La plate-forme du PT pendant la campagne victorieuse de Lula à la présidence l’an dernier promettait que « en plus d’une réforme fiscale, notre gouvernement proposera aux états et aux municipalités une redéfinition du pacte fédéral, en vue de promouvoir la décentralisation des politiques sociales et de soutenir l’action locale. » Par conséquent, au moment où l’on commence à discuter réforme fiscale au Congrès, il serait naturel de s’attendre à ce que le gouvernement appuie vigoureusement les principes du fédéralisme fiscal. Hélas, tel n’est pas le cas.

La présence inquiétante du FMI

Les raisons de cette volte-face soudaine et inexplicable sur le fédéralisme fiscal sont loin d’être simples et constituent dans une grande mesure un héritage du gouvernement précédent. Mais, peut-être plus important encore, le gouvernement essaie de respecter les paramètres financiers de l’accord d’aide éventuelle intervenu avec le Fonds monétaire international (FMI). Afin de comprendre les raisons derrière le changement d’attitude de Lula, il faut analyser autant la situation financière à la fin du terme du gouvernement de Fernando Henrique Cardoso que la logique de l’accord avec le FMI.

Pendant plus d’une décennie, le Brésil s’est efforcé de réaliser une réforme en profondeur de ses comptes financiers. De 1991 à 2002, le gouvernement fédéral a dégagé en moyenne un excédent primaire de 2,3 pour cent du PIB, excluant les paiements d’intérêt sur le total de la dette. L’excédent primaire en 2002 a été de 3,9 pour cent du PIB. Durant à peu près la même période, les transferts aux états et aux administrations

Matias Vernengo (Vernengo@economics.utah.edu) est professeur adjoint d’économie à l’université de l’Utah, à Salt Lake City.

locales ont chuté de 25 pour cent à moins de 15 pour cent des dépenses totales du gouvernement fédéral. Par ailleurs, les dépenses pour les salaires du secteur public furent réduites de 32 pour cent à 22 pour cent des dépenses du gouvernement, dans le cadre d’une difficile réforme de l’administration du secteur public. De plus, il importe de noter que durant l’administration précédente, le gouvernement fédéral a refinancé la dette des états et des administrations locales. Ces efforts conduisirent à une nouvelle loi sur la responsabilité fiscale qui imposa des limites aux dépenses de salaires et à l’endettement.

Des impôts plus élevés que ceux des pays de l’OCDE

Les recettes des gouvernements fédéral, étatiques et municipaux ont augmenté au cours des années 1990, et ont atteint 36 pour cent du PIB en 2002, un niveau se rapprochant des normes des pays de l’OCDE où les services publics sont plus élaborés et la qualité, meilleure. Les pays ayant des niveaux de vie comparables à ceux de l’OCDE connaissent habituellement un fardeau fiscal beaucoup moins élevé, de l’ordre de 20 pour cent du PIB. Une partie de l’augmentation des recettes du gouvernement fédéral a été réalisée aux dépens des gouvernements étatiques et locaux. Les municipalités, en particulier, dépendent de plus en plus des transferts du gouvernement fédéral. En 1995, moins de 30 pour cent des recettes des administrations locales était constitué de transferts alors qu’en 2001, ce pourcentage avait atteint plus de 40 pour cent de toutes les sources de recettes.

Cependant, malgré tous les efforts de redressement fiscal, la dette publique des différents niveaux de gouvernement (fédéral, état, municipal) a grimpé de moins de 30 pour cent du PIB à près de 60 pour cent l’an dernier. La raison de cette hausse réside

Fédérations vol. 3, no 4, novembre 2003

dans les coûts considérables du service de la dette occasionnés par les taux d’intérêt extrêmement élevés. Les déficits globaux (incluant les paiements d’intérêt sur la dette) sont de l’ordre de 5 pour cent du PIB. En d’autres termes, la montée en flèche de la dette publique est causée par le service de la dette dont le haut niveau résulte des taux d’intérêt élevés pratiqués afin d’éviter la fuite des capitaux.

Les recettes et les impôts régressifs

Cette dette publique croissante explique peut-être pourquoi le FMI et le gouvernement nouvellement élu du PT se sont entendus pour augmenter l’excédent primaire de 3,75 pour cent à 4,25 pour cent du PIB au début de l’année. Dans ce contexte, la combinaison d’une longue décennie de redressement fiscal, qui a considérablement réduit la capacité des états et des autorités locales de dépenser, et l’accord avec le FMI signifiaient qu’une augmentation des transferts aux états et aux municipalités était

improbable.

Les problèmes de la structure fiscale du Brésil ne se limitent pas à des querelles entre le fédéral et les administrations locales. Le régime fiscal du Brésil n’est ni efficace ni juste en matière de répartition. Il y a donc beaucoup de place àl’amélioration. À titre d’exemple, le caractère régressif des impôts indirects est notoire. Dans le cas du Brésil, les impôts indirects sont particulièrement gênants

car les citoyens les plus pauvres constituant 10 pour cent de la population dépensent 25 pour cent de leur revenu pour payer les impôts indirects, alors que dans le cas des citoyens les plus riches constituant 10 pour cent de la population, ce pourcentage n’est que de 12,5. De plus, comme le soulignent les exportateurs et tous les producteurs, plusieurs contributions sociales s’additionnent et surtaxent les exportations et la production destinée à la consommation nationale, et rendent ainsi les biens locaux moins concurrentiels que les produits importés. Par conséquent, le gouvernement se doit de rendre le régime fiscal plus juste et plus efficace, sans diminuer les entrées fiscales, et sans partager les ressources avec les niveaux subalternes de gouvernement.

Les municipalités sabrent dans les dépenses

Au niveau local, durant les dernières années du gouvernement précédent, les états et les villes ont dû sabrer dans leurs dépenses à un moment où le chômage élevé aggravait les problèmes des centres-villes. On s’attendait à ce que le nouveau gouvernement apporte un certain soulagement. Au fil des mois, alors que l’excédent primaire se maintenait à environ 6 pour cent du PIB, c’est-à-dire au-dessus du niveau convenu avec le FMI, les municipalités des états de Bahia, Minas Gerais, Paraná, Piauí, Rio Grande do Sul, São Paulo, et d’autres états encore, annoncèrent un arrêt de travail de deux jours afin de protester contre la diminution du Fonds de participation des municipalités (Fundo de Participação dos Municípios ou FPM).

Il devint évident que la crise actuelle de l’administration municipale ne pouvait être résolue que par un accroissement des transferts du gouvernement fédéral. Cependant, l’accord avec le FMI et la montée en flèche de la dette laissaient penser que la seule façon d’augmenter les transferts serait maintenant de hausser les impôts. Mais, une augmentation des impôts en pleine récession serait catastrophique pour un gouvernement qui avait promis de combattre le chômage et la faim.

Les négociations sur la réforme fiscale au Congrès s’emmêlèrent avec les discussions sur le pacte fédéral. Le PT désire maintenir le niveau actuel des recettes de façon à pouvoir respecter les critères du FMI. Pour cette raison, on voulut transformer la taxe temporaire sur les transactions financières en élément permanent du régime fiscal. Le Parti du front libéral (Partido da Frente Liberal ou PFL), conservateur, argua que la chose n’était possible que si le gouvernement acceptait de partager ces recettes avec les niveaux subalternes de gouvernement. En conséquence, le gouvernement décida de prolonger la taxe temporaire jusqu’en 2007 et de partager une partie des recettes avec les états.

Un congé fiscal sur la nourriture et les médicaments

De plus, le projet de réforme fiscale présenté au Congrès limite à

quatre pour cent la taxe de vente pouvant être appliquée à la

nourriture et aux médicaments (les autres biens

peuvent être taxés à un taux plus élevé). Cette taxe

est la version brésilienne d’une taxe sur la valeur

pour la nourriture et les médicaments. De plus, une

efficacité accrue résultera d’une réduction de la bureaucratie. Il n’y a cependant aucune garantie que le taux maximal de la ICMS de 25 pour cent pouvant être appliqué sur les biens autres que la nourriture et les médicaments ne conduira pas à une augmentation du fardeau fiscal.

Grâce à ces petites concessions, le gouvernement a pu approuver les premiers votes sur la réforme à la chambre basse. Un autre vote à la chambre basse doit être tenu avant la fin de l’année et la réforme doit également être approuvée par le Sénat. Cependant, l’entente avec les états et les municipalités n’implique pas nécessairement un partage des ressources fiscales. Le résultat le plus probable de l’entente avec les niveaux subalternes de gouvernement est une augmentation des impôts. On pourrait assister à une augmentation des recettes provenant de la ICMS, qui viendraient s’ajouter à de nouvelles taxes municipales sur la collecte des ordures et l’éclairage public inscrites dans le texte de la réforme. La Confédération nationale de l’industrie s’est déjà plainte de ce que la réforme envisagée n’allait pas résoudre le problème des surtaxes et de l’inefficacité, et des dissidents au sein du PT ont soutenu que les réformes ne suffiraient pas à redresser les inégalités.

Le gouvernement a fait savoir que, dans la situation actuelle, cette réforme était la seule possible. La solution à la crise du pacte fédéral est d’augmenter le fardeau fiscal tout en conservant le haut degré de centralisme fiscal institué par le gouvernement précédent. Les rôles ont été renversés, et le PFL, qui favorisait la centralisation fiscale dans les années 1990, est maintenant en faveur du fédéralisme, alors que le PT devra lutter afin de maintenir le niveau actuel de centralisation. Il en perdra peutêtre son identité. Il serait opportun de ressusciter un vieux dicton du 19e siècle, tiré de la politique brésilienne : « Rien ne ressemble davantage à un conservateur qu’un libéral au pouvoir. » Dans l’état actuel des choses, rien ne ressemble davantage à un centraliste fiscal qu’un fédéraliste fiscal au pouvoir.

ajoutée (Imposto sobre Circulação de Mercadorias e Serviços ou ICMS). Elle est présentement appliquée selon plus de 40 taux différents dans les diverses parties du pays. Suivant le texte de la réforme, seulement cinq taux seront retenus et les 27 mesures législatives des états qui régissent la ICMS seront unifiées. Un traitement plus équitable devrait en résulter car proportionnellement, les pauvres dépensent une plus grande partie de leur revenu

Fédérations vol. 3, no 4, novembre 2003