Affaires fédérales de l’Éthiopie, s’est entretenu avec Peter Meekison, conseiller auprès du Forum (et ancien sous-ministre des Affaires intergouvernementales de l’Alberta et professeur émérite de science politique à l’université de l’Alberta), et Paul Morton, membre dupersonnel du Forum, à Addis-Abeba, en Éthiopie, le 28 février 2003.

Forum :

Depuis combien de temps exercez-vous cette fonction? Quelles sont vos responsabilités principales?

Barnabas :

Ma profession est la médecine et je participe à la vie politique depuis trente ans. Dans ce gouvernement, j’ai travaillé comme député pendant la période de transition de 1991 à 1995. Alors que j’étais député, je suis allé étudier à Londres. J’y ai obtenu un doctorat en politique sociale, en politique d’éducation en santé. Quand je suis revenu en 1997, j’ai œuvré comme chercheur au quartier général du Front démocratique révolutionnaire du peuple. Puis on m’a affecté à cette tâche. Je suis tout simplement passé du quartier général du parti à un ministère nouvellement créé, celui des Affaires fédérales.

Forum :

Et vous en êtes le premier titulaire?

Barnabas :

Je suis ministre d’État au nouveau ministère car le ministre des Affaires fédérales est une autre personne. Je suis responsable des états, tout particulièrement de quatre états marginalisés : le Gambela vers le sud-ouest, le Benishangul-Gumaz dans le nord-ouest, l’Afar dans le nord-est, et le Somali dans le sud-est. Ils occupent de 40 à 50 pour cent du territoire et leur population pourrait se chiffrer à huit, neuf millions. Au plan de l’économie, et même de la bonne gouvernance, ils en réalisent moins que les autres états parce qu’ils manquent de ressources humaines.

Forum :

Quelles sont les plus importantes responsabilités du bureau et du ministère?

Barnabas :

Le ministère s’occupe de toutes les régions et assure le bon fonctionnement de la fédération. Non pas au niveau des lois ou des institutions, car il y a le Conseil de la Fédération pour les questions constitutionnelles, mais pour les questions administratives, politiques et économiques. Nous prêtons attention tout particulièrement aux états dépourvus pour les habiliter à rattraper les autres.

En second lieu, il s’occupe des questions de développement pastoral...

lui. C’est une capitale fédérale et, même si elle possède des institutions autonomes, nous la supervisons.

Forum :

Alors, selon vous, quel est à présent le grand défi que doit relever le ministère?

Barnabas :

Le défi principal est de mettre en valeur les ressources rurales.Le système agricole de l’Éthiopie a échoué. Il convenait très bien à la population qui l’a entretenu; il l’a alimentée pendant des millénaires, mais il fonctionnait parce que la population était moins nombreuse que maintenant, et la terre probablement plus habitable…

Non seulement sommes-nous en retard par rapport au monde : nous le sommes aussi par rapport à l’Afrique. C’est pour cette raison que nous sommes devenus très impatients. Nous avons eu recours à la guerre pour renverser un ordre établi croupissant. Il fallait bouger pour sauver le pays…

Que faisons-nous pour améliorer les choses? Au cours des dix dernières années, nous avons augmenté de 40 pour cent les inscriptions scolaires. Elles atteignent maintenant 60 pour cent... Cela signifie que les jeunes agriculteurs seront alphabétisés et maîtriseront le calcul. De la sorte, nous pourrons les initier à l’emploi d’outils agricoles modernes…

La sécurité alimentaire et l’accroissement du rendement font partie de la mise en valeur des ressources rurales. L’Éthiopie peut accueillir une population d’environ 100 à 200 millions, au moins. Nous sommes aujourd’hui 67 millions.

Le problème n’est donc pas que nous sommes surpeuplés mais bien que nous ne produisons pas assez. Nous avons beaucoup de rivières et plein de pluie. Si nous avions les ressources financières pour récupérer convenablement l’eau des rivières et l’utiliser lorsqu’il manque d’eau, nous pourrions nous débrouiller. Ce n’est toutefois pas facile.

Si nous avions une main-d’œuvre compétente, nous pourrions mettre à profit nos ressources naturelles pour nous alimenter nous-mêmes, et même exporter.

Par sa taille, notre cheptel se classe dixième au monde et premier en Afrique. Nous ne nous occupons cependant pas de la santé de notre bétail, nous ne vaccinons pas nos animaux, nous ne les déparasitons pas, et nous ne les alimentons pas comme il faut. Résultat : ils ne sont bons à rien.

Fédérations vol. 3, no 3, août 2003

Forum :

Quelle est la relation entre votre bureau et le Conseil de la Fédération?

Barnabas :

Le Conseil de la Fédération intervient surtout dans les questions constitutionnelles et dans le partage des recettes, dont il fixe la formule avec, pour premier critère, la taille de la population et, pour second, la production de recettes. Si vous récoltez d’importantes recettes, vous en recevez davantage. Sinon, vous en recevez moins.

Forum :

Mais comment cela aide-t-il à redresser ceux-là qui sont incapables de subvenir à leurs besoins?

Barnabas :

À cause du troisième critère : la marginalisation. Moins une région est développée, plus elle reçoit.

Comme, par exemple, les états que j’aide : l’Afar, dont la population est d’un million, et le Somali, d’environ quatre millions. Pourtant, selon la formule du Conseil, le Somali reçoit 500 millions de birrs éthiopiens, et l’Afar, 300 millions…

Forum :

Vous avez décrit le Conseil de la Fédération comme étant, plus justement, une « Chambre des nationalités ». Pourriez-vous en dire davantage?

Barnabas :

Notre fédération est fondée sur des entités nationales. Les Oromos forment une entité parce qu’ils ont leur propre langue, même si une moitié est de confession chrétienne, et l’autre de confession musulmane. La religion creuse un gouffre profond, mais c’est la langue qui a servi de critère, de pont, pour unir les Oromos en une ethnie ou nationalité.

Alors le Conseil de la Fédération a été composé de nationalités parce que, autrefois, l’idéologie prépondérante escamotait ce facteur d’identité. Ne reconnaissant pas ces identités, elle a provoqué la guerre civile... Chaque nationalité s’est vue accorder un siège dans cette chambre. C’est pourquoi je l’appelle « Chambre des nationalités »...

C’est donc uniquement pour des considérations de goût que nous en avons fait un Conseil de la Fédération. Au plan politique, nous sommes une fédération, mais une fédération de nationalités.

Forum :

Comme vous êtes un des joueurs au cœur des relations intergouvernementales, avec qui traitez-vous au niveau régional ou local?

Barnabas :

Nous traitons avec tout le monde. Nous aidons les conseils d’état à réviser leur constitution...

Forum :

Et quels changements apportez-vous?

Barnabas :

Nous avons mis en place des dispositions pour inclure les aînés dans la structure du gouvernement local. Parce que ce sont encore des dirigeants locaux, puissants. Ce ne sont pas des chefs, mais ils pourraient mener des clans dans les régions pastorales. Nous avons tenté d’éliminer des constitutions certains éléments religieux. La Constitution fédérale étant laïque, la religion devait en disparaître.

Troisièmement, il y avait des dispositions pour des états comme le Gambela et le Benishangul-Gumaz, redevenus multiethniques. Il faudrait aussi des dispositions pour l’identité ethnique au sein d’un état, comme l’existence de conseils où l’on emploie sa propre langue pour discuter et régler des zones autonomes propres à chaque groupe…

Nous avons inclus la décentralisation fiscale en transférant aux administrations locales des ressources et des compétences selon des formules semblables à celles mises au point pour le Conseil de la Fédération...

De plus, dans certains états, le partage des compétences n’était pas terminé : dans la Constitution fédérale, il l’est. Dans les constitutions antérieures de ces états, ce n’était pas clair. Le président d’état était aussi celui qui convoquait le Conseil. Il en était aussi le chef, ce qui posait un problème d’équilibre des pouvoirs. Maintenant, [les compétences] ont été séparées.

Forum :

Auriez-vous un vis-à-vis dans le gouvernement régional? Avec qui communiqueriez-vous?

Barnabas :

Le président d’état.

Forum :

Et si le chef du gouvernement voulait communiquer avecquelqu’un dans l’État central, serait-ce avec vous?

Barnabas :

Il communiquerait avec moi d’abord, parce que je suis responsable des questions régionales. Mais il a accès aussi au ministre et au premier ministre, qui font partie de l’exécutif. Nous faisons partie de l’exécutif, non du Parlement. L’exécutif s’occupe de la plupart des questions, mais il y a des questions pour lesquelles il pourra, s’il le désire, s’adresser directement au ministre…

Forum :

Dans l’éventail international, la Constitution de l’Éthiopie est unique (par le droit de sécession, par exemple, ou le rôle prépondérant de la nationalité). Quelles forces et quelles faiblesses y observez-vous depuis neuf ans?

Barnabas :

La Constitution fédérale est tout à fait remarquable. Je n’y vois guère de faiblesses. Peut-être faut-il y apporter quelques mises au point. Dans le règlement de conflits, par exemple : étant donné que chaque groupe ou chaque état tend à se montrer mieux disposé envers ses propres criminels, où faut-il acheminer les coupables de crimes dans lesquels jouent des rapports entre états ou entre ethnies?

Nous cherchons présentement à confier à des tribunaux fédéraux, neutres, les enquêtes sur les crimes commis par des groupes ethniques.

Cependant, maints pays mieux développés économiquement que nous n’ont pas réussi à réunir des nationalités diverses. Nous l’avons fait. Parce que notre régime de « portes ouvertes » est un instrument efficace. L’expression « sécession » est explosive. Elle ne nous effraie pas. Nous l’avons inscrite délibérément parce que nous voulions rendre l’idée de politique de « portes ouvertes ». Personne ne vous obligera àrester en Éthiopie malgré vous. Il vous faut aimer l’Éthiopie pour y rester. Tous aiment entrer dans une demeure aérée, oxygénée. Si elle est asphyxiante, tous veulent en sortir... Nous sommes pauvres, nous sommes sous-développés et, pourtant, nous pouvons vivre ensemble dans la paix.

Il nous faut surmonter nos préjugés et valoriser l’unité, l’égalité et la fraternité. Nous devons non seulement les affirmer mais les pratiquer.

[Parmi nos] faiblesses, seule la pénurie de nos ressources nous a trahis. Même si nous possédons des ressources, nous avons parfois recours aux structures gouvernementales disponibles. Il y a aussi de la corruption : il nous faut lutter contre elle.

Les faiblesses ne sont donc pas dans la loi mais dans les organismes de mise en œuvre : les carences [sont celles d’individus] plutôt que de dispositions législatives.

C’est ainsi que je le vois.

Fédérations vol. 3, no 3, août 2003