, et le parc national Kalahari-Gemsbok, en Afrique du Sud. Le traité visait à établir un parc international de la paix, le premier du genre en Afrique.

L’établissement de ce type de parc en Afrique australe est un important test de la capacité des États de coopérer et de leur volonté de consulter les provinces en matière de politique régionale. S’il est prématuré de parler d’« union » interétatique, comme c’est le cas pour l’Union européenne, force est de constater à plusieurs niveaux dans le sud de l’Afrique une tendance marquée à l’intégration régionale. Les pouvoirs garantis par la Constitution aux provinces de l’Afrique du Sud et les relations étroites que celles-ci entretiennent avec les États voisins en font des acteurs-clés de l’intégration régionale. Plusieurs ententes protocolaires et ententes de principe ont été conclues ces dernières années entre les provinces et des États voisins. Il n’est certes pas exagéré de dire que ces provinces, dans le contexte de l’Afrique australe, jouent un rôle de premier plan en matière de politique étrangère.

Les provinces participent aux dossiers environnementaux, notamment lorsqu’il est question de conservation de la nature dans les parcs et les réserves.

L’idée d’un parc international de la paix géré conjointement par l’Afrique du Sud et le Botswana était à l’ordre du jour depuis plusieurs années. Les aires de conservation transfrontalières ne sont pas chose rare en Afrique, d’où l’idée d’en faire des parcs de la paix où les États, les communautés locales, et les gouvernements locaux et provinciaux seraient engagés dans une dynamique de conservation. On y a aussi vu la possibilité de reconstruire des économies affaiblies par des années de guerre civile et d’instabilité.

Il est largement reconnu à propos de l’Afrique australe que le tourisme et les escapades en nature peuvent agir comme des moteurs économiques permettant de renforcer l’autonomie régionale. D’où le soutien de nombreux gouvernements à l’établissement de parcs transfrontaliers pour la paix.

Le nouveau parc Kgalagadi pour la paix

L’aire de conservation du Kalahari située de part et d’autre de la frontière entre l’Afrique du Sud et le Botswana constitue l’une des plus importantes aires de conservation au monde. Le parc national Gemsbok au Botswana fait 28 400 km2 de surface, et le Kalahari-Gemsbok en Afrique du Sud, 9 591 km2. Le parc de la paix représentera trois millions d’hectares. Jalonnant une frontière de 300 km de long, les deux parcs fonctionnent déjà dans les faits, depuis 1948, comme une unité écologique intégrée. Aucune clôture ne sépare les deux parcs, ce qui permet la libre circulation de la faune au gré des saisons et des conditions climatiques; et le secteur nord de la zone botswanaise n’est pas non plus clôturé, ce qui laisse à la faune une plus grande liberté de mouvement.

Depuis que l’Afrique du Sud et le Botswana ont entrepris en 1948 de collaborer à l’atteinte d’objectifs communs, le personnel de leurs agences de conservation a toujours fonctionné sur le principe de l’entente à l’amiable. Un principe qui s’est vu renforcé en 1964 quand le gardien-chef du parc et plusieurs cadres ont été nommés gardes honoraires au Botswana – facilitant ainsi la lutte au braconnage et les activités annuelles de recensement. Un comité de gestion transfrontalière a été nommé en 1992, dont le mandat était d’étudier d’autres avenues possibles de collaboration entre les autorités respectives des deux parcs et de les conseiller sur l’établissement d’un programme de gestion conjointe avec organe de supervision.

Ententes juridiques

Le parc de la paix a été fondé dans le contexte de l’adoption par l’Afrique du Sud d’une nouvelle constitution – un système provincial possédant des caractéristiques fédérales – et de relations politiques longtemps antagoniques en Afrique australe. L’entreprise était relativement simple pour le Botswana, un État unitaire où les questions de conservation sont sous la responsabilité d’un seul ministère. Du côté sud-africain, le

Fédérations vol. 3, no 2, mai 2003

caractère fédératif de son gouvernement rendait la chose plus complexe.

Le dispositif juridique permettant l’établissement du parc Kgalagadi devait refléter les particularités du système sudafricain, ainsi :

  • Les parcs nationaux en Afrique du Sud se trouvent sous la supervision d’un organisme de droit public indépendant, le South African National Parks (SANP), et non pas sous celle d’un ministère. Le gouvernement national ne peut donc pas, à sa convenance, prescrire ou ordonner au SANP d’entreprendre telle ou telle activité.

  • Selon la Constitution de l’Afrique du Sud, le tourisme, la préservation de l’environnement, les routes et les infrastructures sont de juridiction provinciale, ce qui fait des provinces les interlocuteurs obligés de toute proposition de parc de la paix.

  • Le pouvoir de conclure des traités est réservé selon la Constitution au gouvernement national et à son Parlement. Le SANP ne saurait donc conclure d’entente de coopération en son nom propre avec des États étrangers.

Ces contraintes ont donné lieu aux aménagements suivants :

Le statut d’« agence » du SANP

Le SANP possède l’expertise nécessaire à la cogestion d’un parc de la paix, mais son statut juridique ne lui permet pas d’engager des activités à l’extérieur de l’Afrique du Sud ou de conclure un traité avec un État voisin. La solution à ce problème s’est présentée sous la forme de l’article 238 de la Constitution, lequel se lit comme suit :

Un organe exécutif de l’État peut, dans quelque sphère

d’activité gouvernementale que ce soit : (b) exercer tout pouvoir

ou toute fonction au nom d’un tiers organe exécutif de l’État,

soit en sa qualité d’agence gouvernementale, soit sur la base

d’une délégation de pouvoir.

Le SANP correspond à la définition d’un « organe d’État » en cela qu’il est une « institution exerçant un pouvoir public aux termes de la loi ». Le gouvernement sud-africain a donc choisi, par le biais de son ministère des Affaires étrangères, de conclure un traité bilatéral pour ensuite confier au SANP, en lui octroyant le statut d’agence gouvernementale, la tâche de mettre en œuvre ledit traité.

Dûment signé en 2000 par les chefs des deux États, le traité fournissait la base juridique permettant au SANP et au ministère botswanais de la Conservation d’agir conjointement.

Ententes entre agences de conservation

Le traité recommande que les agences chargées de part et d’autre de la conservation dans le parc s’entendent pour partager la responsabilité de la mise en œuvre du traité. Celles-ci devront continuer, tel que prescrit par leur législation, d’accomplir les tâches qui leur incombent sur leurs territoires respectifs, tout en coordonnant leurs activités. Une agence de direction conjointe doit être établie pour coordonner et intégrer les politiques.

Les activités du parc de la paix font partie d’un programme de gestion conjointe du territoire. Le programme couvre tous les aspects relatifs à la conservation et au tourisme dans le parc. L’agence se réunit régulièrement, tandis que la direction du parc se rencontre toutes les semaines pour discuter de ces activités.

Création d’un territoire accessible sans visa

Un des aspects remarquables du parc de la paix est qu’il est accessible sans visa sur tout son territoire pour les visiteurs des deux pays, l’Afrique du Sud et le Botswana. Il est aussi question qu’un troisième pays, la Namibie, participe à cette entente.

Si le parc est accessible sans visa, les visiteurs souhaitant accéder à un autre pays via le parc doivent tout de même posséder un visa en règle pour ce pays. Il s’agit d’une des premières ententes au monde – sinon la première – où un parc national donne lieu à la création d’un territoire accessible sans visa.

Participation de la province du Cap-Nord

Les parc nationaux étant du ressort du gouvernement national, les provinces n’ont pas la responsabilité directe de leur gestion ou de leur supervision. On a bien consulté la province du Cap-Nord dans le cadre des négociations préalables à l’établissement du parc, mais celle-ci n’a pas participé directement aux négociations. Elle a toutefois soutenu l’initiative aux niveaux provincial et parlementaire.

La gestion au quotidien et la mise en œuvre du traité ont donné lieu aux interactions suivantes avec la province :

  • Le tourisme étant de compétence provinciale, le SANP a dû coordonner son programme touristique avec celui de la province pour en maximiser les résultats.

  • Les routes et le transport relèvent des provinces. S’il est de la responsabilité des agences de conservation de tracer et d’entretenir le réseau routier à l’intérieur du parc, la réfection et l’entretien des routes menant au parc, ainsi que les questions relatives au transport sont du ressort des provinces.

  • L’impact environnemental des nouveaux projets doit être évalué conjointement par les provinces et le gouvernement national. Tout projet risquant de modifier l’environnement doit être soumis à une analyse d’impact en conformité avec les lois fédérales et provinciales. Ceci comprend l’établissement d’aires de repos pour les touristes, l’établissement de circuits pour les véhicules tout-terrain et le tracé de nouvelles routes et chemins.

Autres parcs en Afrique australe

On s’affaire actuellement à la création d’un deuxième et d’un troisième parc de la paix impliquant l’Afrique du Sud et desÉtats voisins. Le parc Limpopo, résultat de la fusion du parc national Kruger et d’aires de conservation au Mozambique, suscite déjà l’intérêt en cela qu’il deviendrait le plus important parc faunique au monde. Comme ce fut le cas pour le Kgalagadi, le parc Limpopo exige une collaboration étroite avec la province du Limpopo.

En conclusion

L’établissement des parcs de paix en Afrique australe fournit d’intéressants exemples d’interaction fédérale-provinciale. La Constitution de l’Afrique du Sud reconnaît à ses provinces certains pouvoirs de portée nationale, notamment en matière de conclusion de traités, ainsi que le pouvoir de légiférer. Dans le domaine de l’interaction politique, certaines provinces setrouvent en relation étroite avec des États voisins, ceci pour des raisons historiques, ethniques ou économiques.

L’établissement du parc Kgalagadi est le résultat d’un savant dosage de dispositions juridiques intérieures en Afrique du Sud,de tractations politiques entre provinces et États voisins, et de mise en œuvre par un organe statutaire (le SANP) d’un traité international.

Fédérations vol. 3, no 2, mai 2003