Sir Fred Phillips, ancien gouverneur de Saint-Kitts-et-Nevis, dirige une commission d’étude sur la Constitution de Saint-Kitts-et-Nevis, et préside une commission de réforme constitutionnelle à Antigua-et-Barbuda. Karl Nerenberg, rédacteur en chef de Fédérations, l’a rencontré à Ottawa.

Forum :

Quel est votre intérêt personnel face au fédéralisme dans les Caraïbes orientales?

Phillips :

Je suis un ancien gouverneur de Saint-Kitts-et-Nevis. Lorsque j’étais gouverneur, le nom était Saint-Kitts-Nevis-Anguilla. Maisen 1967, Anguilla a fait sécession de cet État unitaire. Et en 1983, lors de l’indépendance, les deux unités constituantes quiformaient cet État indépendant étaient Saint-Kitts et Nevis. Dans la Constitution, on les décrit comme étant une fédération mais en réalité, ce n’est pas une vraie fédération. Et l’un des problèmeslié à l’État vient du fait ce n’est pas vraiment une fédération – seul l’un de ces états (Nevis) a une assemblée législative et un gouvernement. L’autre, Saint-Kitts, n’a pas d’assemblée législative locale ni de gouvernement. Et dans une vraie fédération, tout état devrait avoir une assemblée législative et un gouvernement.

Au cours des six dernières années environ, j’ai travaillé au sein d’une commission nommée en 1997 afin de recommander des changements à apporter à la Constitution. Et en 1998, la commission, dont j’étais le président, a fait des recommandations spécifiques selon lesquelles il devrait y avoir deux gouvernements distincts pour chaque île : le gouvernement de Nevis et celui de Saint-Kitts.

Forum :

Quel intérêt porte-t-on au fédéralisme dans toute la région des Caraïbes? De quelle façon caractériseriez-vous l’intérêt porté au fédéralisme et y en-a-t-il seulement?

Phillips :

Vos questions sont très intéressantes puisque j’étais secrétaire du Cabinet de ce qui était autrefois connu sous le nom de Fédération des Antilles (Federation of the West Indies). Cette fédération a été formée en 1958 et dissoute en 1962. Elle comprenait la Jamaïque, Trinité, la Barbade, Grenade, Saint-Vincent, Sainte-Lucie, la Dominique, Saint-Kitts, Antigua et Montserrat. Il existait donc un intérêt pour le fédéralisme à cette époque. Néanmoins, plusieurs personnes persistent à croire que de nombreux problèmes auxquels font face les Caraïbes en ce moment découlent de la rupture de la fédération. Vous comprenez ce que je veux dire? Lorsque la fédération existait, il y avait un gouvernement, un gouvernement fédéral et tous ces autres gouvernements ou gouvernements des îles. En d’autres termes, lorsqu’on organise, par exemple, une représentation diplomatique dans des capitales à l’étranger, il y a un ambassadeur fédéral ou un hautcommissaire. Maintenant, il y a des haut-commissaires et des ambassadeurs pour chaque pays indépendant. Cette façon de faire coûte alors extrêmement cher. Il y a donc eu une augmentation et je crois que de nombreuses personnes persistent à croire que nous devrions encore former une fédération.

Forum :

Si cette fédération prenait forme, sur quoi pourrait-elle être bâtie? Qu’existe-t-il présentement qui pourrait servir de base à une future fédération?

Phillips :

D’une chose, nous avons ce qui est connu sous le nomd’Organisation des États des Caraïbes orientales, constituée desplus petites îles qui ont déjà été des États associés tels que Grenade, Saint-Vincent, Sainte-Lucie, la Dominique, Antigua et Saint-Kitts. Ceci représente une sous-région qui pourrait former le noyau de cette nouvelle fédération. Cette organisation, avec laBarbade, Trinité, et peut-être les Îles vierges britanniques au moment opportun, de même que Montserrat, pourrait devenir une nouvelle fédération.

Forum :

Parlant de l’Organisation des États des Caraïbes orientales, quelles fonctions occupe-t-elle maintenant qui ressemblent à celles d’un gouvernement fédéral?

Phillips :

Bien, en termes économiques, il y en a plusieurs. Il existe une Banque centrale des Caraïbes orientales, qui est une organisation très importante. Elle contrôle les politiques monétaires et ce genre de choses. Nous avons une monnaie unique dans ces îles, et cette dernière est administrée par la Banque centrale des Caraïbes orientales, qui est située à Saint-Kitts. La Banque exécute aussi nombre d’autres fonctions économiques. Il existe un certain nombre d’octrois administrés par l’Organisation desÉtats des Caraïbes orientales basée à Sainte-Lucie. Elle suit donc les façons de faire d’une organisation fédérale.

Fédérations vol. 3, no 4, novembre 2003

Forum :

Quel est le niveau de compréhension de ce qu’est une fédération ou du concept de fédéralisme au sein de la population en général? De quelle façon est-ce perçu par les personnes de la masse populaire?

Phillips :

C’est une question très intéressante. Au temps de la fédération, plusieurs personnes de la masse populaire ne saisissaient pas totalement ce que signifiait une fédération ou ce que cela supposait. Je crois qu’il y a eu un manque de communication, en ce sens qu’on n’a pas fait ce qui était suffisant, à mon avis, pour faire prendre conscience à l’homme de la rue, et ce, dans tous les territoires, de la valeur et de l’objectif profond d’une fédération.

Forum :

Et quels genres de choses peuvent être effectuées maintenant afin d’éviter de répéter les erreurs commises lors de la fédération de 1958?

Phillips :

Bien, beaucoup de choses sont faites. Plusieurs premiers ministres et gouvernements informent la population de façon active sur la valeur que représente le fait de se rassembler, et les gens comprennent que le monde évolue. Je veux dire, il est certain que la fédération a existé en 1958, c’était il y a presque 50 ans. Les gens ont plus tendance à se rassembler, que ce soit l’Union européenne ou l’ALENA. Et toute l’idée d’union est en train de devenir quelque chose que les gens peuvent comprendre. Les politiciens tentent d’amener la population à comprendre cette idée. Mais il est difficile pour les gens de ne pas devenir insulaires s’ils ne voyagent pas. Les voyages par avion ont fait une différence pour plusieurs, mais nous espérons qu’au fil du temps, tout le monde aura une meilleure compréhension des idées que comporte le fédéralisme.

Forum :

Vous parlez de rassembler les pays des Caraïbes pour former une quasi-fédération, un pays ayant certaines caractéristiques fédérales. Mais, à Saint-Kitts-et-Nevis, c’est une menace de séparation qu’on observe. Que peut-on faire?

Phillips :

Je ne connais pas la réponse à votre question. Malheureusement, il existe une disposition sur la séparation dans la Constitution de Saint-Kitts-et-Nevis. L’article 1.13 prévoit que l’île de Nevis a le droit de faire sécession. Donc, tout ce qu’on peut faire est de tenter de persuader les autorités de Nevis qu’il n’est pas dans leur intérêt de se séparer. Mais il arrive que les gens se rassemblent au lieu de s’entredéchirer. Donc, à part tenter de les persuader que ce n’est pas dans l’intérêt des Caraïbes ou du pays élargi, je ne crois pas qu’on peut faire quoi que ce soit de plus.

Forum :

En venant dans un pays fédéral tel le Canada, un pays ami avec les Caraïbes, qu’espérez-vous accomplir en termes de développer la notion de fédéralisme dans votre région?

Phillips :

Bien, vous posez une question bien difficile. J’ai été un fédéraliste depuis le début et je continue d’être un fédéraliste et je serai toujours un fédéraliste. Dans les Caraïbes, je crois que nousn’irons nulle part en continuant en tant qu’États indépendants.

Les Caraïbes orientales

Dans un livre sur le droit constitutionnel que j’ai publié il y a près d’un an j’ai écrit : « …les forces de la division sont encore plus au travail aujourd’hui qu’à toute autre période de l’histoire et le chemin le plus court vers la pauvreté persistante et la détérioration économique et la catastrophe est de poursuivre lamultiplicité actuelle des juridictions en tant qu’États indépendants sur la scène internationale. Il est incontestable que nos politiciens sont assez avertis pour bien examiner lesÉtats-Unis et le Canada, de qui ils demandent si souvent de l’assistance et de l’aide technique, et d’observer de quelle façon ces deux grands pays se sont rassemblés comme une grande nation afin de mieux servir les intérêts supplémentaires de leurs citoyens. Les dirigeants des Caraïbes sont réputés pour avoir, depuis 1962, soit depuis 38 ans, mis en place trois présidents, neuf gouverneurs généraux, six gouverneurs, de même que 12 premiers ministres, un premier ministre d’état, quatre ministres en chef et de 150 à 200 ministres au gouvernement comme haute machine administrative pour une population de près de 5 millions d’habitants. Ce chiffre représente moins de la moitié de la population de la ville de Shanghai en Chine. Cette machine administrative est ce que l’auteur s’apprêtait à observer lors de ses visites en 1983, 1986 et 1988. La duplication de cet effectif d’ambassadeurs dans des capitales telles que Londres, Bruxelles, Ottawa, New York et Washington confond l’imagination, et ne peut que résulter en une dépossession futurede ces États démunis de ressources financières déjà peu abondantes ».

Fédérations vol. 3, no 4, novembre 2003