Le fédéralisme allemand à la croisée des chemins

La lune de miel du fédéralisme allemand de l’après-guerre tire à sa fin.

PAR RAINER-OLAF SCHULTZE

Le système fédéral de l’Allemagne de l’Ouest, qui a fait pendant 40 ans le succès de la « deuxième » démocratie allemande, est mis à mal par les événements qui ont cours depuis la fin des années 1980.

À première vue, la réunification de l’Allemagne semble complétée : cinq nouveaux länder ont vu le jour et les institutions ouest-allemandes sont solidement implantées à l’est. En apparence seulement, car la réunification s’avère laborieuse sur les plans culturel et économique, une réalité qui continuera de peser sur la politique allemande pendant des décennies.

Ces contraintes obligent à une réforme en profondeur du système politique. Peu préparée à de tels changements, l’Allemagne hésite devant la nécessité d’une telle réforme. En effet, les succès passés du fédéralisme allemand alimentent la résistance au changement, lequel se traduit par un certain recul de la politique allemande. On conviendra que ce recul n’est pas attribuable à la seule politique fédérale, mais également :

  • à un électorat très attaché au statu quo,

  • à une culture politique à visées gouvernementales orientée vers le consensus et les résultats, et

  • à des partis politiques et des politiciens frileux face à l’innovation.

Les problèmes ne datent pas d’hier

Dès ses tout débuts, le système fédéral allemand souffrait d’au moins quatre problèmes structuraux :

1. Des pressions contradictoires. Les démocraties fédérales hautement centralisées comme celle de l’Allemagne de l’Ouest opèrent selon deux principes contradictoires. Sur le plan horizontal – au niveau des länder et partout au pays – les partis impliqués et leurs membres suivent la logique de la compétition et la loi du marché. Sur le plan vertical – du niveau municipal au niveau national, en passant par le land

– ils suivent la loi du compromis et du consensus.

  1. Le fédéralisme exécutif, qui résulte de l’interdépendance gouvernementale, manque de transparence et de légitimité; il contribue à la perte d’influence des parlements fédéral et des länder.

  2. Trop d’intervenants ayant le droit de veto, ce qui ralentit les négociations et empêche les solutions créatives. Les décisions politiques ont ainsi tendance à ne pas s’élever au-dessus du plus bas dénominateur commun (cf. encadré « Structure du système fédéral allemand »).

  3. L’impasse, qui résulte du fait que les législations sont du ressort fédéral tandis que les länder et autres paliers locaux de gouvernements administrent les lois (cf. encadré « Principes du fédéralisme allemand de l’après-guerre »).

Rainer-Olaf Schultze est professeur de science politique à l’université d’Augsbourg, en Allemagne. Il est l’auteur de nombreux ouvrages sur les systèmes fédéraux allemand, canadien et européens.

Le parti CDU/CSU d’Edmund Stoiber, premier ministre de Bavière, pourrait bloquer les réformes.

Le fédéralisme ouest-allemand constitue, selon l’expression de Fritz W. Scharpf, un « piège du consensus » quasiment impossible à éviter.

Les nouveaux länder représentent de nouveaux défis

On compte maintenant 16 länder de différentes tailles et capacités. Le nombre de joueurs, de vetos et de coalitions possibles a augmenté, de même que le déséquilibre au sein de la fédération, un phénomène jadis négligeable. Ce déséquilibre résulte notamment :

  • de la disparité économique entre les länder de l’est et de l’ouest,

  • de la diversité culturelle, et

  • d’une divergence croissante d’attitudes culturelles et politiques entre les gens de l’est et de l’ouest, du sud et du nord de l’Allemagne. Les partis politiques ne peuvent plus cibler l’ensemble de la nation comme avant, surtout les deux principaux partis, le CDU/CSU et le SPD.

La réunification de l’Allemagne pose aux décideurs politiques le défi de se montrer solidaires avec l’est de l’Allemagne et de redistribuer les richesses équitablement, ceci pendant encore des décennies, tout en comprenant qu’il est impossible d’offrir à tous des conditions de vie identiques (cf. encadré « Principes du fédéralisme allemand de l’après-guerre »).

La fonction première du fédéralisme allemand n’est plus seulement d’assurer les transferts de péréquation et d’être un bon outil de différentiation fonctionnelle, mais également d’assurer la diversité et la compétitivité par une autonomie et une subsidiarité intégratives, tâches plus aisément accomplies dans un cadre fédéral « dualiste » que dans un système fédéral « intra-étatique ».

Fédérations vol. 3, no 3, août 2003

Principes du fédéralisme allemand de l’après-guerre

-– La Convention constitutionnelle de 1948 (affiche)

La structure hautement intégrative du fédéralisme allemand, telle qu’élaborée après la Seconde Guerre mondiale dans le Grundgesetz de 1948-1949, n’est pas uniquement de tradition germanique. Elle reflète les conditions qui prévalaient à la fin de la Seconde Guerre mondiale, après la défaite des Nazis. L’objectif premier des pères du fédéralisme allemand était de prévenir tout abus de pouvoir. Ils veillèrent donc à appliquer des mesures de contrôle où il le fallait et à équilibrer le pouvoir, sans le définir clairement sur le plan vertical.

Ensuite, les pères fondateurs ont privilégié la recherche d’un niveau de vie égalitaire dans les länder plutôt que de favoriser leur autonomie et leur diversité au sein de la fédération. L’uniformité du niveau de vie est devenu le principe-clé du fédéralisme allemand. Décideurs, constitutionnalistes, citoyens et groupes d’intérêt, tous y faisaient référence. Le principe n’a été que légèrement atténué lors de la réforme constitutionnelle de 1994, avec pour résultat que la Loi fondamentale y fait maintenant référence en termes de « niveau de vie équivalent ».

Enfin, les pères fondateurs ont fait en sorte que les gouvernements des länder puissent influer sur les politiques fédérales, plutôt que de favoriser leur autonomie et de stimuler leur compétitivité. Avec l’établissement du Bundesrat, ils ont créé une « République d’États princiers » ou Republik der Landesfürsten (cf. encadré « Structure du système fédéral allemand »). Bien que ces princes aient toujours défendu les intérêts de leur propre land, ils le faisaient en respectant le principe du niveau de vie égalitaire à travers l’ensemble de la république.

Comment ce système a-t-il vu le jour?

Le système fédéral ouest-allemand a vu le jour dans un contexte hors duquel il aurait difficilement pu obtenir le succès qu’il a connu. Ce contexte était le suivant :

  • Une culture unique – La société était relativement homogène sur le plan socioculturel après la reconstruction de l’Allemagne de l’Ouest.

  • Une disparité économique négligeable – L’écart et les asymétries économiques étaient relativement négligeables, tandis que le gouvernement national pouvait prendre des mesures effectives sur les plans économique et social. Ces conditions ont prévalu pendant les « 30 années glorieuses » de cet État-providence, soit jusqu’aux années 1970.

  • Un paysage politique uniforme – Un système de partis hautement intégré, autant horizontalement que verticalement, de sorte que les groupes d’intérêt, les coalitions et l’opposition étaient relativement identiques tant au fédéral que dans les länder, d’où la possibilité pour les politiciens de faire carrière à tous les niveaux. Pour ne donner que deux exemples : quatre des sept chanceliers de l’Allemagne fédérale (Kiesinger, Brandt, Kohl, Schröder) et six autres candidats à la Chancellerie (Strauß, Rau, Vogel, Scharping, Lafontaine, Stoiber) ont également été à la tête d’un land, soit avant de se présenter, soit pendant qu’ils étaient candidats. Qui plus est, les élections dans les länder servaient de test pour les politiques fédérales, tout en décidant de la composition du Bundesrat et de la majorité qui y siégerait.

Les partis politiques, au niveau fédéral et des länder, avaient l’habitude de penser en termes d’influence et de compromis plutôt que de chercher la confrontation. À quelques exceptions près, cela a conduit par le passé à des positions modérées et centristes, selon un modèle de relations sociopolitiques qu’on a appelé le « capitalisme rhénan ».

Intégration européenne

L’intégration européenne s’est traduite par une perte de souveraineté au niveau national, tandis que de nombreux champs de compétences étaient transférés à Bruxelles et aux institutions de l’Union européenne (Commission, Conseil des ministres, Parlement, Cour de justice). Ensuite, elle a obligé à des relations intergouvernementales soutenues entre les pays membres. Il en résulte une diminution de la capacité des parlements nationaux et infranationaux de prendre des décisions, une augmentation du nombre d’intervenants et du niveau d’« interconnectivité », ainsi qu’un niveau de gouvernance supplémentaire.

Dans son souci d’intégration économique, l’ouverture des marchés a été le principal objectif de l’Union européenne (UE). Encouragée par les décisions de la Cour européenne de justice, l’UE s’est consacrée presque exclusivement à la libéralisationdes marchés. À titre d’exemples : la création d’un marché intérieur, l’union économique et l’union monétaire. C’est ce qui a forcé les pays membres à s’engager dans une « déréglementation concurrentielle » et à transférer au privé des tâches accomplies auparavant par les gouvernements.

Cela dit, très peu de mesures correctrices des marchés ont été mises de l’avant par l’UE. Notamment en ce qui concerne les mesures de redistribution, dont les paiements de transfert dans le domaine des politiques sociales qui demeurent de lacompétence des États membres.

En théorie, dans un État-providence fédéral, les infrastructures et le développement économique devraient être du ressort des provinces et districts pour des raisons de concurrence locale, tandis que le gouvernement national est le mieux placé pour traiter des questions de macroéconomie, de politique fiscale et de politique sociale (cf. encadré « Qui bénéficie des impôts en Allemagne? »).

Mais la réalité politique allemande est toute autre

Autant le gouvernement fédéral, depuis la fondation de la République, que la Commission européenne se mêlent quotidiennement des questions de politique industrielle, d’infrastructures et de localisation des länder. Tandis que les gouvernements des länder exercent, via le Bundesrat, une influence prépondérante sur pratiquement toutes les décisions macroéconomiques du gouvernement fédéral, surtout dans le domaine des politiques sociales. Il en résulte un imbroglio de compétences et de responsabilités qui sape toute velléité

Fédérations vol. 3, no 3, août 2003

Structure du système fédéral allemand

Le fédéralisme allemand constitue un système de gouvernance hautement intégré et centralisé. C’est le modèle par excellence du fédéralisme intra-étatique, auquel Fritz W. Scharpf fait allusion en parlant de Politikverflechtung, signifiant « gouvernement interdépendant fondé sur la prise de décision conjointe ».

Politikverflechtung fait référence à un système de gouvernement où toutes les décisions politiques d’importance sont prises conjointement par le fédéral et les länder au terme de négociations. Ce qui signifie que la plupart des décisions doivent être mises en œuvre conjointement par le fédéral et les länder : horizontalement, par une coopération inter-länder; et verticalement, par une coopération entre le fédéral et les länder, ainsi que dans le cadre d’une gouvernance à paliers multiples, à laquelle participent les gouvernements des institutions européennes jusqu’aux municipalités. Sur le plan institutionnel, l’interdépendance gouvernementale se fonde sur les éléments suivants :

  • Des clauses constitutionnelles qui donnent préséance au fédéral sur les länder. Ces clauses permettent au fédéral d’agir ou d’intervenir dans les champs de compétences partagées où les länder n’ont pas encore légiféré, ou dans un cas d’intérêt national, ou lorsqu’un membre tiers de la fédération est affecté par la législation d’un land, ou encore pour protéger l’intégrité législative ou économique de la nation.

  • Un partage fonctionnel et distinct des compétences, la législation étant principalement de responsabilité fédérale (à l’exception de la culture, de l’éducation et de la justice, qui sont de la compétence des länder), tandis que les länder et les municipalités s’occupent des tâches administratives.

  • La participation des länder à la législation fédérale via le Bundesrat. La représentation des länder à la seconde chambre obéit au principe dit du Bundesrat, à savoir qu’elle n’est ni égale ni proportionnelle à leur population, mais plutôt asymétrique et pondérée. Délégués par leur gouvernement respectif, les membres du Bundesrat doivent voter en bloc selon les décisions de leur cabinet.

Le Bundesrat a la main haute sur la législation fédérale. Il existe ainsi deux sortes de projets de loi : ceux pour lesquels la seconde chambre a un droit de veto suspensif (Einspruchsgesetze) et ceux auxquels elle peut opposer un veto absolu (Zustimmungsgesetze). En cas d’opposition des majorités en chambre, le projet de loi est référé à un comité médiateur composé de 16 membres du Bundestag et du Bundesrat. Les projets de loi risquant d’encourir un veto absolu représentent non seulement plus de 60 pour cent des projets de loi fédéraux, mais également tous les projets de loi d’importance, qui concernent les politiques économiques et sociales, le droit fiscal et les lois relatives au fédéralisme fiscal.

d’innovation ou d’efficacité, et qui laisse à désirer sur le plan de la démocratie ou de la légitimité.

Des réformes paralysées

Dans l’état actuel des choses, le fédéralisme allemand est en train de devenir le principal obstacle à des changements sociaux devenus nécessaires.

L’impasse actuelle est la résultante de priorités politiques contraires de la part de partis en lutte pour le pouvoir, ainsi que d’une politique générale de compromis. Selon la stratégie politique adoptée par les partis, le Bundesrat sert soit d’outil de blocage des politiques du gouvernement fédéral, soit de forum où l’on en vient à des compromis. De façon générale, il est surtout le principal outil des partis d’opposition. À titre d’exemple, à partir du milieu des années 1990, le programme de réforme du chancelier Helmut Kohl a été systématiquement bloqué au Bundesrat par les sociaux-démocrates, majoritaires, d’Oskar Lafontaine. Et les mesures entreprises pour réformer le régime de retraite et le régime fiscal n’y avaient pas échappé.

Actuellement, l’opposition formée par l’alliance CDU/CSU se sert de sa majorité en seconde chambre pour bloquer les projets de loi et obtenir des concessions ou des amendements. Ce sont toujours les mêmes politiques qui attendent d’être réformées. Le programme de réforme du chancelier Gerhard Schröder, appelé Agenda 2010, s’attaque au problème fiscal, à la refonte de la loi sur l’immigration et aux politiques du travail, et à des besoins urgents dans les domaines de la santé et des fonds de retraite. Toutefois, à cause de l’opposition systématique des partis et du nombre important d’intervenants pouvant se prévaloir d’un droit de veto, c’est l’impasse. Plus personne sur l’échiquier politique allemand ne peut prendre de décision, alors que n’importe qui a le pouvoir de les contrecarrer. En d’autres termes : « Personne n’a vraiment souhaité ce qui arrive, et personne n’est prêt à en accepter la responsabilité. » (Fritz W. Scharpf)

Des réformes nécessaires

La paralysie du fédéralisme allemand souligne l’urgence d’une réforme en profondeur. Chacun souhaite cette réforme, depuis les groupes d’intérêt jusqu’aux chercheurs, en passant par les politiciens eux-mêmes : un consensus qui va jusqu’aux objectifs de la réforme, soit une architecture politique renouvelée qui offre un surcroît d’autonomie, de subsidiarité et de compétition dans le cadre de l’intégration européenne. Ce qu’il faut ici, c’est un modèle de gouvernance à paliers multiples, qui soit à la fois efficace et adapté aux besoins.

Une telle réforme devrait viser à :

L’institutionnalisation d’un fédéralisme de coopération qui saurait stimuler la compétitivité serait une réussite. De nos jours, même dans les systèmes fédéraux privilégiant l’autonomie et la compétitivité, les gouvernements fédéraux et provinciaux travaillent en collaboration, bien que de façon large, en faisant appel à la bonne volonté de chacun.

Pour se dépêtrer du « piège de l’interdépendance gouvernementale »

La route sera longue pour y arriver. Avant même que ces changements ne soient possibles, il faut :

1. Distinguer les compétences législatives et réattribuer les tâches gouvernementales sur la base de critères fonctionnels. L’évolution historique qui nous fait passer d’une société industrielle à une société du savoir pourvoyeuse de services requiert la concentration de ces responsabilités au niveau des länder. Au terme d’un long processus de décentralisation, le gouvernement central conserverait, outre ses compétences traditionnelles en matière de politique étrangère et de sécurité, la mainmise sur les finances, le bien-être social, les infrastructures à grande échelle et, éventuellement, la recherche. Cela dit,

Fédérations vol. 3, no 3, août 2003

plusieurs de ces fonctions seront probablement transférées

à l’UE dans un futur proche.

  1. Réformer le fédéralisme fiscal dans le sens d’un renoncement au partage de l’assiette fiscale pour accorder une plus grande latitude aux länder dans l’imposition de taxes correspondant à leurs besoins, tout en cherchant à harmoniser la fiscalité fédérale sur le plan européen.

  2. Modifier les attributions du Bundesrat en révisant à la baisse les types de projet de loi requérant son approbation. On ne peut pas à la fois espérer gouverner au niveau national via la seconde chambre et être engagé dans une guerre d’influence avec les autres länder.

  3. Rediviser le territoire et réduire de 16 à 9, environ, le nombre de länder. Ceux-ci auraient alors les ressources nécessaires pour agir et prendre leurs responsabilités, ainsique pour se positionner sur l’échiquier européen. À long terme, il est essentiel de recartographier le pays si l’on souhaite venir à bout de l’imbroglio politique et redistribuer équitablement les pouvoirs. Mais s’il est relativement facile de le faire sur papier, la mise en œuvre d’un tel projet n’est pas une sinécure.

L’histoire nous enseigne que les méga-projets constitutionnels réussissent rarement, une règle qui risque de s’appliquer à la réforme du fédéralisme allemand. Trop d’inconnues jalonnent la voie d’une réforme institutionnelle de cette envergure. Politiciens et fonctionnaires fédéraux, comme ceux des länder, devraient renoncer à l’influence qu’ils exercent les uns sur les autres, ce qui paraît hautement improbable. Une approche par étape semble plus indiquée, en proposant des éléments de réforme qui donneraient aux acteurs politiques la possibilité de s’ajuster.

Mesures indirectes de partage des pouvoirs

L’Allemagne s’est dotée d’une Constitution ou « Loi fondamentale » (Grundgesetz) en 1948. La réforme prête à un débat animé, notamment à propos :

Le transfert de compétences peut se faire de deux façons :

soit directement, en se mettant d’accord sur les tâches à

transférer; soit indirectement, par le biais d’une clause de

portée générale qui accorde aux länder le droit, à certaines

conditions, de se désengager du cadre fédéral pour mettre

en œuvre leur propre législation. Les deux voies devraient

être essayées, bien que la voie indirecte semble plus

prometteuse.

Un cadre concurrentiel approprié

Le droit de renoncement ou de participation à la carte constitue une mesure incitative pour la recherche de solutions adaptées. Un assouplissement du cadre est essentiel à la réforme du fédéralisme fiscal. Chaque land devrait avoir la possibilité d’administrer ses propres impôts, voire déterminer les taux d’imposition sur le revenu. En outre, pour se démarquer de la pratique actuelle, les paiements de péréquation horizontale devraient viser à rétribuer l’efficacité économique et la réussite. Largement utilisés dans les systèmes fédéraux inter-étatiques, les taux d’imposition variables sont étrangers à la culture politique allemande, et il sera difficile de convaincre la population de leurs avantages.

Qui bénéficie des impôts en Allemagne?

Le système fiscal allemand et ses règles de péréquation offrent un exemple patent du caractère intra-étatique et centralisé du fédéralisme allemand. En 2001, les revenus des trois niveaux de gouvernement atteignaient 443,1 milliards d’euros. Chaque palier de gouvernement possède au moins quelques pouvoirs exclusifs de taxation. Ainsi, la taxe sur l’essence, le tabac, et une taxe d’accise de cinq pour cent sur le revenu pour la reconstruction de l’ex-Allemagne de l’Est sont des prérogatives fédérales. Elles représentent 18 pour cent de toutes les taxes sur le revenu. Les länder prélèvent quant à eux un impôt sur l’automobile et les droits de succession. Les taxes perçues par les länder et les administrations locales représentent 7,5 pour cent de l’impôt sur le revenu.

La plus grande part des revenus des trois paliers de gouvernement (70 pour cent) provient de taxes conjointes, telles que l’impôt sur le revenu et la TVA. Cinquante et un pour cent des revenus vont dans lescoffres de l’État fédéral, 35,6 pour cent dans ceux des länder et à peine 13,4 pour cent vont aux administrations locales. Tous les impôts et taux d’imposition, y compris ceux qui sont exclusifs aux länder, sont déterminés en vertu d’une loi fédérale, comme c’est le cas pour la répartition des taxes conjointes entre les paliers de gouvernement. Les taux d’imposition du fédéral et des länder sont dès lors identiques dans l’ensemble du pays.

Les règles de répartition de l’impôt sur le revenu sont inscrites dans la Constitution de 1948, ou Loi fondamentale, laquelle accorde un pourcentage égal de 42,5 pour cent au fédéral et aux länder, et 15 pour cent aux administrations locales. Le partage de la TVA est décidé en vertu d’une loi fédérale : actuellement, le fédéral reçoit 52 pour cent et les länder 45,9 pour cent de cette taxe. Il existe en outre deux formes de paiements de péréquation, également déterminées par une loi fédérale : les transferts horizontaux et les transferts verticaux. Les transferts horizontaux (Länderfinanzausgleich) datent de 1950. Les länder les plus riches contribuent à un fonds spécial dans lequel les plus pauvres peuvent puiser, selon une formule sur laquelle doivent s’entendre le fédéral et les länder. La formule a été contestée plusieurs fois en cour constitutionnelle et amendée en conséquence, sans qu’en soit jamais abandonné le principe. Les transferts verticaux, d’origine fédérale, sont un ajout récent (1969) au régime de péréquation. Divers transferts fédéraux additionnels sont faits aux länder qui se situent sous la moyenne nationale ou qui font face à des besoins spéciaux,comme les cités-États et les cinq nouveaux länder de l’est. Ces paiements, en provenance de l’enveloppe fédérale de la TVA, parviennent à combler 90 pour cent du fossé qui sépare ces états de la moyenne nationale. Les deux modes de transfert réussissent une harmonisation quasi-parfaite du secteur du revenu. Tous les länder peuvent compter que leur capacité financière égalera 99,5 pour cent de la moyenne nationale. En 2001, les transferts intergouvernementaux représentaient 12,8 pour cent des revenus des länder.

Les éléments de réforme proposés ne sont qu’un premier pas pour sortir l’Allemagne du piège de l’interdépendance gouvernementale. Ce que l’histoire nous enseigne, par contre, c’est que lorsque les réformes sont généralement facteurs d’interdépendance et d’uniformisation, il y aurait lieu d’être sceptique quant aux chances de succès de ces réformes. Mais, contrairement à l’habitude, la pression est forte sur les politiciens du fédéral et des länder pour qu’ils passent à l’action. Il y a donc une réelle possibilité que la réforme visant à désengorger le fédéralisme allemand soit entreprise.

Fédérations vol. 3, no 3, août 2003